Clermont
veut le camion. Il pousse Mathieu au sol et le lui enlève. Au terrain de jeu, Jean-Claude
frappe Michel, le traite de bébé et lavertit de nen souffler mot à
personne.
de Johanna Brand
Le jardin denfants et les terrains de jeux sont des
endroits très violents. Les enseignantes et enseignants à bout de nerfs savent fort bien
que ce ne sont pas tous les enfants qui savent se maîtriser en entrant à lécole.
Ce quils ignorent peut-être, cest
quils peuvent en faire beaucoup pour aider à modifier des comportements agressifs,
et ce, à long terme. Daprès des chercheurs de lInstitut canadien des
recherches avancées, les bandes de jeunes que nous craignons à lécole secondaire
naissent lorsquon napprend pas aux bambins à ne pas frapper.
Lagressivité chez les enfants ne disparaît pas
delle-même.
À 15 ans, Clermont menacera peut-être quelquun avec un couteau pour avoir sa veste
tandis que Jean-Claude fera peut-être partie dune bande de délinquants. Et dans
les années 90, il ne faudrait pas sétonner de voir que la personne qui brandit le
couteau se prénomme Jennifer ou Geneviève.
La violence chez les adolescents compromet la sécurité des
écoles secondaires, et ce tant pour les élèves que pour le personnel. Selon le National
School Boards Association (NSBA) aux États-Unis, les écoles américaines signalent une
hausse de la violence au cours des dix dernières années. En 1994, 36 pour cent des
écoles interrogées par le NSBA signalaient quelles employaient des agents de
sécurité et 15 pour cent dentre elles possédaient un détecteur darmes à
lentrée.
Au Canada, le niveau de violence est moins élevé, mais des
cas extrêmes de violence chez les adolescents font couler beaucoup dencre dans les
médias. Récemment, cest lhistoire de Reena Virk, cette adolescente de 14 ans
de la Colombie-Britannique battue à mort par ses camarades de classe, la plupart des
filles, qui a défrayé la chronique.
Les spécialistes en sciences sociales prétendent quil
ny a pas de preuve concluante que des incidents de ce type deviennent plus
fréquents. Par contre, lintensité de la violence, elle, saccroît.
Mauvais point de vue
Pour certains chercheurs, ces cas extrêmes cachent le vrai
problème. Regarder uniquement du côté de la violence chez les adolescents, cest
comme regarder dans un téléscope par le mauvais bout.
«Le meurtre ce nest que la pointe de liceberg.
Pour éliminer ce genre de comportement chez les adolescents, il faut examiner ce qui
sous-tend la rage, explique Richard Tremblay. Les adolescents violents ont déjà été
des bambins violents qui nont pas appris à maîtriser leur agressivité. La plupart
des études montrent que les adultes violents ont déjà été des enfants violents.»
Richard Tremblay est professeur de psychologie et de
psychiatrie et directeur de lunité de recherche sur la mésadaptation psychosociale
des enfants à lUniversité de Montréal. Il est actuellement boursier Molson à
lInstitut canadien des recherches avancées.
Ses travaux sont financés en partie par le programme de
développement humain de lICRA qui veut attirer lattention sur
limportance de mettre en place un système dappui pour les jeunes enfants et
leur famille. Dan Keating, directeur du programme de développement humain de
lInstitut, dit que linvestissement de la société à ce chapitre est
largement insuffisant.
Les coûts sociaux associés à la dépression et aux
comportements anti-sociaux chez les adolescents sont très élevés, explique
M. Keating. Il faut comprendre que cest lintervention dès la petite enfance
qui comporte les meilleures chances de réussite.
Une occasion ratée
Selon M. Keating, nous ratons une occasion en or en ne
portant pas suffisamment attention à cette étape du développement humain. Il cite le
débat entourant la maternelle comme un exemple du manque de compréhension. Pour le
personnel enseignant, en particulier, les résultats se mesurent par la volonté
dapprendre des élèves et par la diminution des comportements dérangeants dans la
classe, comportements qui ont un effet sur la classe au complet.
M. Tremblay précise : «Jai limpression que la
plupart des enseignantes et enseignants ne se rendent pas compte que les enfants agressifs
ne nuisent pas quà leur propre apprentissage, mais quils dérangent toute la
classe.»
Pour les enfants qui nont pas appris à se maîtriser,
les effets se font ressentir dans tous les aspects de leur vie, car leur comportement est
lié à un faible rendement scolaire, à la solitude et à linsécurité qui peuvent
durer toute la vie.
Les enfants agressifs sont souvent rejetés, ce qui les
entraîne dans un gouffre de plus en plus profond, explique Wendy Craig, professeure de
psychologie à lUniversité Queens. Parce quils sont rejetés, ils
nont pas loccasion dapprendre la socialisation auprès de leurs
camarades mieux socialisés. «Les enfants rejetés se retrouvent entre eux et forment des
bandes. Ils se soutiennent mutuellement et deviennent de plus en plus négatifs.»
Pour Mme Craig, ces enfants sont bien jusquen
troisième année. Daprès M. Tremblay, le rejet commence beaucoup plus tôt.
«Personne ne veut jouer avec un enfant de trois, quatre ou cinq ans qui est agressif. Il
est rejeté très tôt.»
«Déjà au jardin, nous constatons les liens qui se forment
entre les enfants rejetés. Ils se retrouvent ensemble par défaut, mais ils ne sont pas
encore délinquants à lâge de cinq ou six ans. Les problèmes napparaissent
que plus tard, lorsque ces enfants atteignent ladolescence et quils se
déplacent plus librement.»
On reconnaît aussi leurs victimes dès la jeune enfance.
«Quoiquon ait moins étudié cet aspect de léquation, on sait que les
victimes sont moins socialisées et quelles sont isolées et négligées», ajoute Mme
Craig.
Lagression au féminin
Les filles deviennent-elles plus agressives? Certains
chercheurs prétendent que oui, mais M. Tremblay dit que les données ne sont pas
concluantes, surtout en ce qui concerne leur comportement en bande. À
lélémentaire, les filles qui sont agressives physiquement, à comparer à
dautres filles, le sont encore beaucoup moins que la plupart des garçons agressifs.
Chez les deux sexes, la violence naît du désir de dominer
les autres, de leur être supérieur, deux qualités qui échappent aux personnes qui sont
incapables de maîtriser leur agressivité.
Mme Craig explique que lagressivité se
manifeste différemment chez les filles. «Nous sommes plus conscients de
lagressivité masculine parce quelle est plus grave. Les filles sont
peut-être aussi agressives que les garçons, mais ces derniers sexpriment plus
violemment, avec des fusils et des couteaux, par exemple.» Les filles quelle a
étudiées manifestent leur agressivité aux plans verbal et social. Elles pratiquent
lexclusion et la vengeance.
M. Tremblay enchaîne : «Les filles les plus agressives sont
celles qui ratent leurs études et qui sont rejetées par les autres. Elles sont plus aptes
à se lier à un copain agressif et à devenir enceinte pendant ladolescence. Enfin,
leurs enfants sont plus aptes à se retrouver à la salle durgence pour avoir été
battus.»
Ainsi, la violence peut naître au sein de la famille et
entraîner la pauvreté. Les enfants incapables de maîtriser leur agressivité
abandonnent leurs études et sont plus aptes à adopter un comportement délinquant. En
tant que parents, ils sont incapables denseigner la maîtrise de soi à leurs
enfants, ce qui perpétue le cycle de violence familiale et de pauvreté, car une personne
qui a de la difficulté à maîtriser son agressivité a moins de chances de conserver son
emploi.
La recherche est concluante à savoir que le cycle
peut être brisé, si lintervention se fait tôt. Les enfants naissent avec
différents degrés dagressivité, mais M. Tremblay croit que le milieu détermine
en grande partie ce quils deviennent. Même des enfants très agressifs peuvent
apprendre à se maîtriser, dit-il.
«Certains enfants montrent une grande force de caractère
dès la naissance. Sils sont élevés dans un milieu propice, ils apprennent à
maîtriser leur agressivité et peuvent devenir très sociables et dynamiques, les chefs
de file de demain. Par contre, si vous avez un enfant très actif que vous narrivez
pas à contrôler dès le début, cela est dautant plus difficile à faire plus
tard.»
Le jardin d'enfants : premier champ de bataille
M. Tremblay fait remarquer que les adolescents sont en fait
beaucoup moins violents physiquement que les jeunes enfants. «Lorsque nous étudions
lagressivité chez les enfants dâge préscolaire, nous comptons le nombre
dincidents survenus au cours dune période de 15 minutes. Dans le cas des
adolescents, nous examinons les incidents survenus au cours de la dernière année.»
Mais les bambins ne sont pas menaçants. «Nous leur donnons
des jouets de plastique et nous pouvons les contrôler physiquement. Les adolescents sont
plus difficiles à contrôler et lorsquils deviennent agressifs, ils risquent de
faire de vrais dégâts.»
«Le personnel enseignant qui travaille auprès
denfants dâge préscolaire doit comprendre ce qui se passe. Son rôle
nest pas négligeable puisquil est bien placé pour reconnaître les enfants
agressifs et il peut leur tendre une perche. Après tout, ces derniers ne demandent
quà être aimés et ils apprennent très vite», explique M. Tremblay.
«Au Québec, nous avons mis en uvre un programme de
socialisation au jardin denfants dans des centaines décoles. Quand ils
constatent quil y a moyen daméliorer la dynamique dans la classe, les
enseignants adoptent ces programmes de plein gré.»
On en demande beaucoup aux enseignantes et aux enseignants,
rappelle Mme Craig. Ils sont surchargés et dépassés par tout ce quils
ont à faire. De plus, ils nont reçu aucune formation dans ce domaine. Ce programme
constitue un bon point de départ.
LInstitut canadien des recherches avancées,
luniversité sans murs axée sur la recherche, de Fraser Mustard, travaille à
mettre au point des programmes pour aider le personnel enseignant à apprendre la
socialisation aux enfants de la maternelle, du jardin et de la 1re à la 4e année afin de
réduire lagressivité chez ces jeunes. Le prochain numéro de Pour parler
profession renfermera un article sur les programmes utiles à ce chapitre.