Éducation et besoins particuliers

Une longue escalade

L’éducation des jeunes ayant des besoins particuliers

de Gabrielle Barkany

C’est vendredi après-midi à Burlington, le soleil brille et le fond de l’air est frais. Huit élèves de niveau secondaire sont assis à une table ronde dans la salle de classe aux couleurs vives de Mme Jodi Dobbie. Ils participent au programme Mountaineer mis en œuvre par le Halton District School Board (DSB) dans le cadre d’un programme de traitement de jour se tenant à l’école secondaire Lord Nelson de Burlington. Ce programme axé sur les objectifs s’adresse aux élèves âgés de 12 à 17 ans qui éprouvent des troubles sociaux, comportementaux et affectifs.

Mme Dobbie enseigne depuis neuf ans, dont huit au sein de ce programme. Elle aime la relation personnelle qu’elle entretient avec ses élèves, ce qui lui permet d’apprendre à les connaître, à les valoriser pour eux-mêmes et à leur enseigner sans vouloir les changer. Elle croit pouvoir ainsi faire preuve de plus de créativité dans sa démarche pédagogique. Cette philosophie, elle la partage avec de nombreux autres enseignants qui travaillent dans des établissements financés en vertu de l’article 23, qui porte sur les programmes d’éducation destinés aux élèves dans les établissements de soins ou de traitement, ou dans les services de garde et services correctionnels approuvés par le gouvernement.

Denis Desjardins, qui enseigne depuis peu cette année au centre de traitement de l’école élémentaire catholique Sainte-Madeleine de Toronto, est aussi d’avis que de petites classes et un programme axé sur l’élève procurent une expérience d’apprentissage très positive tant pour lui que pour ses élèves.

«J’ai énormément appris des travailleurs sociaux ici», dit-il, en faisant remarquer que les «petites choses» font une grande différence et pourraient s’avérer utiles dans n’importe quelle classe.

M. Desjardins a recours au système habituel de récompenses (comme du temps consacré à l’ordinateur ou à faire une activité que l’élève aime tout particulièrement), mais il offre aussi de nombreux signes de renforcement visuels, comme de petites images au coin du bureau des élèves, des étoiles ou des points de couleur dans leur cahier, ainsi que des tableaux et des diagrammes sur les murs.

«Il faut des programmes qui contribuent à améliorer l’expérience des élèves et à modifier leurs attitudes.»

Denis Desjardins enseigne au centre de traitement de l’école élémentaire catholique Sainte-Madeleine, à Toronto.

«Il faut être patient, créatif et rigoureux, commente-t-il. Il faut démontrer de la compassion envers ces élèves.» Sainte-Madeleine offre une formation scolaire et des soins aux enfants âgés de 6 à 12 ans qui connaissent des troubles affectifs, sociaux et comportementaux.

Tant au niveau élémentaire que secondaire, il arrive que des élèves participent à de tels programmes en raison de troubles de santé mentale qui sont souvent combinés avec des difficultés d’apprentissage. Bon nombre d’entre eux ont manqué beaucoup d’école. Pour atteindre leurs objectifs scolaires, ils doivent d’abord régler leurs troubles de santé mentale. Les enseignants travaillent en collaboration avec une équipe de spécialistes en vue d’aider les élèves à apprendre à gérer leur stress et leur anxiété, à développer leurs habiletés d’adaptation, à devenir responsables et autonomes, et à renforcer les liens avec leur famille et leurs amis.

Maints élèves de l’école secondaire Cecil Facer de Sudbury ont abandonné l’école ou en ont été expulsés pendant qu’ils fréquentaient d’autres écoles du Rainbow DSB.

«Ils sont découragés et incapables d’imaginer qu’ils réussiront dans leur vie personnelle ou professionnelle. C’est souvent leur dernière chance», raconte Daniel Vaillancourt, enseignant et orienteur à l’école. L’école Cecil Facer dessert la communauté autochtone ainsi que la clientèle anglophone et francophone, de manière à permettre aux jeunes d’obtenir les crédits requis pour s’inscrire au collège ou aux programmes d’apprentissage en construction, en soudure ou en hôtellerie.

«Ces jeunes ont besoin de débouchés pour réussir et devenir des citoyens productifs», affirme M. Vaillancourt.

Succès d’apprentissage

Dans la salle de classe de Mme Dobbie, les murs sont recouverts d’exemples des réalisations, des luttes et des objectifs des élèves. On peut y voir, par exemple, des photos d’une excursion de camping organisée par l’école, des dessins, des résultats scolaires, des tableaux où sont notés les objectifs personnels des élèves.

Pour aider les élèves à apprendre et à évaluer leurs progrès, Mme Dobbie fait appel à des démarches proactives ainsi qu’à une foule de symboles inspirés de la nature.

Suspendu devant la fenêtre, un jouet en forme d’outarde rappelle aux élèves que ceux qui partagent une vision commune et un sentiment d’appartenance à la communauté atteignent leur destination plus facilement parce que «chaque battement d’aile» de l’un donne une poussée à l’autre.

Au centre de la classe s’élève une immense montagne grise en papier mâché, symbole tangible de la progression à court et à long terme des élèves vers leurs objectifs scolaires et personnels. Une corde pend du sommet de la montagne pour chacun des élèves, qui y glissent les billes de verre qu’ils accumulent en véhiculant les cinq valeurs de la classe : espoir, humour, héroïsme, raison et cœur.

Chaque vendredi, les élèves se rendent hommage mutuellement en se décernant des billes, symboles de soutien et d’acquis.

GianFranco, un jeune homme tranquille qui espère un jour devenir cuisinier, a été étonné mais très heureux de recevoir la bille de l’espoir pour souligner sa présence en classe. Un jour, après qu’il a manqué quelques cours, les élèves lui ont parlé. Ils lui ont dit qu’ils se sentaient abandonnés quand il n’était pas présent, qu’ils l’estimaient, qu’ils s’ennuyaient de lui et qu’ils comptaient sur lui.

«Dans mon ancienne classe, personne ne s’inquiétait si je n’étais pas en classe, confie-t-il. Ici, ils ont dit que je leur manque et qu’ils se plaisent en ma compagnie. Super. Quand je me réveille le matin et que je n’ai pas envie de venir à l’école, j’y pense deux fois», ajoute-t-il avec un sourire gêné.

Une jeune fille de 16 ans, Teresa, qui souffre d’anxiété et se sent incapable de supporter la pression des classes ordinaires, a remis à sa copine de classe, Alyson, une bille du cœur «parce que tu m’as appelée chez moi hier soir».

Les élèves sont encouragés à se rendre hommage, à se respecter, à s’inspirer, à adopter un rôle de leader et à réussir en y mettant de la passion, de l’intégrité, de la détermination et du courage.

«Une fois qu’ils ont goûté au succès, ils sont davantage motivés à courir des risques.»

Jodi Dobbie enseigne au programme Mountaineer mis en œuvre par le Halton DSB.

«Nous les aidons à acquérir les compétences dont ils ont besoin pour réussir, déclare Mme Dobbie, qui travaille en étroite collaboration avec une travailleuse auprès des jeunes. Il est important de leur faire connaître du succès aussi souvent que possible, parce que la plupart d’entre eux n’en ont jamais connu.»

«Une fois qu’ils ont goûté au succès, ils sont davantage motivés à courir des risques, à essayer de nouvelles choses et à sortir de leur zone de confort.»

La petite taille de la classe aide les élèves à se concentrer. Mme Dobbie met en pratique une variété de méthodes d’enseignement. Les élèves sont encouragés à travailler individuellement, en équipe et avec des partenaires. Elle tente de faire appel aux diverses aptitudes de ses élèves – linguistiques, musicales et interpersonnelles – telles qu’identifiées par Howard Gardener, et elle utilise diverses méthodes pédagogiques, y compris le compte rendu réflexif, l’apprentissage par l’expérience, le travail en collaboration et l’apprentissage axé sur la kinesthésie.

«Dans les cours d’anglais, par exemple, nous faisons beaucoup de comptes rendus réflexifs pour enclencher le processus d’écriture», explique-t-elle. Une fois par semaine, elle lance une citation inspirante et donne du temps libre aux élèves pour qu’ils notent les réflexions que leur a inspirées la citation. Ceux-ci sont alors invités à parler de leurs idées et du lien qu’ils font entre la citation et un de leurs projets en cours ou une expérience qu’ils ont vécue.

Le groupe revient tout juste d’une excursion de trois jours en camping où il a pu mettre diverses compétences en pratique : travail d’équipe, aptitudes sociales et compétences en planification, le tout dans un environnement sécuritaire, sain et agréable. Des photos prises lors de la sortie, alors qu’ils cuisinaient, montaient les tentes et préparaient le feu, recouvrent les murs de la classe. Sur toutes ces photos, les élèves sont souriants.

Transitions

Les élèves visés par l’article 23 ont souvent vécu, dans le passé, de mauvaises expériences en milieu scolaire, donnant lieu à une perte de confiance et à une attitude négative qui, dans certains cas, se sont traduites par l’analphabétisme et un manque de  connaissances. Pour parvenir à contrer ces problèmes, il faut des programmes qui contribuent à améliorer l’expérience des élèves et à modifier leurs attitudes. Les enseignants doivent leur inspirer confiance.

«Bon nombre de nos enfants ont connu très peu de véritables relations positives avec leurs enseignants, explique Mme Dobbie. Ils ont eu des difficultés à tisser des liens avec les adultes et les écoles. Nous leur donnons la chance de créer des liens avec des enseignantes et enseignants, et de leur faire confiance pour qu’ils deviennent des personnes aidantes et dignes de respect aux yeux des jeunes.»

Notre objectif est de réintégrer les élèves dans des classes ordinaires et de faciliter les relations entre les élèves réguliers et ceux en difficulté tout en offrant un accompagnement personnalisé. Mais la transition n’est pas toujours facile.

Daniel Vaillancourt est enseignant et orienteur de l’école secondaire Cecil Facer, à Sudbury.

«Nous avons remarqué que les placements à long terme de un, deux ou trois ans ne sont pas nécessairement bénéfiques», mentionne M. Claude Pierre-Louis, un enseignant et conseiller en matière de comportement à l’école élémentaire Séraphin-Marion du Conseil scolaire des écoles publiques de l’Est de l’Ontario. Nous avons constaté que, parfois, les élèves atteignent un plateau d’apprentissage; nous sommes donc en train de réévaluer nos pratiques.»

«Nous avons observé que certains troubles de comportement, tels que des agressions physiques et verbales, peuvent refaire surface après que les élèves retournent dans leur classe régulière», précise Mme Nathalie Cheff, une enseignante au niveau élémentaire à l’école catholique St-Vincent de North Bay du Conseil scolaire catholique Franco-Nord.

Ces élèves, qui exigent une attention supplémentaire, recevaient de l’aide d’une équipe de spécialistes et de thérapeutes, mais, quand ils retournent dans une classe ordinaire, les troubles refont parfois surface.

Chaque semaine, ils assistent à des séances spéciales de 30 à 60 minutes au cours desquelles ils travaillent sur l’apprentissage d’aptitudes sociales, comme l’importance de préserver des amitiés et le contrôle de soi. Ils reçoivent aussi le soutien des pédagogues, qui adaptent le programme d’études à leurs besoins.

La valeur thérapeutique des programmes peut se propager – ce qui arrive souvent – à l’extérieur de la salle de classe, jusque dans la vie des élèves.

Une élève en a gagné le respect de ses parents. «Avant, on m’interdisait d’entrer dans certaines pièces de la maison. Les portes étaient verrouillées, explique Teresa. Maintenant, j’y ai accès. On me fait davantage confiance.»


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