Un programme pas comme les autres

Des pédagogues à la retraite aident les enfants à lire

de Leanne Miller

[Photo]

Linda Soehner est censée profiter de sa retraite dans la belle région d’Owen Sound.
Mais après une carrière enrichissante d’enseignante, de spécialiste en lecture et en éducation de l’enfance en difficulté, et de directrice d’école élémentaire au sein de l’Avon Maitland District School Board, Mme Soehner est plus occupée que jamais. Elle a conçu un programme pour enseigner à lire aux enfants et aux adultes atteints de dyslexie et de troubles d’apprentissage.

«Les enfants dont le système cérébral fonctionne normalement peuvent appliquer et généraliser des concepts afin d’apprendre à lire et à épeler assez facilement, explique Mme Soehner.

«Ceux qui sont atteints de dyslexie ou de troubles d’apprentissage n’ont pas cette chance. Ils doivent travailler avec un tuteur ayant suivi une formation spécialisée, apprendre chaque règle d’orthographe et utiliser des stratégies comme l’approche “phonétique” afin de décomposer et de comprendre de nouveaux mots et des sens dérivés.»

Mme  Soehner a élaboré un programme rigoureux et structuré, influencé par sa pédagogie de l’éducation de l’enfance en difficulté et de la lecture, ainsi que par la dyslexie de son fils. Son programme vise à stimuler et, en fin de compte, à réorganiser le système cérébral qui est sollicité pendant la lecture.

Mme  Soehner et Lori Gonder-Torrie, sa collègue et ancienne aide-enseignante, travaillent surtout avec les élèves du Bluewater District School Board. Une fois par semaine, elles rencontrent un enfant qui doit être accompagné d’un moniteur adulte, habituellement un parent ou un grand-parent. Ensuite, le moniteur travaille à la maison avec l’enfant les six autres jours de la semaine. Des bénévoles formés visitent aussi les écoles pour aider les enfants individuellement.

Activités de répétition

«L’un des éléments essentiels de mon programme est la répétition, explique-t-elle. Les tuteurs doivent travailler individuellement avec leurs élèves, chaque jour.»
Les élèves travaillent sur la reconnaissance des mots, la construction du vocabulaire, les sons, l’analyse de la structure des mots, les mots composés et les règles des syllabes. Ensuite, ils lisent à voix haute tandis que leur tuteur vérifie la compréhension.

Les livres de niveau approprié sont une ressource essentielle et des outils importants dans le programme. Ils servent autant à faire le suivi des progrès des élèves qu’à les motiver à passer au niveau de lecture suivant.

Preuves scientifiques

Mme  Soehner est très emballée par les résultats d’une récente étude de l’Université Mellon basée sur l’imagerie du cerveau d’élèves dyslexiques et de personnes ayant des difficultés en lecture. L’étude montre que le système cérébral peut refaire ses connexions si l’on donne 100 heures d’enseignement correctif intensif.

L’étude, publiée dans le numéro d’août 2008 de la revue scientifique Neuropsychologia, montre que l’enseignement correctif provoque une augmentation de l’activité cérébrale dans plusieurs régions du cortex liées à la lecture. Elle montre aussi que les gains neurologiques se solidifient davantage pendant l’année qui suit l’enseignement correctif.

«Cette étude démontre comment cette technique utilise la malléabilité du cerveau pour améliorer l’apprentissage, déclare le neuroscientifique Marcel Just, directeur du Carnegie Mellon’s Center for Cognitive Brain Imaging et principal auteur de l’étude. L’enseignement dirigé aide à améliorer les régions du cerveau dont le rendement n’est pas suffisant.»

«J’ai suivi mon instinct en élaborant ce programme, affirme Mme Soehner. J’étais convaincue que les connexions du cerveau des dyslexiques et des personnes qui ont de la difficulté à lire en raison de troubles d’apprentissage pouvaient se refaire grâce à un travail intense.» Les découvertes de l’Université Mellon valident les efforts de Mme Soehner et la motivent.

Résultats

Le programme fonctionne-t-il? Mme Soehner peut raconter de nombreuses histoires à succès. Par exemple, celle d’un garçon avec qui elle a commencé à travailler alors qu’il était à la fin de sa 7e année. Il lisait à un niveau de 2e année. Pendant sa 8e année, ses enseignants ont signalé qu’il n’avait plus besoin de suivre un programme modifié ni son Plan d’enseignement individualisé (PEI). En 8e année, il a gagné le prix de l’élève qui avait fait les progrès les plus importants, à la cérémonie qui marquait la fin de l’élémentaire.

Il y a aussi la fillette qui traînait derrière les autres élèves dans le programme de lecture de 1re année. Elle a travaillé avec Mme Soehner pendant 3 mois au début de la 2e année, et maintenant, elle lit très bien.

Gwen Kloosterboer est directrice adjointe à la Beavercrest Community School de Markdale du Bluewater District School Board. Elle utilise le programme de Mme  Soehner et plusieurs autres stratégies visant à améliorer l’apprentissage. Chaque jour, des tuteurs bénévoles travaillent individuel-lement avec environ 30 élèves de la 1re à la 8e année.

«J’ai vu des enfants présentant des problèmes de lecture tout au long de ma carrière et je n’ai pas toujours su comment les aider, déclare Mme Kloosterboer. Ce programme est facile, motivant et efficace. De plus, il n’est pas intimidant pour les bénévoles. On n’a pas besoin d’être pédagogue pour l’utiliser. C’est séquentiel, structuré et facile à passer aux bénévoles qui viendront le lendemain. Ils arrivent, prennent les ressources et se mettent à l’œuvre avec l’enfant qui leur est assigné.»

Les enseignantes et enseignants de Beavercrest rapportent constamment que les compétences en lecture des élèves s’améliorent, tout comme leur confiance en eux.
Jim et Nancy Mitchell sont des enseignants retraités. Ils font du bénévolat une demi-journée par semaine à Beavercrest. M. Mitchell a pris sa retraite il y a 14 ans. Il a été enseignant à l’élémentaire à Toronto, instructeur au Lakeshore Teachers’ College de Toronto, directeur d’école à Dundalk et surintendant à Waterloo.

Il travaille avec cinq garçons de 7e et de 8e année, passant 25 minutes intenses avec chacun. Il est l’un des quatre retraités qui travaillent avec des garçons dont les compétences en lecture sont sous la moyenne. M. Mitchell attribue le succès du programme au fait qu’il est structuré, cohérent et individuel.

«Il permet aux enfants de prendre la responsabilité de leur apprentissage. Une fois qu’ils se rendent compte qu’ils sont capables de lire, ils sont motivés à apprendre plus de mots et à essayer des livres plus difficiles. C’est merveilleux de faire partie de leur progrès.»
Leanne Forslund enseigne la 1re année à la Keppel-Sarawak Elementary School d’Owen Sound. Elle dit que Mme Soehner est «son ange gardien». Il y a trois ans, son fils, qui était en 5e année, ne pouvait pas lire. Elle l’a fait évaluer par un organisme privé et on a déterminé qu’il avait un trouble d’apprentissage particulier. Mme Forslund a essayé le programme Montessori et songeait aussi au programme Arrowsmith à Toronto (voir le numéro de septembre de Pour parler profession), mais le coût était exorbitant.

«J’étais désespérée, se rappelle Mme Forslund. Mon fils éprouvait beaucoup de difficultés et avait le moral à plat. Il ne pouvait même pas apprécier une visite familiale dans un bar laitier, car il ne pouvait pas lire le choix des parfums affichés. On ne peut réussir dans la vie sans savoir lire. Il ne pouvait accéder au monde.» Puis, Mme Forslund a découvert le programme de Mme  Soehner dans le journal de la région et lui a téléphoné.

Huit mois plus tard, son fils lisait au même niveau que les autres élèves de son âge. Aujourd’hui, il réussit bien en 8e année et lit à un niveau d’adulte. «Il adore la lecture et l’école. Il a de l’assurance et du succès, et notre famille est très heureuse.»
Le programme a aussi eu des répercussions importantes sur l’enseignement de Mme  Forslund. Après tout, elle enseigne la 1re année, au moment où les élèves apprennent à lire.

«Je n’hésite pas à appeler les parents si je vois qu’un élève éprouve des difficultés en lecture. Je n’attends pas en espérant que la situation s’améliore, comme je l’ai fait pour mon fils.»

Mme  Forslund croit que le rythme d’enseignement dans une classe régulière rejoint environ 60 pour cent des élèves. Peu importe l’enseignant, il ne sera pas en mesure d’atteindre tous les élèves en même temps. Même les programmes d’éducation à l’enfance en difficulté avec des PEI sont faits en fonction d’une formule en petits groupes. Certains ont besoin de travailler individuellement, et c’est là que le programme de Mme Soehner prend toute sa valeur.

Mme  Soehner se rappelle de David, le premier élève qui l’a aidée à concevoir le programme.

«Quand je l’ai rencontré, il était en 4e année. Il savait seulement lire deux mots, “je” et “suis”. J’avais le sentiment que si je ne l’aidais pas, il n’apprendrait jamais à lire.»
Elle était convaincue qu’il était intelligent, car il utilisait un vocabulaire assez riche. Maintenant, elle croit qu’il est doué. Après un programme de trois jours par semaine avec Mme Soehner, David pouvait lire au même niveau que les enfants de son âge, et tout cela en un peu moins d’un an.

Il est devenu un lecteur passionné. Il adore Harry Potter et les histoires fantastiques. Il a obtenu d’excellents résultats dans toutes les matières et est devenu sûr de lui. Il a obtenu le niveau 4 en lecture à l’examen de 6e  année de l’OQRE. Aujourd’hui, il est en 8e année, réussit bien et a gagné beaucoup d’assurance.

Dawn Tremblay enseigne le jardin d’enfants et la 1re année à la St. Vincent-Euphrasia Elementary School de Meaford dans le Bluewater District School Board. Son fils David a été le premier élève du programme de Mme Soehner.

Mme  Tremblay explique ce qui, selon elle, a fait une différence pour son fils qui éprouvait une variété de troubles d’apprentissage. «C’est le travail individuel intense avec Mme Soehner qui l’a aidé à combler ses lacunes phonétiques.»

Une fois que David a progressé en lecture, il est devenu très motivé.
Il a compris que l’on pouvait décomposer les mots par lettre et par syllabe. David utilisait des blocs de construction puis des tuiles pour comprendre comment les mots sont formés. Ensuite, il a appris à trouver la racine des mots et a commencé à décomposer les mots plus longs. Une fois parti, il ne s’est plus arrêté.

«Les enfants prennent souvent du retard et ne peuvent le rattraper, souligne Mme  Tremblay. Ils perdent leur motivation et se referment. C’est tragique.»
Elle est d’avis que l’on en demande beaucoup aux titulaires de classe. Le curriculum est trop chargé et les classes comptent trop d’élèves.

«La clé pour atteindre ces enfants, c’est le temps et le travail individuel dirigé. Notre système ne permet pas cela, même pour les élèves avec des PEI dans les programmes d’éducation à l’enfance en difficulté, dit-elle. Le programme de Mme  Soehner donne à ces élèves ce dont ils ont besoin.»

Jeff Moser est le directeur de la GC Huston Public School de Southampton. Environ 40 pour cent des élèves sont membres de la Première nation Saugeen. Plusieurs élèves éprouvaient des difficultés en lecture et en écriture. Grâce au programme de Mme Soehner, ce nombre est aujourd’hui fort minime.

Des évaluations du conseil scolaire, effectuées en fonction du programme d’éducation à l’enfance en difficulté, ont permis aux pédagogues de l’école de M. Moser de repérer les enfants qui avaient des difficultés avec la langue, l’élocution et la lecture à chaque niveau. Des moniteurs et des aides-enseignants bénévoles travaillent de 20 à 30 minutes chaque jour avec les élèves en utilisant le programme de Mme Soehner. M. Moser rapporte que, en seulement six semaines, nombre d’enfants lisent au même niveau que leurs camarades. D’autres prennent un peu plus de temps.

Les résultats des examens de l’OQRE en lecture et en écriture pour G C Huston se sont améliorés de façon importante depuis l’instauration du programme en septembre 2007.
«En 2006, nous avons obtenu des résultats sous la moyenne provinciale et celle du conseil scolaire. En 2007, nos résultats ont dépassé les deux», souligne fièrement M. Moser.

Pour lui, le programme est l’un des nombreux outils dont les pédagogues disposent afin d’aider à améliorer l’apprentissage des élèves et leur rendement.

«Je sais que les compétences en lecture continuent de s’améliorer après le programme, indique Mme Soehner. Les notes augmentent, les élèves ont plus d’assurance, on compte davantage de réussites scolaires, les élèves sont plus heureux et les problèmes de comportement diminuent.»

Mme  Soehner parle de son programme avec passion. «Les pédagogues à la retraite ont tant de connaissances et d’expertise à donner.»

Pour obtenir du matériel, communiquez avec le Reading Rescue Ontario Program au 519-794-3201, poste 226, ou écrivez à soehner@bmts.com.

Des retraités bénévoles

Nombre de pédagogues ontariens à la retraite semblent être passionnés de littératie.
Lynda Silvester, auparavant directrice d’école à l’élémentaire, retraitée depuis 2000 du Waterloo Region DSB, nourrit un vif intérêt pour les partenariats entre les écoles et la communauté. Cela l’a amenée à concevoir Letters, Sounds and Words, un programme de bénévolat de dix semaines qui aide les enfants de cinq et six ans à reconnaître les lettres, les sons et certains mots.

Letters, Sounds and Words est différent de Reading Recovery, qui a été mis en œuvre par des professionnels formés. Il est aussi différent du programme de Linda Soehner, et s’adresse surtout aux élèves atteints de troubles d’apprentissage ou de dyslexie.

Mme  Silvester explique : «Mon programme a d’abord été conçu à l’intention des enfants ayant besoin d’aide pour répondre aux attentes du jardin d’enfants. Toutefois, au fil des ans, les pédagogues l’ont utilisé auprès d’enfants présentant des troubles d’apprentissage faibles ou modérés, ainsi qu’auprès d’enfants dont l’anglais est une langue seconde».

On a conçu le programme pour divers milieux, y compris les écoles. Pour la présente année scolaire, plus de 1 900 élèves et 1 800 bénévoles travaillent dans plus de 130 écoles du Waterloo Region DSB, du Waterloo Catholic DSB, du Wellington Catholic DSB et du Grand Erie DSB. Mme Silvester dit que les résultats des évaluations confirment l’opinion des bénévoles, des enseignants et des parents : le programme est très efficace.
Peggy Morrison, David Heimbecker et Lis Braun, pédagogues retraités du Peel DSB, sont bénévoles au Literacy North Halton (LNH), un organisme communautaire qui offre de l’aide individuelle aux adultes de Georgetown, Acton et Milton.

Même si Peggy Morrison, ancienne directrice d’école élémentaire, a pris sa retraite en 2003, elle est plus occupée que jamais, puisqu’elle entame sa 36e année de travail en éducation. Elle est conseillère pour le Secrétariat de la littératie et de la numératie du ministère de l’Éducation, travaille avec Right to Play et participe à Changing Perspectives, la revue de l’Ontario Association for Supervision and Curriculum Development.

«Le bénévolat me permet de rester active et d’utiliser mes compétences et mon expertise à bon escient, explique-t-elle. Il me permet de déterminer mon horaire. C’est parfait.»
Le travail de Mme Morrison avec le LNH a commencé quand elle a vu, dans le journal de Georgetown, une annonce demandant des tuteurs en littératie. «Je me suis posé des questions sur ce qui arrive aux jeunes qui décrochent et sur la façon de les aider.»

Elle est bénévole trois heures par semaine les lundis soirs auprès d’un groupe de personnes âgées de 25 à 58 ans. Même si ces personnes ont toutes une expérience différente, elles ont aussi des lacunes au chapitre des compétences essentielles en littératie pour fonctionner pleinement dans la société.

Mme  Morrison rejette le terme «illettré», et préfère dire que ses étudiants ne sont «pas encore lettrés». Certains ont abandonné l’école, tous ont des compétences en littératie très faibles.

Bien que les étudiants évoquent des raisons différentes de fréquenter le LNH, ils ont tous en commun un ardent désir d’apprendre à lire et à écrire. Une femme veut lire à ses petits-enfants tandis qu’une autre veut obtenir son permis de conduire. Un homme veut faire progresser sa carrière tandis qu’un autre se prépare à une mise à niveau scolaire par l’entremise du programme ACE du Sheridan College (ACE est un programme d’équivalence de 12e année qui peut permettre d’entrer au collège à temps plein ou partiel.)

«Ils apprennent à se débrouiller sans savoir lire, explique Mme Morrison. Nous les aidons à aller plus loin.»

David Heimbecker est occupé depuis qu’il a pris sa retraite en 2002. Il était enseignant-bibliotechnicien pour le Peel DSB. Il est maintenant bénévole pour la Croix-Rouge et travaille en tant que tuteur d’anglais et de mathématiques quatre soirs par semaine et comme tuteur au LNH un matin par semaine.

«Ça me garde actif en éducation à un rythme qui me convient. Enseigner individuellement ou même en groupes de trois me permet de sentir que j’apporte quelque chose, ce qui n’est pas nécessairement le cas quand on travaille avec 35 jeunes à la fois», explique M. Heinbecker.

Lis Braun a pris sa retraite en 1998. Elle était enseignante d’études commerciales et d’enseignement coopératif pour le Peel DSB. Aujourd’hui, elle est trésorière bénévole à l’école Old Brittania School House, un établissement scolaire d’une seule pièce appartenant au Peel DSB, qui a été construit en 1852, et depuis complètement rénové.

Les élèves visitent cette classe historique dans le cadre d’excursions scolaires. Mme Braun fait aussi du travail de bureau bénévole au LNH. Elle organise la bibliothèque de ressources que les moniteurs utilisent pour le programme.

«Je voulais continuer à participer à la société, explique Mme Braun. La littératie est si importante aujourd’hui, et je veux aider les gens à atteindre leur plein potentiel.»

Pour plus de renseignements sur Letters, Sounds and Words, visitez www.strongstart.ca ou envoyez un courriel à strongstart@rogers.com.

(Photo)

Sheila Henkel, aide-enseignante, est monitrice d’une élève de la GC Huston Public School de Southampton.

 

Haut de la page