Quel temps il fait demain?
La crainte de passer la récréation à l'intérieur transforme les enseignants en météorologues amateurs.
de Linwood Barclay

DU dimanche au jeudi, chaque soir ou presque, ma femme, qui enseigne à la maternelle, me demande quel temps il fera le lendemain.

Elle pense tout simplement que je le sais. Elle doit croire que je travaille pour Météo Média. Ou pour le service météorologique d’Environnement Canada. Elle pense peut-être que c’est moi ce type si sympathique des nouvelles de six heures qui n’arrêterait pas de sourire même si on le jetait au beau milieu d’un tsunami.

Il lui importe énormément de savoir ce que le lendemain apportera. J’ai d’abord pensé que c’était pour des raisons vestimentaires. Dans notre famille, les femmes passent en général beaucoup de temps à se demander ce qu’elles porteront le lendemain, tandis que nous, les hommes, avons plutôt tendance à nous lever le matin et à nous demander, au moment de choisir une chemise : «Est-ce que cette tache se verra une fois la chemise rentrée dans mon pantalon?»

J’ai d’abord pensé que c’était la température qui l’intéressait. Si la journée promet d’être chaude, ma femme s’habille pour rester fraîche. S’il doit faire froid le lendemain, elle s’habille pour avoir chaud. Logique.

Or, cette fascination pour la météo n’a pas vraiment pour origine des préoccupations d’ordre vestimentaire ou thermique. Elle provient plutôt de la crainte des précipitations et de la nécessité de s’armer pour le jour à venir. Voilà ce que je sais des enseignants : une seule chose les effraie plus que la pleine lune : la récréation à l’intérieur.

Je n’ai jamais été enseignant, et pour autant que je me souvienne, tout ce que j’ai jamais trouvé à dire en apprenant qu’il allait pleuvoir le lendemain, c’était : «Ah, bon. Je ne laverai pas la voiture alors.»

Mais quand une enseignante, et plus particulièrement une enseignante de l’élémentaire, apprend qu’il pleuvra le lendemain, elle s’exclame : «Oh non!» Un sentiment de danger et d’appréhension l’envahit. Les ténèbres, si vous préférez.

Bien d’autres professions devraient se préoccuper du temps. Les pilotes de ligne, par exemple. Quand on pilote un avion, on a besoin de savoir si on se dirige vers une mauvaise tempête. Pourra-t-on décoller et atterrir à l’heure? Sera-t-on dirigé vers un autre aéroport à cause d’une tempête de neige aveuglante à la destination prévue? Y aura-t-il des vents favorables qui feront battre un record, ou un vent de face qui nous fera arriver en retard?

Et pour quelqu’un qui travaille en haute mer, il est vital de s’informer des prévisions. Quiconque a lu ou vu The Perfect Storm comprendra pourquoi l’équipage d’un bateau de pêche aimerait savoir si une très grosse vague s’en vient. (C’est une autre histoire de savoir si leur capitaine va agir en conséquence.)

Et qui s’inquiète plus du temps qu’il fera que les facteurs? Ou les agents de circulation? Les paysagistes? Les opérateurs d’un centre de ski? Si je participais à Family Feud (ça, je préfère ne pas y penser trop longtemps) et qu’une des questions était de nommer les métiers où on se préoccupe le plus du temps, ce sont ceux qui me viendraient à l’esprit en premier. On n’entendra jamais l’animateur dire «Les enseignants!» comme réponse.

Mais moi je le sais.

Comme je n’ai pas d’articulation qui me fait mal quand le temps se gâte, j’allume la radio ou la télé pour me mettre au courant. Dès que j’apprends quelque chose, je le dis à ma femme. «Précipitations», lui dis-je.

«Ça veut dire quoi ? Avec éclaircies? Précipitations isolées? Des probabilités de précipitations?

«Ils ont juste dit précipitations.»

Un enseignant n’en sait jamais trop. Il veut toujours des détails. Comme par exemple s’il va y avoir de la pluie entre 10 h 30 et 10 h 45 ou 14 h 30 et 14 h 45. Les non-enseignants pensent que seule la NASA a besoin de prévisions aussi précises (pour savoir quand lancer une navette spatiale).

Je me souviens que ma fille, alors en deuxième année, est rentrée à la maison un jour de tempête en annonçant qu’elle avait passé la récréation à l’intérieur ce matin-là. Le directeur avait annoncé vers dix heures au personnel et aux élèves que les enfants ne sortiraient pas à la cloche une demi-heure plus tard.

Ma fille avait été stupéfiée par la réaction de son enseignante. «Elle a lentement posé sa tête sur son bureau et elle est juste restée comme ça.» C’est une très forte image du désespoir que je porte encore en moi des années plus tard. À vrai dire, je me souviens d’avoir adoré passer la récréation à l’intérieur dans mon enfance. Cela faisait toujours du bien de sortir dans la cour pour courir dans tous les sens, jouer au ballon ou échanger des cartes de sport. Mais une récréation imprévue à l’intérieur était une nouveauté, un changement dans la routine.

On pouvait être dans la classe, mais faire autre chose que les activités habituelles de classe.

On pouvait parler aussi fort qu’on voulait avec ses amis, sortir un jeu, aller au tableau pour jouer au pendu ou au tic-tac-toe au lieu de faire des divisions ou d’analyser une phrase. On pouvait faire l’idiot, peut-être même se bagarrer un peu. Bouger les tables. Jouer à la tague. Tirer les cheveux de quelqu’un. Le pincer. Faire des bruits de pet.

En bref, c’était l’occasion d’amener le déclin de la civilisation, à l’intérieur.

Il ne m’est pas venu une seule fois à l’esprit que ce n’était pas aussi rigolo pour l’enseignant que pour nous. Les élèves, dans une classe, ressemblent à des gaz très volatiles sous pression. À moins d’autoriser qu’une partie de cette pression ne soit relâchée périodiquement, on court le risque d’une horrible explosion. La récréation est la soupape de sécurité inventée par les enseignants il y a longtemps pour libérer une partie de cette pression. Plus ces gaz peuvent se disperser, comme dans une cour d’école, moins une catastrophe risque d’arriver. (Si cette analogie vous semble boiteuse, apprenez que j’ai raté la chimie.)

Comme me l’ont expliqué certaines personnes travaillant en enseignement, ce n’est pas que la récréation à l’intérieur les prive d’une pause bien gagnée. En fait, bon nombre passe la récréation à patrouiller la cour d’école, à surveiller les couloirs, à appeler un parent ou à préparer la leçon qui suivra la récréation. Elles n’auraient pas de pause de toute façon.

Le problème, c’est toute cette énergie accumulée. Comment amener élèves à se concentrer quand chaque molécule de leur corps demande à faire le tour de l’école en courant?

D’une certaine façon, je n’y comprends rien. Si j’enseignais à de très jeunes enfants, et qu’il neigeait, je préférerais rester à l’intérieur. Cette alternative semble tellement plus alléchante que l’autre, plus facile à expliquer sous forme d’horaire.

10 h 24 : dire aux 30 élèves de la classe que la récréation est dans six minutes, et qu’il est temps de ranger ses affaires et de se préparer.
10 h 25 : dire aux 30 élèves de la classe que la récréation est dans cinq minutes, et qu’il est VRAIMENT temps de ranger ses affaires et de se préparer.
10 h 26 : emmener les élèves au fond la classe, leur dire de mettre habits de neige, bottes, mitaines, tuques et foulards.
10 h 27 : rappeler à plusieurs des enfants que le processus est beaucoup plus facile quand on met le pantalon AVANT les bottes.
10 h 28 : répondre à la première de 30 demandes de remonter la fermeture éclair.
10 h 29 : répondre à la première de 30 demandes de trouver les mitaines manquantes.
10 h 30 : la cloche annonce le début de la récréation.
10 h 31 : 30 enfants, sans pantalon, bottes, manteau, mitaines, tuque ou écharpe, fermeture pas remontée, bottes mal attachées, se ruent vers la porte se cognant les uns contre les autres comme des autos tamponneuses.
10 h 32 : «Personne ne sort, dites-vous, avant que tout le monde soit habillé CORRECTEMENT, et cela inclut les fermetures remontées jusqu’en haut.» Un des enfants, si bien enveloppé dans sa combinaison qu’il pourrait jouer dans une pub de pneus, annonce qu’il doit aller à la toilette.
10 h 33 : un autre enfant a des difficultés techniques. Vous vous bagarrez avec une fermeture coincée. Vous y allez de toutes vos forces, la fermeture se décoince soudainement, remonte d’un coup et vous attrape le nez. (C’est vraiment arrivé à un des mes amis.)
10 h 34 : vous demandez à votre élève le plus digne de confiance d’aller chercher de l’aide au bureau pour dégager votre nez du manteau de l’enfant.
10 h 35 à 10 h 39 : une équipe composée du directeur, de l’adjointe, du concierge et d’un chauffeur d’autobus essaie de dégager votre nez.
10 h 40 : les enfants sont lâchés dans la cour pour la récréation.
10 h 41 :15 reviennent en disant qu’il fait trop froid.
10 h 42 : le secrétariat vous appelle dans votre classe, voulant savoir pourquoi vous ne surveillez pas la cour.
10 h 43 : vous mettez vos bottes, votre manteau, vos mitaines et votre foulard et vous sortez.
10 h 44 : vous faites quelques pas dans la cour. Ça fait du bien de respirer un peu d’air frais.
10 h 45 : la cloche sonne, c’est la fin de la récréation.

Répétez l’après-midi.

Bien sûr, un éducateur s’intéresse à la météo pour d’autres raisons que la récréation. Il y a les foires, les sorties, les matchs de soccer, les marchethons, et des dizaines d’autres événements scolaires qui peuvent réussir ou échouer selon les humeurs de Dame Nature.combien de directeurs d’écoles ont-ils regardé le ciel jusqu’à la dernière minute en se demandant si une soirée de collecte de fonds aura lieu ou non?

Les seuls à se préoccuper davantage du temps et de ses conséquences sur l’école que les enseignants seraient les élèves. En tous cas, certainement les jours de tempête. L’espoir qu’un jour une tempête sera si paralysante qu’elle forcera l’école à fermer est la seule chose qui aide certains enfants à passer l’hiver.

Mes enfants rêvent toujours d’un jour de tempête. Un matin, il n’y a pas si longtemps, je suis entré dans la chambre de ma fille pour la réveiller, j’ai mentionné qu’il ne faisait vraiment pas beau dehors. «Il neige?» m’a-t-elle demandé de dessous ses couvertures, à moitié réveillée. «L’école est fermée?» «Je ne pense pas, ma chérie, lui ai-je répondu, on est en juin.»

Les jours où il neige, les enseignants sont à l’écoute des bulletins du matin aussi attentivement que les élèves et se demandent si une tempête sera jugée assez sérieuse pour qu’ils restent à la maison. Je ne voudrais pour rien au monde suggérer que certains enseignants ne se dévouent pas à 100 pour 100 à leur métier, mais j’en ai vu au bord des larmes en entendant : «Le transport scolaire est annulé, mais les écoles sont ouvertes.»

En être si proche, et voir ses rêves éclater. C’est terrible.

Voici un plan en trois parties pour régler la situation :

  1. La chaîne météo pour enseignants : un service de prévisions 24 heures sur 24 pour éducateurs qui pourrait prévoir quelle partie de la cour d’école recevra le plus de précipitations, grâce à un système d’observation ultra-sophistiqué. Il serait alors possible de dire aux élèves : «Allez jouer dans le coin sud, il n’y tombe qu’une bruine légère.» Elle renseignerait aussi sur les phases de la lune. Bon nombre d’enseignants de l’élémentaire jurent que les enfants sont montés sur ressort à la pleine lune, ce qui me fait toujours demander : «Et comment sont-ils les autres jours?»
  2. La thérapie SSPRRI : il s’agit, bien sûr de la thérapie pour le Syndrome de stress post-réactionnel à la récréation à l’intérieur. Ce syndrome ayant été officiellement reconnu par la communauté psychiatrique, les enseignants devraient avoir droit à des séances de thérapie. Une enseignante de deuxième année dit : «Je trouve qu’après une récréation à l’intérieur, ça aide de pouvoir en parler à quelqu’un.»
  3. Les dômes gonflables : aussitôt que le directeur apprend qu’il va y avoir du mauvais temps, il appuie sur le bouton et pouf ! la cour est couverte.

Les enfants sortent.

Je sais que cela risque de prendre un peu de temps pour mettre en œuvre toutes ces mesures. Entre-temps, les enseignants devront s’efforcer de tenir le coup et leurs conjoints devront annoncer les prévisions météo du lendemain avec autant de précautions que possible. En fait, pendant que j’écris, avec la radio en sourdine, j’entends qu’ils prévoient de la pluie pour demain. De très fortes pluies. Enseignants, tremblez!

Linwood Barclay est chroniqueur au Toronto Star et auteur de Last Resort: Coming of Age in Cottage Country.

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