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Mars 1999

La culture autochtone
au cœur de la cité


Le Festival autochtone canadien attire des milliers de personnes au SkyDome de Toronto

Des milliers d’élèves de l’élémentaire de la région de Toronto se familiarisent avec des éléments de la culture autochtone, du tipi traditionnel au mode de vie des Autochtones contemporains à l’approche du prochain millénaire, et constatent que cette culture est profondément enracinée.

de Wendy Harris

Le son envoûtant des tambours et des chants autochtones emplissait le SkyDome et son écho retentissait dans les gradins vides. Sur le terrain, des danseurs autochtones virevoltaient au rythme de la musique, exécutant avec leurs bras et leurs jambes des mouvements traditionnels. Autour d’eux, des milliers d’enfants étaient assis, subjugués par la complexité des costumes et l’énergie pure qui se dégageait de ce qu’ils voyaient et entendaient.

Puis, la musique s’est tue. Scrutant la foule, les danseurs se sont mis à la recherche de volontaires pour les accompagner. Des centaines de mains se sont levées. «Moi! Moi!» semblaient dire leurs visages tournés vers le ciel. «Je veux danser. Je veux me lever, sauter sur le terrain, sentir le rythme des tambours et danser.»

9 000 ÉLÈVES

Amber était différente des autres. Elle était assise bien tranquille, regardant attentivement la jeune danseuse autochtone qui allait et venait devant l’auditoire, essayant de décider qui choisir, pendant que ses amis de 6e année la pointaient énergiquement du doigt en répétant son nom. Le petit manège a fonctionné : la danseuse a tendu la main à Amber et les deux jeunes filles se sont avancées sur le terrain. Le tambour a recommencé à jouer, les voix autochtones se sont élevées et la danse a repris.

Amber était l’une des quelque 9 000 élèves de la région de Toronto qui ont pris part à la première journée éducative tenue lors du Festival autochtone canadien le 20 novembre. Parrainée conjointement par la Fédération des enseignantes et des enseignants de l’Ontario, cette journée avait pour but de permettre aux enseignantes et aux enseignants d’amorcer ou de poursuivre avec leurs élèves une discussion sur les Premières Nations du Canada et leur rôle dans notre société et notre histoire.

«Cette expérience est réellement enrichissante pour notre unité d’études autochtones», a déclaré Bonnie Palko, enseignante en 6e année à la Fern Avenue Public School. «Il y a beaucoup de choses à voir. Quatre-vingt-neuf pour cent de ce que nous apprenons est visuel. C’est donc un bon point de départ… Je crois sincèrement qu’on apprend beaucoup plus en faisant des expériences pratiques qu’en se contentant de lire ou d’écouter passivement ce qui est écrit ou dit.»

Les chants, les danses, les légendes, la musique et l’art visuel omniprésents représentaient certes pour les élèves une expérience directe exceptionnelle. Différentes parties du stade étaient réservées à la danse, à la crosse, aux expositions d’artisanat interactives, au théâtre et aux aînés. Dans une large section du terrain, on retrouvait quelque 200 kiosques d’artisanat où des artisans autochtones démontraient leur savoir-faire et vendaient leur marchandise. Des stands d’alimentation avaient été aménagés ailleurs sur le terrain et l’on pouvait y retrouver des aliments traditionnels comme du pain frit, de la soupe de maïs, du jus de fraise et du chili indien.

Les élèves de Bonnie Palko ont commencé leur journée en dessinant tous les symboles de la vie autochtone qu’ils pouvaient trouver, sur les costumes, les tambours, les œuvres d’art. «C’est très "cool"», a lancé Veronica, 11 ans, montrant avec fierté sa feuille remplie d’animaux, de plumes et de lunes. «C’est un peu comme un soleil, sauf qu’au lieu d’être juste un soleil, il y a un visage d’homme. Ici, c’est l’œil d’une femme. C’est un peu dangereux. C’est comme une femme-chat.»

DES ANNÉES DE PRÉPARATION

Selon Ron Roberts, coordonnateur du Festival, l’idée d’ajouter un élément éducationnel au Festival avait germé pendant des années. Après avoir rencontré des dizaines d’enseignantes et d’enseignants désireux de montrer à leurs élèves les liens qui existent entre les Autochtones des manuels et les véritables Autochtones d’aujourd’hui, il est devenu convaincu que la seule façon de chasser les mythes était de parler directement aux jeunes. Il s’est allié à la FEO, et la journée éducative est devenue réalité.

«Bien sûr, nous ne pouvons pas tout leur enseigner en une seule journée, a-t-il dit. Mais quand on inculque aux enfants la volonté d’apprendre, ils n’ont plus besoin d’enseignant. C’est tellement important d’enseigner. Je pense que c’est la profession la plus noble qui soit.»

Roberts veut sensibiliser les enfants aux différences culturelles, mais également aux similitudes qui existent entre eux et les Autochtones et à l’humanité de ces derniers. «Il suffit de leur montrer que nous sommes des êtres humains et qu’en définitive, nous sommes tous pareils.»

LES AÎNÉS RÉPONDENT AUX QUESTIONS DES ENFANTS

Personne ne symbolise mieux les différences culturelles que les trois aînés des Premières Nations qui ont répondu aux questions des enfants et leur ont enseigné les principes ancestraux de la guérison, de la spiritualité et du respect de l’environnement. Voici ce que Janice Longboat, une indienne cayuga des Six-Nations, avait à dire aux enfants : «En venant au monde, nous devenons responsables de toutes les choses : la terre, l’air, le vent, l’eau et le feu.»

À une question sur le tabac, Sara Smith, une Mohawk des Six-Nations, a pris soin d’expliquer qu’il ne devait pas être inhalé et que c’était une substance sacrée pour les peuples autochtones. «Lorsque nous le brûlons, nous entrons en contact avec le Créateur… Donner du tabac à quelqu’un, c’est comme signer un contrat.»

David DePoe, enseignant, a choisi une histoire fondée sur les enseignements oraux des aînés pour initier ses élèves de 4e et 5e années de la Wilkinson Public School aux Premières Nations. «Les histoires que j’ai élaborées avec eux parlent d’harmonie avec la nature et de respect pour toutes les choses vivantes. C’est ce que j’aimerais que les élèves retiennent… Je veux qu’ils acquièrent un sentiment de respect envers les peuples autochtones et qu’ils se rendent compte que les Autochtones étaient ici avant nous.»

DePoe a passé une année à rédiger des documents appropriés sur le plan culturel et il est tout à fait en accord avec les racines spirituelles et les aspirations des peuples autochtones. Cependant, lors de sa visite au SkyDome, il souhaitait ardemment qu’une ou un de ses élèves soit choisi pour aller danser et fasse une démonstration de la ronde qu’ils avaient mis tant d’efforts à apprendre en classe. Mais pas de veine : trop d’enfants avec le même espoir se disputaient les rares places disponibles sur le terrain de danse.

«C’est ça la danse autochtone», explique Brian General, danseur des Six-Nations. Dès les premiers battements du tambour, les gens laissent tomber leurs inhibitions et reprennent contact avec leurs propres racines spirituelles et l’ensemble de la communauté. Depuis des années, General visite les écoles où il explique aux enfants les messages que véhicule la danse autochtone. Il a fait remarquer que depuis quelque temps, les questions posées lui semblent beaucoup plus profondes et intelligentes.

UNE RENCONTRE INHABITUELLE

«Quand j’ai commencé à faire la tournée des écoles, j’avais souvent l’impression qu’on me voyait seulement comme un objet folklorique. Un enseignant m’a même déjà dit que les Autochtones étaient une race disparue… Maintenant, on pose des questions très réfléchies.» General admet qu’il est difficile de présenter le patrimoine traditionnel parallèlement à l’idée que les peuples autochtones vivent parmi nous, dans une société moderne. «Les gens pensent que nous vivons encore dans des tipis ou des longues maisons. Nous évoluons comme tout le monde.»

Maureen Edwards, enseignante en  4e année à la Pringdale Gardens Public School, est très consciente de la difficulté de présenter les Autochtones dans un contexte historique et en tant que membres d’une société moderne. Autochtone du Manitoba qui a enseigné dans des écoles à prédominance autochtone du nord de cette province pendant trois ans, Edwards soutient que cette difficulté est particulièrement grande dans une ville comme Toronto. Ses élèves rencontrent rarement, voire jamais, des Autochtones dans leur quartier et quand ils en rencontrent, ils ne les reconnaissent pas.

Edwards a affirmé que beaucoup de ses élèves de diverses cultures n’ont jamais entendu parler des Premières Nations du Canada et n’ont évidemment jamais rencontré d’Autochtones. Mais elle soutient que ses élèves du Sri Lanka ou des Indes orientales peuvent s’identifier à eux en examinant leurs propres coutumes indigènes. «Ils ne sont pas sûrs qu’ils existent réellement. J’essaie de leur faire comprendre que les Autochtones étaient ici les premiers.» Pendant qu’Edwards parlait, une de ses élèves, Zerlasht, âgée neuf ans, revenait d’un match de crosse sur le terrain. «Je voulais seulement essayer d’utiliser ce bâton, a-t-elle dit. C’est un peu difficile. Il est gros et pesant. Mais j’ai trouvé ça intéressant. J’aimais bien quand ils sautaient et faisaient du bruit.»

La crosse représente une métaphore frappante de ce que la journée éducative visait à accomplir. «Ce jeu permet d’acquérir un esprit d’équipe et des compétences en communication», soutient Kevin Sandy, instructeur de crosse. «C’est un jeu qui nous a été donné par notre Créateur. Il a une très grande signification spirituelle. Mais pour l’instant, tout ce que je veux c’est que les enfants s’amusent et qu’ils apprennent un petit peu. Le reste peut attendre.»

PRÉPARATIFS POUR 1999

Selon Ron Roberts, coordonnateur, les réactions à la journée éducative tenue dans le cadre du Festival autochtone ne se sont pas fait attendre et ont été très favorables. On planifie déjà les activités de l’an prochain avec la FEO et la Fédération canadienne des enseignantes et enseignants.

Roberts dit qu’il prévoit établir d’étroites relations de travail avec les enseignantes et les enseignants au cours des mois à venir pour obtenir plus d’idées en vue du programme de l’an prochain et pour façonner la journée éducative en fonction du curriculum. «Nous nous concentrerons davantage sur l’histoire et l’apport des Autochtones à la société», a-t-il souligné.

On s’attendait à ce que quelque 5 000 élèves participent ; quand
9 000 élèves et plus se sont pointés, il y a eu un peu de congestion, particulièrement aux expositions interactives. Par exemple, plusieurs élèves qui voulaient entrer dans la tente de l’artisanat se sont vu refuser l’accès parce qu’il n’y avait plus de place. «Tous ces petits problèmes seront réglés pour le Festival autochtone canadien de 1999», a déclaré Roberts.