L'éveil identitaire mis en scène par Lise Paiement


Donovan Bailey se souvient de Mme Swaby


La technologie à la portée des jeunes

«Quelle que soit la raison qui amène un élève dans mon cours, je vais le garder et l'inspirer à vouloir continuer.»

L'éveil identitaire mis en scène par

Lise Paiement

de Véronique Ponce

«Moi, je crois qu'on change le monde une personne à la fois. Quand on enseigne, on change le monde un élève à la fois», affirme d'emblée Lise Paiement.

Cette lauréate du Prix du premier ministre 2002-2003 pour l'excellence en enseignement vit pour son métier. Dans le domaine de l'éducation, il n'est pas rare d'associer le mot «passion» à celui d'«enseignement», mais en général, il est plus courant de lire qu'une artiste plutôt qu'une enseignante vit son métier corps et âme. Quelle mouche a donc piqué Lise Paiement?

Ayant grandi dans une famille d'éducateurs à Sturgeon Falls, l'enseignement a toujours été pour elle un terrain de prédilection - elle a même rencontré son conjoint, enseignant de mathématiques, dans une école. Très tôt, Mme Paiement s'est fixé comme modeste dessein de changer le monde et elle n'a pas perdu cet objectif de vue. Elle se dit avoir été très choyée, car le destin a mis sur son chemin nombre de personnes qui lui ont permis de réaliser ses projets pédagogiques les plus ambitieux. Elle reconnaît avoir eu la chance de travailler dans des milieux très réceptifs à sa philosophie de l'enseignement.

«La synergie qu'il y a entre les enseignants qui veulent changer le monde, c'est très, très fort.»

La specta-gogie

Lise Paiement enseigne l'art dramatique de la 9e année à la 12e année au Collège catholique Samuel-Genest d'Ottawa. Le programme qu'elle a créé permet aux élèves d'étudier tous les aspects du spectacle théâtral, de l'interprétation aux techniques d'écriture en passant par la technique vocale, la musique, l'éclairage, la mise en scène et bien sûr la langue. Ce programme est également une stratégie éducative puissante destinée à développer l'identité culturelle de ses élèves et une meilleure appréciation de la culture franco-ontarienne tout en perfectionnant les compétences linguistiques.

On n'entre pas dans sa classe en passant une audition et ses spectacles n'ont pas de vedettes. Comme elle le fait remarquer, «le prof de math ne choisit pas juste les meilleurs, alors moi aussi, je les prends tous». Dans le spectacle, tout le monde participe, tout le monde écrit les répliques, monte les décors, conçoit les costumes et charge le camion lors des tournées. C'est la classe qui distribue les rôles, qui élabore la grille d'évaluation. Il faut s'assurer qu'il y a assez de rôles pour tout le monde et, puisque aucune pièce de théâtre n'a été écrite pour 30 adolescents, c'est aux élèves que revient la charge créative de l'inventer. «Quelle que soit la raison qui amène un élève dans mon cours, moi comme enseignante, je vais le garder et l'inspirer à vouloir continuer.»

En l'espace d'une vingtaine d'années, elle a dirigé ses élèves dans plus de 30 représentations théâtrales et musicales.

Développer l'identité et la conscience sociale

Lise Paiement mise sur un milieu d'apprentissage où l'élève est appelé à trouver sa voix, à développer une estime de soi. «Si l'on place un élève dans une situation de confiance, il apprend à parler avec respect. Le groupe est plus réceptif et, en retour, l'élève apporte quelque chose au groupe», explique-t-elle. Les élèves apprennent que le théâtre, c'est tout d'abord un travail d'équipe. Il faut respecter les camarades et faire preuve de générosité.

Exigeante envers ses élèves, elle les pousse à exceller, encourage la collaboration et le respect des différences. La barre est haute. Non seulement chaque élève doit s'engager entièrement dans le projet de classe, mais pour atteindre le but pédagogique qu'elle s'est fixé, le spectacle doit être excellent. Ses classes ne l'ont jamais déçue.

Les élèves suivent généralement le cours d'art dramatique de la 9e à la 12e année, période durant laquelle évolue l'écriture dramatique. Durant la première année doit s'opérer un gros travail de connaissance de soi et des autres, car Mme Paiement est persuadée qu'il est plus difficile de manquer de respect envers quelqu'un que l'on connaît bien.

Au début du cours, les élèves sont amenés à choisir une valeur ou une opinion quelconque et ces idées sont décortiquées en classe pour former le thème du spectacle. Que ce soit La véranda (quatre saisons dans la vie du porche d'une maison), qui mettra en scène divers tableaux du quotidien, ou Le Grand Krash (une comédie musicale sur les années de la dépression), chaque spectacle témoigne d'une conscience sociale.

Au fil des années, alors que l'appréciation d'un bon texte se développe et que la conscience sociale des élèves devient plus sophistiquée, le genre de spectacle évolue et sort du stéréotype pour arriver à de la dramaturgie plus profonde.

Comme tout enseignant, Mme Paiement doit aborder les problèmes de discipline. Au lieu d'établir des règlements, elle donne à ses élèves une liste de principes qui doit les amener à développer une conscience morale. Elle ne dit pas qu'il faut arriver à l'heure, mais que si un élève est en retard, tous les autres en pâtissent. Il est clair que chaque élève a des responsabilités et que les conséquences sont d'ordre légal comme moral.

«Je mets les valeurs sur la table, que ce soit la générosité, par exemple, ou l'ouverture envers les autres. Avec mon aide, ils vont arriver à un point où leurs actions refléteront ces valeurs.»

Pourquoi écrire un texte rapidement qui sera médiocre plutôt que de s'efforcer d'écrire quelque chose dont on sera fier? On ne sèche pas les classes, et cela par respect pour ses camarades qui ne pourront pas répéter en l'absence d'un des leurs. Tout comme on apprécie d'être remercié, on remercie les autres de leur travail.

Il est primordial, selon Mme Paiement, que le discours social transpire dans les matières, que l'on voit que l'enseignant a une idée dans la tête. «La conscience sociale, cela s'inspire chez les élèves. N'oublions jamais, dans l'enseignement de nos matières, que nous sommes des modèles.»

Sa classe donne trois spectacles, trois fins de semaine, dans diverses communautés pour les enfants défavorisés. Les élèves de l'école sont tenus de faire 40 heures de bénévolat, mais les élèves de Lise s'engagent souvent bien au-delà de ce minimum, car elle les amène à la motivation intrinsèque : faire du bénévolat parce qu'on se sent bien quand on en fait. C'est une activité très formatrice dans la construction de ce qu'elle appelle la «citoyenneté de l'élève».

L'évaluation se fait à trois niveaux : auto-évaluation, évaluation par les pairs et évaluation de l'enseignante. Chaque élève tient une trousse d'évaluation tout au long du cours qui comporte des dizaines de points comme le processus créateur, leur comportement face aux difficultés rencontrées, leur sens critique, etc. Finalement, Mme Paiement rencontre ses élèves individuellement. Ensemble, ils examinent la trousse d'évaluation et réfléchissent à ce qu'ils ont vécu comme expérience, au-delà de la note.

Lise Paiement, lors d'un atelier de pédagogie culturelle avec des étudiants en enseignement.

Valoriser le parascolaire

Lise Paiement a consacré bien des fins de semaine, des soirées et des congés à organiser des activités culturelles avec et pour les élèves. Elle est d'avis que le parascolaire ne doit pas être laissé au bon vouloir des gens. L'erreur, c'est de comptabiliser l'action sans forcément la valoriser. Elle pense que les enseignants voudront faire du parascolaire quand ils sentiront que les élèves, les parents et la direction de l'école l'apprécient.

Mme Paiement a écrit des chansons et composé de la musique pour toute sorte d'occasions allant des comédies musicales aux fêtes de fin d'année de l'école. C'est ainsi qu'est né son disque en 1999, Tour de trapèze. «Je suis probablement la seule personne à avoir enregistré un disque dont les gens connaissaient déjà toutes les chansons», dit-elle en riant.

Ce projet, elle l'a accompli avec un de ses anciens élèves, Jean-Michel Ouimet, qui venait de monter un studio. Ce jeune musicien talentueux est maintenant bien connu sur la scène culturelle francophone. Il se souvient que les cours de Lise Paiement avaient quelque chose d'émotionnel et qu'elle avait ce don de rassembler les jeunes, de leur donner un sentiment d'appartenance. «C'est tout le temps qu'elle investissait avec ses élèves en dehors des cours qui faisait la différence; les activités culturelles qu'elle organisait à l'heure du midi, après les cours, les fins de semaine.»

Construire une identité

Lise Paiement fait partie de la troisième génération de francophones du moyen-nord de l'Ontario (comme l'appellent les habitants de la région de Sudbury, North Bay et Sturgeon Falls). Elle est très active dans la communauté francophone où elle est connue comme la «championne du français et de la culture franco-ontarienne». D'après elle, la construction identitaire personnelle, sociale et ethnolinguistique commence dans le fotus, dans la vision identitaire que les parents ont de leur enfant, et se poursuit tout au long de la vie. Les enseignants ont le rôle d'accompagner les jeunes un bout de chemin, pour leur donner des fondements, des outils, un véhicule qui rendront la route moins cahoteuse.

Nombre de communautés francophones dispersées en Ontario et ailleurs ne bénéficient pas des avantages linguistiques que comporte l'isolement social et territorial du Québec, où l'élève vit avant tout dans un environnement francophone. Selon Mme Paiement, les écoles de langue française de notre province ont un rôle de «balancier compensateur» à jouer, pour reprendre l'expression de Rodrigue Landry, afin de valoriser le français et de promouvoir la culture francophone. L'élève doit pouvoir manipuler la langue et parler sans mélanger deux langues dans la même phrase.

«À l'école, on ne dit pas à un élève, ici on ne parle pas anglais, mais ici on parle français, dit-elle. Mes élèves vont respecter la langue par respect pour moi. De mon côté, j'ai quatre ou cinq ans pour les amener à le faire par respect pour eux.»

À son avis, le malaise par rapport à la langue vient surtout du fait que les jeunes confondent le mot minorité avec celui d'infériorité. Une partie du travail de Mme Paiement est de remettre les pendules à l'heure. Elle fait remarquer à ses élèves que c'est une minorité de gens qui ont une médaille olympique ou un doctorat, et que ça ne gêne personne. Elle ajoute qu'il y a autant de francophones en Ontario que d'habitants dans les provinces maritimes. «Alors, commençons par regarder ce qu'on apporte et arrêtons de voir juste les chiffres.»

Natalie Trépanier (au milieu), ancienne élève de Lise Paiement, est maintenant enseignante d'art dramatique. Après avoir fait son stage dans la classe de Mme Paiement, elle enseigne aujourd'hui son cours au Collège catholique Samuel-Genest. «En tant qu'élève, j'ai adoré le cours de Lise. C'était mon modèle, mon mentor, c'est pour cela que je suis devenue enseignante», affirme-t-elle.

Des projets plein la tête

Lise Paiement travaille présentement à l'élaboration d'un programme de formation en pédagogie culturelle dont les premiers ateliers ont été offerts aux membres de l'AEFO l'automne dernier. Il s'agit d'une formation en leadership pédagogique où les stagiaires sont invités à jeter un regard critique sur le rôle de modèle qu'ils exercent dans leur classe, leur école et leur communauté. Le modèle pédagogique présenté vise à accompagner l'élève dans sa construction identitaire.

Elle vient de prendre un congé sans solde de cinq ans, ce qui lui permet de travailler à divers projets et de rencontrer des communautés francophones éloignées comme elle vient de le faire en Alberta. «Mon discours atteint toutes les frontières, pas juste l'Ontario», dit-elle.

Ce qui va lui manquer pourtant, c'est la cloche de l'école, car «c'est de l'énergie, les portes qui s'ouvrent, tout le monde qui sort». Où qu'elle aille, elle laisse sur son sillage toute la passion qu'elle nourrit pour ses classes. «Je ne peux pas faire autrement, cela fait partie de qui je suis, de ce que j'aime faire.»

Rousseau disait à propos d'Émile : «Vivre est le métier que je veux lui apprendre». C'est en quelque sorte l'objectif que Lise Paiement s'est donné, pour elle mais aussi pour ses élèves.

À son avis, la profession enseignante est une des plus nobles qui soit car, comme elle le dit si bien «le métier de citoyen s'apprend dès l'école».

Ses élèves bénéficient de son énergie et de ses idées, tout comme elle fait profiter ses collègues et les étudiants en éducation de son expérience au cours d'ateliers qu'elle a aidé à concevoir et qu'elle anime régulièrement. Comme on dit dans sa région, elle vit sa vie de façon à ce que «ses bottines suivent ses babines».