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Nous sommes tous familiers avec le concept de devoirs, mais est-ce là une méthode appropriée? Les devoirs favorisent-ils l’apprentissage ou se substituent-ils au travail en classe?
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de Philippa Davies Samedi matin, 11 h 40. Jane et sa mère sont barricadées dans leur cuisine exiguë depuis un bout de temps. Jane, huit ans, s’effondre sur une montagne de livres et de papier répandue sur la table à laquelle est assise. Le manuel d’exercice de mathématiques est ouvert à la page 21. «Ensemble, vous avez 36 côtés qui forment un nombre égal de carrés et...» Les épaules haletantes, Jane laisse s’échapper un sanglot. Sa mère, Sara, s’arrête à peine en retirant le dernier biscuit de la tôle à biscuits pour le mettre à refroidir. Elles se sont mises à la tâche dès 9 h ce matin et Jane en est toujours à la première page. Sara et Jane se demandent si elles sont les seules à faire des devoirs en ce samedi matin. La plupart des enfants ont des devoirs à faire, et bon nombre s’en plaignent. Nous avons tous eu des devoirs à faire quand nous étions à l’école. Or, des éducateurs, des chercheurs et des parents se demandent si on n’en exige pas trop de certains élèves. La sœur aînée de Jane, maintenant en 5e année à la même école du centre-ville de Toronto, ramène à la maison de deux à trois heures de devoir par soir. «C’est à se demander si nous nous y prenons de la mauvaise façon, se demande Sara, mais j’en avais assez et j’ai décidé d’en parler à d’autres parents. Ils se retrouvent tous dans une situation semblable. C’est difficile quand les deux parents travaillent à l’extérieur. Nous voulons aussi offrir la possibilité à nos filles d’explorer d’autres intérêts en dehors de l’école, comme la musique ou les Guides. On commence à se demander s’il reste du temps pour se reposer?» Jack a sept ans et vient de commencer la 1re année. Il partage une friandise aux pommes avec son père, Mark, tout en se penchant sur la couverture or et pourpre du livre d’histoire. Le petit trébuche sur ses mots en lisant l’histoire à haute voix, mais chaque mot lu représente une victoire. Le père fait bien attention de lui souffler les réponses. Les victoires sont petites mais combien valorisantes. «J’apprécie vraiment le temps passé avec Jack, ajoute le père de trois enfants qui travaille à domicile. Parfois, pourtant, cela devient difficile quand j’ai des délais serrés à respecter, que ma femme est en voyage d’affaires et que mes deux plus vieux ont aussi des projets à réaliser. Ça fait beaucoup de pression à supporter.» De retour dans la cuisine de Sara, Jane a cinq autres pages de devoirs. Et l’épicerie n’est toujours pas faite, et le chien va et vient sur le tapis. «J’aimerais tant que les enfants puissent passer la journée dehors, mais cela n’est tout simplement pas possible.» Sara esquisse un sourire.
Sara n’est pas la seule à sentir que, peut-être, il existe de meilleurs moyens pour occuper les temps libres de ses enfants que les devoirs. Au cours des deux dernières années, le National Post, The New York Times et Time Magazine ont tous publié des articles sur le sujet qui exprimaient diverses inquiétudes. Le Times parlait du district scolaire de Piscaway au New Jersey qui, l’automne dernier, limitait la quantité de devoirs à la maison à 30 minutes par soir, à l’élémentaire, et déconseillait fortement l’affectation de devoirs les week-ends. Le Conseil scolaire de district Near North n’a pas de politique sur les devoirs, mais de nombreuses écoles ont établi leurs propres lignes directrices. Le Conseil scolaire de district de Lakehead n’encourage pas l’établissement d’une politique en ce sens, mais des écoles de la région – Nor’wester View et Five Mile, par exemple – proposent chacune leur politique qui interdit que l’on donne un devoir supplémentaire aux élèves avant la 5e année. Par ailleurs, il n’existe pas de lignes directrices claires à cet égard au Conseil des écoles publiques de l’Est de l’Ontario, mais certaines écoles ont des règles très strictes quant à la remise des devoirs. Un porte-parole du conseil a toutefois ajouté que la question était à l’étude au conseil et qu’une politique à l’échelon du conseil pourrait s’appliquer à toutes ses écoles.
The End of Homework , publié en août 2000 par Beacon Press, est devenu l’un des principaux éléments du débat sur les devoirs. Les auteurs, John Buell et Etta Kralovec, deux formateurs d’enseignants au College of the Atlantic, ont retenu l’attention des médias et du public et ainsi alimenté une discussion dans la presse en remettant en question la légitimité des points de vue traditionnels sur la valeur des devoirs. Comme le soulignait Suzanne Ziegler dans son rapport de recherche sur les devoirs publié en 1986 pour le compte du Conseil de l’éducation de Toronto, «la participation des parents à l’éducation de leurs enfants est étroitement et positivement liée au rendement de l’élève». Or, de nombreuses recherches récentes affirment qu’il n’existe aucune preuve concluante que les devoirs eux-mêmes contribuent à la réussite scolaire à l’élémentaire. Harris Cooper, professeur en psychologie à l’Université Missouri-Columbia et l’un des chefs de file du domaine en Amérique du Nord, affirme que la recherche récente confirme nos conclusions de 1989. Pourtant, des enquêtes montrent que les enseignantes et enseignants donnent de plus en plus de devoirs. À l’Université du Michigan, une étude rendue publique l’an dernier montre que des jeunes âgés de six à neuf ans passaient 44 minutes à faire leur devoir par semaine en 1981 et qu’en 1997, ils y passaient près de deux heures. Le Conseil scolaire de district de Toronto recommande de dix à 30 minutes de devoir par jour la plupart du temps pour les élèves de la maternelle à la 3e année. Pourtant, Jane reçoit chaque semaine le vendredi des devoirs à remettre le lundi matin et nécessitant près de six heures de travail. Jack, en 1re année, consacre environ 30 minutes à la lecture par soir. Ce ne sont donc pas tous les enseignants et enseignantes qui suivent les lignes directrices de ce conseil. Vers 13 h, Jane recommence à sourire. Elle referme le cahier de mathématiques et ouvre le suivant sur l’écriture. Sa mère pousse un soupir de soulagement.
Certains enseignants et enseignantes disent qu’il est de plus en plus difficile de s’en tenir au nombre recommandé d’heures de devoirs. Ils affirment n’avoir pas eu le temps de s’adapter au nouveau matériel qu’ils doivent couvrir depuis la mise en œuvre du nouveau curriculum en septembre 1999.
Harris Cooper fait remarquer que les exigences des parents ont aussi une incidence dans cette équation. Il s’empresse d’ajouter qu’il pourrait y avoir des exagérations quant à la question de l’augmentation des devoirs. Une enquête américaine menée en octobre 2000 montrait que seulement 10 pour 100 des parents croyaient que leurs enfants avaient trop de devoirs à faire.
Pour Cooper, ces parents font partie d’une minorité qui sait se faire entendre en demandant des normes élevées et des défis pour leurs enfants et ce, afin qu’ils atteignent leurs propres objectifs socio-économiques. Ironiquement, ce sont souvent les mêmes parents qui exigeaient plus de devoirs par le passé. «Il existe un courant réactionnaire chez ces parents qui se plaignent du temps qu’ils doivent consacrer aux devoirs de leurs enfants», ajoute-t-il. Pourtant, Cooper ne rejette pas d’emblée les inquiétudes entourant les devoirs, tout spécialement pour les enfants qui ne reçoivent pas beaucoup d’aide à la maison. «Pour les enfants défavorisés, les devoirs peuvent créer des frustrations qui nuisent à l’apprentissage.» Dans The End of Homework, Kralovec et Buell affirment que les devoirs peuvent en fait favoriser des iniquités sociales. Les auteurs insistent sur le fait que les enfants ne proviennent pas tous du même milieu.
Même des parents fortement scolarisés ressentent de la pression quand les deux occupent des emplois exigeants qui entrent en conflit avec les attentes de l’école, soit de plus en plus de devoirs. Buell et Kralovec proposent une solution : «Si nous avons tous besoin d’un lieu tranquille et bien éclairé pour étudier, loin de la télévision, nous croyons qu’il existe un lieu tout indiqué qui répond à ces critères : l’école.»
Otto Weininger, professeur émérite au département d’éducation de la petite enfance à l’IEPO/UT, s’inquiète des exigences envers des enfants de plus en plus jeunes. «Je note un ressentiment évident envers les devoirs chez les parents et ce, dès qu’ils ont des enfants à la maternelle. Ce ressentiment peut faire naître des conflits entre un parent et un enfant, ce qui peut avoir des conséquences nuisibles pour le rendement scolaire à long terme de l’enfant.» David Booth n’est pas enthousiaste avec la hausse de la quantité de devoirs qui semble n’être appuyée d’aucune philosophie précise. Souvent une enseignante ou un enseignant demande de terminer à la maison le travail qui n’a pu l’être en classe. «Il serait bien que les devoirs deviennent un cours du programme de formation, appuyé par des objectifs clairs et éclairés.» Il a déjà formulé une proposition en ce sens à l’IEPO/UT, mais le processus est très lent. Entre-temps, des devoirs donnés sans objectifs clairs ou appropriés peuvent contribuer au sentiment de frustration et de négativité ressentis chez de nombreux enfants et leur famille. Il est cinq heures, les devoirs sont finis, du moins pour aujourd’hui. Jane est étendue par terre, sa tête collée au doux pelage blanc et beige du chien. La bataille contre les devoirs est terminée. Qui a gagné? Sara hésite : «Bien entendu, les devoirs viennent en premier, mais la famille se sent un peu trahie, surtout si on a passé le week-end à nettoyer et à faire des devoirs.» Jane regarde sa mère du tapis et lui sourit; sa mère lui renvoie son sourire. Après tout, demain, c’est dimanche. |
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