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Les enseignants remarquables
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À en juger par la rapidité de son ascension littéraire et son impressionnante récolte de prix, on croirait aisément qu'Ann-Marie MacDonald a toujours eu la vie facile à l'école. Elle a remporté le Prix du Gouverneur général et le Prix Chalmers pour sa première pièce de théâtre, Goodnight Desdemona (Good Morning Juliet). Son premier roman, Un parfum de cèdre, lui a valu le Prix du Commonwealth du premier roman (et bien d'autres prix et distinctions). Et suite à la publication toute récente de son second roman, The Way the Crow Flies, Ann-Marie MacDonald aura couru tout l'automne d'une lecture publique et d'un festival du livre à l'autre. Les premières années d'école d'Ann-Marie MacDonald n'ont toutefois pas été roses. Pour elle, ces années (de la maternelle à la 2e année à Centralia et la 3e année à Hamilton) sont em-preintes d'un épais brouillard. «Les troubles du genre portent sans doute un nom aujourd'hui; je ne savais jamais où la classe était rendue. J'étais tout simplement ailleurs, explique-t-elle. Mon bulletin était désastreux. On me jugeait lente et dérangeante. Mon enseignante de 2e année croyait que j'essayais de passer pour le clown de la classe.» À l'arrivée de sa famille à Kingston, elle avait huit ans. Ses parents rencontrèrent sur Walsh, directrice de l'école catholique Our Lady of Lourdes. Ils savaient que leur fille était intelligente, mais quel bulletin! Comme ils insistèrent pour que l'on intervienne, la directrice leur fit une suggestion : «Et si on lui faisait passer une année? Cela la stimulerait peut-être?» Son père lui expliqua que c'était une offre unique, bien spéciale, et qu'elle pourrait toujours retourner en 4e année si cela n'allait pas. «Retourner en 4e? Jamais de la vie! Je m'en vais en 5e année!», s'était-elle dit à l'époque. «Et le miracle se produisit : j'allais en 5e année!», explique-t-elle en riant. Le petit clown deviendrait le cerveau de la classe. Au-delà de l'hyperbole, ce fut une étape marquante pour Ann-Marie MacDonald. «Ça m'a vivement secouée. Une sorte d'électrochoc, du genre de stimulation que produit un réanimateur cardiaque Je suis revenue de loin. Sérieusement, j'ai toujours cru que j'avais été sauvée. Pour moi, ce fut vraiment un tournant. J'avais tout à coup une raison d'être fière de moi. «À partir de ce jour, j'ai très bien réussi. Je comprenais enfin ce que disaient les enseignants. Je devais m'embêter avant cela, mais je pense surtout avoir réussi parce qu'on m'a présenté la chose comme une épreuve, et que la possibilité de m'épargner toute une année de misère me réjouissait au plus haut point! «Qui sait? Peut-être y aurait-il eu plus tard un autre déclencheur, mais à ce moment-là, c'était tout ou rien. Pendant longtemps - jusqu'à la vingtaine avancée -, j'ai considéré que mon avenir s'est joué cette année-là. Je n'oublierai jamais sur Walsh.» Quelle qu'en soit la raison, ce fut dès lors un changement
radical pour la petite Ann-Marie. «Mon chemin était sans doute tracé de toute façon, mais certains enseignants que j'ai adorés ont été pour moi une source d'inspiration parce qu'ils nourrissaient mes intérêts.» Ces enseignants lui ont permis d'approfondir des domaines qui ont joué un rôle clé dans sa carrière : l'histoire et la littérature. «Mme Drum, en 7e année, nous a fait écrire notre autobiographie, des nouvelles et de la poésie.» Comme en fait foi sa description de son enseignante de 6e année, Ann-Marie MacDonald possédait déjà, à cette époque, un grand talent d'observatrice : «Mme Murphy me semblait d'une autre époque, mais elle était extrêmement vigoureuse. Elle avait les joues très rouges et d'apparence ferme. Ses cheveux gris acier formaient une espèce de casque sur sa tête et surtout, elle avait des yeux bleu pâle très perçants. «Elle personnifiait l'ancien modèle d'enseignante : elle nous terrifiait tous, mais elle pouvait nous faire la surprise d'arriver avec des biscuits pour notre fête d'Halloween. «Je crois qu'elle adorait simplement son métier. Elle était parfois très sévère, mais il était évident qu'elle respectait ses élèves.» La famille MacDonald a déménagé de nouveau avant son entrée en 9e année, cette fois à Ottawa, où l'on a inscrit Ann-Marie à l'école secondaire Colonel-By. Au secondaire, l'enseignement des matières individuelles lui a donné une raison supplémentaire de se rapprocher des enseignants. Elle se souvient le mieux de ses enseignants d'anglais et d'histoire, ses deux matières préférées. Il y avait Mme Brice en anglais de 9e année. Elle adorait la mythologie et organisait des jeux questionnaires dont Ann-Marie raffolait. «J'en mangeais. Je lisais Ovide sans arrêt!» Dans cette classe, Ann-Marie a aussi fondé un journal communautaire et la communauté qui allait avec : Hicksville. Cette expérience fit ressortir, outre son talent d'observatrice, son inventivité. Elle se rappelle aussi l'étonnante Mme Greer, en 10e et 11e année. «Elle portait des minijupes et du vernis à ongles violet. «Elle savait parler de littérature et nous en parlait en adultes. On allait la voir à son bureau après l'école. En fumant une cigarette, elle discutait avec nous de nos lectures et nous recommandait d'autres ouvrages.» Entre autres enseignants d'histoire, elle se souvient de Mmes Cowan et Crossthwaite. «J'ai suivi mes cours de religions du monde et d'histoire avec Mme Crossthwaite. Elle faisait des voyages archéologiques avec son mari; elle portait des ponchos.» Comme la plupart d'entre nous, Ann-Marie MacDonald n'a pas gardé contact avec ses anciens enseignants. «J'espère toujours qu'un d'entre eux se présentera un jour à une de mes lectures publiques. Pour moi, cet article est une façon de les remercier.» Elle ajoute que ses meilleurs enseignants avaient en commun «la passion de leur matière, le respect des élèves et la bonté; et ils attendaient de leurs élèves rien de moins que l'excellence.» Heureusement, Ann-Marie n'a jamais cessé de viser aussi haut. The Way the Crow Flies (Knofp Canada) est en lice pour le prix Giller de 2003. |