Des professeurs remarquables
Ben Heppner


Anne Exner Matheson : l'enseignante remarquable de Ben Heppner.

 

Ben Heppner se souvient encore d'une expérience formatrice, mais traumatisante, qu'il a vécue en 11e année. Aujourd'hui, c'est un ténor de réputation mondiale qui chante dans les plus grandes salles d'opéra : La Scala, le Metropolitan et le Royal Opera House à Covent Garden.

En 1973, cet adolescent maladroit s'était produit devant une foule critiq-ue et intimidante : ses camarades de l'école South Peace à Dawson Creek en Colombie-Britannique.

«J'étais mort de peur», avoue-t-il maintenant.

Qui donc l'avait convaincu de chanter ce jour-là? C'était Anne Matheson, alors Anne Exner, dynamique enseignante d'art dramatique et de théâtre à l'école South Peace.

«Je ne faisais pas de théâtre. Et les arts n'étaient pas mon point fort. En fait, Mme Exner ne m'a enseigné que plus tard. Je chantais à l'église. Elle m'a entendu et a insisté pour que je participe au concert de Noël à l'école. J'avais honte car on était loin de la musique populaire.»

Ben ne prenait pas encore de leçons de chant privées. Il chantait dans les églises et jouait de l'euphonium dans l'orchestre de l'école. Il admet avoir été un élève moyen en musique au secondaire. «La partie théorique ne m'intéressait pas. Aujourd'hui, ma femme me taquine en disant que je n'utilisais pas mon plein potentiel!»

Ben était le cadet d'une famille de neuf enfants élevés sur une ferme mennonite. Tout le monde chantait. «Ce sont tous des chanteurs amateurs et je chantais tout le temps.»

Cependant, chanter à un concert de l'école représentait tout un défi. Il a chanté une pièce intitulée Ring the Bells. «Je n'étais pas certain que mes amis apprécieraient, car à l'é-poque, ils écoutaient Black Sabbath et Santana!

«Mme Exner m'a convaincu de monter sur scène. Elle a su voir mon potentiel et ne m'a pas lâché. Elle ne m'a pas vraiment encouragé, affirme-t-il. Elle ne m'a tout simplement pas donné le choix. Je voulais le faire, mais je manquais de courage. La réaction du public a été sensationnelle et cela m'a déconcerté.»

Déconcerté, mais pas paralysé.

Cette soirée à l'école secondaire South Peace a marqué un point tournant dans sa vie.

«Ensuite, j'ai suivi les cours de théâtre de Mme Exner et j'ai joué dans quelques pièces montées par une troupe locale.»

Anne Matheson se souvient de l'un de ces spectacles.

«Chaque année, je montais une pièce. Un de mes col-lègues avait écrit une merveilleuse comédie musicale pour enfants mettant en vedette un roi costaud et grand. Ben était le candidat idéal pour le rôle à cause de sa carrure et de sa voix. Alors quand je l'ai rencontré un de ces matins, je lui ai dit : «Ben, j'ai besoin de toi».

«Le professeur de musique a composé la musique, j'ai montré à Ben quelques techniques d'art dramatique et vous connaissez la suite. Le spectac-le a remporté un franc succès; nous l'avons présenté à quelques reprises.

«Au début, mon acharnement à vouloir qu'il suive des cours de chant n'a pas été bien accueilli par la famille, se souvient Anne. J'ai insisté pour leur faire comprendre que c'était péché de ne pas développer un tel talent, qu'il devait partager ce don du ciel avec le monde entier.»

Peu de temps après, Ben a suivi des cours de chant au Canadian Bible College à Regina, puis s'est inscrit en musique à l'Université de la Colombie-Britannique (UBC).

«J'étais très heureuse qu'il soit accepté à l'Université de la Colombie-Britannique», souligne Anne.

Ben se rappelle affectueusement d'un de ses professeurs à l'UBC. «J'étais dans les Chamber Singers de l'Université et Cortland Hultberg était le chef d'orchestre. Il a été important pour moi à cause de sa relation avec la musiq-ue. Son style était fantastique, pas théoriq-ue du tout. Il se servait beaucoup de ses émotions.

«Une fois, dans un restaurant à Fort St. John alors que nous étions en tournée, une chanson lui est revenue en tête. Il a demandé des serviettes de papier et y a écrit les partitions. Il a remis à chacun de nous une des serviettes et nous avons chanté tous ensemble. C'était une sorte de quatuor de figaros en huit parties; quelle mémoire il avait! L'année suivante, c'est devenu une pièce de notre répertoire régulier. Il était toujours comme ça, il faisait des exercices mentaux pour garder la forme. Un type extraordinaire.»

Ben a retenu l'attention du public en 1979, lorsqu'il a remporté le premier prix du Festival des nouveaux talents de la CBC. Lorsqu'il a étudié à la Faculté de musique de l'Université de Toronto, il s'est dirigé vers l'opéra. Quelques années plus tard, il a remporté le prix Birgit Nilsson lors des auditions au Metropolitan Opera à New York.

Il a remporté des prix Grammy et Juno, s'est produit partout dans le monde, est devenu Officier de l'Ordre du Canada et a obtenu plusieurs doctorats honorifiques. Il est l'un des plus grands ténors dramatiques du monde, ayant tenu des rôles exigeants - de Tristan et Lohengrin de Wagner à Othello de Verdi et Aeneas de Berlioz - et s'est fait accompagner par les meilleurs orchestres dans les salles les plus prestigieuses. Il vient tout juste de signer un contrat d'exclusivité avec Deutsche Grammophon.

Ben Heppner a toujours gardé contact avec Anne Matheson, retraitée depuis longtemps déjà. «Elle est retournée en Slovaquie, son pays natal, pour enseigner l'anglais langue seconde. Je l'ai revue il y a quatre ou cinq ans. Elle a assisté à un spectacle à Vienne avec quelques-uns de ses élèves et nous avons soupé ensemble.»

Cortland Hultberg, son premier mentor à l'UBC, est décédé en 2002.

«Ces deux professeurs m'ont carrément donné des ailes. Ils ont vu au-delà de l'adolescent obèse et échevelé que j'étais. Ils ont eu confiance en mon potentiel. C'est un beau cadeau qu'ils m'ont offert.»

Ben Heppner sera en tournée aux États-Unis et en Europe au printemps, et fera escale à Ottawa en mars pour se produire au concert gala donné à Rideau Hall en l'honneur de la gouverneure générale.