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Un enseignant exemplaire :
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Blake Seward enseigne l'histoire au District Collegiate Institute de Smiths Falls. Ses élèves de 10e année en histoire du Canada font des recherches sur les soldats dont les noms figurent sur le cénotaphe de la ville. Ce projet, nommé Lest We Forget (In Memoriam), reçoit des critiques élogieuses et une attention considérable. «C'est un travail pratique de recherche primaire, explique-t-il. Chaque élève se concentre sur un soldat de Smiths Falls qui a combattu pendant la Première Guerre mondiale. Du vrai monde : c'est ce qui intéresse les élèves et les motive.»
Contentez-vous de suivre le manuel de classe, ajoute M. Seward, et vos élèves se morfondront. Dans les dernières années du secondaire, vous en aurez une vingtaine à bâiller d'ennui dans votre cours. «Je dois aller au-delà des manuels pour raccrocher l'apprentissage à la réalité.» Tel est l'objet de son initiative, qui intéresse des enseignants de partout au Canada autant comme projet de classe que comme modèle d'enseignement de l'histoire. M. Seward adore manifestement son travail. «Enseigner, affirme-t-il, c'est le plus beau métier du monde, et l'histoire, la plus belle matière à enseigner.» C'est bien connu, l'enthousiasme est contagieux. En participant à un projet primé et enseigné de façon stimulante, les élèves de M. Seward se laissent gagner par l'enthousiasme de leur enseignant. «Au début, les jeunes n'y voient pas grand intérêt, et beaucoup s'engagent à reculons. Mais ils ne tardent pas à y prendre goût. Comme quoi on peut soutenir l'intérêt des jeunes et leur faire aimer l'histoire quand on est créatif et qu'on sait s'amuser. Moi, je m'amuse autant qu'eux.» Une formule gagnanteM. Seward commence par se mettre en rapport avec la bibliothèque publique de la ville, le journal, la légion, les églises et les sociétés historiques pour préparer la collectivité à intervenir dans le projet en fournissant documents, photographies, médailles et renseignements sur les militaires de la Première Guerre mondiale. Il invite ensuite chaque élève à choisir un nom sur le cénotaphe et à trouver le plus d'informations possibles sur l'individu. Les élèves se mettent à l'uvre, déterminent les documents d'archives dont ils auront besoin et en font la demande aux archivistes. «Toutes les pistes mènent aux archives à Ottawa, confie l'enseignant. Il y a là-bas une équipe formidable qui adhère au projet parce qu'il pousse les élèves à utiliser ses immenses ressources.» Les archivistes mettent environ deux semaines à réunir les sources primaires (journaux de guerre, renseignements sur les lieux de décès et d'inhumation des soldats, etc.). Pendant ce temps, M. Seward enseigne le module sur la Première Guerre mondiale, et les élèves cherchent à obtenir des photos, des lettres et d'autres effets personnels auprès des gens de leur milieu : familles, légion, archives locales et sociétés historiques. Au signal des archivistes d'Ottawa, l'enseignant emmène ses élèves dans la capitale pour leur permettre d'approfondir leurs recherches et de prendre des notes en dépouillant les sources primaires (parfois avec des gants blancs pour éviter d'endommager les documents). Ce voyage ne laisse personne indifférent. «À l'aller, raconte M. Seward, les jeunes s'ennuient; souvent, ils somnolent et discutent de ce qu'ils mangeront pour dîner. Mais au retour, ils sont vraiment emballés par leurs trouvailles.» Les conversations s'éloignent des propos habituels d'adolescents et ressemblent davantage à des échanges entre collègues historiens qui se ra-content leurs découvertes du jour : «Mon soldat avait huit plombages.» «Mon soldat a été blessé.» «Mon soldat est mort deux semaines avant l'Armistice.» Notre enseignant explique : «Quand ils découvrent que ces soldats avaient souvent à peine 18 ou 19 ans, ils peuvent vraiment se mettre dans leur peau.» De retour à Smiths Falls, les élèves poursuivent leurs travaux en prévision de l'activité culminante du module : un texte de cinq paragraphes sur leur soldat et un exposé oral. «Les élèves, explique M. Seward, atteignent les objectifs du programme, acquièrent les compétences voulues et remplissent les exigences d'évaluation sans problème, car ils accomplissent dans ce projet des tâches valables qui les amènent à acquérir les compétences attendues. Les élèves doivent exploiter des sources primaires et attester de leurs recherches et de leur savoir-écrire pour réussir, et ils réussissent.» La force du savoirLa beauté de ce projet, c'est que les élèves en viennent à saisir la force du savoir. L'an dernier, à l'occasion du jour du Souvenir, l'émission As It Happens, diffusée à la radio anglaise de Radio-Canada, s'est intéressée au projet de M. Seward. En cours de route, la discussion s'est engagée sur la copie numérisée d'une curieuse photographie qu'une élève avait dénichée aux archives. Après l'émission, un homme a communiqué avec l'école pour prendre rendez-vous avec l'élève en question. «C'est mon grand-oncle, lui révéla-t-il, en lui montrant l'original.» Le soldat de la photo avait été tué une semaine avant l'Armistice. Anéantie, sa jeune veuve, qu'il avait épousée à peine quelques semaines avant de partir au combat, avait déchiré la photo en deux, conservé son portrait à elle et remis l'autre moitié à la famille de son défunt mari. L'homme raconta à l'élève qu'il avait hérité de la photo, mais qu'il ne savait pas grand-chose des faits d'armes de son grand-oncle. L'élève lui en apprit long sur son ancêtre. En retour, l'homme lui raconta son histoire familiale. Ensemble, ils tracèrent le portrait d'un jeune homme tué tragiquement juste avant la fin de la guerre. «Ce fut une expérience gratifiante pour l'élève parce que c'était elle, l'experte, et que toutes ses heures de recherche et d'écriture lui avaient procuré une compétence reconnue et applicable en dehors de l'école.» Incidences localesLe projet a comme autre avantage de rapprocher les élèves de leur collectivité. Il les amène à travailler avec la légion, les sociétés historiques et d'autres organismes locaux pour relater la contribution des habitants de leur ville à l'effort de guerre.
Pour Marianne McLean, archiviste à Bibliothèque et Archives Canada (BAC, anciennement les Archives nationales et la Bibliothèque nationale), «ce qui ressort le plus du projet de Blake, c'est l'incidence sur le développement social et la manière dont il amène les ar-chives et les bibliothèques à rapprocher les gens dans les collectivités. Les journaux de Smiths Falls parlent des élèves et de leurs recherches. Les élèves voient leurs travaux publiés, et les habitants révèlent des photographies et des lettres précieusement conservées dans leurs annales familiales. C'est merveilleux de voir les élèves jouer un tel rôle dans le maillage d'une école avec sa collectivité!» Et M. Seward d'ajouter : «Ce projet peut se transposer dans les collectivités un peu partout dans la province, d'où son attrait. Il peut s'adapter aux réalités historiques de l'endroit, et on cherche toujours à tisser des liens significatifs entre l'école et la collectivité. Notre projet marche bien parce que tous les participants y trouvent leur compte et les élèves apprennent tout en s'amusant. Que demander de plus?» M. Seward est toujours à la recherche de projets éducatifs multidisciplinaires pour ses élèves. «Nous sommes en pourparlers avec Cogeco (chaîne nationale de télévision par câble) pour avoir accès à un studio. Nos élèves y intervieweraient des vétérans de la Deuxième Guerre mondiale dans le cadre d'un projet associé au module consacré à cette guerre. Les élèves apprendraient à réaliser un vidéo tout en recueillant de précieuses données historiques auprès de nos vétérans, pendant qu'ils sont encore en vie. Ainsi pourraient-ils s'inspirer de leurs notes et de leur vidéo pour préparer leur exposé écrit. Le vent dans les voilesÀ savoir d'où vient l'idée de ce projet, M. Seward raconte : «Un cousin m'avait demandé ce que je savais de notre grand-oncle mort au combat à Passchendaele. Gêné par mon ignorance totale, je me suis mis à fouiller dans les archives et j'ai tout de suite vu que je pouvais en faire un projet de classe.» Les élèves se plaisent à découvrir les faits d'armes de leurs ancêtres, et M. Seward ne les force pas à s'en tenir aux noms inscrits sur le cénotaphe. Une élève a travaillé sur les deux frères aînés de sa grand-mère, tous deux blessés durant la Première Guerre mondiale; elle a présenté son texte à sa grand-mère en guise de cadeau d'anniversaire. «C'est tout simplement formidable de voir les jeunes s'intéresser à l'histoire.» L'automne dernier, Justin Duhamel, un élève de M. Seward, s'est rendu en France. Choisi parmi plus d'une centaine de candidats, il a visité les cimetières de la Première Guerre mondiale et le monument commémoratif de Vimy en compagnie d'un membre d'une section locale d'anciens combattants. «Entre autres choses, Justin avait pour mission de visiter les 14 tombes où reposent les vétérans de Smiths Falls et de décalquer les inscriptions des pierres tombales. Nous les exposerons à l'école aux côtés des travaux des élèves, de photos et d'autres souvenirs de guerre. Les réalisations des élèves, comme la bravoure de nos ancêtres, inspirent une grande fierté.» Tout bon enseignant sait que les meilleures activités pédagogiques sont en perpétuelle évolution. Loin de se reposer sur ses lauriers, M. Seward s'emploie inlassablement à transformer et à pousser plus loin son projet. À l'instar de nombreux enseignants, M. Seward et ses collègues ont adopté la formule des projets pratiques dans tous leurs cours d'histoire, et non pas seulement en 10e année. En 12e année, le cours Histoire mondiale : l'Occident commence au XVIe siècle avec un module sur la révolution scientifique. C'est un sujet difficile et potentiellement aride, mais les enseignants ont trouvé une formule qui marche bien. «Les élèves recréent en laboratoire les expériences de Galilée et de Newton. Ils les présentent ensuite à leurs camarades et en expliquent l'importance historique oralement et par écrit. Les jeunes adorent ça; on part donc du bon pied.» La formule Seward intéresse même les enseignants d'écoles urbaines, où les classes sont moins homogènes qu'à Smiths Falls. «Nous tentons l'expérience à Toronto, où les familles des élèves ne sont pas toujours établies depuis plusieurs générations. Nous constatons que, malgré tout, les élèves sont motivés à se renseigner le plus possible sur un individu. Ça ne change rien qu'ils soient nés dans un autre pays et qu'ils n'aient aucun lien avec l'individu, la collectivité ou la guerre en question. «Les jeunes aiment jouer au détective. C'est le plaisir de la chose qui les motive, non pas le lien à l'individu ou à la collectivité.» Et comment notre créatif et dynamique enseignant voit-il la suite des choses? «Des guides du maître et de l'élève sont en production dans les deux langues, explique-t-il, pour les enseignants qui voudraient entreprendre un projet semblable. Ils seront publiés au printemps sur le site web de BAC. De plus, des travaux sont en cours sous l'égide du ministère des Anciens Combattants et de la Légion royale canadienne pour créer un projet d'envergure nationale sur le web. On veut ainsi encourager les légions locales et les écoles secondaires de tout le Canada à s'unir dans un projet-cénotaphe. Chez nous, on nous demande de réaliser des projets du même type dans les collectivités avoisinantes. J'aimerais aussi travailler sur les infirmières canadiennes qui ont servi durant les guerres et faire de même pour les combattants de la Deuxième Guerre mondiale qui ont servi dans les forces navales, aériennes et terrestres. «Et ce n'est qu'un début. Rien qu'ici à Smiths Falls, on peut facilement étaler le projet sur dix ans. J'ai de quoi intéresser et motiver mes élèves pour bien des années encore.»
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