Qui devrait gérer nos écoles?


Compte rendu du Sommet sur la gouvernance en éducation

 

de Brian Jamieson

L'administration des écoles semblait un sujet fort à propos à la suite de l'élection d'un nouveau gouvernement.

Des conférenciers de renom et quelque 250 éducateurs, parents et représentants du monde de l'éducation se sont rassemblés à l'Ordre pour un débat animé d'une journée et demie en janvier. Malgré tout, le Sommet sur la gouvernance en éducation de l'Alliance-Éducation n'a pu fournir de réponses toutes faites à la question des rôles et des responsabilités des décideurs au pouvoir actuellement et de ceux qui veulent une part du gâteau.

En tant que meneur de jeu, le ministre de l'Éducation de l'Ontario, Gerard Kennedy, a été concis quant à l'orientation du gouvernement : «Paix et stabilité d'abord. Ensuite, de la collaboration.»

«Nous devons être très clairs sur les enjeux de la gouvernance en éducation, a indiqué M. Kennedy. Ce sont les enfants, la confiance de la société et la confiance des parents.»

Selon Kennedy, la question est de savoir comment les écoles, les conseils scolaires et le gouvernement peuvent collaborer pour mettre en œuvre les changements dont les jeunes ont besoin dans un délai raisonnable. De 40 à 50 % des élèves ont besoin d'aide pour atteindre leur potentiel en lecture, en écriture et en mathématique, par exemple. De plus, 25 % des jeunes en 9e année n'obtiendront pas leur diplôme d'études secondaires dans l'ordre actuel des choses.

«Nous essayons d'être clairs sur notre volonté d'assurer la paix et la stabilité pour les conseils scolaires et les élèves dans la province. Nous voulons favoriser un climat de respect et nous en acceptons la responsabilité. Vous ne nous entendrez pas blâmer les conseillers scolaires, les directeurs d'école ou les enseignants - à qui incombent les tâches administratives difficiles - pour les lacunes du système. Fini la micro-gestion», a-t-il déclaré.

Le gouvernement libéral a une préférence pour la gestion locale, de préciser M. Kennedy. «Ce n'est pas pratique d'assurer le fonctionnement de 4 700 écoles depuis Queen's Park.»

Il a souligné que les conseillers scolaires ont un rôle spécial à jouer en mettant la confiance du public au service des élèves de façon concrète. M. Kennedy a affirmé également que les élèves ont besoin d'être représentés au sein de l'administration scolaire et que le rôle des directeurs d'école doit être mieux défini.

Que ce soit juste ou non, les écoles financées par les fonds publics doivent de nouveau faire leurs preuves. L'appréciation du public n'est tout simplement pas ce qu'elle devrait être. Le monde de l'éducation doit ouvrir ses portes, a ajouté M. Kennedy.

Peu de conclusions

L'ex-premier ministre de l'Ontario, Bob Rae, a ajouté sa voix à la discussion, tout comme l'ancien ministre de l'Éducation de l'Ontario, Dave Cooke. Le président du conseil et directeur général du Régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l'Ontario a également offert ses commentaires, tout comme l'ont fait les banquiers Charlie Coffey et Don Drummond. Le juge Paul Rouleau de la Cour supérieure de l'Ontario a, pour sa part, présenté une perspective juridique sur la question. Les directeurs de l'éducation, les conseillers scolaires et certains membres des médias ont ajouté leurs points de vue et débattu les diverses options. Enseignants et élèves étaient visiblement en minorité à la rencontre.

Le consensus final : il faut tenir des discussions plus approfondies.

Même le coloré Bernard Shapiro, ancien directeur et vice-chancelier de l'Université McGill et ancien sous-ministre de l'Éducation en Ontario, a eu de la difficulté à dresser un sommaire de la rencontre. Il a plutôt noté que la conférence avait «suscité la réflexion, encouragé la planification et permis de tisser les liens nécessaires si des changements s'imposent».

Le sujet de la gouvernance en éducation est-il trop vaste? Le monde de l'éducation comporte-t-il trop de joueurs? Les joueurs en cause feront-ils preuve de l'humilité nécessaire pour forger un consensus? La question se pose.

Un ordre du jour d'envergure

La conférence avait pour but de répondre au besoin de définir les responsabilités et l'autorité du ministère de l'Éducation, des conseils scolaires, des parents et d'autres groupes d'intérêt.

Quel devrait-être le rapport entre le conseil scolaire et les écoles? Dans quelle mesure l'innovation et la diversité seront-elles permises? Quel est le rôle des conseils scolaires quant à la collecte de fonds et aux dépenses?

Les délégués à la conférence ont commencé par définir les rôles des administrateurs. Tous ont convenu, cependant, qu'il n'existait pas de solution facile.

«Il semble y avoir consensus quant à la nécessité de décentraliser le système dans une certaine mesure, a indiqué M. Shapiro. Il faut mettre en place un cadre de travail provincial qui énonce les principaux objectifs centraux des écoles et établit des mécanismes pour rendre compte des résultats.»

Une question de politique

Comme l'a soulevé M. Shapiro, la conférence a pour prémisses que la question de la gouvernance est importante et qu'il existe une corrélation entre la gouvernance, l'apprentissage et la réussite des élèves.

«Voilà une proposition qui semble raisonnable, a-t-il souligné, mais à l'inverse, d'autres croient que l'éducation sans but lucratif est un jeu où l'élite se dispute l'influence ou le pouvoir politique et où la question de gouvernance n'est que mirage.»

Charles Ungerleider, professeur de sociologie de l'éducation à l'Université de la Colombie-Britannique, a suggéré pour sa part que «les conflits politiques en éducation sont inévitables».

L'universalité, la productivité, l'équité, la responsabilité, l'autonomie et la souplesse sont toutes des valeurs associées à l'éducation publique, a-t-il souligné. Toutes ne peuvent exister en même temps, d'où le conflit.

Ben Levin, professeur à l'Université du Manitoba, soutient quant à lui que le conflit est inhérent parce que les gens attendent des choses contradictoires du système scolaire. La gouvernance, selon lui, est une question politique.

Annie Kidder, porte-parole de People for Education, est d'avis que la démocratie n'est pas chose facile. «C'est lent, c'est encombrant et c'est énervant. Mais c'est ce qui fait qu'on la chérit.»

Les conseils scolaires sont des «entités démocratiques remarquables», a-t-elle souligné en faisant l'éloge des conseillers scolaires. «Peu importe que vous soyez en colère contre eux, ils répondent toujours au téléphone. Pour les parents, c'est tout un atout.»

À l'école

Mme Kidder a également attiré l'attention sur le fait que les directeurs d'école «passent leur temps à remplir des formulaires et à gérer leurs écoles au quotidien», plutôt que d'être des modèle de leadership en enseignement. «Les conseils scolaires ont réduit leurs tâches administratives et les ont refilées aux écoles.»

Dave Cooke, ancien ministre de l'Éducation sous le gouvernement néo-démocrate, partage le même avis. «Nous avons changé le rôle des directeurs d'école dans la province sans mener de consultation. Dans nombre d'écoles, le directeur d'école n'est qu'à temps partiel et ne peut jouer le rôle de directeur d'école et d'éducateur ou de directeur d'école et d'enseignant.»

Bill Hogarth, directeur de l'éducation au conseil scolaire de la région de York, est en faveur quant à lui d'un examen des structures scolaires, d'une redéfinition des rôles et responsabilités, de la formation des directeurs de l'éducation et des conseillers scolaires, et de l'élaboration de nouveaux modèles de leadership co-opératif. «On peut changer la structure locale, éduquer les décideurs et encourager un modèle coopératif de gestion de l'éducation de façon à obtenir les résultats escomptés pour les jeunes à notre charge», a précisé M. Hogarth.

La présidente de l'association des conseils scolaires de l'Ontario, Gerri Gershon, note que «si l'objectif poursuivi par nos écoles n'est que de promouvoir la réussite des élèves, il faut alors envisager d'autres modèles, comme des conseils et des comités nommés. Toutefois, si notre objectif est également de former des personnes civilisées, d'orienter les nouveaux Canadiens ou de produire des citoyens créatifs, tolérants et justes, il n'existe alors d'autre option que d'élire démocratiquement les conseillers scolaires avec toutes les luttes, les pleurs et les grincements de dents que cela comporte».

Mme Gershon souhaite également que les conseillers scolaires disposent des outils dont ils ont besoin pour parler d'éducation au public et d'un salaire leur permettant de remplir leur mandat. De fait, de nombreux conseillers scolaires ont suggéré d'éliminer le plafond salarial de 5 000 $ qui leur est imposé pour intéresser davantage de personnes qualifiées pour ce rôle et reconnaître le travail qu'ils accomplissent.

Il n'y a pas que l'argent

Des participants au sommet ont suggéré que la discussion autour de l'argent était à la source de nombre des problèmes du système.

«Il n'y aura jamais suffisamment d'argent pour faire tout ce que nous voulons faire en éducation publique», a affirmé Michele Mulder, présidente de l'association des conseils scolaires de l'Alberta et de l'Association des conseils scolaires du Canada. «L'éducation publique aura toujours plus de projets que de fonds disponibles.»

Mme Mulder a fait l'éloge de l'innovation démontrée par les écoles albertaines où les résultats scolaires sont en hausse et où l'éducation publique joue des coudes avec les écoles privées. Le temps est venu d'arrêter de blâmer les autres et de se plaindre de questions d'argent.

De l'efficacité de la gouvernance
Bob Rae, ancien premier ministre de l'Ontario : Choisir les bonnes personnes pour prendre les décisions qui s'imposent. Voilà le vrai test de la gouvernance. Tout en découle.

L'argent n'est pas important en soi, a précisé M. Shapiro, mais il entre en ligne de compte. Si nous voulons des tests d'envergure, une responsabilité accrue, des normes élevées, de nouveaux services et des activités parascolaires, il faut pouvoir les payer. Et ceux qui soulèvent ces attentes devraient également en défrayer le coût.

«Des choix, souvent pénibles, s'imposent», a conclu Mme Mulder.

Fiona Nelson, ancienne conseillère scolaire à Toronto, estime que l'obsession des chiffres, qu'il s'agisse de finances ou de résultats à des tests, cache les véritables enjeux.

«Le calcul du succès est beaucoup plus complexe et qualitatif que le calcul des profits des actionnaires, a souligné le président de Torstar, John Evans. Il importe néanmoins de définir ce qui constitue une réussite pour l'enfant.»

De la gouvernance inefficace
John Evans, président de Torstar Corporation et de la Fondation canadienne pour l'innovation : La gouvernance est devenue le point de mire du monde corporatif en raison de la mauvaise gestion et des scandales mis au jour récemment. Les organismes publics et sans but lucratif doivent relever les mêmes défis.

«Cela m'étonne toujours, a affirmé Dave Cooke, autrefois ministre de l'Éducation. On peut prendre le contrôle d'un conseil scolaire en Ontario si ses finances ne sont pas administrées judicieusement. Mais si tous les élèves du même conseil avaient de mauvais résultats aux divers tests, il n'existe aucune disposition légale permettant au Ministère d'intervenir. La loi se concentre sur l'aspect financier et non sur les attentes et la réussite des élèves.»

Don Drummond, vice-président principal et économiste à la Banque TD, est d'avis pour sa part que les économies qui ne fonctionnent pas sont restreintes par un pouvoir central qui anéantit l'innovation. Au contraire, les économies et les entreprises prospères sont innova-trices. «Si elles ne sont pas innovatrices, elles ne survivent pas. Tout bouge à la vitesse de l'éclair. L'éducation n'a pas le luxe de réfléchir à ce qui ne va pas et de s'y attaquer sur plusieurs années. Elle doit réagir beaucoup plus rapidement.»

Qui décide

L'un des participants à la conférence a suggéré que la question critique est de savoir qui devrait décider de ce qu'on tente de faire de l'éducation.

L'ex-premier ministre Bob Rae estime que la responsabilité incombe largement à la province, mais si les décisions sont imposées d'en haut, celles-ci ne recevront pas l'appui nécessaire.

Dave Cooke a ajouté que les lois et règlements changent si rapidement que les conseils scolaires n'ont pas les moyens de les mettre en œuvre.

M. Cooke s'est fait le défenseur d'un pouvoir local accru, d'une plus grande influence pour les conseils d'école et d'une définition plus précise des rôles. «Nous devons définir les pouvoirs du directeur d'école et sa relation avec le conseil d'école.»

Il a soulevé l'idée d'un cadre de responsabilisation où les écoles, les conseils scolaires et la province présenteraient des rapports sur leurs progrès. Il a de plus suggéré que l'Office de la qualité et de la responsabilité en éducation devrait se rapporter au vérificateur général plutôt qu'au ministère de l'Éducation.

Charles Pascal, sous-ministre de l'Éducation sous M. Cooke, a souligné que «les gouvernements sont tous bons à élaborer des politiques, mais pitoyables à les mettre en œuvre».

Le juge Paul Rouleau de la Cour supérieure de l'Ontario a rendu hommage au travail des conseillers scolaires et souligné que les conseils scolaires ont des comptes à rendre au public et des responsabilités en vertu de près de 40 lois provinciales. «Les conseils scolaires peuvent prendre des décisions importantes en tout temps et ils le font. Le modèle dont nous disposons fonctionne bien. Nous n'avons pas besoin de changements radicaux.»

Matthew Reid, président de l'Ontario Student Trustees Association, a tenu à rappeler que les élèves ont une voix au chapitre. «Si notre seul objectif porte sur les résultats scolaires, nous aurons échoué du point de vue des élèves.»

De la gouvernance en éducation
Bill Hogarth, directeur de l'éducation au conseil scolaire de la région de York : L'efficacité de la gouvernance repose sur un juste équilibre entre la centralisation et la décentralisation des fonctions. La collaboration et le respect doivent également être au rendez-vous.

Bob Rae a insisté que les résultats aux tests ne sont pas entièrement révélateurs de la réussite d'une école. Les sports, les groupes musicaux et l'art dramatique influent aussi sur l'expérience scolaire et le développement des élèves. On ne peut cependant ignorer les résultats des tests.

M. Reid a maintenu que les élèves ne reçoivent pas tout le crédit qui leur est dû. Les attitudes des gens envers les élèves doivent changer.

Le président de Torstar est d'accord sur le sujet. «Ce sont eux les clients, le produit et la raison d'être du système; vous ignorez leur avis à vos risques et périls.»

Engagement et complexité

«Les structures et les relations gouvernementales ont leur place comme facteurs de réussite, mais rien ne peut remplacer le besoin, d'abord et avant tout, de fixer des objectifs réalistes et enrichissants et de compter sur des enseignants et des élèves qui croient en l'éducation et ses possibilités», a conclu Bernard Shapiro.

Les conseils scolaires ont besoin d'une marge de manœuvre pour répondre à leurs propres besoins. Une décentralisation s'impose pour stimuler, reconnaître et récompenser la créativité, l'énergie et l'imagination des éducateurs. La transparence et la responsabilité sont également essentielles.

L'ex-premier ministre Bob Rae a indiqué d'entrée de jeu lors du sommet que «nous aurons toujours un système complexe de gouvernance dans notre province. C'est à nous de chérir cette complexité». Il a suggéré à ce sujet qu'un système solide n'est pas l'apanage d'un pouvoir centralisé. En fait, le système doit être axé sur la collaboration pour réussir.

«Nous ne pouvons nous attendre à ce que le soutien pour l'éducation publique émane d'une compréhension conceptuelle de l'importance de l'éducation, a poursuivi M. Shapiro. Ce soutien viendra de l'expérience que nous avons du système.»

À son avis, les écoles ont besoin de la participation, de débats et du soutien du public. «Il y aura toujours des pro-blèmes quand un groupe est responsable de décider des objectifs et un autre de les mettre en œuvre.»

Shapiro a insisté sur le fait que les partenaires en éducation doivent se respecter mutuellement, comprendre l'orientation des autres et souhaiter leur réussite. Il a également mis en garde les participants contre les solutions faciles.

«Il n'existe pas de solutions-miracles. Les solutions simples aux entreprises sociales complexes n'existent tout simplement pas.»



Administration scolaire : promouvoir l'efficacité

On ne naît pas bon administrateur, affirme John Evans, président de Torstar Corporation et autrefois président de l'Université de Toronto. Certains y sont prédisposés, mais la plupart peuvent le devenir s'ils sont bien conseillés et encadrés, et si leur rendement est proprement commenté et évalué.

Pour s'assurer que les administrateurs utilisent leur temps à bon escient, les conseils scolaires devraient :

  • gérer l'ordre du jour des réunions de sorte que l'on insiste sur les questions importantes
  • consacrer le même temps aux présentations à la gestion qu'aux délibérations au conseil pour éviter de les restreindre à un rôle sans pouvoir décisionnel
  • préparer les renseignements de base avec soin pour éviter une surdose d'information
  • prévoir des réunions périodiques avec les conseillers scolaires et le personnel-cadre pour qu'ils soient sur la même longueur d'onde et puissent échanger leurs idées sur les questions de fond.

Les responsabilités des conseils scolaires et les moyens de s'en acquitter incluent :

  • la mise en place de communications efficaces, y compris les commentaires des personnes engagées activement dans le système, et l'élaboration et la diffusion efficaces de messages ponctuels visant à cultiver un sentiment d'unité et de confiance au sein du conseil
  • l'établissement d'une culture qui célèbre la réussite et encourage l'innovation et la croissance personnelle.

Pour s'acquitter de leurs responsabilités efficacement, les administrateurs doivent :

  • comprendre leur rôle en tant que partenaires, et non adversaires, des gestionnaires dans la poursuite d'un objectif commun, mais avec des rôles distincts
  • inspirer la confiance et encourager la franchise
  • poser des questions constructives
  • éviter la micro-gestion.

Il est important de toujours garder en vue la mission fondamentale de l'organisme pour éviter les risques d'erreurs graves et d'utilisation inadéquate des fonds. Cependant, les administrateurs devraient avant tout présenter un éventail de perspectives, proposer un jugement indépendant et jeter un second regard sobre sur les questions fondamentales qui touchent leur organisme.