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Articles de fond

L’école dans les livres

Ce que lisent nos élèves en dit long sur la façon dont ils nous perçoivent.

Regards d’enfants

de David Booth  

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Les enseignantes et enseignants de ma vie

de Francis Chalifour  

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200 000 membres

Le cap des 200 000 est passé.

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Les évanouissements

Ce que vous apprendrez sur la mort subite par arythmie pourrait sauver une vie.

de Rosemarie Bahr  

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Entre rêve et réalité

L’école secondaire hante encore les nuits d’un quinquagénaire.

de Linwood Barclay  

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L’école dans les livres

Les enseignantes et les enseignants font partie intégrante des années de formation de nombre d’écrivains. Pas surprenant qu’ils se retrouvent aussi dans notre imaginaire collectif.

David Booth s’est penché sur la littérature pour enfants afin d’y découvrir la façon dont nos élèves nous perçoivent.

Pour parler profession a demandé à David Booth de nous révéler le résultat de ses recherches et à Francis Chalifour de nous éclairer sur la façon dont nous sommes représentés dans la littérature de langue française au Canada.

 

Regards d’élèves

de David Booth

On trouve une pléiade d’histoires, de blagues et de comptines sur les enseignantes et enseignants dans les textes pour enfants. Il va sans dire que nous habitons réellement un coin de la pensée de nos élèves, et même que l’on peuple quelques-unes de leurs rêveries.

Enseignante, enseignant, on s’en fout,
On peut voir ta petite culotte,
Est-elle noire ou est-elle blanche,
Ô mon Dieu, c’est de la dynamite! [notre traduction]

Doctor Knickerbocker

Les auteurs de livres pour enfants et jeunes adolescents s’inspirent du point de vue et des opinions reçues sur les enseignants. Dans des romans dont le fil narratif porte sur des élèves, le personnage de l’enseignant sert parfois de toile de fond et peut même jouer un rôle principal.

Mon cœur d’enseignant bat plus vite quand je suis amené à lire certaines descriptions et que je reconnais un scénario qui s’est déroulé dans ma propre classe. L’enseignante d’anglais dans Speak de Laurie Anderson est un de ces cas-là :

Mon enseignante d’anglais n’a pas de visage. Ses cheveux longs mal peignés pleurent sur ses épaules. Ils sont noirs de la racine des cheveux à la naissance des oreilles avant de tourner vers un orange lumineux jusqu’aux pointes frisottantes. Impossible de savoir si elle s’est mise le coiffeur à dos ou si elle s’apprête à se transformer en papillon. Je l’appelle Bellemèche. [notre traduction]

Je me souviens aussi de mon enseignante d’anglais de 9e année : une femme mystérieuse qui a porté la même robe noire jusqu’à Pâques, avant d’arriver avec une robe à fleurs rose bonbon, à l’approbation générale et silencieuse de toute la classe.

Nos élèves savent qu’on porte des verres de contact, qu’on se fait teindre les cheveux ou que notre vie privée est empreinte de tristesse. On est exposé aux regards sur la scène de la salle de classe et des bribes d’histoires nourrissent les mythes de la récréation.

J’ai fini par apprécier nos apparitions dans la littérature pour jeunes, de l’inévitable Mlle Marsh dans My Teacher Sleeps in School, de Leatie Weiss (un des enseignants de mon fils vivait aussi dans le sous-sol de l’école) à la sensible Mlle Stretchberry dans Love That Dog de Sharon Creech.

En fait, nous sommes des maîtres exigeants mais humains, quelquefois outrés et un peu idiots, mais généralement d’un grand soutien pour les élèves de l’histoire. Toutefois, de temps en temps, je suis surpris quand l’enseignant fictif se comporte d’une façon qui résonne trop avec la vérité.

Dans I Gave My Mom a Castle, les poèmes de Jean Little nous rappelle les désastres que provoque l’insouciance de certains enseignants. Par exemple, l’élève qui ne reçoit pas de cœur à la Saint-Valentin ou celui qui n’a pas de mère et qui doit fabriquer une carte pour la fête des Mères.

Les histoires d’école dans la littérature anglaise remontent à des siècles, en commençant avec Tom Brown’s Schooldays de Thomas Hughes. Le genre se distingue par la différence entre l’éducation des filles et des garçons, les amitiés, les brutes, les braves, les garçons manqués, le discours motivateur de l’enseignant, les épreuves de force dans le bureau du directeur, les sauvetages dramatiques et les dilemmes moraux. Après la Seconde Guerre mondiale, l’évocation des enfants et de leurs enseignants devient plus réaliste et frise même la parodie. Dans The Landry News d’Andrew Clements, un élève de 5e année se plaint de son enseignant qui souffre d’épuisement professionnel et qui, pour un certain temps, ne fait que lire son journal toute la journée.

N’oublions pas la série fort populaire Harry Potter, dans laquelle personnages et lieux fantastiques se côtoient dans un cadre scolaire. En revanche, les histoires de Jean Little, de Brian Doyle ou de Kevin Major sont ancrées dans le réalisme. Dans Hold Fast, de Kevin Major, un élève est puni pour s’être battu dans la cour d’école. Le directeur lui dit qu’il devra avertir ses parents et que l’élève sera expulsé.

«Monsieur, dis-je, quand j’ai finalement pu placer un mot, lisez donc vos foutus dossiers. Vous ne pouvez rien raconter à mes parents. Les deux sont morts.»

Comme enseignant, j’aime parler de nos petites manies et de nos anecdotes quotidiennes à l’école avec les élèves, les parents et les autres enseignants que je côtoie. Pour une raison ou une autre, rire de nous offre davantage l’occasion de dialoguer franchement entre adultes responsables d’enfants. Je suis un fervent admirateur des histoires de Wayside School, de Louis Sachar, dans lesquelles la vie à l’école est tordue, parodiée et pleine d’humour. Les 30 classes de Wayside School s’empilent les unes sur les autres (plutôt comme ma faculté, l’IEPO/UT), ce qui permet à une enseignante, Mlle Jewels, d’exprimer ses frustrations :

«Observez bien, dit Mademoiselle Jewels. Vous pouvez apprendre bien plus vite avec un ordinateur qu’avec un papier et un crayon.» Puis, elle poussa l’ordinateur tout neuf par la fenêtre. Les enfants le regardèrent dégringoler quelque 30 étages avant de se fracasser sur le trottoir. «Vous voyez?, ajouta Mademoiselle Jewels. Ça, c’est l’œuvre de la gravité! J’ai bien essayé de vous parler de la gravité, mais l’ordinateur vous l’a fait comprendre bien plus vite que moi!» [notre traduction]

Nous sommes peut-être reconnaissants pour le réalisme de la série Dick and Jane. Mais la mémoire s’estompe pour faire place à de nouveaux livres qui mettent l’accent sur les dérapages de l’école. Certains problèmes comme les dates de remise des travaux scolaires rapprochent parents et enseignants qui se plaignent de l’inaptitude des élèves à planifier leur temps. (J’ai remarqué le même problème avec mes collaborateurs, sans oublier ma propre difficulté à respecter les dates de tombée des publications.) Certaines écoles peuvent avoir réglé ce problème, mais pas selon Jon Scieszka. Dans Squids Will Be Squids, une mère se rend compte au tout dernier moment que son fils a «quelques devoirs» à faire pour le lendemain, soit réécrire 12 mythes grecs sous la forme de comédies musicales, concevoir et construire les décors, coudre les costumes, etc.

J’aurais dû me souvenir de cette histoire durant ma première année en tant qu’enseignant d’art dramatique, quand j’ai demandé à mes 640 élèves de cycle supérieur de construire un modèle de théâtre grec en six semaines. Je n’avais moi-même jamais vu un théâtre grec (ni un Grec d’ailleurs), mais mes courageux élèves se sont présentés à l’école avec leurs théâtres, fabriqués consciencieusement aidés de leurs parents à l’aide de panneaux de contreplaqué, de carton et de peinture. Évidemment, je n’avais nulle part où les exposer… Ils emplissaient ma salle, les corridors et les cages d’escalier. Quand je repense à ces pauvres parents obligés d’aider leurs enfants à redécouvrir la Grèce antique, à cause d’un jeune enseignant maboul, je voudrais disparaître entre le mur et la peinture.

Les biographies qui relatent la vie à l’école ne sont pas moins édifiantes. J’ai beaucoup apprécié Guys Write for Guys Read, sous la direction de Jon Scieszka, dans lequel les auteurs favoris des garçons parlent de leur vie d’écolier :

J’étais un fervent admirateur de la lutte professionnelle. Mes préférés étaient The Sheik et Bobo Brazil. La seule façon dont je pouvais me renseigner sur ces lutteurs était en feuilletant les revues de lutte au kiosque de journaux.

Un jour, à la bibliothèque, je vois une tablette remplie de revues de toutes sortes. Au moment de sortir mes livres, je prends mon courage à deux mains et demande à la bibliothécaire si elle a des revues sur la lutte. Du moins, c’est ce que je croyais lui avoir demandé… On aurait dit qu’elle allait s’effondrer simplement à s’imaginer que des revues de lutte auraient pu pénétrer dans sa bibliothèque. Je me suis senti stupide et je n’y ai jamais remis les pieds. [notre traduction]

Patrick Jones, Wrestling with Reading

Les artistes peuvent aussi nous aider à découvrir comment faire face aux complexités de l’école d’aujourd’hui. Ils nous rappellent que l’évaluation sert à améliorer la vie des élèves contrairement à l’école Whittaker Magnet, dans laquelle «les tests normalisés sont véritablement l’œuvre du diable». Cette école se glorifie d’avoir les meilleures notes du pays, mais à quel prix? «On enseigne dans des salles mornes et sans fenêtres, et on nourrit les élèves de force avec des mélanges nauséabonds à base de protéines pour améliorer leur rendement aux tests.»

Comme nous, les enfants et les adolescents apprécient les auteurs qui voient le monde de l’école à travers des yeux d’enfant. Selon Jerome Bruner, les histoires existent seulement quand on peut s’y reconnaître.

Pénétrer l’univers fictif de la vie scolaire dans la littérature pour enfants peut nous aider en tant qu’enseignants à interpréter les perceptions et points de vue des élèves et des collègues qui y sont véhiculés, ainsi qu’à examiner les stéréotypes et archétypes que constituent nos propres perceptions. Les récits révèlent beaucoup sur les sociétés dans lesquelles ils se déroulent, tant au chapitre des cadres temporels que de la culture. Les contes d’aujourd’hui vont au-delà de l’école d’hier et reflètent tout ce qui s’y passe, à l’intérieur comme à l’extérieur, alors que les jeunes y sont des heures en notre compagnie.

Comme de nombreux écrivains, l’auteure et réformiste de l’éducation Deborah Meier se réjouit : «les enseignants sont, par nature, particuliers, imprévisibles, complexes, jamais entièrement connaissables, et continuellement variés». Mais avons-nous le droit de révéler les sentiments que nous éprouvons à l’intérieur de ces murs et dans nos vies à l’extérieur? Jusqu’à quel point sommes-nous réels? Jusqu’à quel point pouvons-nous être réels?

Ne vous inquiétez pas : nous, les enseignants, faisons partie de l’histoire. Les auteurs de littérature pour enfants tissent leurs récits de leur propre mémoire et de parcelles de folklore scolaire que nous chérissons toute notre vie.

Sans conteste, nous faisons partie de cette littérature. C’est si amusant de savoir et si utile de se rappeler que les élèves nous observent quotidiennement.

Cela ne vous donne-t-il pas envie de vous acheter une nouvelle chemise?


David Booth est professeur émérite à l’IEPO de l’Université de Toronto, auteur primé de livres pour enseignants et pour enfants, et conférencier reconnu au niveau international dans le domaine des connaissances linguistiques en éducation.