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Jim Weseen, l’enseignant remarquable de Brent Butt

de Bill Harris

Brent Butt a un message simple à livrer à Jim Weseen, son enseignant favori : «Merci de ne pas m’avoir traité de cinglé.»

M. Butt est le créateur et la vedette de la série Corner Gas, diffusée à l’antenne de CTV.

Après six saisons records, Corner Gas, comédie de situation la plus suivie au Canada anglais, a pris fin en avril 2009 à la demande de M. Butt, qui voulait se retirer au sommet de la gloire.

Avant le succès de Corner Gas, M. Butt était comédien monologuiste. Il a fait ses débuts à l’école secondaire Tisdale Unit Composite School de Tisdale (Saskatchewan).

«J’ai fait deux monologues comiques au secondaire, lors d’une soirée de variétés et d’une soirée théâtrale, se rappelle M. Butt, finissant de 1984. J’hésitais à dire ouvertement que je voulais être comédien.

«Il ne nous parlait pas comme si nous n’étions que des enfants.»

«Jim Weseen était responsable de ces activités. Il n’a jamais cherché à me donner l’impression que j’étais cinglé. Il m’a dit : “On n’a encore jamais fait ça, mais ça pourrait être bien.”

«Il semblait aimer l’idée du rêve inaccessible. Il n’allait pas jusqu’à m’encourager en disant “Vas-y, fonce!”, comme dans le film L’Opus de M. Holland. Il a dit tout simplement : “Pourquoi pas!”.»

On n’est pas toujours conscient qu’on laisse une impression durable. Jim Weseen l’ignorait sans doute, mais le fait qu’il était toujours prêt à écouter est resté gravé dans la mémoire du jeune Brent Butt.

«Jim Weseen était avant-gardiste. Mais quand j’y pense, les enseignants de cette petite municipalité rurale sise au milieu de nulle part m’impressionnent par leur ouverture d’esprit, ajoute M. Butt.

«Jim Weseen est un homme bon à l’esprit vif. C’est une de ces personnes qui connaît un peu de tout et qui s’intéresse sincèrement à tout : chimie, politique, santé, sciences occultes, et j’en passe.»

Lorsqu’il a entendu les louanges de M. Butt, M. Weseen, qui était aussi à l’époque son directeur adjoint, était visiblement touché.

«J’en avais entendu des bribes, mais là j’en suis bouche bée, a affirmé M. Weseen, maintenant retraité et établi à Saskatoon. Je ne voulais surtout pas décourager les élèves. Toute ma philosophie, en tant qu’enseignant, reposait sur ce principe.

«On entend souvent les gens qui ont réussi dans la vie nous dire que les enseignants leur faisaient entendre qu’ils n’arriveraient à rien. Ce n’est pas un héritage dont j’aurais été fier.»

Brent Butt, 42 ans, est né à Tisdale et y a fait toutes ses études. On ne peut s’empêcher de lui poser la question… Le jeune Brent était-il un mauvais élève?

«Tout dépend de votre définition de mauvais élève. Je n’étais pas motivé sur le plan scolaire, mais je n’étais pas non plus un trouble-fête. Je chahutais avec mes amis et griffonnait des bandes dessinées, puis je prétendais avoir oublié de remettre un devoir ou d’effectuer mes travaux.

«Dieu sait que nous nous sommes inquiétés de son avenir.»

«Je me souviens d’une année, en biologie, où je me suis fait dire que je n’avais pas remis un seul devoir. Comme ça me semblait exagéré, j’ai répliqué : “Je suis sûr d’en avoir remis au moins un.” Ce à quoi l’enseignant m’a répondu simplement :“Nenni!”.»

Cet enseignant, c’était Jim Weseen.

«Il enseignait plusieurs matières, mais la seule qu’il a tenté de m’enseigner, c’était la biologie. J’ai suivi le cours de biologie de 11e année à trois reprises. J’adorais ce cours. Je ne travaillais pas assez pour réussir, mais je m’y suis toujours amusé. M. Weseen n’avait pas d’objection à m’avoir dans sa classe.»

Ça ne dérangeait pas M. Weseen, mais M. Butt n’est jamais parvenu à lui soutirer de meilleures notes. Il a tout de même suivi le cours trois fois.

«Jim Weseen m’a appris qu’on ne pouvait pas toujours user de charme pour arriver à ses fins. Il ne nous faisait pas de cadeau. Il disait : “Je suis content que vous soyez dans ma classe, mais si vous n’y mettez pas d’effort, vous aurez zéro.”

«Nous nous entendions très bien là-dessus.»

Quel souvenir Jim Weseen a-t-il de Brent Butt?

«Je n’arrivais pas à lui en vouloir, comme tous mes collègues d’ailleurs. J’étais frustré de voir qu’il ne remettait pas ses travaux, mais il avait très bon caractère, un des meilleurs qu’il m’ait été donné de rencontrer.

«Je n’avais aucune objection à ce qu’il reprenne le cours de biologie parce qu’il le rendait à coup sûr plus intéressant. Il avait la langue bien pendue, évidemment. C’était un gamin brillant. Sauf que, comme il y avait des expériences de laboratoire à faire, il fallait remettre au moins quelques travaux. Il a fallu un certain temps pour nous entendre là-dessus.»

M. Butt apprécie le fait que M. Weseen traitait les élèves comme des êtres humains.

«Il ne nous parlait pas comme si nous n’étions que des enfants. Il se plaignait des impôts. Il lançait des phrases comme  : “Mais qu’est-ce que le maire fait dans cette ville!” Il s’adressait parfois à nous comme à des adultes.»

Jim Weseen savait apprécier l’humour.

«Je savais choisir le bon moment pour faire des pitreries en classe sans trop de conséquences», souligne M. Butt.

M. Weseen était préoccupé par le manque d’intérêt de M. Butt à l’égard des matières scolaires.

«Dieu sait que nous nous sommes inquiétés de son avenir, ajoute M. Weseen en riant. Surtout parce qu’il avait toujours mieux à faire que ses travaux scolaires.

«Il faut un cours de sciences pour terminer son secondaire et il avait choisi la 11e année de biologie. Cependant, il n’a pas réussi du premier coup.»

A-t-il fini par réussir?

«Oui, mais nous avons dû beaucoup travailler tous les deux, explique M. Weseen. À un certain moment, il a dit à la blague – mais il y avait probablement un fond de vérité – que nous avions convenu qu’il réussirait à condition de ne jamais étudier la biologie par la suite ni de faire carrière dans un domaine relié à la biologie. C’était il y a 25 ans, alors j’en ajoute peut-être un peu.»

«Il était peut-être l’élève le plus brillant, mais il n’était certes pas celui qui avait les meilleures notes.»

M. Butt se souvient que, bien qu’affable, M. Weseen avait ses limites.

«La seule chose qui le mettait hors de lui c’était lorsqu’un élève empêchait les autres d’apprendre. Si un élève dessinait Spider-Man bien tranquille dans son coin, il se disait que c’était son choix. Je dessinais des hybrides de Spider-Man et de Hulk, un personnage ayant le corps de Hulk et la tête de Spider-Man, et autres trucs du genre.

«Je faisais passer mes dessins à un ami et, de temps à autre, il me les confisquait. J’ai su quelques années plus tard qu’il en avait conservé plusieurs.»

Est-ce vrai, M. Weseen?

«Je l’avoue. Brent passait son temps à dessiner et j’ai conservé les dessins que je trouvais mignons. Aujourd’hui, Brent est connu comme comédien, mais il a aussi beaucoup de talent en dessin.

«Avant de choisir la voie de comédien monologuiste, Brent et un de ses camarades ont tenté de publier une bande dessinée. Je crois qu’ils ont publié deux numéros. J’en ai encore un dans une enveloppe en plastique.»

M. Butt dit que M. Weseen était le premier adulte avec qui il a parlé de ses projets de carrière dans l’industrie du spectacle. M. Butt s’estime chanceux que son rêve n’ait pas été anéanti à l’école ou à la maison, comme c’est le cas de beaucoup de jeunes.

«J’ai grandi dans la pauvreté, explique M. Butt. Mes parents ont élevé sept enfants malgré le peu de ressources dont ils disposaient. Cependant, ils s’entendaient à merveille et étaient les gens les plus heureux au monde. La maison était mon refuge. Je me sentais bien dans ma famille comme à l’école.»

Sur ce, M. Weseen s’est empressé de souligner que la nature de M. Butt influençait grandement sa vision du monde et la perception que les autres avaient de lui.

«Il était très aimé à l’école, ajoute M. Weseen. Il a été élu pour prononcer le discours d’adieu de sa classe. Ce sont les élèves qui décident, et non les enseignants qui choisissent l’élève le plus brillant. Il était peut-être l’élève le plus brillant, mais il n’était pas celui qui avait les meilleures notes.

«Il est venu aux retrouvailles des 20 ans de sa classe, en 2004, et j’ai tenu à y assister parce que c’était l’un de mes groupes préférés. Je ne devrais peut-être pas dire ça.

«C’était comme dans le bon vieux temps, comme si rien n’avait changé. Brent était aussi apprécié qu’avant et tout aussi facile d’approche. Je me suis dit : “Tant mieux, c’est le Brent que j’ai toujours connu.”»

M. Butt dit avoir rencontré M. Weseen à Saskatoon à quelques reprises au fil des ans, lorsqu’il était de passage pour donner un spectacle. A-t-il déjà dit clairement à M. Weseen à quel point il a été important dans sa vie?

«Oui, dit-il, mais nous ne sommes pas tombés dans le mélodrame. Je lui ai simplement dit : “Écoute, j’ai beaucoup apprécié cela de l’école.” Ce à quoi il a répondu : “Je suis très heureux de te l’entendre dire.” Nous n’avons pas eu besoin de sortir les mouchoirs et je ne lui ai pas fait de déclaration du genre : “Tu as changé ma vie”. Ça ressemblait plus à : “Merci de ne pas m’avoir traité de cinglé”.»

«Prenez le temps d’écouter les jeunes sans tenir pour acquis qu’ils ont tort.»

Les chances de percer dans l’industrie du spectacle sont bien minces, et ce, qu’on soit originaire de la Saskatchewan, de l’Ontario ou de Tombouctou. Jim Weseen a dû être étonné la première fois qu’il a aperçu Brent dans un épisode de Corner Gas.

«Oui, mais l’ascension a été longue, raconte l’ancien enseignant. Au début, il se produisait dans des clubs d’humour, après quoi il a obtenu de plus gros contrats et a fait des spectacles dans des entreprises, puis il a fait son petit bonhomme de chemin.

«Un jour, on a commencé à le voir au Comedy Network, puis il a fait l’émission Corner Gas. J’avoue qu’il m’arrive de dire que je lui ai enseigné.»

Non seulement il lui a enseigné, mais il était son enseignant favori.

«J’avoue que ça joue en ma faveur. Je peux m’en vanter.»

En se reportant à ses années passées à l’école, et plus particulièrement à l’influence positive de Jim Weseen, quel conseil M. Butt donnerait-il aux enseignants?

«Prenez le temps d’écouter les jeunes sans tenir pour acquis qu’ils ont tort, explique M. Butt. Même si, neuf fois sur dix, il faudra leur dire “Non, tu ne peux pas mettre ton doigt dans la prise électrique”, le dixième vous donnera l’occasion de le mettre sur la bonne voie.

«Les jeunes sont très sensibles au rejet. Ceux qui vivent de telles expériences en bas âge en souffrent parfois toute leur vie.»

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Brent Butt, à gauche, et Jim Weseen, son enseignant favori.

Quel conseil M. Weseen donnerait-il aux enseignants?

«Traitez les élèves comme des êtres humains. Je m’exprime mal, puisque ce sont évidemment des êtres humains, mais je trouve que c’est tellement important. Beaucoup de gens, y compris mes propres enfants, me disent que les meilleurs enseignants, ceux dont ils gardent le meilleur souvenir, sont ceux qui les ont traités en êtres humains.»

Pour conclure, on peut se demander comment les comédies que M. Butt a présentées au secondaire ont été accueillies?

«Vraiment bien, de répondre M. Butt.

«J’ignorais si j’étais doué, mais c’est quelque chose que j’ai toujours voulu essayer. J’ai reçu des encouragements. J’avais l’impression de pouvoir faire rire les gens.»

Au nom de toutes les Canadiennes et de tous les Canadiens qui ont ri en écoutant un épisode de Corner Gas

M. Weseen, merci de ne pas avoir traité Brent Butt de cinglé!?


Depuis la fin du tournage de Corner Gas, Brent Butt demeure très occupé. Il a repris la tournée et présente ses spectacles de comédie un peu partout, dont au Massey Hall de Toronto, et prépare de nouvelles émissions de télévision, dont une émission spéciale d’humour et une comédie de situation avec sa femme, Nancy Robertson, qui incarnait Wanda dans la série Corner Gas.

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