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Le Canada nourrit de grands espoirs envers Marcel Rocque, qui fait partie depuis 1999 d'une des meilleures équipes de curling au monde : celle de Randy Ferbey d'Alberta. L'équipe a déjà remporté quatre championnats canadiens et trois championnats mondiaux. Elle vise maintenant la médaille d'or, que les équipes masculines canadiennes n'ont pas réussi à gagner depuis que le curling a reçu son statut officiel de sport olympique en 1998.

«D'après moi, il n'y a rien de plus prestigieux dans le sport que de remporter une médaille d'or pour son pays», déclare M. Rocque. Il fait remarquer que les attentes sont grandes envers son équipe qui, on l'espère, sera la première au pays à remporter la médaille d'or.

S'il se sent bien sur la patinoire à faire du curling, il se sent tout aussi à l'aise à l'avant du gymnase de l'école intermédiaire Riverbend d'Edmonton où il enseigne l'éducation physique de la 7e à la 9e année depuis septembre 1996.

«J'ai choisi l'enseignement parce que j'ai toujours entretenu de bons rapports avec les jeunes. Et enseigner l'éducation physique est tout à fait naturel pour quelqu'un qui adore le sport.»

Dès le début, M. Rocque a compris qu'il lui fallait être différent des autres enseignants s'il voulait réussir à combiner l'enseignement et le curling. Tandis que la plupart des enseignants se préoccupent du nombre de jours d'absence des élèves, lui s'inquiète de ses propres jours d'absence.

Premier emploi

«Avant d'accepter mon premier poste, j'ai dit à mon employeur que j'étais un joueur de curling de compétition et que j'aurais besoin de congés pour participer aux tournois.»

L'athlète précise qu'à l'époque, le directeur de l'école, lui-même ancien enseignant d'éducation physique, avait vite reconnu les avantages d'avoir un athlète d'élite parmi son personnel.

«Le programme d'éducation physique d'ici favorise l'activité et le conditionnement physique. Alors, qu'est-ce que j'apporte à mes élèves? Je leur sers de modèle, raconte Marcel. Il y a des objectifs à établir, des rêves à poursuivre. Et il faut de l'organisation pour mener tout cela à bien.»

Il avait expliqué à son directeur qu'il aurait besoin d'au moins deux semaines de congé avant Noël pour les grandes compétitions, et même davantage si son équipe réussissait bien.

Le directeur lui avait répondu : «Si tu es prêt à renoncer à 1/200e de ton salaire par jour d'absence, ça va te coûter cher, mais nous t'appuierons dans ta démarche.»

Marcel Rocque était heureux de cet appui. Chaque fois qu'il partait, toute l'école le soutenait et suivait ses compétitions. En revenant, il leur parlait de ses expériences aux assemblées d'école.

Besoins conflictuels

Le succès de l'équipe de Marcel a bientôt commencé à causer des problèmes à l'école. Il s'est mis à s'absenter de plus en plus longtemps. En 2001, l'année où son équipe a remporté son premier championnat mondial, il a manqué 30 jours d'école. Récemment, il a pris 44 jours de congé. Puis, la direction de son école a changé.

«Ce qui veut dire qu'après sept ans d'appui, j'ai commencé à avoir des problèmes, ajoute-t-il. La nouvelle direction n'avait pas l'impression que mon rôle de modèle compensait le manque de continuité pour les élèves. C'est devenu un sujet de débat.»

Le débat ne date pas d'hier. En Ontario, il se poursuit au moins depuis les années 1960, époque où le joueur de curling de compétition Jim Waite enseignait à l'école élémentaire Oak Park à London. Lorsqu'il a demandé un congé pour participer à un championnat, le conseil scolaire lui a répondu que c'était impossible.

Jim Waite, joueur de curling de compétition et enseignant à l'école élémentaire Oak Park de London dans les années 60.

«Dans le temps, ce n'était pas du tout permis, explique Jim Waite. Il fallait que je m'esquive. Pas que je mente, mais que je trouve des prétextes pour m'absenter sans avoir à toujours réclamer des jours de congé de maladie. Cela m'est arrivé plus d'une fois, juste pour réussir à sortir.»

En fin de compte, son directeur, Sam Munro, a demandé au conseil scolaire de changer la politique pour que les enseignants puissent prendre des congés sans solde pour participer à des compétitions importantes. M. Munro remplaçait même l'athlète pendant ses absences.

«Chaque fois qu'il partait, toute l'école le soutenait et suivait ses compétitions.»

«S'il n'avait pas été là, la route aurait été autrement plus longue pour les enseignants qui font du sport, ajoute-t-il. Le conseil scolaire de London a probablement été le premier à adopter une politique permettant aux enseignants de participer à des championnats provinciaux ou nationaux – avec perte de salaire, bien sûr.»

Presque tous les conseils scolaires de l'Ontario ont adopté une clause, qui figure dans la convention collective de leurs employés, permettant aux enseignants athlètes de demander jusqu'à dix jours de congé sans solde par année.

Hockey et enseignement

Ce sont là de bonnes nouvelles pour certains athlètes qui espèrent faire partie d'une équipe olympique et mettre leurs compétences à profit dans une salle de classe.

Katie Weatherston espère faire partie de l'équipe féminine de hockey qui tentera de défendre la médaille d'or qu'elle a remportée aux olympiades de Salt Lake City.

Vivant à Thunder Bay, Katie est diplômée en psychologie et terminera dans un an sa formation à l'enseignement au collège Dartmouth, établissement de l'Ivy League du New Hampshire.

Katie Weatherston défendra la médaille d'or olympique de l'équipe feminine de hockey à Turin.

«Bien des choses vont de pair avec l'enseignement, dit-elle en faisant la comparaison avec le hockey. Je veux inculquer aux enfants une éthique du travail, leur montrer comment planifier, établir des objectifs. Bien des aspects du sport et de l'éducation se chevauchent.»

Elle pense à l'enseignement depuis des années, bien avant de pouvoir espérer décrocher une place dans l'équipe nationale. Elle sait qu'il pourrait y avoir des difficultés à concilier les deux carrières, mais elle y tient.

«J'ai toujours voulu entraîner les autres et enseigner parce que ce sont les deux choses pour lesquelles je suis douée.»

«J'ai toujours voulu entraîner les autres et enseigner parce que ce sont les deux choses pour lesquelles je suis douée, précise-t-elle. Et je crois pouvoir m'acquitter des deux. C'est sûr qu'il est important que je me concentre sur le hockey, mais c'est bien d'avoir autre chose pour garder une juste mesure et soulager la pression.»

L'année prochaine, quand elle aura terminé ses études, elle aimerait se trouver un poste de suppléante afin de pouvoir maintenir son horaire chargé. «Ce serait un bon moyen de commencer ma carrière tout en me concentrant sur le hockey. Pour moi, ce serait la situation idéale.»

Question d'équilibre

De nos jours, selon Wally Kozak, il est presque impossible de faire plus que de l'enseignement occasionnel si l'on veut réussir comme athlète olympique. Directeur du développement des membres de l'équipe féminine canadienne de hockey, il a passé la majeure partie de sa carrière en éducation.

M. Kozak a obtenu son baccalauréat en éducation de l'Université de la Saskatchewan dans les années 1960. Il était alors membre de l'équipe de hockey du Canada. Il enseignait pendant qu'il jouait pour l'équipe en 1968. Le légendaire père David Bauer dirigeait le programme de hockey olympique. Il voulait des joueurs excellant tant au niveau des sports que des études : des joueurs bien équilibrés.

Mais en raison de la centralisation des équipes, de nos jours, qui veut que les membres vivent ensemble durant l'année précédant les Olympiques et s'entraînent presque à temps plein, les choses sont différentes. M. Kozak dit même que les athlètes doivent parfois sacrifier leurs carrières pour une période pouvant aller de huit à dix ans.

Ancien enseignant et membre de l'équipe nationale de hockey, Wally Kozak est maintenant directeur du développement de l'équipe de hockey féminine.

«Dans le cas des sports d'hiver surtout, l'entraînement des athlètes est tel qu'ils ne peuvent pas garder leur emploi, poursuit M. Kozak. Il n'est plus possible d'occuper un poste ordinaire d'enseignant. Peut-être un poste à temps partiel ou de suppléance, mais les exigences de l'entraînement à un sport d'hiver n'en permettent pas plus. Les joueurs sacrifient leur emploi et leur profession. Je crois qu'il s'agit là de la réalité actuelle du sport à ce calibre.»

Karen Strong est chef du service de préparation à la vie au centre sportif de Calgary où nombre d'athlètes s'entraînent pour les Jeux olympiques de Turin. Une partie de son travail est de les aider à penser à leur vie après le sport. Elle dit que ce ne sont pas seulement les athlètes suivant un programme de formation à l'enseignement qui ont de la difficulté.

«En général, l'horaire des cours postsecondaires n'avantage pas les athlètes qui pratiquent des sports d'hiver, parce qu'ils se donnent de septembre à avril, ce qui est la haute saison pour eux.»

Karen Strong explique que les athlètes doivent apprendre à planifier et à faire preuve de souplesse. Obtenir un diplôme peut leur prendre parfois des années. Il faut qu'ils usent de créativité pour trouver des solutions quand surgissent les problèmes.

Congés sans solde

Marcel Rocque en connaît tous les rouages. Lorsque son équipe de curling a perdu le championnat canadien en 2004, ses membres ont décidé de passer encore plus de temps à s'entraîner. Mais l'horaire chargé de Marcel lui causait déjà des problèmes à l'école. Il a donc pris un congé sans solde de la mi-septembre au mois d'avril l'an dernier pour se concentrer sur le curling. Et il fait la même chose cette année.

«Le problème, c'est de savoir où s'arrêter, déplore M. Rocque. Il faut dire qu'au point où j'en suis, la décision est facile. Au début, quand le conseil scolaire m'a dit qu'il ne voulait plus m'appuyer, je suis passé à deux doigts de répondre : "Bon d'accord. Je laisse tomber le curling parce que j'ai des responsabilités familiales."» Âgé de 34 ans, M. Rocque est marié et père de deux enfants de trois et cinq ans.

Il est présentement en congé sans solde et essaie de joindre les deux bouts avec les 1 500 $ que Sport Canada verse tous les mois aux meilleurs athlètes olympiques du pays. Si ce n'était de l'argent que son équipe a gagné, il ne pourrait pas continuer.

Enseignement ou curling

«Je ne sais pas si je devrai choisir entre le curling et l'enseignement l'an prochain. Je ne vais pas m'en préoccuper tout de suite. Je sais qu'il n'y a pas d'avenir à long terme dans le curling. Mais il y a la possibilité de représenter mon pays aux Jeux olympiques.

«Suis-je satisfait de ma décision? Absolument! Mais si vous me demandez si j'ai éprouvé du ressentiment quand j'ai été obligé de la prendre, je vous répondrais oui. Tout à fait!»

Lorsque de jeunes joueurs de curling qui envisagent une carrière d'enseignant lui demandent conseil, il ne ménage pas ses mots : ils devraient peut-être choisir une autre profession.

«Certains ne voient pas que les avantages d'avoir un enseignant comme M. Rocque qui se rend aux Olympiques l'emportent sur les inconvénients.»

Jim Waite, le joueur de curling qui a eu son lot de problèmes des années auparavant, a continué à enseigner et est devenu directeur d'une école de la région de London. Il sera à Turin comme entraîneur de l'équipe canadienne de curling. Il pense que l'appui de la direction est l'élément clé, que des administrateurs ont peur de créer un précédent. «Certains ne voient pas que les avantages d'avoir un enseignant comme M. Rocque qui se rend aux Olympiques l'emportent sur les inconvénients.

«Lorsque la direction de l'école et le conseil scolaire comprennent, les résultats peuvent être très positifs. L'athlète rapporte toutes ses expériences aux enfants. Quand Marcel revient, on lui demande de parler de ce qu'il a vécu aux élèves de son école et à d'autres. Cela peut motiver les Canadiennes et les Canadiens à bien réussir aux compétitions mondiales.»

Selon M. Rocque, tous les gens ne verront cependant pas les choses ainsi, même s'il gagne une médaille d'or.

«Évidemment, dit-il, il y a ceux qui diront qu'ils se soucient peu de me voir persévérer pour notre pays : ils veulent que leur enfant soit la priorité. Et cela se comprend. La question est de savoir si les avantages sont plus nombreux que les inconvénients. À mon avis, en tant qu'enseignant d'éducation physique, la question ne se pose même pas.»

Tout le monde y gagne

M. Rocque pense qu'il devrait y avoir moyen de monter sur le podium olympique sans abandonner sa carrière d'enseignant. Il aimerait bien que les administrateurs tirent quelques leçons de son histoire et de celles d'autres athlètes de compétition. Si on trouvait des moyens d'utiliser les enseignants athlètes olympiques comme modèles et d'assouplir les horaires scolaires pour qu'ils puissent s'entraîner, participer à des compétitions et poursuivre d'autres activités qui enrichissent leur expérience et l'apprentissage de leurs élèves, la combinaison pourrait favoriser les élèves, les enseignants et le Canada.


Teddy Katz est journaliste pour les nouvelles nationales à la radio de Radio-Canada. Il sera aux Jeux olympiques de Turin.