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Juin 1998

La violence chez les adolescents :

il faut commencer par le commencement

Clermont veut le camion. Il pousse Mathieu au sol et le lui enlève. Au terrain de jeu, Jean-Claude frappe Michel, le traite de bébé et l’avertit de n’en souffler mot à personne.

de Johanna Brand

Le jardin d’enfants et les terrains de jeux sont des endroits très violents. Les enseignantes et enseignants à bout de nerfs savent fort bien que ce ne sont pas tous les enfants qui savent se maîtriser en entrant à l’école.

Ce qu’ils ignorent peut-être, c’est qu’ils peuvent en faire beaucoup pour aider à modifier des comportements agressifs, et ce, à long terme. D’après des chercheurs de l’Institut canadien des recherches avancées, les bandes de jeunes que nous craignons à l’école secondaire naissent lorsqu’on n’apprend pas aux bambins à ne pas frapper.

L’agressivité chez les enfants ne disparaît pas d’elle-même.
À 15 ans, Clermont menacera peut-être quelqu’un avec un couteau pour avoir sa veste tandis que Jean-Claude fera peut-être partie d’une bande de délinquants. Et dans les années 90, il ne faudrait pas s’étonner de voir que la personne qui brandit le couteau se prénomme Jennifer ou Geneviève.

La violence chez les adolescents compromet la sécurité des écoles secondaires, et ce tant pour les élèves que pour le personnel. Selon le National School Boards Association (NSBA) aux États-Unis, les écoles américaines signalent une hausse de la violence au cours des dix dernières années. En 1994, 36 pour cent des écoles interrogées par le NSBA signalaient qu’elles employaient des agents de sécurité et 15 pour cent d’entre elles possédaient un détecteur d’armes à l’entrée.

Au Canada, le niveau de violence est moins élevé, mais des cas extrêmes de violence chez les adolescents font couler beaucoup d’encre dans les médias. Récemment, c’est l’histoire de Reena Virk, cette adolescente de 14 ans de la Colombie-Britannique battue à mort par ses camarades de classe, la plupart des filles, qui a défrayé la chronique.

Les spécialistes en sciences sociales prétendent qu’il n’y a pas de preuve concluante que des incidents de ce type deviennent plus fréquents. Par contre, l’intensité de la violence, elle, s’accroît.

Mauvais point de vue

Pour certains chercheurs, ces cas extrêmes cachent le vrai problème. Regarder uniquement du côté de la violence chez les adolescents, c’est comme regarder dans un téléscope par le mauvais bout.

«Le meurtre ce n’est que la pointe de l’iceberg. Pour éliminer ce genre de comportement chez les adolescents, il faut examiner ce qui sous-tend la rage, explique Richard Tremblay. Les adolescents violents ont déjà été des bambins violents qui n’ont pas appris à maîtriser leur agressivité. La plupart des études montrent que les adultes violents ont déjà été des enfants violents.»

Richard Tremblay est professeur de psychologie et de psychiatrie et directeur de l’unité de recherche sur la mésadaptation psychosociale des enfants à l’Université de Montréal. Il est actuellement boursier Molson à l’Institut canadien des recherches avancées.

Ses travaux sont financés en partie par le programme de développement humain de l’ICRA qui veut attirer l’attention sur l’importance de mettre en place un système d’appui pour les jeunes enfants et leur famille. Dan Keating, directeur du programme de développement humain de l’Institut, dit que l’investissement de la société à ce chapitre est largement insuffisant.

Les coûts sociaux associés à la dépression et aux comportements anti-sociaux chez les adolescents sont très élevés, explique
M. Keating. Il faut comprendre que c’est l’intervention dès la petite enfance qui comporte les meilleures chances de réussite.

Une occasion ratée

Selon M. Keating, nous ratons une occasion en or en ne portant pas suffisamment attention à cette étape du développement humain. Il cite le débat entourant la maternelle comme un exemple du manque de compréhension. Pour le personnel enseignant, en particulier, les résultats se mesurent par la volonté d’apprendre des élèves et par la diminution des comportements dérangeants dans la classe, comportements qui ont un effet sur la classe au complet.

M. Tremblay précise : «J’ai l’impression que la plupart des enseignantes et enseignants ne se rendent pas compte que les enfants agressifs ne nuisent pas qu’à leur propre apprentissage, mais qu’ils dérangent toute la classe.»

Pour les enfants qui n’ont pas appris à se maîtriser, les effets se font ressentir dans tous les aspects de leur vie, car leur comportement est lié à un faible rendement scolaire, à la solitude et à l’insécurité qui peuvent durer toute la vie.

Les enfants agressifs sont souvent rejetés, ce qui les entraîne dans un gouffre de plus en plus profond, explique Wendy Craig, professeure de psychologie à l’Université Queen’s. Parce qu’ils sont rejetés, ils n’ont pas l’occasion d’apprendre la socialisation auprès de leurs camarades mieux socialisés. «Les enfants rejetés se retrouvent entre eux et forment des bandes. Ils se soutiennent mutuellement et deviennent de plus en plus négatifs.»

Pour Mme Craig, ces enfants sont bien jusqu’en troisième année. D’après M. Tremblay, le rejet commence beaucoup plus tôt. «Personne ne veut jouer avec un enfant de trois, quatre ou cinq ans qui est agressif. Il est rejeté très tôt.»

«Déjà au jardin, nous constatons les liens qui se forment entre les enfants rejetés. Ils se retrouvent ensemble par défaut, mais ils ne sont pas encore délinquants à l’âge de cinq ou six ans. Les problèmes n’apparaissent que plus tard, lorsque ces enfants atteignent l’adolescence et qu’ils se déplacent plus librement.»

On reconnaît aussi leurs victimes dès la jeune enfance. «Quoiqu’on ait moins étudié cet aspect de l’équation, on sait que les victimes sont moins socialisées et qu’elles sont isolées et négligées», ajoute Mme Craig.

L’agression au féminin

Les filles deviennent-elles plus agressives? Certains chercheurs prétendent que oui, mais M. Tremblay dit que les données ne sont pas concluantes, surtout en ce qui concerne leur comportement en bande. À l’élémentaire, les filles qui sont agressives physiquement, à comparer à d’autres filles, le sont encore beaucoup moins que la plupart des garçons agressifs.

Chez les deux sexes, la violence naît du désir de dominer les autres, de leur être supérieur, deux qualités qui échappent aux personnes qui sont incapables de maîtriser leur agressivité.

Mme Craig explique que l’agressivité se manifeste différemment chez les filles. «Nous sommes plus conscients de l’agressivité masculine parce qu’elle est plus grave. Les filles sont peut-être aussi agressives que les garçons, mais ces derniers s’expriment plus violemment, avec des fusils et des couteaux, par exemple.» Les filles qu’elle a étudiées manifestent leur agressivité aux plans verbal et social. Elles pratiquent l’exclusion et la vengeance.

M. Tremblay enchaîne : «Les filles les plus agressives sont celles qui ratent leurs études et qui sont rejetées par les autres. Elles sont plus aptes à se lier à un copain agressif et à devenir enceinte pendant l’adolescence. Enfin, leurs enfants sont plus aptes à se retrouver à la salle d’urgence pour avoir été battus.»

Ainsi, la violence peut naître au sein de la famille et entraîner la pauvreté. Les enfants incapables de maîtriser leur agressivité abandonnent leurs études et sont plus aptes à adopter un comportement délinquant. En tant que parents, ils sont incapables d’enseigner la maîtrise de soi à leurs enfants, ce qui perpétue le cycle de violence familiale et de pauvreté, car une personne qui a de la difficulté à maîtriser son agressivité a moins de chances de conserver son emploi.

La recherche est concluante à savoir que le cycle peut être brisé, si l’intervention se fait tôt. Les enfants naissent avec différents degrés d’agressivité, mais M. Tremblay croit que le milieu détermine en grande partie ce qu’ils deviennent. Même des enfants très agressifs peuvent apprendre à se maîtriser, dit-il.

«Certains enfants montrent une grande force de caractère dès la naissance. S’ils sont élevés dans un milieu propice, ils apprennent à maîtriser leur agressivité et peuvent devenir très sociables et dynamiques, les chefs de file de demain. Par contre, si vous avez un enfant très actif que vous n’arrivez pas à contrôler dès le début, cela est d’autant plus difficile à faire plus tard.»

Le jardin d'enfants : premier champ de bataille

M. Tremblay fait remarquer que les adolescents sont en fait beaucoup moins violents physiquement que les jeunes enfants. «Lorsque nous étudions l’agressivité chez les enfants d’âge préscolaire, nous comptons le nombre d’incidents survenus au cours d’une période de 15 minutes. Dans le cas des adolescents, nous examinons les incidents survenus au cours de la dernière année.»

Mais les bambins ne sont pas menaçants. «Nous leur donnons des jouets de plastique et nous pouvons les contrôler physiquement. Les adolescents sont plus difficiles à contrôler et lorsqu’ils deviennent agressifs, ils risquent de faire de vrais dégâts.»

«Le personnel enseignant qui travaille auprès d’enfants d’âge préscolaire doit comprendre ce qui se passe. Son rôle n’est pas négligeable puisqu’il est bien placé pour reconnaître les enfants agressifs et il peut leur tendre une perche. Après tout, ces derniers ne demandent qu’à être aimés et ils apprennent très vite», explique M. Tremblay.

«Au Québec, nous avons mis en œuvre un programme de socialisation au jardin d’enfants dans des centaines d’écoles. Quand ils constatent qu’il y a moyen d’améliorer la dynamique dans la classe, les enseignants adoptent ces programmes de plein gré.»

On en demande beaucoup aux enseignantes et aux enseignants, rappelle Mme Craig. Ils sont surchargés et dépassés par tout ce qu’ils ont à faire. De plus, ils n’ont reçu aucune formation dans ce domaine. Ce programme constitue un bon point de départ.

L’Institut canadien des recherches avancées, l’université sans murs axée sur la recherche, de Fraser Mustard, travaille à mettre au point des programmes pour aider le personnel enseignant à apprendre la socialisation aux enfants de la maternelle, du jardin et de la 1re à la 4e année afin de réduire l’agressivité chez ces jeunes. Le prochain numéro de Pour parler profession renfermera un article sur les programmes utiles à ce chapitre.