Mai 1997

L’après-boom dans les écoles
L’après-boom dans les écoles

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de Daniel Stoffman

La population canadienne vieillit. Cette situation a des répercussions considérables sur le système d’éducation public.

Pendant les dix prochaines années, Statistique Canada prévoit une baisse du nombre d’enfants âgés de 9 ans et une légère augmentation du nombre d’enfants âgés de 10 à 14 ans. Cela s’explique par le vieillissement des baby boomers, nés entre 1947 et 1966, qui représentent le tiers de la population canadienne.

Les premiers boomers ne font plus d’enfants et cèdent la place aux 20 à 30 ans, les baby busters. Comme on compte moins de busters que de boomers, cela laisse présager un ralentissement dans les maternités d’ici la fin des années 90 au Canada.

Évidemment, cette baisse du nombre des jeunes enfants s’accompagne d’un besoin moins grand d’enseignantes et d’enseignants à la maternelle et à l’élémentaire. Et pendant que le nombre de jeunes enfants diminue, la population des 50 ans et plus, elle, s’accroît rapidement. Aussi est-ce l’avenir du système d’éducation public qui est en jeu.

D’une part, le vieillissement de la population assorti au faible taux de fécondité signifie que nous serons de moins en moins nombreux à compter des membres de notre famille immédiate à l’école. Cela pose un problème parce que ceux et celles qui n’utilisent pas le système sont moins enclins à l’appuyer.

D’autre part, deux autres tendances favorisent l’érosion de l’appui accordé au système d’éducation public : un marché du travail morose, particulièrement pour les jeunes, et un manque de confiance dans certaines méthodes pédagogiques qu’affectionne la bureaucratie éducationnelle.

Des temps difficiles

La situation de l’emploi chez les jeunes n’a jamais été aussi sombre depuis la dépression des années 30. Le taux de chômage chez les jeunes est le double de celui de la population générale. Chez les 15 à 24 ans, une personne sur cinq n’a jamais eu d’emploi d’été, et encore moins un emploi à plein temps.

De brillants titulaires de diplômes universitaires qui, en temps normal, n’auraient eu aucun mal à se trouver un emploi, sont au chômage ou bien passent d’un emploi temporaire à l’autre. Les possibilités d’emploi chez les jeunes sans éducation postsecondaire sont encore pires parce qu’un nombre grandissant de tâches autrefois exécutées par des travailleurs non qualifiés sont maintenant automatisées.

Cette situation préoccupe les parents qui doutent qu’un diplôme d’études secondaires atteste de connaissances suffisantes en lecture, en écriture et en mathématiques. Il en résulte ainsi une croissance rapide du secteur de l’éducation privée, y compris des services de tutorat.

La clientèle canadienne du Kumon Institute, entreprise franchisée basée au Japon qui offre des services périscolaires d’aide en mathématiques et en langues, a bondi, passant de
2 000 élèves en 1988 à 27 000 en 1997. La popularité des écoles privées s’explique non seulement par des changements démographiques, mais aussi par les inquiétudes des parents concernant l’avenir de leurs enfants.

Un choix varié

Au Canada, le taux de fécondité est d’environ 1,7 enfant par femme, taux typique des pays industrialisés modernes. Ainsi, comme la plupart des familles canadiennes ne comptent qu’un ou deux enfants, il est plus que jamais possible pour elles de se permettre l’école privée.

Un couple au revenu moyen qui ne pourrait jamais payer des droits de scolarité de 10 000 $ s’il devait faire instruire quatre enfants peut envisager l’école privée s’il n’en a qu’un. En outre, comme de nombreux couples de baby boomers ont attendu la trentaine avant d’avoir des enfants et que plusieurs d’entre eux gagnent deux revenus, l’école privée leur est encore plus accessible.

Concurrence plus grande

Le système d’éducation public fait ainsi face à une concurrence accrue de la part du secteur privé. On observe également ce phénomène dans le secteur des services de santé où le recours au secteur privé a connu une recrudescence en raison des compressions dans le système de santé public et de l’intolérance des boomers vieillissants aux délais trop longs et à des services de santé qu’ils jugent inférieurs.

De la même façon, le manque de confiance dans le régime de retraite public contribue à la croissance rapide des sommes investies dans des régimes enregistrés d’épargne-retraite.

Par conséquent, que doit faire le système d’éducation public pour conserver le rôle essentiel qu’il joue dans l’infrastructure sociale canadienne?

L’adhésion absolue à des philosophies pédagogiques en déclin de popularité auprès du public, comme la méthode globale, est inutile voire nuisible. Ainsi, on pourrait assister à un exode de masse du système public, à une baisse de l’appui du public à son égard et à une diminution des emplois en enseignement.

Au contraire, le système public doit étoffer ses programmes dans les matières et les compétences de base et, devant une clientèle à la baisse, il doit devenir plus efficace.

Par exemple, un conseil scolaire doit favoriser l’utilisation d’une classe portative pour répondre à une augmentation temporaire de l’effectif plutôt que de construire une nouvelle école qui risque d’être sous-utilisée dans quelques années.

Heureusement, la plupart des Canadiennes et des Canadiens reconnaissent les avantages d’un système d’éducation public fort pour la société en général, qu’un membre de leur famille en fasse partie ou non. La population appuie le système public à condition qu’il réponde à des normes internationales, tant aux plans du rendement scolaire que des coûts per capita.

Demande plus forte

Les changements démographiques exigent une ouverture du marché. Et cela ne peut qu’être bénéfique pour les éducateurs et éducatrices, y compris les 30 000 enseignantes et enseignants du système public ontarien qui devraient prendre leur retraite au cours des cinq prochaines années.

Désormais, l’entrée sur le marché du travail ne marque plus la fin de l’éducation formelle. Les changements rapides aux plans économique et technologique soulignent l’importance de la formation continue. C’est pourquoi des universités comme l’Université York ont ouvert des bureaux dans le quartier financier de Toronto. Aussi, la croissance du programme Elderhostel et la présence de conférenciers sur des bateaux de croisière attestent de la soif de connaissances des personnes retraitées ou à la veille de l’être.

Les premiers baby boomers viennent d’atteindre la cinquantaine et avec eux, l’âge d’or de l’éducation des adultes commence. Les enseignantes et enseignants ont la capacité d’acquérir des connaissances et de les transmettre à d’autres, talent qui sera très en demande dans les années à venir. L’inévitable croissance du domaine de l’éducation des adultes permettra au corps enseignant de tirer profit des changements démographiques plutôt que d’en être les victimes.

Daniel Stoffman est coauteur du best-seller Entre le boom et l’écho. Il est diplômé de l’Université de la Colombie-Britannique et de la London School of Economics, de même qu’un journaliste primé. Ses recherches sur la politique canadienne d’immigration, alors qu’il était boursier Atkinson, ont donné lieu au rapport très connu intitulé Toward a More Realistic Immigration Policy for Canada (1993).