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L’évaluation donne-t-elle son plein rendement?

Pour les enseignants, les nouvelles approches en matière de mesure et d’évaluation recèlent autant de défis que de bienfaits.

de Leanne Miller

Si l'on évaluait la mise en œuvre de la réforme de l’évaluation au secondaire préconisée par le ministère de l’Éducation en 1997, on obtiendrait quelque chose comme :

Niveau 2 : rendement moyen, manque de rigueur dans l’application des concepts et liens insuffisants avec la théorie.

En 2001, Lorna Earl et des chercheurs de l’IEPO/UT avaient étudié les premiers effets de la réforme dans les écoles secondaires de la province, et découvert que les enseignants, les élèves et les parents avaient de la difficulté à comprendre les changements. Les enseignants avaient l’impression d’imposer des changements qu’ils comprenaient mal et dont ils ne voyaient pas vraiment la nécessité, sans disposer des ressources, de la formation et du soutien nécessaires pour les mener à bien.

Et maintenant, la confusion et les dissensions persistent-elles? Oui! Les enseignants ont-ils réussi à s’adapter aux nouvelles exigences en matière d’évaluation? Oui!

L’objectif de la réforme était d’accroître la responsabilité, l’efficacité et la qualité des écoles ontariennes, notamment par l’intermédiaire de normes bien définies, d’un curriculum normalisé, et d’indicateurs, de rubriques et d’évaluations harmonisés.

Selon Wilma Davis, coordonnatrice principale des relations avec les médias du Ministère, grâce au nouveau curriculum et aux grilles d’évaluation, l’évaluation du rendement des élèves repose maintenant sur des critères uniformes pour toute la province. «Auparavant, explique-t-elle, les normes variaient d’une école à l’autre et d’un enseignant à l’autre. Maintenant, les attentes sont clairement définies, bien comprises, et appliquées uniformément. L’évaluation des élèves est ainsi plus juste et plus fiable.»

Les deux côtés de la médaille

Reg Hawes, professeur à l’UTS (University of Toronto Schools) et directeur des cours menant à des qualifications additionnelles en histoire, en géographie et en sciences sociales à l’IEPO/UT, est de ceux qui pensent du bien de la réforme de l’évaluation.

«Avant, les élèves n’avaient qu’une seule chance. Aucun rattrapage n’était possible, et le sujet de l’évaluation était déjà de l’histoire ancienne.» Maintenant, les enseignants assurent le suivi des élèves au moyen d’outils d’évaluation formative. C’est un atout certain en faveur de la réussite scolaire.

M. Hawes croit qu’une rubrique d’évaluation bien conçue est juste et claire, et qu’elle permet aux élèves de relier leur travail aux attentes du curriculum. Ainsi, les élèves réussissent mieux parce qu’ils savent ce qu’on attend d’eux et qu’ils reçoivent une rétroaction régulière tout au long de leur apprentissage.

En fait, les objections résiduelles ne mettent aucunement en cause les fondements ou la valeur des nouvelles pratiques d’évaluation.

«Si l’on ne peut pénaliser les retards, qu’apprendront-ils au sujet des échéances?»

Geoff Watson

Barbara Bodkin, chef de l’éducation permanente et des cours menant à des qualifications additionnelles à l’IEPO/UT, affirme que les nouveautés telles que le planificateur de curriculum et le bulletin provincial reposent sur des recherches fiables et des pratiques pédagogiques exemplaires. «Ils sont le produit d’une toute nouvelle façon de concevoir les programmes, l’enseignement et l’évaluation : la planification à rebours.»

Lorsqu’on lui demande quand ces outils seront implantés dans toutes les écoles, elle répond toutefois : «Pas tout de suite : les remaniements profonds et durables demandent du temps. Mais c’est un projet prioritaire.»

Les enseignants des cours menant à des qualifications additionnelles de l’IEPO/UT (ceux qui les suivent et ceux qui les donnent) sont bien au fait des difficultés.

«Le plus difficile, c’est de varier les stratégies tout en s’assurant que les élèves savent exactement d’où proviennent leurs résultats et leur notes», avoue Katy Whitfield, enseignante au conseil scolaire de Toronto (TDSB) depuis trois ans. «En dépit de mes recherches, des discussions avec mes collègues et de mes efforts pour me conformer aux modèles, les rubriques demeurent pour moi un concept nébuleux.»

«Je comprends que je ne peux plus déduire de points pour les travaux en retard, dit Geoff Watson, enseignant de géographie et de sciences depuis six ans au TDSB. Alors, comment faire comprendre l’importance du respect des échéances?»

Dans son règlement (Planification des programmes et évaluation), le Ministère énonce clairement que la note de l’élève doit représenter uniquement la mesure dans laquelle il satisfait aux attentes du curriculum. Retirer des points pour du retard va donc à l’encontre de cette consigne. Par contre, il est tout à fait possible d’en rendre compte dans la partie du bulletin consacrée aux habiletés d’apprentissage. Cet aspect du rendement de l’élève est donc communiqué de façon distincte, et on ne risque plus d’attribuer un échec à un travail excellent mais en retard.

Pour Wilma Davis, le bulletin permettra aux enseignants de communiquer clairement l’information aux parents et d’identifier sans ambiguïté les forces et les faiblesses des élèves ainsi que les objectifs à viser.

Le malaise perdure

«On sent toujours une résistance au changement», admet Fraser Cartwright, qui a travaillé pendant 28 ans à titre d’enseignant, de chef de section de géographie et de consultant dans la région de York, et qui donne aujourd’hui le cours menant à la qualification de spécialiste en études supérieures de géographie à l’IEPO/UT.

«Les élèves et les parents veulent des notes, des chiffres», dit un enseignant ayant travaillé à l’élémentaire et au secondaire pour le conseil scolaire de Peel pendant sept ans. «Et ils réclament un relevé tous les quinze jours. Comment y arriver avec toutes ces rubriques?»

Mais le Ministère exige que soit mise en œuvre une certaine forme d’évaluation formative, afin que les élèves comprennent bien les critères d’évaluation et les attentes avant de subir une évaluation «qui compte». «Oui, mais c’est frustrant de créer des activités et de les corriger sans que le résultat ne contribue à la note finale», objecte un enseignant du TDSB.

«Les nouveaux enseignants sont encore portés à suivre les anciennes méthodes, se désole M. Cartwright. Ils trouvent plus facile d’utiliser le matériel pédagogique existant, mais très souvent, leurs outils de mesure et d’évaluation ne font pas de lien avec les attentes du curriculum.» Il convient que de plus en plus d’enseignants connaissent les nouvelles pratiques de mesure et d’évaluation et les méthodes d’élaboration de programme.

Par ailleurs, les facultés d’éducation ontariennes s’efforcent d’adapter leurs cours aux nouvelles pratiques.

«Nos professeurs mettent les parti-cipants au défi d’être créatifs.»

Sheila Pinchin

Sheila Pinchin a récemment coordonné la révision des cours menant à des qualifications additionnelles à l’Université Queen’s (lesquels sont pour la plupart offerts en ligne). «Nous voulions inciter les professeurs à donner aux participants plus d’occasions de mettre à l’épreuve leurs apprentissages, explique-t-elle, particulièrement ceux qui font appel aux capacités de raisonnement d’ordre supérieur et à la métacognition.»

Sheila Pinchin et ses collègues ont appliqué le modèle de planification à rebours conçu par Grant Wiggins et Jay McTighe (Understanding by Design), et ont tenu compte des demandes du Ministère.

Mme Pinchin (de Queen’s) et M. Hawes (de l’IEPO/UT) sont d’accord : les nouvelles pratiques en matière d’évaluation sont meilleures, notamment parce qu’elles obligent les enseignants à penser leur enseignement et leurs critères d’évaluation au début d’une unité plutôt qu’au moment de l’évaluation finale. Leurs cours encouragent les enseignants à développer une gamme structurée d’outils d’évaluation formative et sommative qu’ils utiliseront en classe : prétests, listes de contrôle et tests diagnostiques au début d’une séquence d’enseignement; auto-évaluation et évaluation par les pairs, questions à réponses courtes, travaux de rédaction (dissertation, par exemple) ou activités de réinvestissement (où les élèves appliquent leurs apprentissages à d’autres situations) vers le milieu de la séquence; portfolios, activités pratiques, activités de synthèses et grands projets de révision mettant l’accent sur les liens entre les habiletés et les connaissances nouvellement acquises vers la fin de la séquence.

«Nos professeurs mettent les participants au défi d’être créatifs dans la planification du programme et d’intégrer cette expérience à leur enseignement», résume Mme Pinchin.

Relever le défi

On le sait, les enseignants ont dû faire face à bien des changements au cours des dernières années.

«Pour que de véritables changements s’opèrent, dit Ken Hanson, les enseignants doivent pouvoir justifier chacune de leurs actions.»

Enseignant d’histoire et de sciences sociales à Toronto, puis directeur d’école jusqu’à sa retraite, en 2003, il donne le cours menant à la qualification additionnelle en études contemporaines à l’IEPO/UT depuis 1992. À l’instar de Michael Fullan, il voit le changement en trois volets :

  • Information – Lire sur une panoplie de sujets. Comment distinguer mesure, évaluation et notation? Quand et comment évaluer formativement au moyen d’exposés, de listes de contrôle et de rubriques d’évaluation? Comment utiliser efficacement les situations d’apprentissage authentiques? Il croit que l’ouvrage de Grant Wiggins constitue un excellent point de départ.
  • Application – Mettre les nouvelles connaissances en pratique en concevant et testant des rubriques, et en utilisant des situations d’apprentissage authentiques.
  • Conviction – Selon lui, il faut être convaincu que notre intervention est la meilleure contribution à l’apprentissage et à la réussite des élèves.

«Dans mes cours, la matière est passée au second plan depuis la réforme, estime-t-il. C’est maintenant la pédagogie qui prédomine : nous regroupons les attentes afin d’explorer à fond celles qui sont essentielles et améliorons nos méthodes de mesure et d’évaluation.» Il souligne l’importance d’établir des liens entre les attentes du curriculum et l’évaluation : «Les enseignants ne doivent plus se voir comme des créateurs d’activités, mais comme des évaluateurs qui orientent leur action en fonction de l’objectif à atteindre.» [Voir aussi Pour parler profession, Retour vers le futur (juin 2004) et Tracer l’esquisse de la réussite scolaire (sept. 2004).]

«Les enseignants doivent justifier chacune de leurs actions.»

Ken Hanson

Mark Melnyk a été promu chef de la section d’histoire à l’école secondaire Markville en 2000, la même année qu’il a suivi le cours menant à la qualification additionnelle en études contemporaines de Ken Hanson. «Ken nous a enseigné la différence entre mesure et évaluation, se rappelle-t-il. C’est essentiel. Pourtant, beaucoup ne font pas la distinction. Par ailleurs, il a fallu bien du temps aux enseignants comme aux élèves pour comprendre que même si elles ne comptent pas pour la note finale, les évaluations formatives donnent une rétroaction essentielle à la compréhension et à la maîtrise des habiletés nécessaires à la réussite des évaluations principales.»

L’évaluation demande du temps, et certains enseignants se sont sentis littéralement submergés par la quantité de corrections requises pour donner aux élèves un bon suivi de leur rendement. M. Melnyk et ses collègues ont rapidement conclu que la création de rubriques et de listes de contrôle précises, détaillées et conviviales était une question de survie.

«Pour réduire le volume de corrections, il fallait limiter le nombre d’évaluations importantes.» C’est pourquoi la rétroaction en classe revêt un grand intérêt  : elle demande plus de temps en classe, mais elle réduit grandement la charge de correction.

De bonnes rubriques

La conception d’une bonne rubrique d’évaluation est longue et difficile.

«Nous aurons des normes, des attentes et des copies types uniformes. Il serait logique d’avoir aussi des rubriques communes, accessibles et adaptables», estime M. Melnyk. Comme bien des enseignants, il trouve désolant l’absence d’une banque de rubriques modèles. «Bien sûr, une rubrique doit être détaillée et ciblée. Mais une rubrique bien conçue peut être adaptée à l’infini.»

Il croit que la plupart des rubriques ratissent trop large. Selon lui, une bonne rubrique doit se limiter à quelques habiletés, et les niveaux de rendement être plus élaborés que «jamais, rarement, parfois, toujours».

Il ajoute que les grilles d’évaluation du rendement ne sont pas des rubriques d’évaluation : elles servent à communiquer le rendement de l’élève (forces, faiblesses et objectifs à viser pour s’améliorer).

Le Ministère approuve l’utilisation de rubriques d’évaluation, mais elles ont leurs limites. «Beaucoup utilisent des rubriques conçues pour dénombrer les apprentissages, explique Sheila Pinchin. Mais elles ne peuvent pas rendre compte de la qualité des apprentissages ou de l’amélioration des élèves.»

«Le modèle ILR est une autre approche de l’évaluation et des rubriques.»

Elaine Van Melle

Elaine Van Melle, candidate au doctorat à l’Université Queen’s, s’est inspirée des travaux de Sue Fostaty Young et de Robert J. Wilson pour concevoir une rubrique qui couvre bien plus que l’assimilation de la matière : elle facilite l’évaluation du développement de capacités de raisonnement d’ordre supérieur.

«Le Ministère privilégie la réflexion et le réinvestissement, ce que les enseignants trouvent difficile à enseigner et à évaluer, explique Mme Van Melle. Nous présentons une autre approche de l’évaluation et des rubriques : le modèle ILR (Idées, Liens, Réinvestissement).»

Ce modèle, présenté par M. Wilson dans son ouvrage Assessing Students in Classrooms and Schools (1996), évalue la progression de l’élève le long d’un continuum.

«Parce que la rubrique compte trois niveaux plutôt que quatre, il est impossible de faire correspondre le résultat d’une évaluation à un niveau de rendement et, partant, d’oublier la distinction entre rubrique d’évaluation et notation, explique Mme Pinchin. Notre cours explique d’ailleurs comment convertir les résultats d’évaluation en note.»

Pour un enseignant, la mesure et l’évaluation demeure une tâche des plus importantes et des plus ardues. Mais grâce aux travaux accomplis dans nos écoles et universités on parviendra à ce que Barbara Bodkin appellerait «un changement profond, valable et durable».

Mesure et Évaluation – Suggestions

de Ken Hanson et Mark Melnyk

  • Relier clairement l’évaluation, les attentes et les questions, afin que les élèves puissent démontrer qu’ils satisfont aux attentes.
  • Expliquer aux élèves et à leurs parents que l’évaluation formative favorise la réussite aux évaluations de synthèse (même si elle ne «compte» pas, elle permet d’obtenir un meilleur résultat à l’évaluation finale).
  • Se rappeler que l’évaluation doit contribuer à l’apprentissage (et non à la gestion de classe ou à la motivation de l’élève).
  • Pour chaque unité, expliquer sur quoi portera l’évaluation (autrement dit, planifier à rebours et préférer la qualité à la quantité).
  • Utiliser des rubriques détaillées et bien ciblées, de sorte que les élèves puissent facilement suivre leurs progrès et améliorer leur rendement.
  • Simplifier les rubriques afin d’accélérer la correction.
  • Ne pas faire correspondre un niveau de rendement à une note  : ces résultats ne sont qu’un des éléments de l’évaluation du rendement global de l’élève.
  • Utiliser des rubriques pour évaluer les activités d’apprentissage complexes et les présenter aux élèves au début de la séquence d’apprentissage.
  • Demander aux élèves de concevoir une rubrique à partir d’un modèle ou à la suite d’un remue-méninges, puis de s’en servir pour s’autoévaluer (sans oublier que c’est l’enseignant qui attribue la note finale).
  • Montrer aux élèves comment s’autoévaluer et évaluer leurs pairs, mais sans leur faire attribuer de notes. L’intercorrection de questions à réponse courte ou d’autres types de test de connaissances est toutefois envisageable.
  • Faire des présentations orales (autant que possible) et prendre des notes sur la performance des élèves.
  • Présenter aux élèves des exemples de travaux de niveau quatre et les afficher dans la classe ou les intégrer au site web de l’école ou de la section.
  • Échanger avec les collègues et l’administration (pourquoi réinventer la roue?)
  • Ne pas noter toutes les activités des élèves.
  • Noter les travaux importants, ceux qui permettent aux élèves de démontrer leurs apprentissages.

Melnyk et ses collègues ont intégré des rubriques au site web de leur école, notamment une rubrique d’évaluation sommative pour le cours d’histoire canadienne de 10e année (www.markville.ss.yrdsb.edu.on.ca/history).

IdÉes, liens et rÉinvestissement

Le modèle ILR aide à évaluer comment les élèves intègrent leurs apprentissages.

Idées

L’acquisition des idées est démontrée si l’élève peut communiquer :

  • les notions fondamentales
  • les données de base
  • le vocabulaire et les définitions
  • des détails
  • des concepts élémentaires.

Liens

La capacité de faire des liens est démontrée si l’élève peut expliquer :

  • les relations entre des concepts élémentaires
  • les relations entre les nouveaux savoirs et les acquis.

Réinvestissement

La capacité de réinvestir les apprentissages est démontrée si l’élève :

  • utilise les nouveaux savoirs autrement ou les applique dans un contexte différent
  • répond à des questions comme : Qu’est-ce que cela veut dire? Comment cela modifie-t-il ma perception du monde?

À la fin du cours, les élèves seront capables :

  • d’expliquer les principes de base de...
  • de résoudre des problèmes au moyen de...
  • d’appliquer leurs nouveaux savoirs à...

Adapté par Elaine Van Melle de l’ouvrage de S. Fostaty Young et R.J. Wilson, Assessment and Learning: The ICE approach, Winnipeg, Portage and Main Press, 2000.