Manure & Magatogas

Vs en avé mar ke vo élèves écrivent en sms?

En plus, ils disent «capotant» pour qualifier l’incroyable et «écœurant» alors que c’est délicieux? Comment osent-ils s’en prendre ainsi à la langue?

La langue changera-t-elle à cause d’eux?

Peut-être que oui, peut-être que non. Une chose est sûre, toutefois : la langue a toujours été et sera toujours en évolution. Même les mots que vous employez chaque jour à l’école ne sont plus ce qu’ils étaient.

de Katherine Barber
illustrations de Sonia Roy, Colagene.com

School. Student. ( École. Étudiant. )

Étymologiquement, le premier signifie «repos, temps libre» et le second signifie «être enthousiaste, zélé, appliqué». Ha! Assez parlé d’étymologie, direz-vous. Attendez, je n’ai pas terminé. Un synonyme du mot «enseignant» désignait à l'origine un type d’esclave. Avez-vous l'impression parfois de tourner en rond en essayant de couvrir les sujets que le Ministère vous oblige à enseigner? L'étymologie y est pour quelque chose. L’histoire de la langue est plus riche que l’on pourrait penser. C'est l'anglais que nous passons ici sous la loupe, mais on ne peut parler de l'histoire de cette langue sans aussi parler de l'histoire du français, vu les expériences partagées des deux peuples. Si vous êtes parmi ceux qui doivent enseigner l'histoire de la langue, vous serez peut-être surpris d'apprendre qu'il est possible de la rendre très amusante; pour les autres, elle peut apporter de nouvelles façons d'aborder des concepts et d’intéresser les élèves. Si si, je vous assure.

Emprise du temps

Il y a très longtemps, les îles Britanniques étaient habitées par les Celtes avant d’être envahies par les Romains. Il n’est pas nécessaire de se souvenir de ces deux peuplades en prévision de l’examen final. (Ne vous ai-je pas dit que les élèves apprécieraient?) Mais qu’en est-il de tous ces mots anglais issus du latin? Les Romains ne parlaient-ils pas latin? En effet, mais tous ces mots latins ont été intégrés à l’anglais bien plus tard, et non quand les Romains occupaient le pays.

Pour l’examen final, retenez l’identité des envahisseurs suivants (vous vous doutiez bien que cela ne pouvait être si facile). Il s’agit de trois peuplades germaniques – les Angles, les Saxons et les Jutes – qui provenaient de régions situées aujourd’hui dans le sud du Danemark et le nord de l’Allemagne. Vers l’an 450, cherchant à améliorer leur sort, ils voguent vers l’ouest et arrivent à un endroit que l’on appelle, depuis, l’«Angle-terre». À l’instar de nombreux envahisseurs, ils sont plutôt arrogants et baptisent les Celtes qui se trouvent en Angleterre des «étrangers» (wealh en anglo-saxon) et les repoussent rapidement aux confins des îles Britanniques, notamment au pays que nous appelons aujourd’hui Wales en anglais (et «pays de Galles» en français), qui signifie littéralement «pays d’étrangers».

À ce jour, les termes que nous utilisons quotidiennement pour nommer les concepts de base de la vie humaine – eat (manger), house (maison), be (être), live (vivre), sans oublier teach (enseigner) et learn (apprendre) – sont issus des langues parlées par les Anglo-Saxons. La signification de base de bon nombre de ces mots est demeurée la même, ou à peu près, au cours des quinze siècles suivants. Teach, par exemple, signifiait à l’origine «montrer» (et teacher [enseignant] a pendant une brève période désigné l’index, qui sert à pointer du doigt), mais ce mot a très rapidement revêtu sa signification actuelle. Vous vous êtes peut-être déjà demandé pourquoi raught n’est pas le passé de reach, alors que taught est le passé de teach? En fait, cela a déjà été le cas, mais, à une certaine époque au Moyen Âge, reach est devenu un verbe régulier, alors que teach est demeuré obstinément irrégulier, en dépit d’efforts déployés par certains utiliser la forme teached. Serait-il possible que les enseignants agissaient de façon intéressée, les irrégularités de la langue leur garantissant un emploi?

«Pendant de nombreux siècles, toutes les discussions de la classe dirigeante ont lieu en français.»

Les Vikings, qui commencent à débarquer vers l’an 800, parlent le vieux norrois, une langue germanique semblable à l’anglo-saxon. Ils s’installent pour la plupart dans la région qui correspond aujourd’hui au nord-est de l’Angleterre et au sud de l’Écosse, ce qui explique dans une certaine mesure pourquoi les gens de Coronation Street ne s’expriment pas comme la reine Elizabeth. De nombreux mots vikings sont encore en usage dans le Nord sans toutefois faire partie du vocabulaire anglais international, davantage issu de l’anglais du Sud. Mais d’autres mots ont infiltré le Sud. De nombreux mots vikings commencent par le son «sk» (pensons à leur pays d’origine, la Scandinavie), alors que les mots anglo-saxons apparentés commencent plutôt par le son «sh». Prenons pour exemple les mots skirt (jupe) et shirt (chemise) qui, à l’origine, désignaient la même longue blouse, le premier étant en vieux norrois et le second, étant le mot anglo-saxon. Certaines cultures se seraient peut-être senties obligées de choisir un mot ou un autre, mais si l’on fait un parallèle avec le slogan «réduire, réutiliser, recycler», les anglophones n’ont jamais été du type à «réduire». À croire qu’ils se sont dit «Hé, si nous conservons les deux variantes, skirt et shirt, nous obtenons… un ensemble!» L'anglais adore les synonymes et les distinctions subtiles.

À cet égard, les anglophones ont d’ailleurs été très gâtés par la suite de l’histoire de l’Angleterre.

Influences des conquêtes

Cela se passe en 1066. Les Normands, sous Guillaume le Conquérant, vainquent le roi anglo-saxon Harold à la Bataille de Hastings et deviennent la classe dirigeante de l’Angleterre. Pendant de nombreux siècles par la suite, le français est la langue officielle pour tout ce qui relève du gouvernement, de la justice, du système monétaire et de toute autre préoccupation de la classe dirigeante.  De fait, les termes anglais government, justice et money sont issus du français et non de l’anglo-saxon.

Bien que de nombreux mots anglo-saxons survivent à l’invasion normande, certains, comme magatoga, charmant mot anglo-saxon signifiant «enseignant», perdent la bataille contre le français et sont éliminés de l’usage. Il existe cependant une troisième catégorie de mots qui ne sont ni disparus du vocabulaire ni demeurés essentiels; ils ont simplement conservé une place secondaire dans la langue, souvent utilisés comme synonymes peu fréquents de mots français.

Prenons pour exemple des Anglo-Saxons qui faisaient la fête, buvaient trop et s’évanouissaient. Pour décrire la situation, ils utilisaient le mot swoon. Vous conviendrez que swoon n’est plus un mot essentiel à la langue anglaise. La raison pour laquelle les anglophones n'utilisent pas le mot swoon en s'adressant à  leur médecin est que les Français sont arrivés et utilisaient plutôt le mot faint (participe passé en ancien français de «feindre», signifiant à l'origine «faire semblant d'être malade») pour décrire le même état. Jamais les Anglais n’auraient mis de côté un bon mot comme swoon, qui pouvait servir à désigner un autre concept. Pourquoi les Anglais ont-ils besoin d’un mot pour décrire la «perte de conscience dans des circonstances particulièrement romantiques»? Je n’en ai aucune idée, mais une abondance de synonymes ne peut nuire.

Pour décrire nos parents immédiats, nous utilisons des mots anglo-saxons. Au degré suivant de parenté, nous avons aunt, uncle, nephew, niece, cousin, tous issus du français (tante, oncle, neveu, nièce, cousin).

Les Anglo-Saxons côtoyant les Français, l’anglais est devenu une langue exceptionnellement hybride, combinant des assises germaniques (Anglo-Saxons et Vikings) et romanes ou latines (Français). D’ailleurs, les mots utilisés en anglais pour décrire les membres d’une famille sont révélateurs. Pour décrire les parents immédiats, on utilise mother (mère), father (père), sister (sœur), brother (frère), child (enfant), tous des mots anglo-saxons. Au degré suivant de parenté, on utilise aunt, uncle, nephew, niece, cousin, tous issus du français (tante, oncle, neveu, nièce, cousin). Cet exemple illustre assez bien la généralisation à l’emporte-pièce selon laquelle les mots qui désignent ce qui est essentiel sont le plus souvent anglo-saxons, alors que ceux qui désignent des concepts un peu moins importants sont issus du français. Grandmother (grand-mère), grandfather (grand-père), grandson (petit-fils), granddaughter (petite-fille) et grandchild (petit-enfant) sont tous des hybrides parfaits, «grand» étant français et le reste du mot étant anglo-saxon. Ainsi, l’histoire de l'anglais transparaît jusque dans la famille.

«Je suis certaine qu’il ne vous est jamais venu à l’esprit de couvrir vos élèves de fumier.»

Lorsque nous affirmons que le français est issu du latin, nous ne faisons pas toujours référence au latin classique de Cicéron et de Virgile. Le français est en fait issu d’un latin «populaire» ou «vulgaire», langue parlée par les soldats romains et les vendeurs du marché, ainsi que leurs épouses – une sorte d’argot, en fait. L’évolution du mot latin classique testa (récipient) en est un bon exemple. Les francophones utilisaient ce mot (les anglophones l’ont par la suite emprunté) pour désigner le creuset qui servait à déterminer la pureté de l’or. À l’époque de Shakespeare, ce mot est devenu métaphorique, et l’on utilisait le mot test pour désigner la vérification de la qualité ou de la nature de quelque chose.

Bien plus tard, parallèlement à l’introduction de la scolarité obligatoire à la fin du XIXe siècle, le mot est entré dans l’usage dans le milieu scolaire pour désigner cette épreuve tant détestée des élèves. Mais le mot latin testa a également évolué d’une autre façon. En argot latin, ce mot était utilisé pour désigner la tête d’une personne (comme nous utilisons «fiole» en français). C’est pourquoi en français nous utilisons «tête» plutôt qu’un dérivé du mot latin classique équivalent, caput. L’accent circonflexe indique un «s» manquant; en ancien français, le mot s’écrit teste, et une personne têtue était appelée testif. De têtu, obstiné et impétueux, il n’y avait qu’un pas à franchir pour obtenir le mot anglais testy, qui signifie irritable, grincheux.

Simplification

Les mots latins polysyllabiques ont été beaucoup simplifiés dans l’ancienne Gaule, habituellement en supprimant quelques consonnes centrales. C’est maintenant que l’on saisit le lien entre le fumier (manure) et l’éducation. Les Français ont comprimé la phrase latine manu operari («travailler avec la main»), ce qui a donné en ancien français manouvrer, qui signifiait «cultiver la terre». Les Anglais l’ont réduit en manourer, et l’ont utilisé pour signifier « cultiver la terre en l'enduisant de fumier » mais aussi au figuré pour signifier «cultiver l’esprit, l’intelligence». Je suis certaine qu’il ne vous est jamais venu à l’esprit de couvrir vos élèves de fumier! En anglais, l’association avec les excréments est rapidement devenue trop répandue pour qu’une autre signification soit possible.

Vous avez sans doute déduit que manouvrer est à l’origine de manoeuvre, mot emprunté par l'anglais directement au français moderne beaucoup plus tard. La langue anglaise regorge de tels doublons lexicaux (et même triplets), de mots de même origine ayant été intégrés à la langue à des époques et dans des contextes différents.

La différence entre le français normand et le français parisien est également à l’origine de doublons de ce type. Certains mots français (très peu nombreux, en fait) ne sont pas issus du latin, mais d’une autre langue germanique, le francique. Les Francs, qui vivaient dans le sud de l’Allemagne, envahissent la Gaule environ à la même époque que l’Angleterre est envahie par les Angles et compagnie. Puis, les Vikings envahissent la Normandie, lui insufflant une dose supplémentaire de langue germanique. Cette donnée historique est très importante, comme le confirme la fascinante histoire du mot wallop.

Nombreux sont les mots anglais qui ont une origine française, en grande partie du fait de la conquête des îles Britanniques par Guillaume le Conquérant, en 1066.

L’expression francique wala hlaupan («bien sauter ou courir»), apparentée aux mots germaniques desquels sont issus les mots anglais well (bien) et leap (sauter), est d’abord comprimée sous la forme waloper par les Français normands pour décrire un cheval au galop. Dans l’Angleterre post-Conquête, comme ce sont les Français qui sont suffisamment riches pour élever des chevaux de selle, les mots anglais servant à décrire les notions équestres cèdent graduellement leur place aux mots français correspondants. Tout au long du Moyen Âge, les chevaux walopent donc sur les chemins de l’Angleterre. Mais, pendant ce temps, dans le centre de la France, les gens qui n’ont pas été en contact avec la langue germanique des Vikings n’arrivent pas à prononcer les nombreux mots franciques commençant par la lettre «w». Ils ajoutent un «g» initial, histoire de mettre toutes les chances de leur côté. Après un certain temps, le phonème «gw» étant fastidieux à prononcer, le mot waloper devient galoper en français parisien. Dans les années 1500, les Anglais décident que leurs chevaux ne walopent plus, mais galopent plutôt, à la manière des chic montures parisiennes. Ils ne se débarrassent toutefois pas du mot wallop (les Anglais ne sont pas gaspilleurs); ils le conservent pour désigner le son que fait le cheval au galop. Ce son s’apparente à celui obtenu lorsque l’on flanque une taloche à quelqu’un, ce qui explique la signification actuelle du mot anglais wallop.

Il existe en anglais de nombreux exemples de telles paires de mots, l’un commençant par un «w» et l’autre commençant par un «g». Pourquoi utiliser warranty et guarantee, dont la signification est pratiquement la même mais dont l'orthographe est suffisamment différente pour nous compliquer la vie? Il s’agit du même phénomène : warranty, mot relatif à l’argent, est emprunté aux Normands, puis quelques siècles plus tard, guarantee est emprunté aux Français du centre. Le «u» muet est un vestige de l’époque où l’on prononçait encore «gwarantie» en ancien français. En français moderne, la prononciation est «garantie», sans «w». La prononciation française a évolué et l’orthographe a suivi. Les anglophones n’ont toutefois pas emboîté le pas. Si l’orthographe anglaise est si délirante, c’est qu’elle est encore teintée de prononciations en ancien français.

Mais vous n’avez rien vu : la situation est devenue encore plus déjantée à la Renaissance. C’est à suivre!

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