de Suzanne Blake, EAO
de Suzanne Blake, EAO
de Gabrielle Bauer
de Karen Horsman
de Katherine Barber
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Manure & Magatogas
Vs en avé mar ke vo élèves écrivent
en sms?
En plus, ils disent «capotant» pour qualifier l’incroyable et «écœurant»
alors que c’est délicieux? Comment osent-ils s’en prendre ainsi à
la langue?
La langue changera-t-elle à cause d’eux?
Peut-être que oui, peut-être que non. Une chose est sûre, toutefois :
la langue a toujours été et sera toujours en évolution. Même
les mots que vous employez chaque
jour à l’école ne sont plus ce qu’ils étaient.
de Katherine Barber
illustrations de Sonia Roy, Colagene.com
School. Student. ( École. Étudiant. )
Étymologiquement, le premier signifie «repos, temps libre» et le second signifie
«être enthousiaste, zélé, appliqué». Ha! Assez parlé d’étymologie, direz-vous.
Attendez, je n’ai pas terminé. Un synonyme du mot «enseignant» désignait à
l'origine un type d’esclave. Avez-vous l'impression parfois de tourner en rond
en essayant de couvrir les sujets que le Ministère vous oblige à enseigner?
L'étymologie y est pour quelque chose. L’histoire de la langue est plus riche
que l’on pourrait penser. C'est l'anglais que nous passons ici sous la loupe,
mais on ne peut parler de l'histoire de cette langue sans aussi parler de l'histoire
du français, vu les expériences partagées des deux peuples. Si vous êtes parmi
ceux qui doivent enseigner l'histoire de la langue, vous serez peut-être surpris
d'apprendre qu'il est possible de la rendre très amusante; pour les autres,
elle peut apporter de nouvelles façons d'aborder des concepts et d’intéresser
les élèves. Si si, je vous assure.
Emprise du temps
Il y a très longtemps, les îles Britanniques étaient habitées par
les Celtes avant d’être envahies par les Romains. Il n’est pas nécessaire
de se souvenir de ces deux peuplades en prévision de l’examen final.
(Ne vous ai-je pas dit que les élèves apprécieraient?) Mais qu’en est-il
de tous ces mots anglais issus du latin? Les Romains ne parlaient-ils
pas latin? En effet, mais tous ces mots latins ont été intégrés à l’anglais
bien plus tard, et non quand les Romains occupaient le pays.
Pour l’examen final, retenez l’identité des envahisseurs suivants
(vous vous doutiez bien que cela ne pouvait être si facile). Il s’agit
de trois peuplades germaniques – les Angles, les Saxons et les
Jutes – qui provenaient de régions situées aujourd’hui dans le sud
du Danemark et le nord de l’Allemagne. Vers l’an 450, cherchant à améliorer
leur sort, ils voguent vers l’ouest et arrivent à un endroit que l’on
appelle, depuis, l’«Angle-terre». À l’instar de nombreux envahisseurs,
ils sont plutôt arrogants et baptisent les Celtes qui se trouvent en
Angleterre des «étrangers» (wealh en anglo-saxon) et les repoussent rapidement
aux confins des îles Britanniques, notamment au pays que nous appelons
aujourd’hui Wales en anglais (et «pays de Galles» en français), qui
signifie littéralement «pays d’étrangers».
À ce jour, les termes que nous utilisons quotidiennement pour nommer
les concepts de base de la vie humaine – eat (manger), house (maison),
be (être), live (vivre), sans oublier teach (enseigner)
et learn (apprendre)
– sont issus des langues parlées par les Anglo-Saxons. La signification
de base de bon nombre de ces mots est demeurée la même, ou à peu près,
au cours des quinze siècles suivants. Teach, par exemple, signifiait
à l’origine «montrer» (et teacher [enseignant] a pendant une
brève période désigné l’index, qui sert à pointer du doigt), mais ce
mot a très rapidement revêtu sa signification actuelle. Vous vous êtes
peut-être déjà demandé pourquoi raught n’est pas le passé de reach,
alors que taught est le passé de teach? En fait, cela a déjà
été le cas, mais, à une certaine époque au Moyen Âge, reach est devenu
un verbe régulier, alors que teach est demeuré obstinément irrégulier,
en dépit d’efforts déployés par certains utiliser la forme teached. Serait-il possible que les enseignants agissaient de
façon intéressée, les irrégularités de la langue leur garantissant
un emploi?
«Pendant de nombreux siècles, toutes les discussions
de la classe dirigeante ont lieu en français.»
Les Vikings, qui commencent à débarquer vers l’an 800, parlent
le vieux norrois, une langue germanique semblable à l’anglo-saxon.
Ils s’installent pour la plupart dans la région qui correspond aujourd’hui
au nord-est de l’Angleterre et au sud de l’Écosse, ce qui explique
dans une certaine mesure pourquoi les gens de Coronation Street ne
s’expriment pas comme la reine Elizabeth. De nombreux mots vikings sont encore
en usage dans le Nord sans toutefois faire partie du vocabulaire anglais
international, davantage issu de l’anglais du Sud. Mais d’autres mots
ont infiltré le Sud. De nombreux mots vikings commencent par le son
«sk» (pensons à leur pays d’origine, la Scandinavie), alors que les
mots anglo-saxons apparentés commencent plutôt par le son «sh». Prenons
pour exemple les mots skirt (jupe) et shirt (chemise) qui, à l’origine,
désignaient la même longue blouse, le premier étant en vieux norrois
et le second, étant le mot anglo-saxon. Certaines cultures se seraient
peut-être senties obligées de choisir un mot ou un autre, mais si l’on
fait un parallèle avec le slogan «réduire, réutiliser, recycler», les
anglophones n’ont jamais été du type à «réduire». À croire qu’ils se
sont dit «Hé, si nous conservons les deux variantes, skirt et shirt,
nous obtenons… un ensemble!» L'anglais adore les synonymes
et les distinctions subtiles.
À cet égard, les anglophones ont d’ailleurs été très gâtés par la suite de l’histoire
de l’Angleterre.
Influences des conquêtes
Cela se passe en 1066. Les Normands, sous Guillaume le Conquérant, vainquent
le roi anglo-saxon Harold à la Bataille de Hastings et deviennent la classe
dirigeante de l’Angleterre. Pendant de nombreux siècles par la suite, le français
est la langue officielle pour tout ce qui relève du gouvernement, de la justice,
du système monétaire et de toute autre préoccupation de la classe dirigeante. De
fait, les termes anglais government, justice et money sont
issus du français et non de l’anglo-saxon.
Bien que de nombreux mots anglo-saxons survivent à l’invasion normande, certains,
comme magatoga, charmant mot anglo-saxon signifiant «enseignant»,
perdent la bataille contre le français et sont éliminés de l’usage. Il existe
cependant une troisième catégorie de mots qui ne sont ni disparus du vocabulaire
ni demeurés essentiels; ils ont simplement conservé une place secondaire dans
la langue, souvent utilisés comme synonymes peu fréquents de mots français.
Prenons pour exemple des Anglo-Saxons qui faisaient la fête, buvaient trop
et s’évanouissaient. Pour décrire la situation, ils utilisaient le mot swoon.
Vous conviendrez que swoon n’est plus un mot essentiel à la langue
anglaise. La raison pour laquelle les anglophones n'utilisent pas le mot swoon en
s'adressant à leur médecin est que les Français sont arrivés et utilisaient
plutôt le mot faint (participe passé en ancien français de «feindre»,
signifiant à l'origine «faire semblant d'être malade») pour décrire le même
état. Jamais les Anglais n’auraient mis de côté un bon mot comme swoon,
qui pouvait servir à désigner un autre concept. Pourquoi les Anglais ont-ils
besoin d’un mot pour décrire la «perte de conscience dans des circonstances
particulièrement romantiques»? Je n’en ai aucune idée, mais une abondance de
synonymes ne peut nuire.
Pour décrire nos parents immédiats, nous utilisons des mots anglo-saxons.
Au degré suivant de parenté, nous avons aunt, uncle, nephew, niece,
cousin, tous issus du français (tante, oncle, neveu, nièce, cousin).
Les Anglo-Saxons côtoyant les Français, l’anglais est devenu une langue exceptionnellement
hybride, combinant des assises germaniques (Anglo-Saxons et Vikings) et romanes
ou latines (Français). D’ailleurs, les mots utilisés en anglais pour décrire
les membres d’une famille sont révélateurs. Pour décrire les parents immédiats,
on utilise mother (mère), father (père), sister (sœur), brother (frère), child (enfant),
tous des mots anglo-saxons. Au degré suivant de parenté, on utilise aunt, uncle, nephew, niece, cousin,
tous issus du français (tante, oncle, neveu, nièce, cousin). Cet exemple illustre
assez bien la généralisation à l’emporte-pièce selon laquelle les mots qui
désignent ce qui est essentiel sont le plus souvent anglo-saxons, alors que
ceux qui désignent des concepts un peu moins importants sont issus du français. Grandmother (grand-mère), grandfather (grand-père), grandson (petit-fils), granddaughter (petite-fille)
et grandchild (petit-enfant) sont tous des hybrides parfaits, «grand»
étant français et le reste du mot étant anglo-saxon. Ainsi, l’histoire de l'anglais transparaît jusque dans la famille.
«Je suis certaine qu’il ne vous est jamais venu à l’esprit
de couvrir vos élèves de fumier.»
Lorsque nous affirmons que le français est issu du latin, nous ne faisons
pas toujours référence au latin classique de Cicéron et de Virgile. Le français
est en fait issu d’un latin «populaire» ou «vulgaire», langue parlée par les
soldats romains et les vendeurs du marché, ainsi que leurs épouses – une
sorte d’argot, en fait. L’évolution du mot latin classique testa (récipient)
en est un bon exemple. Les francophones utilisaient ce mot (les anglophones
l’ont par la suite emprunté) pour désigner le creuset qui servait à déterminer
la pureté de l’or. À l’époque de Shakespeare, ce mot est devenu métaphorique,
et l’on utilisait le mot test pour désigner la vérification de la
qualité ou de la nature de quelque chose.
Bien plus tard, parallèlement à l’introduction de la scolarité obligatoire
à la fin du XIXe siècle, le mot est entré dans l’usage dans le milieu
scolaire pour désigner cette épreuve tant détestée des élèves. Mais le mot
latin testa a également évolué d’une autre façon. En argot latin,
ce mot était utilisé pour désigner la tête d’une personne (comme nous utilisons
«fiole» en français). C’est pourquoi en français nous utilisons «tête» plutôt
qu’un dérivé du mot latin classique équivalent, caput. L’accent circonflexe
indique un «s» manquant; en ancien français, le mot s’écrit teste,
et une personne têtue était appelée testif. De têtu, obstiné et impétueux,
il n’y avait qu’un pas à franchir pour obtenir le mot anglais testy, qui
signifie irritable, grincheux.
Simplification
Les mots latins polysyllabiques ont été beaucoup simplifiés dans l’ancienne
Gaule, habituellement en supprimant quelques consonnes centrales. C’est maintenant
que l’on saisit le lien entre le fumier (manure) et l’éducation. Les
Français ont comprimé la phrase latine manu operari («travailler avec
la main»), ce qui a donné en ancien français manouvrer, qui signifiait
«cultiver la terre». Les Anglais l’ont réduit en manourer, et l’ont
utilisé pour signifier « cultiver la terre en l'enduisant de fumier »
mais aussi au figuré pour signifier «cultiver l’esprit, l’intelligence». Je
suis certaine qu’il ne vous est jamais venu à l’esprit de couvrir vos élèves
de fumier! En anglais, l’association avec les excréments est rapidement devenue
trop répandue pour qu’une autre signification soit possible.
Vous avez sans doute déduit que manouvrer est à l’origine de manoeuvre,
mot emprunté par l'anglais directement au français moderne beaucoup plus tard.
La langue anglaise regorge de tels doublons lexicaux (et même triplets), de
mots de même origine ayant été intégrés à la langue à des époques et dans des
contextes différents.
La différence entre le français normand et le français parisien est également
à l’origine de doublons de ce type. Certains mots français (très peu nombreux,
en fait) ne sont pas issus du latin, mais d’une autre langue germanique, le
francique. Les Francs, qui vivaient dans le sud de l’Allemagne, envahissent
la Gaule environ à la même époque que l’Angleterre est envahie par les Angles
et compagnie. Puis, les Vikings envahissent la Normandie, lui insufflant une
dose supplémentaire de langue germanique. Cette donnée historique est très
importante, comme le confirme la fascinante histoire du mot wallop.
Nombreux sont les mots anglais qui ont une origine française, en
grande partie du fait de la conquête des îles Britanniques par Guillaume
le Conquérant, en 1066.
L’expression francique wala hlaupan («bien sauter ou courir»), apparentée
aux mots germaniques desquels sont issus les mots anglais well (bien)
et leap (sauter), est d’abord comprimée sous la forme waloper par
les Français normands pour décrire un cheval au galop. Dans l’Angleterre post-Conquête,
comme ce sont les Français qui sont suffisamment riches pour élever des chevaux
de selle, les mots anglais servant à décrire les notions équestres cèdent graduellement
leur place aux mots français correspondants. Tout au long du Moyen Âge, les
chevaux walopent donc sur les chemins de l’Angleterre. Mais, pendant
ce temps, dans le centre de la France, les gens qui n’ont pas été en contact
avec la langue germanique des Vikings n’arrivent pas à prononcer les nombreux
mots franciques commençant par la lettre «w». Ils ajoutent un «g» initial,
histoire de mettre toutes les chances de leur côté. Après un certain temps,
le phonème «gw» étant fastidieux à prononcer, le mot waloper devient galoper en
français parisien. Dans les années 1500, les Anglais décident que leurs chevaux
ne walopent plus, mais galopent plutôt, à la manière des
chic montures parisiennes. Ils ne se débarrassent toutefois pas du mot wallop (les
Anglais ne sont pas gaspilleurs); ils le conservent pour désigner le son que
fait le cheval au galop. Ce son s’apparente à celui obtenu lorsque l’on flanque
une taloche à quelqu’un, ce qui explique la signification actuelle du mot anglais wallop.
Il existe en anglais de nombreux exemples de telles paires de mots, l’un commençant
par un «w» et l’autre commençant par un «g». Pourquoi utiliser warranty et guarantee,
dont la signification est pratiquement la même mais dont l'orthographe est
suffisamment différente pour nous compliquer la vie? Il s’agit du même phénomène : warranty,
mot relatif à l’argent, est emprunté aux Normands, puis quelques siècles plus
tard, guarantee est emprunté aux Français du centre. Le «u» muet est
un vestige de l’époque où l’on prononçait encore «gwarantie» en ancien français.
En français moderne, la prononciation est «garantie», sans «w». La prononciation
française a évolué et l’orthographe a suivi. Les anglophones n’ont toutefois
pas emboîté le pas. Si l’orthographe anglaise est si délirante, c’est qu’elle
est encore teintée de prononciations en ancien français.
Mais vous n’avez rien vu : la situation est devenue encore plus déjantée
à la Renaissance. C’est à suivre!
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