Aider la nature : les enfants d'enseignants aux
Olympiques
La profession enseignante aura joué un rôle clé quoique
inconnu dans la formation du groupe d'athlètes olympiques
qui se rendront cette année à Turin.
Plusieurs des grands espoirs du Canada ont l'enseignement dans
le sang parce qu'un de leurs parents et parfois même les
deux sont des enseignants, y compris l'ancien champion mondial
de skeleton, Duff Gibson. Le skeleton, c'est le sport pour lequel
les athlètes s'élancent sur un parcours gelé la
tête la première, agrippés à une sorte
de luge.
de Teddy Katz
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Duff Gibson plaisante en disant qu'il ne pouvait pas se défaire
de ses enseignants quand il était jeune à Toronto.
Ses parents enseignaient à l'école qu'il fréquentait,
le Sir John A. Macdonald Collegiate de Scarborough. Son père,
Andy, était spécialiste d'histoire et d'éducation
physique tandis que sa mère, Carole, enseignait les mathématiques
et l'éducation physique. Ils consacraient aussi des heures innombrables à entraîner
les équipes de sport de l'école. Carole Gibson fait remarquer
que Duff a appris à un jeune âge l'importance du sport.
«Étant donné que mon mari et moi étions tous
les deux impliqués dans le sport, les enfants ont en quelque sorte été élevés
dans un gymnase, précise Carole Gibson. Ils s'y rendaient après
les classes, venaient aux joutes des équipes que nous entraînions
et, de fil en aiguille, nous sommes devenus leurs entraîneurs.»
Elle reconnaît que leurs enfants ont bénéficié de
certains avantages.
«Les enfants élevés dans une famille d'enseignants
ont tendance à vivre une certaine stabilité financière.
Même chose pour ce qui est de l'horaire quotidien. Ils savent toujours
où sont leurs parents et passent leurs étés avec
eux. Andy et moi, on travaillait ou on jouait avec les enfants jusqu'à ce
qu'ils comprennent ou maîtrisent leurs activités, parce
que c'était d'après nous le secret du succès dans
la vie.»
Duff Gibson se rappelle un incident lors d'une pratique de football
alors que son père entraînait l'équipe de l'école
secondaire. Il avait six ans. À la fin de la séance d'entraînement,
les joueurs l'avaient incité à se joindre à eux
pour faire des tractions en se servant des poteaux de but. Il avait réussi à en
faire douze, ce qui avait impressionné tout le monde et aidé Duff à acquérir
de l'assurance. Mais malgré ce souvenir de jeunesse, Duff ne sait
pas trop quelle incidence la profession de ses parents a pu avoir sur
ce qu'il est devenu.
«Je ne sais pas ce qui vient d'eux par rapport à ce qui
vient de moi. C'est probablement une combinaison de disposition naturelle
et de stimulation parentale. C'est évident qu'on est tous différents à la
naissance et qu'on apprend toute sa vie. Alors, ce qu'il faut attribuer à quoi,
je ne sais pas.»
Jamais pensé aux Olympiques
Bill Wotherspoon a passé plus de 30 ans comme enseignant
d'éducation physique et administrateur scolaire. Sa femme enseignait
aussi. Il pense que leur expérience a pu marquer leurs enfants
Danielle et Jeremy, deux des meilleurs patineurs de vitesse du Canada.
«L'objectif d'un parent, c'est d'intéresser ses enfants à des
activités qui les aideront toute leur vie, qui leur feront apprendre
ce que c'est que l'engagement, qui développeront leur sens des
responsabilités et leur ouverture sociale. Jamais il ne nous est
venu à l'idée de leur faire pratiquer un sport pour aller
aux Olympiques.»
Monsieur Wotherspoon reconnaissait manifestement la valeur du sport
et des autres activités parascolaires. Il a donc encouragé ses
enfants à tout essayer et à pratiquer assidûment
ce qu'ils aimaient le plus. Il y avait une règle absolue dans
la maison des Wotherspoon : pas de télévision durant
la semaine.
«L'une de mes bêtes noires, comme enseignant, c'était
que beaucoup de mes élèves rentraient chez eux après
l'école pour regarder la télé ou jouer à des
jeux vidéos, ce qui ne valait absolument rien pour leur apprentissage.»
Privilèges
La meilleure joueuse de hockey du Canada reconnaît qu'avoir eu
des parents enseignants lui a fait bénéficier de certains
privilèges. Les parents de Hayley Wickenheiser ont aménagé une
patinoire dans leur cour et lui ont donné, dès son jeune âge,
des leçons particulières.
Tom Wickenheiser enseignait les mathématiques, les sciences et
l'éducation phsique. Marilyn Wickenheiser était à l'élémentaire
où elle enseignait aussi l'éducation physique. Toutes les
fins de semaine, ils allaient avec leurs enfants au gymnase en face de
chez eux.
«C'est sûr qu'on emmenait les enfants au gymnase plus souvent
que les autres parents, dit en riant Mme Wickenheiser. On avait
la clé!»
Elle pense que les valeurs qu'ils avaient acquises comme enseignants
ont pu pénétrer leur vie de famille.
«Ils ont appris ce qu'était l'engagement et l'établissement
d'objectifs, parce que dans l'enseignement, on travaille toujours pour
l'avenir, on regarde où on s'en va avec les élèves.
Le même modèle sert incidemment à l'organisation
de la famille.» Elle ajoute que les enseignants incitent toujours
leurs élèves à faire du mieux qu'ils peuvent. «Je
crois que c'est une valeur capitale qu'ils ont pu acquérir à la
maison.»
Aucune coïncidence
D'aucuns croient que ce n'est pas une coïncidence que plusieurs
athlètes de calibre olympique aient des enseignants pour parents.
Jon Montgomery vise l'équipe olympique de skeleton de 2010.
Il a la vie dure en ce moment tandis qu'il essaie de concilier son emploi
comme vendeur d'autos aux enchères et son entraînement sans
appui financier.
Du gauche à droite
en partant du haut : Duff Gibson; Bill, Sharon, Danielle
et Jeremy Wotherspoon; Eldon, Jon et Joan Montgomery; Hayley et Marilyn
Wickenheiser
Son père, qui était le directeur d'une école de
la petite localité de Russell et son enseignant d'histoire et
de géographie, lui a donné une leçon qui lui est
restée : quand on commence quelque chose qu'on aime, il faut
continuer même si ça devient très difficile. Jon
maintient que sans l'influence de son père, il ne serait pas l'athlète
d'élite qu'il est maintenant.
«Je crois qu'il y a probablement une corrélation. Comme
enseignants, ils nous encouragent toujours à faire de notre mieux
et à croire en nous-mêmes.»
Inculquer des valeurs
Marty Shouldice, une autre enseignante, est du même avis. Son
fils Warren figure parmi les dix meilleurs skieurs acrobatiques au monde,
et elle croit que les qualités des athlètes d'élite
sont inculquées dès l'enfance.
«Je crois que les parents qui ont enseigné ont une influence
toute particulière sur leurs enfants, précise Marty Shouldice.
En donnant l'exemple et en insistant sur l'importance de l'éducation,
la discipline et la curiosité intellectuelle, les enseignants
transmettent leurs valeurs à leurs enfants.»
Milaine Thériault affirme qu'elle ne ferait pas partie de l'équipe
de ski de fond du Canada sans son père, qui enseignait les métiers
et entraînait des équipes sportives. C'est lui qui a formé le
club de ski de fond où Milaine a débuté.
À la fin de son secondaire, lorsqu'elle devait choisir entre
l'université ou le sport, son père lui a conseillé de
se concentrer sur le ski, lui disant qu'elle pouvait toujours se préoccuper
de ses études plus tard.
«Il m'a encouragée à exiger davantage de la vie.
Il m'a dit d'adopter le ski. Sans lui, je ne l'aurais pas fait.»
Avis partagés
Marilyn Wickenheiser croit que la détermination de sa fille Hayley
d'être la meilleure de sa discipline lui vient d'ailleurs.
«Je crois fermement que c'est en grande partie inné; mais
on peut bien sûr en favoriser l'épanouissement.»
La mère de Duff Gibson a aussi tendance à minimiser son
rôle.
«Je ne crois pas que le contexte joue un grand rôle. Je
crois que ça vient de l'enfant. Et puis, les résultats
qu'obtiennent les enseignants qui élèvent une famille ne
sont pas toujours bons. Il y a beaucoup d'enseignants que je ne voudrais
pas voir élever mes enfants.»
L'un des psychologues sportifs les plus réputés au Canada
a eu l'occasion d'en apprendre davantage sur la prédisposition
ou la stimulation des athlètes.
Débuts stimulants
Cal Botterill a travaillé avec de nombreux athlètes canadiens
depuis qu'il a terminé son doctorat en éducation physique
et en psychologie des sports. Sa femme, Doreen McCannell Botterill, ancienne
patineuse de vitesse olympique, est aussi enseignante. Leur fils Jason
a remporté trois fois le Championnat mondial junior de hockey
après avoir été préposé aux bâtons
pour les Oilers d'Edmonton où son père travaillait. Leur
fille Jennifer est l'une des étoiles de l'équipe olympique
de hockey du Canada. Cal Botterill dit avoir remarqué une tendance
chez les enfants des éducateurs, surtout de ceux qui entraînent
des équipes de sport ou enseignent l'éducation physique.
«La situation a souvent pour effet de stimuler les jeunes. Ils
sont exposés à des programmes d'élite, ce qui a
inspiré les meilleurs de nos athlètes et les a aidés à surmonter
leur timidité et à se dire "pourquoi pas moi".
Ces expériences initiales ont probablement beaucoup à voir
avec la réalisation ou pas du potentiel des enfants.»
Cependant, Cal Botterill met en garde les enseignants qui se mettraient
soudain à penser qu'ils produiront le prochain champion olympique.
«Les enseignants possèdent des connaissances sur le développement
de l'enfant et ont habituellement une meilleure idée des façons
de le stimuler. Mais il n'y a pas de garanties.»
M. Botterill fait remarquer que bien des athlètes ont débuté au
terrain de jeu ou en jouant des matchs improvisés dans la rue
avec leurs amis. Il déplore le fait que le sport soit devenu «beaucoup
trop organisé».
«Je crois que l'un des plus grands crimes contre le développement
des enfants est la disparition des joutes improvisées. La sécurité des
enfants en est la raison principale, mais c'est bien dommage. Il y a
beaucoup d'éléments du jeu libre qui ont un rôle
critique dans leur développement. Des choses comme la prise de
décision, la résolution de problème, la communication
et la créativité. Après tout, le jeu, c'est le travail
de l'enfant.»
Marilyn Wickenheiser enseigne encore à Calgary. Et elle croit
que les enseignants peuvent apprendre autre chose de sa propre expérience.
«On donne souvent beaucoup trop d'informations aux enfants et
pas assez de temps pour s'exercer. C'est la même chose en éducation
physique comme en mathématiques. De nos jours, le curriculum est
si rempli qu'on leur enseigne une chose après l'autre sans leur
donner le temps de les pratiquer. Ce n'est pas ce qu'il leur faut. Les
enfants ont besoin de faire et de refaire la même chose jusqu'à ce
qu'ils soient bons, jusqu'à ce qu'ils aient acquis une certaine
confiance.»
Ce sont là les paroles d'une enseignante qui sait ce qu'il faut
pour aider les enfants à réaliser leur potentiel. Elle
sera en Italie en février pour encourager sa fille Hayley et l'aider,
elle espère bien, à gagner sa deuxième médaille
d'or olympique d'affilée.
De gauche à droite
en partant du haut : Rick, Warren et Marty Shouldice; Doreen
McCannell répresentant le Canada dans une compétition
de patinage de vitesse; la famille Botteril : Cal, Doreen, Jennifer
et Jason
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