Encourager la réussite

Marc Lalonde, de l’école à la piste de course

de Jean-François Dugas

Marc Lalonde a de la chance. Non seulement enseigne-t-il une matière fort populaire parmi ses élèves, la mécanique, mais cet enseignant plein de charisme a aussi su convaincre son école et son conseil scolaire d’embarquer dans un projet digne des rêves les plus fous, soit bâtir une véritable voiture de course. C’est une idée qui allie merveilleusement la théorie à la pratique, et qui remporte un grand succès, tant à l’école que sur les pistes.

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A priori, l’idée initiale de Marc Lalonde semblait assez élémentaire : conjuguer à la fois l’enseignement magistral aux réparations pratiques pour ses élèves en mécanique. Quatre automnes plus tard, le projet de construire une voiture de course a été maintes fois décoré, tant aux niveaux local et provincial qu’à l’échelle nationale.

L’enseignant-mécano est presque gêné de toutes les accolades qu’il obtient depuis quelques années. Plus récemment, en octobre dernier, le Régime d’assurance des enseignants de l’Ontario (RAEO) et la Fédération des enseignantes et des enseignants de l’Ontario (FEO) lui ont décerné le Prix d’enseignement du RAEO 2008 au palier secondaire, après lui avoir donné une mention honorable l’an dernier dans la même catégorie.

En juin de cette année, il a été le lauréat d’un certificat d’honneur dans le cadre du programme des prix du Premier ministre pour l’excellence dans l’enseignement. Et en janvier, c’est le Sélection du Reader’s Digest qui l’a nommé «Héros de l’année 2007» en éducation.

«C’est tout un honneur d’obtenir ces reconnaissances, et c’est bien de les obtenir à ce stade plutôt qu’en fin de carrière. N’empêche que je ne pensais jamais vivre ce que je vis en ce moment», soutient-il.

Marc Lalonde enseigne la mécanique depuis six ans à l’école secondaire catholique de Plantagenet, dans l’Est ontarien. Dans son atelier, il accueille chaque année des dizaines de futurs mécaniciens, âgés de 14 à 19 ans.

«C’est tout un honneur d’obtenir ces reconnaissances, et c’est bien de les obtenir à ce stade plutôt qu’en fin de carrière.»

À première vue, le scénario n’a rien de particulier. Il est similaire dans plusieurs établissements scolaires de la province. Dans ce cas, toutefois, une quinzaine de ses élèves a la chance de vivre une expérience inoubliable chaque année depuis 2005.

En effet, l’automne de cette année-là, l’enseignant, un grand amateur du circuit Nascar, a proposé la fabrication d’une voiture de course sur terre battue à ses élèves passionnés de mécanique.

Daniel Leduc, cousin de l’enseignant, venait de quitter le monde de la course automobile. Pilote aguerri des circuits semi-pro locaux, M. Leduc apportait son bolide à l’atelier de l’école depuis déjà quelque temps pour son entretien régulier. Les adolescents avaient pris le goût de fournir de l’aide à leur enseignant, dans leurs temps libres, le nez sous le capot.

«Nous faisions des modifications à son auto à l’école. Quand il a décidé de quitter la course automobile, les élèves étaient très déçus. Nous avons donc tous décidé d’en fabriquer une à partir de zéro», explique l’enseignant.

L’objectif du projet est d’offrir une solution de rechange aux jeunes qui préfèrent le concret aux bouquins tout en savourant une expérience hors du commun.

Les jeunes, enthousiastes, ont embarqué. Malgré ses craintes initiales, le directeur de l’école à cette époque, Robert Byham, a endossé le projet. Le conseil scolaire de district catholique de l’Est ontarien, ravi, a accepté l’initiative et l’a intégrée dans son curriculum. C’est ainsi que naquit la «Lalonde Race Team».

La «numéro 8» rouge vif devait éventuellement entrer en compétition dans des courses estivales de catégorie semi-pro aux autodromes de Cornwall et d’Edelweiss dans la région d’Ottawa. Et avec grand succès!

«C’était simplement la suite logique des choses», lance M. Lalonde, sourire en coin.

L’équipe a tout d’abord complètement démonté une Oldsmobile Cutlass 1981 avant de la rebâtir. Il a fallu beaucoup de temps, d’énergie et de patience.

Son entretien exige aussi beaucoup d’efforts. Parlez-en à Roxanne Lalonde. L’élève de 12e année (qui n’a aucun lien de parenté avec l’enseignant) a rebâti l’avant de l’auto à plusieurs reprises, à la suite de divers accrochages pendant les courses.
«Je me débrouille très bien en mécanique et j’en connais même plus que certains gars!», lance-t-elle fièrement.

Les camarades masculins de Roxanne confirment qu’elle est très respectée au sein du groupe.

Le bolide, piloté par l’enseignant de 40 ans, s’avère une véritable source de fierté pour l’école et la communauté de Plantagenet. L’enseignant la conduit, certains jeunes travaillent dans les puits, et toute la communauté scolaire les encourage.

«Les élèves travaillent fort. Il y a une belle chimie au sein de l’équipe. C’est leur voiture. Ils me font honneur et sont sérieux dans ce qu’ils font», prononce leur humble leader qui préfère clairement œuvrer dans l’ombre que de parader ses mérites.

L’effort «communautaire» produit aussi des résultats concrets sur la piste. Marc Lalonde a été nommé recrue de l’année en 2006 sur le circuit semi-pro de l’autodrome de Cornwall, puis a remporté les championnats les deux années suivantes.

Même s’il ne remporte pas le prix ultime du côté québécois, à l’autodrome d’Edelweiss, le mordu de la vitesse se classe parmi les quatre meilleurs coureurs depuis les trois dernières années. Il a aussi décroché la Coupe du président pour l’esprit convivial de l’équipe.

Ces succès font toutefois des jaloux. Certains adversaires digèrent mal le fait qu’ils se font coiffer sur la ligne d’arrivée par une équipe formée majoritairement d’adolescents.

«Ce n’est qu’une minorité de conducteurs, mais malheureusement, étant donné l’esprit compétitif qui règne, certains nous regardent d’un mauvais œil, malgré le fait que c’est une belle initiative de jeunes», souligne M. Lalonde.

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Les élèves ont rebâti une voiture de course à partir de zéro.

 


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Dans l’atelier de Marc Lalonde, garçons et filles travaillent sur un pied d’égalité.

 

Mais ce n’est qu’un bémol, le pédagogue préfère s’attarder sur l’aspect positif de l’aventure.

«Certes, les succès rendent le tout plus agréable, mais ce n’était pas le but du projet. Nous voulions impliquer les élèves tout au long de la saison. Les succès de l’équipe ne représentent qu’un bonus», relate-t-il.

Et le projet fait plus que triompher sur la terre battue, devant des centaines de personnes. Il fait des merveilles au chapitre de l’épanouissement personnel de tous ses jeunes participants.

«Côté éducation, les jeunes ont tout à gagner, indique l’enseignant. C’est beau de voir les jeunes qui s’entraident. C’est beau de voir qu’ils sont fiers de leur auto.»

Grâce à son projet novateur, Marc Lalonde a trouvé un truc infaillible pour motiver ses élèves.

«J’ai toujours hâte d’être au cours de mécanique. Une fois là, ça nous change les idées et je suis moins stressé», signale Jean-Michel Lacasse, élève de 12e  année et membre de la Lalonde Race Team.

«Il est plus qu’un prof. Il est un champion de l’enseignement, rajoute Roxanne Lalonde. Du monde comme lui, ça nous motive à venir à l’école.»

Pourtant, en grandissant sur la ferme familiale à Hawkesbury, Marc Lalonde ne songeait même pas à une carrière en enseignement, encore moins à un avenir dans le monde de la course automobile!

Bien qu’entouré de machinerie lourde, il n’était pas un passionné de mécanique dans sa jeunesse. À l’époque, il se débrouillait en mécanique, mais n’y carburait pas. Sans plan de carrière précis, il a plutôt roulé sa bosse.

Après avoir achevé son secondaire, il se lance dans une série de métiers divers. Il travaille d’abord comme chauffeur de chariot élévateur, puis gagne sa vie chez le manufacturier de vitres et pare-brise PPG à Hawkesbury.

Si le salaire est avantageux, l’intérêt n’y est pas. Il s’ennuie considérablement. C’est la preuve que l’argent ne fait pas le bonheur, vous dira-t-il. Dès lors, il se consacre plus sérieusement à la mécanique. Il met régulièrement le nez dans les moteurs au garage de son beau-frère.

Ce boulot à temps partiel réveille en lui une passion latente. Il s’inscrit à un cours de mécanique d’une durée de huit mois à La Cité collégiale.

Diplôme en main, il accepte l’offre de l’institut collégial de transmettre ses connaissances à la prochaine cohorte d’apprentis mécaniciens. Il devient chargé de cours au campus de Hawkesbury. Cette expérience lui donne la piqûre de l’enseignement et il s’inscrit au programme de formation à l’enseignement de l’Université d’Ottawa.

«J’ai toujours eu la passion de transmettre mes connaissances», explique M. Lalonde.
Son parcours en éducation le mène au campus de La Cité collégiale à Ottawa, puis à l’école secondaire de Hawkesbury et enfin à l’école secondaire catholique de Plantagenet, où son apport est apprécié sans équivoque.

L’enseignant, a servi de bougie d’allumage pour certains de ces jeunes qui frôlent le décrochage.

Non seulement transmet-il ses connaissances et sa passion pour le monde de l’automobile, mais il partage aussi des leçons de vie importantes avec la relève.

«Si je peux sauver un jeune du décrochage par année, c’est vraiment cela qui est valorisant. Trente élèves en trente ans, ce serait fantastique.»

«Si Marc et Josée [Lalonde] n’avaient pas été là, je n’aurais probablement pas terminé mon secondaire. Aujourd’hui, je travaille en mécanique», témoigne Jérôme Drouin, un diplômé de 2007.

Josée Lalonde participe tout autant au projet scolaire que son mari. À l’emploi du même établissement scolaire, elle occupe un rôle primordial au chapitre de la promotion de la voiture de course et s’efforce de trouver des partenaires financiers pour l’équipe.

Il faut quand même de l’argent pour effectuer, de semaine en semaine, les réparations à la carcasse métallique. Une vingtaine de courses par saison estivale signifie que la voiture revient souvent amochée.

En plus de représenter des modèles exemplaires en milieu scolaire, Marc et Josée Lalonde jouent en quelque sorte le rôle de parents au sein de la famille que forme l’équipe.

Ils assurent une supervision aux autodromes le soir des courses et pendant les activités de financement de l’équipe, mais ils ont également tissé des liens étroits avec «leurs jeunes».

Marc Lalonde ne sait pas ce que lui réserve l’avenir. Il vit au jour le jour. Son rêve le plus fou serait de travailler dans une écurie de Nascar aux États-Unis.

Pour l’instant, il espère trouver acheteur pour la voiture «numéro 8», afin de financer l’assemblage d’une autre voiture, bien sûr. D’ailleurs, le châssis du prochain chef-d’œuvre repose déjà sur le plancher de l’atelier de l’école.

«Aujourd’hui, on pourrait facilement obtenir des morceaux assemblés des fournisseurs sans que l’on ait besoin de trop les manipuler en détail. Tout est offert sur le marché. Cependant, cela va à l’encontre de l’objectif du projet. Je préfère que les élèves partent à zéro et qu’ils comprennent ce qu’ils font», affirme M. Lalonde.

Malgré tous les prix et les honneurs, il est convaincu que son plus bel héritage est de transmettre cette flamme, ce désir de réussir aux jeunes qui l’idolâtrent.

«Si je peux sauver un jeune du décrochage par année, c’est vraiment cela qui est valorisant. Trente élèves en trente ans, ce serait fantastique.»

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«C’est leur voiture, ils me font honneur et sont sérieux dans ce qu’ils font», dit Marc Lalonde.

 

 


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Les jeunes comprennent ce qu’ils font car ils assemblent eux-mêmes les pièces.

 

 


Encourager la réussite

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2e partie: Créativité et innovation en éducation technologique

 

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