Stage et gestion de la classe font l'objet d'innovation
à l'Institut d'études pédagogiques de l'Ontario (IEPO)

Les enseignants d'expérience apprennent aux côtés des étudiants dont ils seront le mentor.

de Wendy Harris

La moitié des élèves de cette 11e année de Scarborough sont «cool» et ils le savent. Les garçons se promènent en roulant les hanches comme s'ils auditionnaient pour le prochain super clip de rap, la ceinture de leur pantalon tenant, comme par miracle, à leurs genoux. Heureusement, leurs énormes chemises descendent assez bas pour couvrir le reste de leur corps. Les filles, au contraire, portent des vêtements moulants et leur visage atteste quelques visites au rayon des cosmétiques.

Les élèves de l'autre moitié de la classe ont des antécédents culturels, religieux et familiaux différents. Et leur façon de s'habiller et de se conduire témoigne de l'importance secondaire des vidéos rock dans leurs foyers. Quelques-uns d'entre eux viennent d'arriver au Canada, et certains en sont encore à apprendre les complexités de la langue anglaise.

Alors, dans cette classe des plus multiculturelles où l'on trouve un mélange de jeunes «cool» et conservateurs, poseurs et modestes, on ne s'attendrait pas à les voir trop communiquer entre eux.

Mais grâce à un programme pédagogique appelé Tribes, ils font davantage que parler. Ils se font confiance, ils créent des liens et ils partagent sentiments et frustrations.

Technique de groupe
Tribes est une technique de groupe incitant les élèves à courir des risques et à se défier les uns les autres dans un climat d'inclusion, de respect et de coopération. Le nom Tribes réfère aux pratiques des tribus autochtones de l'Amérique du Nord dont la culture centrée sur le groupe et non pas sur l'individu favorise le travail en commun en vue de réaliser des objectifs communs.
Par une journée enneigée de novembre, Carolyn Brown, l'enseignante d'une classe d'anglais de l'école secondaire Winston Churchill, a demandé à ses élèves de circuler autour de la salle au son d'une musique hip-hop. Chaque fois que la musique s'arrête, les élèves doivent regarder la personne qui se trouve le plus près et communiquer avec elle.»

Et c'est ce qu'ils font. Ils s'adonnent à cette activité avec enthousiasme, leur premier échange portant sur ce qu'ils aiment le plus d'Anne Cameron, la stagiaire qui vient juste de passer un mois dans leur classe. Ensuite, ils parleront de ce qu'ils comptent faire en décembre.

Se promener ainsi dans la classe et communiquer est une activité qui appartient au cercle communautaire et qui, comme dans le cercle guérisseur des autochtones, est au cœur d'une stratégie d'imitation de compétences sociales basée sur la coopération dans un climat de sympathie et d'inclusion.

«Notre cercle communautaire est formidable, dit Krystine, une élève de la classe. Il nous unit les uns aux autres. On le fait tous les jours. On parle de ce qui s'est mal passé ou de ce qu'on pourrait faire ensemble. On accueille les commentaires de tout le monde, sans jamais les empêcher de parler.»

Quatre éléments d'entente
Dans une classe Tribes, les élèves sont divisés en groupes ou tribus qui forment des petits nids sécuritaires et chaleureux où ils peuvent apprendre en collaboration. Ces groupes constituent les fondements d'un processus qui se déroule sur toute l'année tandis que les élèves apprennent à interagir de façon positive et responsable.

Ces interactions reposent sur quatre éléments d'entente fondamentaux pour les membres de la tribu :

  • chacun doit écouter attentivement
  • il est interdit de rabaisser qui que ce soit
  • le respect mutuel est de mise
  • chacun a le droit de «sauter» une réponse ou activité à laquelle il croit n'avoir rien à contribuer à ce moment-là.

Ce qui distingue Tribes des autres programmes du genre, c'est qu'il propose à l'enseignant une série d'activités précises et concrètes à faire avec ses élèves, chacune venant consolider les précédentes et ainsi favoriser la création d'un climat sympathique, vivant et démocratique.

Il y a une progression séquentielle dans les exercices, ce qui a pour effet d'établir des structures que les élèves comme les enseignants peuvent utiliser pour créer une classe unie où les élèves ressentent un véritable sentiment d'appartenance et où se forment de vrais partenariats.

Le programme s'infiltre graduellement dans les conseils scolaires de toute la province. Des enseignants formés à la méthode Tribes travaillent depuis dix ans au conseil scolaire du district de Durham (le premier conseil à adopter le programme en Ontario) et depuis six ans à Toronto.
Selon Denise Overall, coordonnatrice du perfectionnement professionnel au conseil scolaire du district de Toronto, plus de 2 000 enseignants de plus de 50 écoles torontoises ont été formés jusqu'à présent.

Revirement complet
Les enseignants ne sont pas les seuls à recevoir une formation. Dans certaines écoles, le personnel de bureau, les administrateurs et même les concierges apprennent la technique Tribes afin d'établir un climat d'inclusion partout dans l'école. «Le message est fort quand on inclut tout le monde, affirme Denise Overall. Cette culture de collaboration est une notion nouvelle. On est loin de l'enseignant autonome qui fait sa petite affaire dans sa propre classe. C'est un énorme changement de direction. Cela représente un revirement complet dans notre façon de penser.»

Penny Ballagh, instructrice à l'IEPO qui enseigne la méthode Tribes, dit que le programme, tout en favorisant un sentiment d'appartenance au groupe, valorise également la diversité culturelle de chaque élève et l'unicité du style d'apprentissage de chacun. «Le programme va chercher tellement d'éléments théoriques sur le fonctionnement du cerveau.»

Elle poursuit en disant que tandis que les bons enseignants ont toujours adapté leur enseignement aux divers styles d'apprentissage de leurs élèves, la méthode Tribes codifie la méthodologie et la rend ainsi accessible à davantage d'enseignants.

Une première

Carolyn Brown, enseignante d'anglais et d'études médiatiques (à gauche), et Anne Cameron, stagiaire, utilisent la technique Tribes pour créer un sentiment d'appartenance chez leurs élèves.

L'automne dernier, pour la première fois dans une faculté d'éducation, les enseignants en formation initiale et en perfectionnement professionnel ont été initiés ensemble à Tribes dans le cadre d'un cours de l'IEPO donnant droit à des crédits du Programme de perfectionnement professionnel. Après 24 heures de cours magistraux donnés par Penny Ballagh et Karen Sheppard, les enseignants en perfectionnement professionnel ont fait équipe avec les étudiants sur le point d'entreprendre leur stage, bon nombre d'entre eux à Winston Churchill.

C'était nouveau pour les enseignants d'expérience et les débutants d'apprendre ensemble et de venir à se connaître dans le contexte de Tribes avant que les étudiants se retrouvent devant une classe.

«Nous n'en avions pas encore fait l'essai, explique madame Ballagh, qui a eu l'idée de regrouper ainsi les enseignants chevronnés et débutants dans une même classe. Nous savions que des membres des deux groupes souhaitaient suivre la formation Tribes. Souvent les débutants sont nerveux et inquiets à propos de leur stage. De cette façon-là, ils établissent des relations avec l'enseignant ou l'enseignante avant de commencer leur stage, ce qui leur offre aussi des possibilités de réseautage et de mentorat.»

Karen Sheppard, en prêt de service du conseil de Durham, affirme que la réaction des étudiants qui ont la possibilité d'intégrer la théorie Tribes à leur enseignement lors de leur stage est immédiate. «Je peux voir les lumières s'allumer», dit-elle. Avant même la mise en œuvre du programme de l'IEPO, Penny Ballagh a reconnu la valeur de la relation entre l'enseignant chevronné et l'étudiant s'apprêtant à faire son stage. Mais elle avait besoin de la collaboration d'un directeur d'école.

«J'ai tâté le terrain et fait savoir que je cherchais une école où tenter l'expérience», dit-elle. Trina Wood, directrice de l'école secondaire Winston Churchill, a sauté sur l'occasion.

Étape logique
Selon Trina Wood, participer à la formation Tribes avec une dizaine d'enseignants de son école était logiquement l'étape suivante. Ses deux directeurs adjoints avaient suivi la formation et elle-même utilisait déjà nombre des techniques pour diriger les réunions du personnel.

Par exemple, à sa première réunion du personnel, elle a demandé aux enseignants de se mettre en ligne par ordre alphabétique selon leur nourriture préférée. En se mettant en ligne, les amandes jusqu'au yogourt ont appris à se connaître bien mieux qu'avant. Lors d'une autre activité, les enseignants ont été regroupés selon l'endroit où ils habitaient et ont découvert qu'ils avaient bien plus de voisins qu'ils ne le croyaient.

«Cela a non seulement brisé la glace, dit Trina Wood, mais leur a donné de l'information importante les uns sur les autres. En même temps, ajoute-t-elle, l'exercice a fourni aux enseignants formés aux techniques Tribes un autre exemple à utiliser dans leur classe.»

Intégration harmonieuse
L'intégration de la technique Tribes s'est faite de façon harmonieuse à Winston Churchill, où la collégialité règne au sein du personnel et où l'on compte sur les élèves pour participer pleinement à la vie scolaire. «La méthode Tribes donne beaucoup de pouvoir aux élèves, elle leur donne une voix, poursuit Trina Wood. Il faut calculer sa démarche pour que tout le monde travaille en équipe. Il faut que chaque enfant croie qu'il fait partie d'un groupe qui travaille en-semble dans le même but.»

La formation Tribes a eu un effet marquant chez la directrice. Tellement qu'elle croit que la formation devrait être un cours obligatoire pour tous les étudiants en enseignement qui sont inondés de matériel et de curriculum à apprendre à l'exclusion des techniques à utiliser en classe. «Tribes leur fournit un premier outil de travail», précise-t-elle.

En outre, son expérience lui a montré combien il est crucial que les enseignants associés et les étudiants aient l'occasion de se connaître avant le début du stage. À l'avenir, elle compte voir à ce qu'une telle relation s'établisse entre les enseignants et les étudiants avant qu'ils ne se retrouvent en classe ensemble.

Selon Carolyn Brown, enseignante d'anglais et d'études médiatiques qui a suivi la formation avec sa directrice, personne ne s'opposerait à cette approche. Pour elle, connaître Anne Cameron avant que cette dernière ne fasse son stage dans sa classe était d'importance capitale.

«Je me suis retrouvée avec une étudiante aux idées tout à fait semblables aux miennes, poursuit Carolyn Brown. Je crois que j'aurais été frustrée s'il en avait été autrement et que je n'aurais pas accueilli une stagiaire avec autant d'enthousiasme.

«On a cliqué. Question de synergie», explique Cameron.

Quant à ce que la formation Tribes leur a enseigné, Carolyn Brown et Anne Cameron en parlent toutes les deux avec passion. «Je crois que je suis une enseignante cent fois meilleure, dit Carolyn Brown. Au lieu de mettre mes élèves en groupe et d'espérer que tout se passe bien, je leur donne le moyen d'acquérir des compétences et d'apprendre des stratégies. Tribes est véritablement une méthode de promotion du travail en équipe, de sorte qu'une fois réunis en groupe, les élèves peuvent s'autodiriger. Tribes leur donne des stratégies de communication.»

Recherches reconnues à l'appui
Anne Cameron, qui est titulaire d'une maîtrise en éducation des adultes, précise que Tribes repose sur des travaux de recherche reconnus sur la façon d'apprendre des élèves. D'après elle, il n'y a pas beaucoup de neuf dans Tribes. Mais la méthode rassemble plusieurs éléments cruciaux de la philosophie de l'éducation qui ont pris racine depuis quelques décennies. «Tribes fonctionne vraiment.»

Avec Carolyn Brown et Anne Cameron à la barre, on sent la synergie électriser la classe. Les élèves sont regroupés dans leurs tribus aux noms souvent farfelus, tels que Dream Team ou Hardworking Hustlers. Il semble que la collaboration constante soit quelque chose qu'ils aiment.
«Nous nous appuyons, nous nous aidons les uns les autres et nous partageons nos idées, dit Mano, l'un des nombreux élèves à défendre inconditionnellement la méthode. Nous pouvons aider les plus silencieux à s'exprimer. Ça marche pour les devoirs aussi.»

Carolyn Brown signale toutefois que certains enseignants se font une fausse idée de Tribes et de ce que la méthode peut accomplir. Elle insiste sur le fait qu'il n'y a rien de doucereux dans Tribes, qu'il s'agit d'une approche systématique visant la création de la collaboration et d'un esprit de corps dans la classe. Elle précise également que même s'il est évident que Tribes se prête tout à fait aux matières comme l'anglais et l'art dramatique, la méthode est tout aussi efficace dans des classes d'éducation physique, de mathématiques ou de sciences.
«Dans le gymnase, on appelle cela des équipes», dit Steve Gilles, enseignant d'éducation physique. Il précise que plusieurs des stratégies qu'il a apprises sont faciles à transférer dans le gymnase où l'esprit de collaboration est d'importance cruciale.

Pour Dave Brinton, enseignant d'anglais et d'art dramatique, Tribes a éliminé bien des suppositions et tentatives infructueuses sur la manière de créer de la collaboration en classe. Et parce qu'il ne s'agit pas d'un système doctrinaire, il permet d'adapter la manière et le moment de l'appliquer de façon à ce qu'il fonctionne dans des circonstances tout à fait uniques en leur genre.

Les étudiants en enseignement qui ont suivi la formation Tribes aux côtés des enseignants chevronnés se sont également dits enchantés de l'expérience. Aaron Piercey, qui a fait son stage dans la classe de Dave Brinton, dit que l'apprentissage des techniques Tribes en compagnie de l'enseignant avec qui il a travaillé pendant un mois leur a donné à tous deux un objectif et un langage communs. «Il régnait déjà un climat de confiance, dit-il. Lorsque nous sommes arrivés, nous connaissions déjà douze enseignants qui ont entre eux des centaines d'années d'information collective.»

Quant à la formation Tribes proprement dite, Piercey dit qu'elle lui a donné une longueur d'avance lui permettant de déterminer quelles sortes de techniques pourraient fonctionner pour lui quand il sera un enseignant diplômé.

Accueil | Bloc générique | Archives

Mot du président  |   Mot du registrateur  |   Des professeurs remarquables  |   Pages bleues
...en terminant  |   Lu, vu, écouté  |   Calendrier  |   Cyberespace  |   Questions fréquentes  |   Courrier des lecteurs

Ordre des enseignantes et des enseignants de l'Ontario
121, rue Bloor Est,
Toronto ON  M4W 3M5
Téléphone : 416-961-8800 Télécopieur : 416-961-8822 Sans frais en Ontario : 1-888-534-2222
www.oct.ca
revue@oct.ca