L’histoire très colorée de la langue anglaise

Comment les magatogas sont-ils devenus des pédagogues? Qu’y a-t-il de glamour dans la grammaire? Et pourquoi les Anglo-Canadiens raffolent-ils de la lettre «u»?

de Katherine Barber

illustrations de Sonia Roy, colagene.com

Laissez-vous une fois de plus entraîner dans l’histoire sans fin et parfois insolite de l’une des langues les plus remarquables, l’anglais, alors que la reine canadienne des mots poursuit son récit là où elle s’était arrêtée dans notre dernier numéro.


Dès les années 1400, l’orthographe anglaise était un fouillis, pour plusieurs raisons. Les scribes français avaient tenté de transcrire les sons anglo-saxons pour lesquels aucune lettre n’existait dans l’alphabet français. Le «gh» dans le mot taught (enseigné), alors prononcé, mais maintenant muet, par exemple. Ce son devait ressembler, aux oreilles des Français, au raclement de gorge d’un chat aux prises avec une boule de poils. D’autres lettres autrefois prononcées dans la langue anglo-saxonne, comme le «k» dans knight (chevalier) et le «w» dans write (écrire), sont devenues muettes, les locuteurs trouvant les amas de consonnes trop difficiles à prononcer. L’orthographe de certains mots reflétait encore, à cette époque, la prononciation du français ancien, qui n’était plus utilisée, comme dans le mot guarantee (garantie). Pire, autour de 1400, les sons de toutes les voyelles ont changé, tandis que l’orthographe demeurait la même, reflétant l’ancienne prononciation.

La Renaissance n’a fait qu’empirer les choses. Un regain d’intérêt pour le grec ancien et le latin classique a conduit à une prise de conscience : de nombreux mots anglais trouvent leurs origines dans ces deux langues. Mais cela ne suffisait pas aux gens de l’époque. Ils croyaient que cela devait se refléter dans l’orthographe. (Ils ne tentaient pas, assurément, de faire montre de la somme impressionnante de leurs connaissances?)

Le mot school (école)en est le parfait exemple. Les Grecs de l’Antiquité, très cultivés, aimaient occuper leurs temps libres (skhole) à discuter de philosophie avec Platon et Socrate. Alors, leur mot signifiant «loisir» est progressivement devenu le mot pour désigner les discussions philosophiques, puis les endroits où elles se déroulaient. Au moment où le mot est passé dans la langue anglaise par l’entremise du latin (c’est l’un des rares mots que les Anglo-Saxons ont directement emprunté au latin avant la conquête normande), on l’orthographiait scol. Au Moyen-Âge, on le prononçait «skôle». Pour refléter la longueur du son du «o», les scribes ont décidé de doubler cette lettre. Quand la prononciation est passée à «skoule», l’orthographe n’a pas suivi. Puis, pendant la Renaissance, un Joe Connaissant bien important a dit : «Il y a un «h» en latin et en grec, alors il devrait y en avoir un en anglais!» Et le «h» (comme bien d’autres lettres muettes en anglais) est là depuis, jamais prononcé, inutile, rendant la vie misérable à ceux qui apprennent l’anglais.

Cette manie a duré des siècles. L’exemple le plus frappant est le mot ptarmigan (lagopède). On pourrait croire que ce mot provient d’une langue amérindienne du Nord du Canada. Mais il provient en fait d’un mot de la langue gaélique d’Écosse, tarmachan, qui signifie «grincheux» ou «qui croasse», car c’est un oiseau qui fait un croassement. Autour de l’année 1700, une personne qui ne se mêlait pas de ses affaires a remarqué que les Grecs avaient le mot ptero (plume) et, encore plus observateur, il a remarqué que les lagopèdes ont des plumes. Décidant qu’il y avait un lien entre les deux (et ne tenant aucunement compte du fait qu’il n’y a pas de lagopèdes en Grèce), il a inséré un «p» au début du mot pour refléter son origine «grecque». Heureusement, il ne s’est pas penché sur l’orthographe de la Canada ... pgoose (bernache du Canada).

L’emprunt arbitraire de mots au latin et au grec était également très populaire dans les années 1400 et 1500, notamment, et surtout en éducation, car l’étude de ces langues était à la base de ce domaine.

L’un de ces mots empruntés à cette époque est grammar (grammaire), qui, bien que cela semble extrêmement improbable, est l’origine du mot glamour. Le mot grammar vient du mot grec gramma (une lettre de l’alphabet ou quelque chose d’écrit). En théorie, pendant le Moyen-Âge, la grammaire signifiait l’étude de toute langue écrite, mais c’était en fait l’étude de la seule langue enseignée à l’aide de l’analyse des structures, le latin. On ne se rendait probablement pas compte, à l’époque, que des langues comme le français, l’anglais et l’allemand avaient ce qu’on pouvait appeler la grammaire (de nombreux élèves souhaiteraient sans doute que l’on retourne à ces douces années). Puisque grammar signifiait l’étude du latin, ce mot (et sa variante écossaise, glamour) désignait également les connaissances de la classe éduquée qui connaissait le latin, des connaissances que de nombreuses personnes assimilaient à la magie, à l’astrologie et aux sciences occultes. Plusieurs siècles plus tard, au XIXe siècle, grâce à la grande popularité du romancier écossais Sir Walter Scott, l’association du mot écossais glamour dans le sens de «magie» a été popularisée. Le mot a bientôt signifié beauté magique puis, finalement, une sorte de charme sophistiqué. Pensez à comment plus intéressante un cours de «glamour française» pourrait être par rapport à un cours de grammaire française!

Un autre bon exemple d’un emprunt au grec, autour des années 1380, est le mot «pédagogue». Les Grecs de l’Antiquité avaient des esclaves qui avaient la responsabilité d’escorter les jeunes garçons des familles riches à l’école, puis à la maison. Le mot grec pour «garçon» était paidos, et «conduire» était agogos, donc une personne qui conduisait un garçon était un «pédagogue». Vous vous souvenez du charmant mot anglo-saxon qui signifiait «enseignant» : magatoga? Il s’agissait d’une traduction littérale de ce mot : (magu = garçon, toga = leader); à n’en point douter, les enseignants soucieux du prestige croyaient qu’un mot grec serait beaucoup plus impressionnant qu’un mot anglo-saxon. De nos jours, les enseignants sont, bien entendu, moins imbus d’eux-mêmes.

Un autre mot emprunté au grec à la fin de la Renaissance est le mot gymnasium (gymnase), littéralement un endroit où on enlève tous ses vêtements (gymnos, en grec). Si seulement ces élèves d’éducation physique si récalcitrants le savaient. En allemand, un Gymnasium est une école secondaire, mais c’est encore moins titillant.

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Environ à la même époque, l’anglais a emprunté le mot latin désignant une piste de course pour les chars, dérivé du mot currere (courir), pour désigner une piste de course pour les chars. Mais les universités écossaises qui ont adopté le mot curriculum l’utilisaient non pas pour les courses de chevaux, mais plutôt pour un programme d’études obligatoire. Il est sans doute malheureux qu’ils aient choisi un mot évoquant une course circulaire.

Une autre source de mots au cours de la Renaissance, nombre d’entre eux du domaine scientifique et des mathématiques, est l’arabe, car au Moyen-Âge, une grande partie des connaissances mathématiques acquises durant l’Antiquité ont survécu grâce à la civilisation arabe. Les Européens ont dû les apprendre des mathématiciens arabes qui vivaient en Espagne à l’époque. En arabe, l’article défini the (le) est al, donc al au début d’un mot anglais signifie habituellement qu’il vient de l’arabe, par exemple, alcohol (alcool), alcove (alcôve) et algebra (algèbre). En arabe, al-jabr signifie «la réunion de parties brisées» ou «des os qui se réparent». En fait, lorsque le mot algebra a été utilisé en anglais la première fois, au cours des années 1500, il désignait le traitement chirurgical des os brisés. Comment en est-il venu à désigner une branche des mathématiques? Ce sens provient du titre d’un traité de mathématiques arabe datant du IXe siècle, Ilm al-jabr wa’l mukabal, qui signifiait «la science du replacement de ce qui manque en cherchant à équivaloir des éléments semblables». Et, quand on y pense, résoudre une équation algébrique est comme remettre ensemble les parties de quelque chose qui était brisé. Le livre a été écrit par un mathématicien nommé Al-Kwarizmi, dont le nom a été utilisé pour créer le mot algorithm (algorithme).

Dès le XVIIIe siècle, l’anglais avait essentiellement la forme que nous lui connaissons aujourd’hui, en particulier son orthographe. Cela est en grande partie attribuable au travail de deux grands lexicographes : Samuel Johnson, dont le dictionnaire a été publié en Angleterre en 1755, et Noah Webster, dont le livre American Spelling Book a été publié aux États-Unis en 1783, lequel a été suivi par un dictionnaire en 1808.

Les différences entre l’orthographe britannique et l’orthographe américaine proviennent de ces ouvrages. Prenons, par exemple, le fameux mot colour (couleur). En latin, le mot était color. Au Moyen-Âge, la prononciation de la seconde syllabe du mot en français rimait avec «pur» ou «pour» plutôt qu’avec «peur», ce qui était reflété en écrivant colur ou colour. Les Anglais auraient pu se contenter du mot anglo-saxon hue, mais, fidèles à l’amour anglais pour les synonymes, et ne sachant pas que, plusieurs siècles plus tard, les Anglo-Canadiens se livreraient à de véritables prises de bec sur l’orthographe du mot comme symbole de notre identité nationale, ils ont emprunté le mot colour au français. Puis, la Renaissance a commencé et, comme vous le savez maintenant, cela signifiait qu’il fallait refléter l’orthographe latine, donc color est revenu. Les deux orthographes se sont côtoyées jusqu’à ce que MM. Johnson et Webster y mettent un frein lexicographique, optant chacun pour une orthographe différente.

C’est peut-être pour des motifs politiques que M. Webster a fait le choix inverse à celui des Britanniques, mais il voulait aussi être conséquent : pourquoi colour mais director (directeur), honour (honneur) mais honorary (honoraire) (oui, même les Britanniques écrivent honorary de cette manière), centre mais enter (entrer)? Le mot «centre» s’écrit ainsi en français depuis le Moyen-Âge, mais des années 1500 à 1700, center était plus courant en Grande-Bretagne. Malgré cela, M. Johnson a choisi centre, ce qui signifiait presque assurément que Webster conserverait center.

Les racines de l’anglais canadien (sauf celui parlé à Terre-Neuve, qui dérive des dialectes du sud-ouest de l’Angleterre et de l’Irlande) se trouvent dans la langue que parlaient les loyalistes de l’Empire britannique qui ont fui les États-Unis pendant et après la révolution américaine, à peu près à l’époque où M. Webster a écrit son livre. À l’origine, l’anglais canadien était donc l’anglais américain. Cette origine commune explique pourquoi l’orthographe américaine subsiste toujours au Canada. Puis, au XIXe siècle, pour prévenir toute influence américaine indésirable, on a encouragé de nombreux habitants des Îles Britanniques à s’établir en Amérique du Nord britannique. Puisque l’anglais britannique constituait la version prestigieuse de la langue, l’orthographe britannique a commencé à s’imposer. Mais elle n’a jamais totalement supplanté l’orthographe américaine. Les Anglo-Canadiens aiment beaucoup les mots en our – ils sont une façon facile et peu coûteuse de prouver au monde entier qu’ils ne sont pas des Américains – mais ils sont moins entichés des doubles «l» britanniques de traveller (voyageur), dialling (composer), entre autres, qui, au cours des 20 dernières années, ont été à peu près supplantés par le seul «l» de traveler et dialing.

La double personnalité américaine et britannique des Anglo-Canadiens se perçoit aussi dans leur prononciation, qui est plus américaine que britannique. Mais, dans certains cas, certains choisissent la prononciation britannique. Prenons l’exemple du mot herb (herbe). À partir de 1200 environ, quand le mot a été emprunté au français, jusqu’à 1500 environ, le mot désignant le persil et d’autres herbes était erb, sans «h» à prononcer. Des personnages importants de la Renaissance ont ajouté le «h» à l’orthographe parce que, en latin, on avait le mot herba. Pourquoi les Britanniques ont-ils commencé à prononcer le «h»? À cause de gens comme vous : des enseignants. À la fin du XIXe siècle, l’école est devenue obligatoire, ce qui signifiait que tout le monde apprenait à lire, se rendait compte qu’il y a un «h» à herb et le prononçait. Mais les Américains ont conservé l’ancienne prononciation sans «h», comme tous les anglophones l’ont fait pour des mots comme honour et hour (heure). Ce qui est vrai pour l’orthographe l’est aussi pour la prononciation : de nombreux Anglo-Canadiens sont demeurés attachés à leurs racines américaines tandis que d’autres ont adopté la version britannique prestigieuse. Ce qui fait que les Anglo-Canadiens sont maintenant divisés au sujet de la prononciation de herb, comme ils le sont sur celles de lieutenant, qui se prononce soit «leftennant», soit «loutennant»et de schedule (horaire), qui se prononce soit «shedjoule», soit «skedjoule».

L’anglais canadien évolue constamment depuis le XVIIIe siècle et se distingue par bien plus que certaines différences en matière d’orthographe et de prononciation. Mais nous n’avons pas l’espace pour l’explorer davantage. C’est maintenant à vous de fouiller les formidables histoires à l’origine des mots de cette langue pour découvrir ce qu’ils révèlent du passé et pour encourager vos élèves (souvenez-vous que le mot student (élève) signifie «personne motivée, zélée et assidue») à faire la même chose.