Sous le chapiteau
Enseigner en tournée avec le Cirque du Soleil
de Mireille Messier
État de la profession enseignante en 2006
Des membres comparent l'enseignement moderne à ce qu'ils ont
vécu.
de Brian Jamieson
Les résultats
Tout est dans la préparation
Les sorties et activités parascolaires, ça se prépare.
de Leanne Miller
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Sous le chapiteau
Enseigner en tournée avec le Cirque du Soleil
de Mireille Messier
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«Louise, est-ce que je peux aller mettre mon linge dans la
sécheuse?»
L'enseignante, imperturbable, lève à peine les yeux
du document sur lequel elle travaille, même si l'élève
vient de l'interpeller par son prénom et qu'il veut aller faire
sa lessive durant les heures d'école.
«D'accord, mais dépêche-toi. On commence à démonter
l'école à la prochaine période.» Démonter
l'école?
Entrez dans le monde extraordinaire de l'enseignement en tournée
avec le Cirque du Soleil!
La petite histoire de l'école en tournée
Depuis ses premiers balbutiements en 1984, le Cirque du Soleil offre
aux jeunes artistes et aux enfants des artistes qui font partie d'un
spectacle en tournée l'occasion d'aller à l'école.
Jean Gélineau, coordonnateur à l'encadrement de tous les
mineurs du Cirque en tournée, explique que le Cirque offre l'école à ses
jeunes artistes pour des raisons morales et légales. «Afin
d'obtenir l'autorisation de travail des jeunes artistes de 18 ans
et moins, 90 % des pays où se rendent les tournées
exigent que le Cirque prouve de façon concrète qu'ils vont à l'école»,
confirme M. Gélineau. Sans école, le Cirque devrait
renoncer à avoir des jeunes en tournée.
Durant les dix premières années de son existence, le Cirque,
encore de taille modeste, n'organisait que des tournées durant «la
belle saison», soit de juin à octobre. Les enfants (qui
venaient presque tous du Québec) ne manquaient alors que quelques
semaines d'école. Le Cirque a alors décidé de conclure
des ententes avec l'école de chaque jeune en tournée afin
qu'il puisse réintégrer sa classe sans avoir pris de retard
sur les autres élèves. Aujourd'hui, le Cirque a l'ampleur
et la réputation qu'on lui connaît. Les tournées
se déroulent toute l'année et les enfants viennent d'un
peu partout dans le monde. Pour répondre aux besoins grandissants
de ses employés itinérants, le Cirque s'est affilié en
1994 à la Commission scolaire New Frontiers de Châteauguay
pour offrir le programme d'études du Québec, en français
et en anglais. Puis, en 2000, l'École du cirque de Montréal
a signé une entente avec le ministère de l'Éducation
du Québec afin de se porter garante de la qualité de l'enseignement
dans ses tournées. Depuis, elle respecte le programme d'études
du Québec et doit donc offrir des cours en français aux élèves
de langue française et en anglais à ceux de langue anglaise.
Les élèves allophones, eux, choisissent avec leurs parents
la langue dans laquelle ils préfèrent être éduqués.
En tournée avec Saltimbanco
Louise Vaillancourt, diplômée de la faculté d'éducation
de l'Université d'Ottawa et membre de l'Ordre depuis 2004, et
Alexandra Robert, enseignante au Québec, sont les deux plus récentes
recrues du personnel enseignant du Cirque du Soleil, qui compte environ
une douzaine de membres. Depuis août 2005, elles enseignent aux élèves
de la tournée Saltimbanco. Bien que le nombre de jeunes fluctue
un peu au cours de l'année, le rapport élève/enseignant
pour les écoles du Cirque du Soleil est en moyenne de trois pour
un. Un chiffre à faire rêver! En ce moment, quatre jeunes
de niveaux différents sont inscrits à l'école de
Saltimbanco. Mme Vaillancourt reconnaît qu'il y
a des avantages à avoir de si petites classes : «On
peut accorder plus d'attention à chaque élève et,
durant les activités de groupes ou les sorties éducatives,
on peut vraiment faire participer tout le monde. De plus, les besoins
de discipline sont aussi minimes que le nombre d'élèves.
Dans une classe régulière d'une vingtaine d'élèves,
il s'établit un brouhaha quotidien dans lequel il faut calmer
les élèves; mais ici, c'est très rare». Les élèves
aussi s'entendent pour dire qu'une toute petite classe a ses privilèges : «À l'école “ordinaire”,
il faut couvrir la matière à un certain rythme durant l'année. À notre école,
si l'enseignante voit que je comprends bien un sujet, on peut couvrir
toute la matière en une seule classe et passer à autre
chose. Si j'ai de la difficulté dans un autre sujet par contre,
on peut passer quatre classes sur la même chose sans que cela soit
un problème», explique Kevin Bachor, élève
de 11e année qui voyage avec le Cirque depuis
quatre ans.
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Mme Vaillancourt et Maxsim, son élève
de 4e année
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Il existe évidemment certains désavantages à enseigner à quatre élèves
de niveaux différents. Les enseignantes de la tournée Saltimbanco
doivent assimiler et enseigner toute la matière qui doit être
couverte en 4e, 5e, 9e et 11e année. «Côté préparation
de cours, ça représente beaucoup plus de travail. Personnellement,
j'enseigne l'économie, la géographie et l'histoire de secondaire
V en anglais. De formation, je suis enseignante de français au
cycle primaire. J'ai donc été obligée de faire beaucoup
de lecture et de préparation parce que c'était de la matière
que je ne connaissais pas», précise Mme Robert. «C'est
certain qu'en cas de chicane, c'est plus difficile à quatre. Pour
les jeunes aussi, les petits groupes peuvent être difficiles puisqu'ils
sont toujours avec les mêmes personnes. Il n'ont pas d'amis de
leur âge», souligne Louise Vaillancourt. Pas évident
en effet d'être la seule fille de toute l'école. Yana Plotnikova
est en 5e année. Il y a deux ans, son père
s'est joint à la tournée Saltimbanco à titre d'acrobate. «Je
n'aime pas vraiment le fait qu'il n'y ait que trois autres élèves
dans toute l'école. Quand il y a plus d'enfants, on peut jouer
et se faire des amis. Ici, je suis la seule fille!» Les classes
d'un seul élève causent aussi des problèmes de logistique,
comme le révèle si bien Kevin : «Un des
défis, c'est qu'on ne peut pas faire de projet de groupe. Dans
les manuels de classe, on nous demande souvent de choisir un partenaire
ou de se mettre en groupe de quatre ou cinq. Moi, je ne peux pas. Il
n'y a même pas cinq élèves dans toute l'école!
Parfois, j'aimerais bien pouvoir travailler ou même juste parler
après l'école avec d'autres élèves». De
plus, tous les élèves s'accordent pour dire qu'il y a un «inconvénient» marqué au
fait d'appartenir à un groupe de si petite taille : «Dans
une classe normale, tu peux ne pas faire tes devoirs un soir ou sécher
un cours, et l'enseignante ne s'en rendra peut-être pas compte.
Ici, c'est certain qu'elle va le savoir!», dit Robin Bachor, l'élève
de 9e année, en riant.
Navette, boulot, dodo
La journée typique d'un enseignant du Cirque du Soleil débute
vers 9 h 30… Lorsqu'il se réveille! En effet,
puisque certains jeunes élèves font aussi partie de la
distribution du spectacle, l'horaire tout entier doit être considérablement
décalé afin de tenir compte des heures des représentations.
La semaine d'enseignement se déroule donc du mardi au samedi et
les heures de cours sont généralement de midi à 17 h 30.
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Les élèves ont organisé une
levée de fonds pour la forêt tropicale avant leur
escale au Brésil
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L'espace physique de l'école change au fil des villes. À Santiago, «l'école» se
situe dans deux petites roulottes dans un champ d'autres roulottes. Puisqu'il
faut emballer et déballer la classe dans chaque ville, il est
impossible d'avoir des structures permanentes, comme un coin de lecture.
Tout doit pouvoir entrer dans une caisse et être prêt à partir
en l'espace d'une heure. Lorsqu'on lui demande si elle doit s'habiller
comme une «maîtresse d'école», Louise s'esclaffe : «Les
sites sur lesquels on travaille ressemblent beaucoup à des chantiers
de construction. Partout, c'est du gravier. Lorsqu'il pleut, on patauge
dans la boue et il faut faire attention aux chariots à fourche
qui vont et viennent constamment. On passe beaucoup de temps dehors,
pour aller d'une classe à l'autre, pour se rendre aux toilettes
ou à la cuisine. Les petits talons et les habits chics ne sont
donc pas pratiques. De plus, il n'y a personne d'autre sur le site qui
s'habille autrement qu'en jeans et en t-shirt, alors on détonnerait
un peu si on arrivait avec des chaussures à talons».
Le Cirque offre à ses employés et aux élèves
une navette qui les conduit de l'hôtel au site, une cuisine où l'on
prépare déjeuner, goûter et souper, ainsi qu'une
salle de lavage. Puisque les enseignants habitent à l'hôtel,
il est souvent plus facile de faire les corrections et la préparation
de cours sur le site. Il n'est donc pas rare de prendre la navette du
retour vers 20 h.
«Puisqu'il faut emballer et déballer
la classe dans chaque ville, il est impossible d'avoir des structures
permanentes.»
Contrairement aux écoles régulières où il
est relativement aisé d'organiser une rencontre avec la direction
ou une réunion du personnel, le corps enseignant en tournée
doit faire ses réunions par conférence téléphonique
aux deux semaines. Une fois l'an, les enseignants de toutes les tournées
se réunissent à Montréal. Tout le monde a ainsi
la chance de se rencontrer et de parler des défis particuliers
auxquels ils peuvent faire face.
Puisque l'horaire des enseignants en tournée n'est ni celui des
employés administratifs, ni celui des artistes ou des techniciens,
il est parfois difficile de sentir qu'on «fait partie de la gang».
Par contre, contrairement à une école traditionnelle où les élèves
sont en grande majorité, sur le site du Cirque, la majorité des
gens sont des adultes, ce qui favorise l'accès à une multitude
de ressources humaines pour les élèves. «Dans un
cours sur l'optique, avec Max, mon élève de 4e année,
j'ai pu, avec l'aide d'un éclairagiste, aller sur la scène
voir comment on peut mélanger les couleurs avec les projecteurs.
Maintenant, Max, qui fait partie du spectacle et qui passe beaucoup de
temps sur l'estrade tous les soirs, voit les lumières de façon
complètement différente», explique fièrement
Mme Vaillancourt.
Voyage avec un grand «V»
Qui dit tournée, dit évidemment voyage. En l'espace de
12 mois, la tournée Saltimbanco aura fait escale dans six
villes de l'Amérique centrale et de l'Amérique du Sud.
Chaque déplacement requiert environ deux semaines afin de démonter
le grand chapiteau et le matériel, d'expédier les caisses
et de remonter le tout. Cela représente donc deux semaines d'arrêt
de cours. Plusieurs enseignants utilisent ces moments soit pour rentrer
au Canada, soit pour jouer aux touristes. «Durant les semaines
d'enseignement, je n'ai pas vraiment le temps de visiter la ville où nous
restons. Pendant les semaines libres, entre les villes, par contre, je
prends le temps de voir du pays. Entre le Mexique et le Chili, je suis
allée visiter la Terre de Feu. Entre le Chili et l'Argentine,
je prévois un voyage en Bolivie. C'est ça, la partie la
plus merveilleuse de cet emploi-là», confie Mme Robert.
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Tout doit pouvoir entrer dans une caisse et être
prêt à partir en une heure.
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Les sorties éducatives sont des moments forts de chaque escale. «Dans
chaque ville, on essaie d'organiser une excursion. Côté logistique,
c'est beaucoup plus facile qu'avec une classe ordinaire. Pas besoin de
louer un autobus. On peut remettre les lettres de demande de permission
aux parents en main propre sur le site et avoir une réponse le
jour même», précise Mme Vaillancourt.
Durant ses quatre années en tournée, Robin a fait plusieurs
excursions. Il lui est difficile de choisir la plus impressionnante :
sa visite du Louvre, le sanctuaire du papillon monarque au Mexique et
sa rencontre avec les membres de l'équipe de soccer par excellence
de Madrid, sont en tête de liste. Son frère aîné,
Kevin, est bien d'accord : «Ce que je préfère
de l'école en tournée, c'est qu'on peut voir ce qu'on nous
enseigne. L'an dernier, on a fait un module au sujet des civilisations
anciennes en même temps que notre escale à Rome. Plus tard,
j'ai lu le fameux Code Da Vinci et ensuite j'ai pu aller au Louvre voir
les vraies peintures dont il était question dans le livre!» Max,
qui est en tournée avec ses parents depuis sa naissance et le
seul élève qui fasse aussi partie de la distribution du
spectacle, savoure à l'avance une sortie bien spéciale : «Bientôt,
on va faire une excursion d'une nuit en camping. J'ai vu plein de musées,
mais je ne suis jamais allé faire du camping. J'ai hâte!»
La tournée permet aux jeunes de découvrir plusieurs pays
et différentes cultures. Cette année, pour se préparer à leur
escale au Brésil, les élèves de la tournée
Saltimbanco ont mis sur pied une vente de t-shirts et de biscuits afin
d'amasser des fonds pour venir en aide à la forêt tropicale.
Ne pas déranger / Do not disturb / No molestar
Imaginez habiter dans le même édifice, prendre le même
autobus et manger au même restaurant que vos collègues,
tous vos élèves, ainsi que leurs parents. C'est grosso
modo ce que représente la vie en tournée. L'adaptation
est parfois difficile. «Au début, je trouvais ça
assez dur, parce que je tiens beaucoup à ma vie privée.
Pour moi, c'est très important de faire la scission entre mon
travail et ma vie personnelle. Pas que j'aie des choses à cacher,
mais je ne veux pas nécessairement que tout le monde sache ce
que je fais. Après un certain temps, on s'y fait, mais au début,
je me sentais vraiment emprisonnée», confie Alexandra Robert.
Vive les affichettes de porte «Ne pas déranger»!
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«L'an dernier, on a fait un module au
sujet des civilisations anciennes en même temps que notre
escale à Rome.»
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Incertitude…
Au moment de la rédaction de cet article, Saltimbanco était à Santiago.
Quand vous lirez cet article, la tournée sera déjà loin,
en Amérique du Sud, sans doute, mais on ne sait jamais exactement
dans quel pays, ni dans quelle ville.
À l'automne 2005, Saltimbanco devait faire escale à Biloxi,
au Mississippi. L'ouragan Katrina, qui dévasta la Louisiane, en
a décidé autrement et le Cirque a changé radicalement
l'horaire de la tournée. Quelques semaines seulement avant la
date prévue pour l'étape du sud des États-Unis du
circuit, une confirmation est arrivée du bureau principal à Montréal :
Saltimbanco s'est plutôt rendu à Mexico.
«Dans chaque ville, on essaie d'organiser
une excursion. Côté logistique, c'est beaucoup plus facile
qu'avec une classe ordinaire.»
C'est avec ce genre d'incertitudes et de revirements que les enseignants
de tournée et leurs élèves doivent composer régulièrement.
Si le spectacle est très populaire dans une ville, il est possible
qu'on y reste une ou deux semaines de plus. Robin résume bien
cette contrainte : «Certaines personnes viennent ici pendant
un an ou même moins, puis s'en vont. Elles ne sont pas capables
de s'habituer. Il faut vraiment aimer ça pour rester. Il y a tellement
de choses qui paraissent normales, mais qui ne le sont pas lorsqu'on
voyage avec le Cirque. Des choses aussi simples que de savoir où l'on
sera à Noël ou la date de nos prochaines vacances...
En décembre 2006, Saltimbanco prendra sa retraite. Tous les artistes,
techniciens et enseignants seront réassignés à d'autres
spectacles. Kevin sera à l'Université d'Ottawa, où il
suivra le programme de biopharmacie. Robin et Yana espèrent que
leurs pères seront tous deux postés dans un spectacle fixe.
Et Max? Eh bien Max continue de faire ses devoirs entre ses performances
en attendant de savoir à quel spectacle sa famille et lui se joindront.
Après un an sur la route, Mmes Robert et Vaillancourt reviendront
au Canada sous peu. Elles préparent maintenant le terrain pour
le prochain maître de cérémonie et tireront leur
révérence au moment du décollage du prochain avion
en partance du Canada
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Louise Vaillancourt et ses élèves,
Maxsim Vintilov, Yana Plotnikova et Robin Bachor, lors de la tournée
du Cirque du Soleil à São Paulo
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L'école chinoise
Au Cirque du Soleil, les artistes mineurs en provenance de Chine fréquentent
leur propre école. Un tuteur chinois leur enseigne le programme
d'études de Chine. Jean Gélineau, coordonnateur à l'encadrement
des mineurs, explique : «Lorsque le Cirque a commencé à recruter
des artistes chinois pour ses tournées, l'agence artistique avec
qui nous faisions affaire nous faisait signer un contrat afin de s'assurer
que ses membres n'allaient pas rester à l'extérieur du
pays plus de six mois. Puisque la grande majorité des jeunes ne
parlaient que le chinois, il n'était donc pas pratique de tenter
de les intégrer à nos classes pour une si courte durée.
Depuis, la durée des contrats a été prolongée à 18
mois, mais puisque le système est en place et fonctionne bien,
nous avons choisi de le garder»
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