Faites-les deviner… et rester attentifs

Il est clair que les millions d’élèves qui ont somnolé pendant un cours sur l’économie de la Nouvelle-France n’ont jamais assisté à une classe d’histoire donnée par Mel Greif. Récipiendaire du Prix du Gouverneur général, il enseigne de tout son cœur et de toute son âme. 

 

de Wendy Harris

Les élèves sont perchés sur le bord de leur chaise, rient des blagues de Mel Greif et crient les réponses à la devinette qu’il vient de leur poser sur la prospérité et les loisirs dans le Québec du XVIIe siècle.

«Vous avez cette économie à la traîne, et ces bougres ne se remuaient pas, dit-il. C’était une situation économique très bizarre, ça n’avait pas de sens.»

Ce ne sont pas seulement les expressions imagées qu’il emploie à l’occasion qui maintiennent l’attention des élèves des CPO de Greif, à la Humberside Collegiate dans l’ouest de Toronto. C’est sa méthode. Pour la leçon d’aujourd’hui, il a créé un mystère autour d’une économie qui n’était basée ni sur l’agriculture, ni sur la pêche, la chasse, ou aucun des autres facteurs habituels. Et il laisse ses élèves approcher le mystère et deviner jusqu’à la fin de la leçon. Alors, ils veulent vraiment tout savoir.

Pour y arriver, il tourne autour de la période allant de 1663 à 1763, examine la façon dont divers historiens ont interprété les origines économiques du Canada français, et essaie de séparer les mythes des réalités de la Nouvelle-France. Il communique sa passion pour le sujet avec audace et parfois sans recours au jargon de spécialistes. Et il est complètement contagieux.

OBLIGÉS D’ÉCOUTER

Comme le dit un de ses élèves, même si vous n’avez pas envie d’étudier l’histoire du Canada, l’enthousiasme de Greif vous transporte. «Il sait vous intéresser sans relâche, et vous vous sentez obligés d’écouter. «Non seulement cela, ajoute-t-il, mais il est beaucoup plus malin que toi, alors il n’est pas question de faire l’idiot.»

Les élèves ne sont pas les seuls à avoir une haute opinion de l’aptitude de Greif à l’enseignement. Son cercle d’admirateurs s’étend maintenant officiellement à l’échelle nationale grâce à l’addition notable d’Adrienne Clarkson, qui lui a décerné en octobre 2001 le Prix du Gouverneur général pour l’excellence en enseignement de l’histoire canadienne. En plus d’une énorme médaille en bronze, il a reçu deux chèques : l’un de 5 000 $ à son nom (qu’il veut utiliser pour fonder une bourse étudiante) et l’autre de 5 000 $ pour l’école.

Ce prix, fondé en 1996 par la Société nationale d’histoire du Canada, récompense des enseignantes et des enseignants exceptionnels de l’histoire du Canada, et leur manière d’enseigner.

Greif est né à Prague peu après la Première Guerre mondiale et a passé les six premières années de sa vie dans un camp de réfugiés avant d’arriver au Canada. C’est cette expérience qui lui a donné une perspective d’immigrant qu’il a conservée toute sa vie, et, de ses propres dires, une bonne dose de cynisme et de subversion. Ainsi, alors que les règlements, les autorités et les gens bornés l’agacent, il ne cesse de s’étonner tel un enfant face aux possibilités offertes dans ce pays, à sa richesse, à sa diversité et à sa noble histoire.

Après avoir fini ses études d’histoire à l’Université de Toronto, Greif a commencé d’enseigner à Humberside en tant que stagiaire. Contrairement à une grande partie de ses compatriotes plus impatients, Greif a vu dans Humberside l’occasion d’utiliser l’école comme son laboratoire de recherche personnel pour réaliser ce qui le passionne vraiment, c’est-à-dire faire travailler les élèves sur le patrimoine que l’on trouve dans les églises locales, les rues, les écoles et les divers quartiers, afin qu’ils puissent s’approprier leur histoire d’une façon concrète.

DES COLLÈGUES DÉVOUÉS

Au cours de ses 31 ans à Humberside, et à titre de chef du secteur d’histoire et d’études contemporaines depuis 1989, il a mis en place le plus grand secteur d’enseignement de l’école, comprenant un groupe de 17 enseignants dévoués. Il explique qu’il se réinvente environ tous les cinq ans afin de pouvoir s’embarquer dans un nouveau projet historique à première vue irréalisable.

Mais là où l’imagination de Greif s’envole, c’est lorsqu’il s’agit d’enseigner au quotidien. À part la panoplie habituelle des dissertations, séminaires historiques et discussions, Greif a entraîné ses élèves sur le champ de bataille de Queenston Heights près de Niagara-on-the-Lake pour un pique-nique façon 1812; il les a conduits sur la scène de mystérieux meurtres dans les maisons historiques au centre-ville de Toronto; et les a encouragés à entreprendre des projets d’études indépendants portant souvent sur l’histoire enfouie, tapie dans les environs de l’école.

Cependant, malgré ses loyaux admirateurs, Greif ne cherche pas à former de disciples. Que ses élèves poursuivent une carrière en histoire ne l’intéresse pas vraiment non plus. «Ce que je veux vraiment faire, c’est favoriser une certaine compréhension du passé, des traditions, et une certaine appréciation des accomplissements du passé, dit-il. Je veux qu’ils soient émerveillés par la situation du Canada – qu’ils développent fierté et patriotisme.»

MURALES DE L’ÉCOLE

Greif raconte que, s’il avait du temps libre, il peindrait des aquarelles, ou s’occuperait plus de son jardin, ou se laisserait tenter par la conception et la fabrication de bijoux. Mais cela devra attendre. Pour le moment, il réserve ses initiatives les plus créatives pour encourager ses élèves à trouver leurs propres muses artistiques. Pendant presque 20 ans, il a veillé à la création, à tous les étages de Humberside, d’énormes murales montrant certains aspects de l’histoire du Canada (comme par exemple l’hommage aux Premières Nations au troisième étage, long de 60 pieds), ou reflétant des envolées fantaisistes, comme Enfer de Dante inspiré par William Blake ou Le songe d’une nuit d’été de Shakespeare.

Ce qui reste d’espace sur les murs est consacré à une collection de photos d’archives montrant l’histoire de Humberside. Il a recouvert d’autres murs d’images de divers historiens canadiens célèbres, y compris certains anciens d’Humberside comme Donald Creighton et A. L. Burt, qui ont obtenu leur diplôme en 1906. Greif ne s’est pas contenté de ne faire connaître qu’une bande de «mecs blancs déjà morts» à ses élèves : il a aussi mené campagne pour une collection de photos et de biographies de figures historiques et de modèles féminins, avec entre autres Adrienne Clarkson, Roberta Bondar, Rosalie Abella et Nellie McClung.

C’est la même Nellie McClung qui dit ces mots bien connus : «Ne te retire pas, ne t’explique pas, ne t’excuse pas – fais ce que tu dois faire et laisse hurler les autres.» Cette citation est facile à appliquer à Greif même. Ils hurlent parfois, mais la plupart du temps, ils l’applaudissent bien fort.

 

Le Prix du Gouverneur général pour l’excellence en enseignement de l’histoire canadienne n’est que l’une des réalisations des 31 années de l’illustre carrière de Mel Greif.

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