Nos athlètes olympiques :
bientôt dans une école près de chez vous!
Les biographies des espoirs canadiens aux Olympiques d'Athènes d'août prochain distribuées aux médias brossent un tableau intéressant et plutôt «athlétique» de l'avenir de l'éducation. Car des maîtres de l'escrime, de la natation, de l'aviron et de la lutte ont fait ou feront de l'enseignement leur choix de carrière.
de Suzanne Blake / photos d'Evan Dion |
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À l'instant où elle soulève sa baguette pour diriger l'orchestre de l'école, Alison Bradley ne pense pas à ses premiers Jeux olympiques, ni à sa prochaine partie de softball, ni à la gloire de faire partie de l'élite mondiale dans ce sport. Cette membre de l'Ordre s'attache avant tout à tirer le meilleur de ses élèves. Elle les écoute jouer et les guide dans les passages difficiles qu'ils n'ont pas encore maîtrisés.
Les deux passions d'Alison Bradley - le sport et l'enseignement de la musique - sont beaucoup moins éloignées qu'il n'en paraît. «On dit souvent dans le milieu qu'un enseignant ne doit jamais cesser d'apprendre. En fait, le même dicton s'applique à un athlète d'élite. Pour rester parmi les meilleurs - dans le sport ou l'enseignement -, il faut être sans cesse à l'affût des nouveautés et se montrer réceptif à leur égard.»
«J'aimerais que ma participation aux Jeux olympiques incite les jeunes à se dépasser et à se fixer des objectifs, comme m'y ont incitée d'anciens champions olympiques.»
Alison Bradley, équipe olympique canadienne de softball 2004
Originaire de Pinkerton, cette voltigeuse-lanceuse s'est souvent fait dire qu'elle devrait abandonner soit la musique, soit le softball. Pour elle, ce sont toutefois deux activités complémentaires.
Alison Bradley a obtenu un baccalauréat en enseignement de la musique de l'Université de Western Ontario en 2003, tout en étant membre de l'équipe nationale de softball. Elle raconte à la blague avoir joué du piano dans des festivals en tenue de softball sous sa jupe, mais elle ajoute qu'en tant qu'enseignante de musique, elle espère montrer à ses élèves qu'il est possible de réussir dans un domaine sans sacrifier pour autant ses autres talents. À l'instar d'autres athlètes aspirant à la profession, elle considère que l'équilibre joue un rôle important dans sa vie, pour ne pas que le sport soit au centre de toutes ses réussites et de tous ses échecs.
Enseignants en devenir
La nageuse Liz Warden mise elle aussi sur l'équilibre. Elle a décroché un baccalauréat ès arts de l'Université de Toronto tout en devenant l'une des meilleures nageuses du monde au quatre nages individuel. Elle a terminé la formation qui lui permettra d'enseigner au primaire lorsqu'elle cessera la compétition. Son dernier emploi d'été, passé auprès de jeunes enfants, lui a confirmé qu'elle était tout à fait à sa place dans l'enseignement.
Pour Liz Warden, une bonne partie de ce qu'elle apprend en ce moment lui sera très utile comme enseignante : sens de l'organisation et des responsabilités, canalisation de l'énergie, attitude positive face à de nouvelles épreuves. «Je suis convaincue qu'il y a un lien entre le sport d'élite et l'enseignement, explique-t-elle. Les athlètes de haut niveau doivent apprendre et pratiquer de nouvelles façons d'améliorer leur performance sportive. Et les élèves, même s'ils ne le font pas toujours consciemment, apprennent sans cesse de nouvelles compétences qui les préparent à la vie d'adulte.»
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«Je suis convaincue qu'il y a un lien entre le sport d'élite et l'enseignement.»
Liz Warden, nageuse olympique |
Originaire de Montréal, Jessica Chase songe elle aussi à se diriger vers l'enseignement une fois sa carrière d'athlète terminée. Pour l'instant, toutefois, elle s'entraîne à Etobicoke avec l'équipe nationale de nage synchronisée.
L'escrimeuse Sherraine MacKay a pour sa part obtenu son diplôme en enseignement de l'Université d'Ottawa en 2001. Elle vit en ce moment à Paris et décroche constamment l'une des trois premières places à l'épée dans les compétitions internationales.
Pour cet «espoir de médaille», l'emploi idéal serait un poste d'enseignement dans une école où elle serait aussi entraîneure d'escrime. Sherraine MacKay a adoré les rapports qu'elle a établis avec les élèves durant son stage à l'école publique York Street d'Ottawa. À son avis, la richesse de ces rapports est imputable aux nombreux voyages qu'elle a faits en tant qu'athlète. «Ma connaissance élargie du monde m'a sans doute aidée à comprendre mes élèves et à leur enseigner la compassion et l'acceptation d'autrui.»
Tradition et expérience
Le rapport entre les athlètes et l'éducation ne date pas d'hier. Même Pierre de Coubertin, le père des Olympiques modernes, vantait les vertus de «l'éducation par le sport» et considérait l'olympisme comme «une philosophie de vie exaltant et combinant en un ensemble équilibré les qualités du corps, de la volonté et de l'esprit».
D'après Judy Goss, des Services aux athlètes du Comité olympique canadien à Toronto, le lien entre les athlètes d'élite et l'enseignement est sans doute grandement attribuable à la relation athlète-entraîneur.
«Ayant été souvent encouragés eux-mêmes, les athlètes savent très bien comment encourager les autres», explique-t-elle. Après des années d'apprentissage auprès d'un entraîneur, ils veulent enseigner à leur tour. «Les athlètes ont cette aptitude à communiquer avec les jeunes et à les motiver, renchérit-elle. Dans le sport comme dans l'enseignement, c'est essentiellement de la résolution de problèmes : il faut analyser la situation et en décomposer les éléments.»
L'excellence sportive n'est pas un gage absolu de réussite dans l'enseignement, mais elle procure aux athlètes un tout autre éventail de stratégies pour enseigner.
«Ma connaissance élargie du monde m'a sans doute aidée à comprendre mes élèves et à leur enseigner la compassion et l'acceptation d'autrui.»
Sherraine MacKay, escrimeuse
Il y a vingt ans, Larry Cain jouissait du statut de célébrité accordé aux doubles médaillés olympiques. Ce canoéiste a en effet remporté une médaille d'or et une d'argent aux Jeux de Los Angeles en 1984. Aujourd'hui, il enseigne l'éducation physique à l'école St. Mildred's-Lightbourn d'Oakville.
«Les enseignants et les athlètes ont beaucoup en commun. L'athlète se fixe des objectifs élevés, et l'enseignant aide ses élèves à viser eux-mêmes très haut.»
Les élèves de Larry Cain n'étaient même pas nés lorsqu'il est devenu une célébrité sportive canadienne. Qu'à cela ne tienne, il est heureux de se concentrer sur ce qu'il fait le mieux en ce moment. Il a débuté dans l'enseignement à temps partiel après avoir été retranché de l'équipe olympique canadienne de 1996. Il dit avoir eu de bons enseignants et entraîneurs qui l'ont marqué. Semblerait-il que la transition entre sa vie d'athlète olympique et celle d'enseignant se soit faite tout en douceur. Comme il a toujours voulu être entraîneur, l'enseignement lui a semblé tout naturel.
«Les enseignants et les athlètes appartiennent à la même espèce en ce sens qu'ils font leur travail avec passion. Les athlètes amateurs sont généralement animés d'une grande passion et la transmettent aisément. Ils aiment aider les gens qui veulent s'aider et réussissent à amener les jeunes à se dépasser», explique-t-il.
Selon Larry Cain, les anciens athlètes constituent des ressources de choix pour une école. «Ce sont des personnes qui adorent l'activité physique et connaissent les règles d'une saine alimentation. Dans un contexte où l'on réduit le nombre d'heures d'éducation physique et où le nombre d'enfants obèses augmente constamment, ces enseignants peuvent avoir une grande incidence sur la santé des élèves.»
Des attentes élevées
M. Cain ajoute que les athlètes ont l'habitude de fonctionner par objectifs et d'examiner les situations dans leur ensemble, deux caractéristiques d'un bon enseignant. Sa seule mise en garde : la réputation d'une vedette olympique constitue une source d'inspiration, mais crée des attentes élevées chez les élèves comme les parents. Il faut y être préparé. Une médaille d'or olympique n'est pas une garantie d'excellence en classe.
Mais encore là, qui connaît mieux les pièges des attentes élevées que des athlètes de compétition?
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«En tant qu'athlète, j'ai la chance de voir le pays et le monde, d'avoir une perspective mondiale et d'en faire profiter mes élèves.»
Jeff Caton, sauteur |
Christine Nordhagen, enseignante dans une école secondaire de Calgary, subira de telles pressions en août. Six fois championne mondiale de lutte féminine, discipline présentée pour la première fois aux Olympiques, elle ira défendre son titre à Athènes.
Mme Nordhagen a toujours voulu enseigner. Elle a souvent recours à des stratégies d'entraînement pour inspirer ses élèves, en mathématiques comme en danse ou en éducation physique.
«Je les pousse à travailler fort et à se dépasser. J'ai toujours adopté cette attitude comme athlète, mais ce n'est pas naturel chez les jeunes, explique-t-elle. Je les aide à réaliser des choses qu'ils croyaient impossibles.»
Celle qui a déjà été nommée lutteuse de l'année sur la scène internationale admet que l'équilibre entre l'enseignement et l'entraînement est difficile à atteindre. Le fait de ne pas travailler l'été et d'avoir d'autres congés l'aide considérablement à demeurer au sommet de sa discipline, mais comme elle trouvait difficile de se consacrer pleinement à l'une ou l'autre des deux activités, elle a pris un congé sans solde cette année afin de se préparer pour les Olympiques.
À l'instar de Christine Nordhagen, la plupart des athlètes amateurs mettent leur carrière sur la glace jusqu'à ce qu'ils prennent leur retraite sportive. Certains, pourtant, arrivent à faire les deux.
Double emploi
Entre les camps d'entraînement et les tournois de softball, Alison Bradley fait de la suppléance en musique près de chez elle, à Pinkerton. Quand elle ne sillonne pas la planète d'une compétition à l'autre, Tonya Verbeek, lutteuse de style libre et membre de l'Ordre, est enseignante suppléante à Beamsville.
L'Ontario compte également quelques athlètes qui enseignent à plein temps. Les marathoniens Andy Hahn et Drew Macaulay, ainsi que le spécialiste du saut en hauteur Jeff Caton, divisent leur journée entre l'entraînement, les compétitions et l'enseignement à plein temps.
Andy Hahn, qui en est à sa deuxième année d'enseignement, admet que certaines journées sont particulièrement difficiles. Il se rend souvent à l'école (Century Secondary, Windsor) tout de suite après son entraînement. Il s'entraîne avant et après l'école, en plus de jouer au soccer ou au hockey-balle toute la journée avec ses élèves.
«L'école et le sport ont toujours été des expériences fabuleuses pour moi.» Les rôles ont changé désormais, car il est l'enseignant plutôt que l'élève, et un athlète d'élite plutôt qu'un féru de sport. M. Hahn raconte que l'un de ses enseignants l'a aidé à réaliser son rêve de devenir enseignant et de poursuivre la compétition sportive. «Il nous offrait tant de possibilités et nous faisait vivre des moments si intenses que nous faisions pour lui des efforts comme jamais auparavant», se rappelle-t-il.
Andy Hahn se décrit comme un fervent amateur de sport qui a toujours voulu participer à un événement multidisciplinaire de grande envergure comme les Olympiques. C'est ainsi qu'en compagnie de son collègue enseignant et marathonien Drew Macaulay, il tentera sa chance pour les Jeux de 2004.
Comme Andy Hahn, Drew Macaulay compétitionnait sur la scène canadienne (cross country et athlétisme) pour l'Université de Windsor. Ils tenteront tous deux de décrocher l'une des trois places au sein de l'équipe canadienne lors du Marathon ING d'Ottawa - épreuve de qualification pour les Olympiques d'Athènes. Et ils devront courir vite, car il faut parcourir les 42,2 km en moins de 2 h 15 pour pouvoir participer aux Olympiques.
Drew Macaulay est confiant, mais il considère que le jeu en aura valu la chandelle même s'il n'est pas retenu dans l'équipe. «Honnêtement, je le fais pour le sport, sans plus, explique-t-il. J'ai toujours cru qu'il fallait vivre le moment présent, alors comme je fais de mon mieux, je saurai que j'aurai tout donné même si je ne réussis pas.»
Tout donner, pour Drew Macaulay, signifie courir près de 130 km par semaine, avant et après l'école.
«Les athlètes ont cette aptitude à communiquer avec les jeunes et à les motiver. Dans le sport comme dans l'enseignement, c'est essentiellement de la résolution de problèmes : il faut analyser la situation et en décomposer les éléments.»
Judy Goss, Comité olympique canadien
Il dit que ses élèves ne sont pas trop conscients de ses aspirations olympiques, mais que ses collègues l'appuient avec grand enthousiasme. «C'est un peu intimidant, confie-t-il. Ils me considèrent comme l'un des leurs et disent à tout le monde que j'ai une chance d'aller aux Jeux.»
Le moins que l'on puisse dire, c'est que Drew Macaulay n'est pas un lâcheur. Il a tenté en vain de se tailler une place au sein de l'équipe des Jeux de 1996, au 1 500 mètres, et il ne rejette pas la possibilité de tenter sa chance pour les Olympiques de 2008, les Jeux du Commonwealth ou les Panaméricains. Il aime courir, tout simplement. Et il sait qu'il n'a rien à perdre à essayer et tant à gagner, aussi bien personnellement que pour ses élèves.
«Le travail d'équipe, la collaboration et l'esprit sportif : telles sont les qualités que l'on souhaite cultiver chez ses élèves, et aussi celles que je cultive à l'entraînement et dans les compétitions, explique-t-il. Je veux servir de modèle à mes élèves : digne dans la défaite et fier dans la victoire.»
Toujours plus haut
Le sauteur Jeff Caton enseigne lui aussi à plein temps tout en s'entraînant et en participant à des compétitions. Troisième au saut en hauteur aux Championnats canadiens de 2003, il espère se qualifier pour Athènes aux qualifications canadiennes d'athlétisme qui se tiendront au printemps à Victoria, quelques semaines avant le début des Olympiques, qui commencent le 13 août. Entre-temps, il enseigne l'éducation physique et les sciences en 9e et 10e année au Forest Hill Collegiate à Toronto.
Puisqu'il adore enseigner et qu'il est un excellent sauteur, Jeff Caton fait de son mieux pour combiner ses deux passions. Il aimerait bien sûr pouvoir s'entraîner à plein temps, mais il ne peut se le permettre, car il doit rembourser ses prêts d'études et financer son entraînement.
«Je les pousse à travailler fort et à se dépasser. J'ai toujours adopté cette attitude comme athlète.»
Christine Nordhagen, lutteuse olympique
Il n'aime pas tellement parler de ses talents en classe. Il répondra aux questions, mais n'ira pas de lui-même parler de ses aspirations olympiques. Il juge important que ses élèves ne voient pas en lui seulement un espoir olympique, mais il sait que son expérience de la compétition sportive lui apporte beaucoup comme enseignant.
«En tant qu'athlète, j'ai la chance de voir le pays et
le monde, d'avoir une perspective mondiale et d'en faire profiter mes élèves»,
dit-il.
Ce que Jeff Caton aime le plus de l'enseignement, c'est de voir l'étincelle qui jaillit quand un élève a tout compris. «Je suis tellement heureux et excité de les voir de plus en plus indépendants. J'adore les observer travailler, réfléchir et arriver à une solution.»
Bien des gens considèrent que la corruption et les substances illicites ont assombri l'idéal olympique - la possibilité pour un athlète de se mesurer à d'autres et de réaliser son plein potentiel. Mais peut-être que l'idéal olympique est plus évident au sein de notre profession et chez ceux et celles qui aspirent à y entrer.
Quelle belle motivation pour un élève de savoir que ses enseignants ont réalisé leur rêve. À fréquenter de tels modèles au quotidien, ils apprendront aussi que le rêve est la première étape d'un processus continu d'apprentissage et de croissance.
Suzanne Blake est recherchiste au Service des sports de la télévision de la CBC, diplômée de la Faculté d'éducation de l'Université York depuis peu et membre de l'Ordre des enseignantes et des enseignants de l'Ontario. Elle espère décrocher un poste d'enseignante à plein temps cet automne.
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