De moins en moins d’hommes dans la profession
On part à la retraite plus vite qu’on n’entre
dans la profession, et peu d’hommes se trouvent parmi les
nouvelles recrues. Est-ce vraiment un problème?
de Brian Jamieson
|
|
Vince Anania est unique.
Malheureusement.
Cet enseignant chevronné de l’école St. Charles
de Thorold est le seul homme à enseigner la maternelle de tout
le Niagara Catholic District School Board.
M. Anania, un enseignant dynamique, âgé de 44 ans,
ne comprend pas vraiment ce qui le rend unique. Demandez-lui et il vous
répondra qu’il a la plus belle carrière qui soit.
Il est tout à fait emballé à l’idée
de façonner de jeunes esprits et de leur insuffler l’amour
d’apprendre.
«Ces enfants sont notre avenir, surtout ceux de la maternelle,
affirme-t-il. C’est la première fois qu’ils vont à l’école.
Ils n’ont jamais vu de salle de classe. Vous les guidez au cours
de leur toute première année scolaire. Vous leur transmettez
l’amour de l’école et de l’apprentissage. Ils
vous font confiance. Ils croient tout ce que vous dites, observent tout
ce que vous faites. Vous êtes un dieu pour ces enfants.»
Il admet toutefois que c’est un défi. Les enfants s’ennuient
de leurs parents. Ils doivent apprendre à se mettre en rang et à lever
la main. Ils apprennent la discipline et les routines.
«Nous accordons beaucoup d’importance à la littératie
et à la numératie, à toutes les années, des
plus petits aux plus grands. Toute l’information que je leur transmets
est primordiale. Ce n’est pas un emploi, c’est une vocation.»
Or, ce n’est plus une vocation que les hommes choisissent.
Quatre femmes pour un homme
Trois ans après une étude indépendante qui s’est
penchée sur le phénomène de la diminution du nombre
d’hommes dans les classes de l’Ontario, peu semble avoir
changé. Il y a quatre femmes pour un homme qui enseignent aux
cycles primaire et moyen. Les hommes partent à la retraite plus
rapidement qu’ils n’entrent dans la profession, et les données
de l’Ordre suggèrent que la tendance devrait se maintenir.
Le nombre d’hommes, parmi les 207 000 membres de l’Ordre,
continue de décroître, surtout les hommes de plus de 55 ans.
Nos données indiquent que le pourcentage d’enseignants
anglophones de sexe masculin dans la province est passé de 30 pour
cent en 2004 à 28 pour cent en 2006.
Le pourcentage d’hommes de plus de 55 ans qui enseignent
aux cycles intermédiaire et supérieur représente
la baisse la plus importante. En effet, de 54 pour cent en 2004,
il est passé à 51 pour cent en 2006. En 2004, 25 pour
cent des personnes qui enseignaient aux cycles primaire et moyen étaient
des hommes de plus de 55 ans. En 2006, ce chiffre est tombé à 21 pour
cent.
«Les hommes partent à la retraite plus
rapidement qu’ils n’entrent dans la profession.»
Selon le Centre de réception des demandes d’admission aux
universités de l’Ontario, le pourcentage d’étudiants
inscrits aux facultés d’éducation de l’Ontario
est passé de 28,1 pour cent en 1999 à 27,3 pour
cent en 2005. Cependant, au cours de cette période, le nombre
de places disponibles dans les programmes de formation à l’enseignement
a grimpé de 5 923 à 7 496. Plus de possibilités
d’emploi, mais proportionnellement moins d’hommes pour les
saisir.
«Historiquement, il y a moins d’hommes que de femmes qui
enseignent à l’élémentaire, admet Sylvia Terpstra,
directrice de l’éducation du Kawartha Pine Ridge District
School Board. Ce qui nous inquiète le plus, c’est que ce
taux relativement stable est clairement en mutation. La voix des hommes
ne se fait plus entendre dans les écoles élémentaires.
«À un moment où nos communautés se tournent
plus que jamais vers les écoles pour obtenir de l’appui,
en plus du fait que nous reconnaissons le besoin des écoles de
jouer le rôle de chef de file en matière de développement
de la personnalité, il y a une lacune de modèles masculins
dans nos écoles. Ce n’est pas seulement une situation que
nos conseils scolaires vivent; c’est aussi une tendance à l’échelle
provinciale, nationale et internationale, dont nous ne sentirons pas
les répercussions pour quelque temps peut-être.
«Une des solutions à ce problème, une solution que
nous soutenons, serait que les collèges de formation à l’enseignement
révisent leurs critères d’inscription et mettent
davantage l’accent sur l’expérience des étudiants
potentiels.»
Jean-Luc Bernard, directeur de l’éducation du Conseil scolaire
de district du Centre-Sud-Ouest, est d’avis que la nouvelle option
de formation à temps partiel permet aux hommes de continuer à travailler
pendant qu’ils font la transition vers l’enseignement. Il
croit donc qu’il y aura plus d’hommes à l’élémentaire.
|
Jean-Luc Bernard, directeur de l’éducation
du Conseil scolaire de district du Centre-Sud-Ouest, a contribué aux
recommandations visant à attirer les hommes dans la profession
enseignante.
|
«C’est une bonne chose de voir plus d’hommes s’intéresser à l’enseignement,
déclare M. Bernard. Quant à savoir s’ils resteront
dans la profession compte tenu du salaire, je crois qu’il y a de
l’espoir. Bien entendu, que ce soit un homme ou une femme, on a
toujours besoin d’un mentor et d’un peu d’aide au cours
des premières années.»
Aimerait-il voir plus d’hommes dans la profession? Tout à fait.
«Nos élèves ont des styles d’apprentissage
différents, affirme M. Bernard. Je pense que le style d’enseignement
d’un homme est différent de celui d’une femme. Les
expériences sont différentes et nous savons très
bien que l’apprentissage en matière de lecture et de toute
la littératie est complètement différent pour les
garçons et pour les filles. Les hommes et les femmes enseigneront
le programme et transmettront les compétences différemment.
C’est pourquoi je pense qu’il faut avoir des enseignants
des deux sexes.»
Une étude de 2004 commandée par M. Bernard, David
Hill, alors directeur de l’éducation du Trillium Lakelands
District School Board, Doug Wilson, alors registrateur de l’Ordre,
et Pat Falter, directrice consultante de l’Université Laurentienne,
conclut que moins d’un enseignant sur trois est un homme et que,
parmi eux, seulement un sur dix a moins de 30 ans. De plus, 40 pour
cent des enseignants de sexe masculin avaient plus de 50 ans en
2004 et allaient prendre leur retraite.
Le projet a cerné certaines idées préconçues
qui découragent les hommes à entrer dans la profession,
comme les faibles salaires, les stéréotypes négatifs
et la peur des allégations de faute professionnelle de nature
sexuelle.
Dans leur rapport, Réduire l’écart entre les
sexes : comment attirer les hommes dans la profession enseignante,
les partenaires du projet recommandent :
- de fournir le matériel nécessaire aux facultés,
aux conseils scolaires, et aux autres employeurs et organismes pour
faire ressortir les avantages d’une carrière en enseignement,
et dissiper les mythes qui découragent les hommes à entrer
dans la profession
- d’examiner d’autres mesures éducatives
- d’offrir davantage de programmes alternatifs et à temps
partiel dans les facultés d’éducation
- d’améliorer les programmes d’éducation
coopérative et de tutorat par les pairs dans les écoles élémentaires
pour les garçons du secondaire
- d’organiser des programmes de mentorat pour les enseignants
de sexe masculin
- d’encourager la recherche pour déterminer les liens
qui existent entre le rendement scolaire des garçons et la présence
d’enseignants de sexe masculin.
Il est difficile de savoir si les recommandations ont abouti et quelles
ont été les répercussions sur les pratiques des
facultés et conseils scolaires.
Est-ce que ça compte?
Est-ce vraiment un problème? Même le rapport Réduire
l’écart entre les sexes : comment attirer les hommes
dans la profession enseignante reconnaît que l’Ontario
a surtout besoin d’enseignants exemplaires, quel que soit leur
sexe.
«Nous devons avoir un certain nombre d’hommes dans la profession
pour faire entendre la voix masculine et étayer l’approche
masculine de la conception du processus d’apprentissage, déclare
Bill Hogarth, directeur de l’éducation du York Region District
School Board. Quand nous n’entendons pas la voix des hommes, des écarts
se créent.
«Je ne crois pas que nous puissions nous permettre d’abandonner
la question du recrutement. Je crois simplement que le bassin d’hommes
rétrécit. Comment pouvons-nous avoir de la qualité quand
le bassin est si restreint?»
M. Hogarth dirige le conseil scolaire ayant la croissance la plus rapide
en Ontario. Il estime qu’un enseignant sur cinq dans la région
de York est un homme. Or, redoubler les efforts pour recruter plus d’hommes
pourrait bien être la mauvaise approche, suggère-t-il.
«Les hommes et les femmes enseigneront le
programme et transmettront les compétences différemment.»
«Ne nous préoccupons pas des hommes en enseignement, mais
de la classe, du milieu dans lequel elle évolue et de la voix
que les filles et les garçons entendent. Nous savons qu’il
y a un écart entre l’apprentissage des filles et celui des
garçons. Que pouvons-nous faire pour le combler? Si nous n’entendons
qu’une voix ou une stratégie pédagogique, qu’est-ce
que ça provoque chez nos garçons? demande M. Hogarth.
«Je commencerais par penser d’abord à l’élève
en me demandant ce que ça fait de ne pas avoir plus d’hommes
enseignants.»
M. Hogarth avoue s’inquiéter de la façon dont les
garçons apprennent et quels types de stratégies pédagogiques
on utilise pour les aider. «Nous tentons tous d’analyser
sous l’optique de la littératie. Mais il y a bien plus que
cela. Il existe un écart entre les sexes.»
M. Hogarth affirme que «les hommes ont recours à une approche
différente. Elle n’est ni meilleure ni pire. Toutefois,
si nous n’accordons pas d’importance à cette situation,
nous réduisons les occasions de se pencher sur l’écart
entre les sexes.»
Il est d’avis que les barrières qui empêchent les
hommes d’entrer dans la profession existent toujours.
«Quand des écoles entières n’ont aucun homme
parmi leur personnel enseignant, cela porte les hommes à croire
que l’enseignement n’est vraiment pas pour eux, surtout à l’élémentaire,
et jusqu’à un certain degré, au secondaire.»
|
Selon M. Anania, les hommes ne savent pas ce qu’ils
perdent : c’est extraordinaire d’enseigner aux
enfants de maternelle qui viennent tout juste d’entreprendre
leur aventure au pays de l’éducation.
|
Vince Anania espère qu’il y aura plus d’hommes dans
les classes de maternelle. Il croit simplement que les hommes ne savent
pas ce qu’ils perdent.
«Mes confrères croient que ce n’est que du jeu, déclare-t-il.
Je leur dis qu’ils oublient que ces enfants viennent tout juste
d’entreprendre leur aventure au pays de l’éducation.
Ils se privent de l’innocence de ces enfants et de la joie d’être
témoin de leur développement.
«Des mères m’ont dit que j’étais une
figure paternelle pour leurs enfants, ajoute-t-il. Ils ont besoin de
la stabilité masculine. Les garçons qui n’ont pas
de père sollicitent mon attention. Ils parlent plus de sports.
Ils veulent davantage jouer avec moi. Ils ont besoin d’un modèle
masculin.»
Il adore travailler avec les enfants, comprendre leurs besoins, cerner
leurs forces et les aider à relever leurs défis.
«J’ai eu le coup de foudre, déclare M. Anania. Ces
enfants sont notre avenir. On leur montre le chemin de l’apprentissage.»
On assistera à un déclin général de la proportion
d’enseignants de sexe masculin, puisque les hommes de plus de 55 ans,
qui représentent le pourcentage le plus élevé, partent à la
retraite et qu’il n’y a pas autant de jeunes hommes pour
les remplacer.
|