Septembre 1997

Les mathématiques à l’ère de l’information
Les mathématiques à l’ère de l’information

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Les enfants qui ne maîtrisent pas un concept numérique de base quand ils commencent à aller à l’école n’ont pas de bons résultats en mathématiques. Pouvons-nous leur inculquer ce concept?

de Rosemarie Bahr

Cinq élèves de 1re année jouent à un jeu. Ils livrent le courrier dans un quartier organisé en une rangée de 40 maisons en carton. Toutes les maisons ont des portes numérotées de 1 à 40. Les dix premières maisons ont des portes de la même couleur. Les dix maisons suivantes ont une porte d’une couleur différente. Le toit des maisons paires est plat, alors que celui des maisons impaires a une forme pointue. Les enfants trouvent différentes manières de se rendre de la maison 15 à la maison 34. Ils s’amusent bien, tout en apprennant les mathématiques.


Robbie Case
Cette activité fait partie du programme Rightstart, élaboré dans le cadre des travaux de recherche de Robbie Case, qui travaille comme chercheur au sein du programme en développement humain de l’Institut canadien des recherches avancées et comme professeur à l’Université de Toronto.

Nos enfants pourraient obtenir de meilleurs résultats

Des comparaisons réalisées à l’échelle internationale montrent que les enfants nord-américains ne réussissent pas aussi bien en mathématiques que les jeunes Asiatiques. Les petits vendeurs de la rue brésiliens, qui n’ont pas reçu une éducation formelle, obtiennent aussi d’assez bons résultats par rapport aux enfants canadiens.

Selon d’autres études, les jeunes Nord-Américains comprennent systématiquement mal certains concepts mathématiques qu’on leur a enseignés. D’après Robbie Case, ces problèmes indiquent qu’il faut repenser l’enseignement des mathématiques.

Les recherches de M. Case et de ses collègues ont d’abord porté sur la manière dont les enfants apprennent les mathématiques. Ils ont ainsi découvert que les enfants développent une «structure conceptuelle centrale» qui sert de base tout au long de l’apprentissage. Les enfants qui ne maîtrisent pas cette structure conceptuelle centrale des nombres ou concept numérique de base ne réussissent pas bien en mathématiques une fois rendus à l’école.

Ces élèves n’acquièrent pas un bon sens du nombre, qui leur permettrait de passer du monde réel des quantités à l’univers mathématique des nombres et des symboles. Les élèves doués d’un bon sens du nombre peuvent élaborer leurs propres méthodes, ainsi que reconnaître et utiliser des suites numériques. Ils peuvent repérer les erreurs flagrantes et représenter un seul chiffre de plusieurs façons.

Supposons, par exemple, que vous avez 19 billes et que quelqu’un vous en donne 15. Combien en avez-vous en tout?

Bien des enfants et, soit dit en passant, bien des adultes alignent mentalement le 19 et le 15, comme on le leur a enseigné. Ils additionnent ensuite le 9 et le 5 pour obtenir 14 et retiennent 1. Puis ils ajoutent le 1 aux deux autres 1 pour obtenir 3, ce qui leur donne 34.

En revanche, les personnes qui possèdent un bon sens du nombre inventent sur-le-champ, par intuition, une méthode plus simple. Celle-ci pourrait consister à ajouter 15 à 20 pour obtenir 35, puis à soustraire 1 pour obtenir 34, ou encore, à ajouter 15 à 15 pour obtenir 30 et ensuite, à ajouter 4 pour obtenir 34.

Ces deux méthodes s’appuient sur une compréhension de la nature de notre système numérique qui repose sur la base 10. Dans la seconde méthode, on représente 19 comme étant 20 moins 1. Ce changement révèle que les élèves ont confiance en leur propre démarche et qu’ils se sentent à l’aise dans l’univers des mathématiques.

Peut-on inculquer un concept numérique de base et un bon sens du nombre?

M. Case pense qu’il existe un lien entre la connaissance des nombres et celle de l’espace. Les mathématiciennes et mathématiciens déclarent souvent que leur intuition comprend une importante composante spatiale. Les adultes souffrant de lésions cérébrales qui entravent leur compréhension de l’espace rencontrent souvent également des difficultés avec les nombres. Par ailleurs, les enfants doués pour la lecture, mais plutôt faibles en mathématiques, montrent aussi fréquemment des faiblesses dans leur perception de l’espace.

S’il existe bel et bien un lien, il devrait être possible de créer une expérience d’apprentissage dans laquelle, les nombres étant reliés à l’espace, les enfants doivent se servir de leur perception intuitive de l’espace pour apprendre à utiliser les nombres.


Les élèves s’amusent à inventer leurs propres équations
en jouant au facteur avec Rightstart.

M. Case et sa collègue, Sharon Griffin, ont mis au point un programme, appelé Righstart, afin de mettre à l’essai cette expérience d’apprentissage. Ils ont introduit ce programme pour la première fois à Toronto, à la fin des années 80, auprès d’un groupe d’enfants venant de trois classes de maternelle fréquentées par des familles de revenu moyen à faible, ayant immigré de zones rurales du Portugal. La deuxième étude s’est déroulée dans des classes de maternelle de trois écoles du Massachusetts. Ces écoles présentaient la plus forte proportion d’élèves appartenant à une minorité visible de la ville et desservaient généralement des familles de revenu faible à moyen.

Ces essais ainsi que des essais ultérieurs ont révélé que les enfants qui avaient suivi le programme démontraient un sens accru du nombre par rapport à un groupe témoin. Cette amélioration a également été ressentie dans des domaines connexes tels que les sciences, la capacité de dire l’heure et de compter de l’argent.

En suivant ces enfants jusqu’à la fin de la 1re année, on a remarqué qu’ils obtenaient de bien meilleurs résultats en arithmétique que le groupe témoin. Lorsque ce programme a été étendu à la 1re et à la 2e année, les résultats de toute une section de la population à risque se sont améliorés. Le groupe Rightstart est devenu l’équivalent d’un groupe privilégié sous bien des aspects, et même supérieur dans certains cas.

Au fil des années, M. Case et Mme Griffin se sont appliqués à peaufiner les jeux et les composantes de Rightstart. Le programme est en cours de traduction en français afin d’être mis en place dans certaines écoles du centre-ville de Montréal. Mme Griffin, qui travaille actuellement à l’Université Clark au Massachusetts, étudie un projet d’ateliers pour les enseignantes et enseignants en vue de les aider à se familiariser avec le matériel du programme.

Comment fonctionne Rightstart?

L’un des éléments clés de Rightstart est la représentation spatiale des nombres et des systèmes numériques. Les nombres restent fixes, tout comme ceux qui figurent sur les maisons du quartier.

«Quand vous jouez à un jeu de société, explique M. Case, vous avez tous les nombres devant vous, et vous vous déplacez parmi eux. Dans les premières années du cycle primaire, on peut apprendre les mathématiques en attachant ensemble des objets, comme des bâtonnets, pour obtenir des groupes de 10, ou en comptant avec des jetons. Toutefois, ceci n’aide pas à mieux comprendre les liens qui existent entre chaque nombre ni l’existence de familles de nombres ni la ressemblance entre 23 et 33 à certains égards.»

D’après M. Case, les enfants devraient disposer de un ou deux contextes dans lesquels ils peuvent explorer les problèmes mathématiques. Dans le cas des maisons d’un quartier, le contexte demeure le même, mais il donne lieu à 15 ou 20 jeux différents. Au fur et à mesure que les élèves apprennent, on rajoute des maisons à l’aide de Velcro jusqu’à ce qu’il y en ait 100.

S’amuser et inventer des histoires sont des aspects très importants du programme. M. Case signale que les enfants tout comme l’enseignant ou l’enseignante ont du plaisir. Les activités entrent dans le cadre d’une histoire, qu’il s’agisse de livrer des lettres dans le quartier ou de passer le long d’une rangée de boîtes pour éteindre les flammes du dragon qui vit dans une boîte, à l’extrémité, et terrorise la ville.

Le sens de la propriété et la diversité sont intégrés dans le programme. Il se peut qu’un enfant utilise ses bottes de dix pas pour sauter de la maison 15 à la maison 25, puis jusqu’à la maison 35, pour enfin faire 1 pas en arrière à la maison 34 pour livrer sa lettre. Ou encore, un autre enfant peut se servir de ses bottes pour faire un grand saut jusqu’à la maison 25, puis faire 9 pas pour aller livrer sa lettre à la maison 34.

Les deux élèves expliquent au groupe les méthodes employées. Ils peuvent discuter des avantages et des inconvénients pour finalement décider qu’elles se valent.

Selon M. Case, dès la 1re ou la 2e année, ces enfants inventent déjà leurs propres équations. De la même façon qu’il n’existe pas, dans une classe, une composition ou un dessin qui soit supérieur aux autres, il n’y a pas d’équation qui soit meilleure. Elles peuvent toutes être affichées au mur de la classe ou être ramenées à la maison pour que les parents les voient. Les enfants sont fiers d’en être les auteurs. Ils n’ont pas l’impression qu’il n’existe qu’une seule expression mathématique juste. À cet égard, ils ressemblent davantage à des mathématiciens qu’à des machines à additionner.

Les fractions

En 5e et en 6e année, les nombres rationnels (fractions, nombres décimaux et pourcentages) constituent souvent un obstacle pour les élèves qui se trouvent au milieu et en haut de l’échelle socio-économique. Lors d’un test à choix multiple organisé à l’échelle nationale, la majorité des enfants américains en 12e année ont choisi 19 ou 21 comme réponse, au lieu de 2, quand on leur a demandé d’estimer la somme de 9/10 et de 11/12. Les élèves ont donc de sérieuses lacunes dans le domaine des fractions.

En collaboration avec Joan Moss, professeure et conférencière à l’Institute for Child Study de l’Université de Toronto, M. Case a préparé un autre ensemble de représentations spatiales qui s’appuie d’abord sur des pourcentages plutôt que sur des fractions, ce qui convient davantage à l’intuition des enfants au sujet des proportions. Cette expérience a été tentée plusieurs fois avec des enfants privilégiés de la 4e à la 6e année.

«Si je demandais : "65 pour 100 de 160, ça fait combien?", la plupart des gens me diraient : "Pardon, vous pensez vraiment que je peux faire ce calcul mentalement?". Ceci ne présente toutefois aucun problème pour la plupart des enfants qui ont suivi le programme. Cela équivaut à leur demander de multiplier 9 par 32, ce qui représente certes un petit défi, mais ne les intimide pas du tout.»

Si Robbie Case réussit dans son entreprise, tous nos enfants participeront à l’ère de l’information.

L’Institut canadien des recherches avancées

L’Institut canadien des recherches avancées est une université de recherche sans murs. Fondé en 1982 par Fraser Mustard, il rassemble plus de 170 universitaires et chercheurs les plus éminents au Canada et dans le monde. L’Institut leur permet de développer et d’appliquer leur travail au-delà d’une seule discipline et d’en étudier l’impact dans un contexte plus vaste. Les travaux de recherche effectués, particulièrement en sciences sociales, débouchent généralement sur un nombre considérable d’applications pertinentes.

«Dans de nombreux secteurs de la santé et de la compétence fonctionnelle, il existe des différences entre les pays. Le niveau des enfants est généralement plus bas dans les pays où il existe un écart très important entre les gens en haut et ceux en bas de l’échelle sociale que dans les pays où le gradient est moins important», affirme Dan Keating, professeur à l’Université de Toronto et président du Programme en développement humain de l’Institut.

«Ces caractéristiques se manifestent de nombreuses façons, notamment dans les domaines du rendement scolaire et de la santé. D’après les preuves à l’appui, il semble que les écarts entre les expériences faites à un jeune âge, liés aux différences de condition sociale, jouent un rôle significatif dans ce type de résultats. Certains types d’expériences contribuent, en effet, à sculpter ou à façonner le cerveau de plusieurs manières qui rendent l’apprentissage plus ou moins facile par la suite.»

«En mathématiques, poursuit M. Keating, comme dans bien d’autres disciplines, ce que l’on fait dès le plus jeune âge a des répercussions importantes, sans doute parce que le cerveau est d’une grande malléabilité à ce moment-là; si on commence à faire certaines choses assez tôt, on est bien plus avantagé par la suite.»

L’Institut canadien des recherches avancées offre huit programmes dans les domaines suivants : santé des populations, croissance et politiques économiques, développement humain, cosmologie et lois gravitationnelles, biologie de l’évolution, évolution des systèmes terrestres, science des surfaces molles et des interfaces, et superconductivité.

M. Case est chercheur à l’Institut canadien des recherches avancées et professeur à l’Université de Toronto. Il a étudié à l’Université McGill et a obtenu son doctorat en éducation à l’IEPO (psychologie appliquée). Actuellement en congé de l’Université Stanford, il a également enseigné à l’IEPO et à Berkeley.

Pour obtenir un exemplaire de ses travaux de recherche, veuillez écrire à l’Institut canadien des recherches avancées, 179 rue John, bureau 701, Toronto ON M5T 1X4. Coût des documents de travail : 5 $.

Pour connaître la date de publication des 78 leçons et du matériel, veuillez écrire à Sharon Griffin, Department of Education, Clark University, 950 Main Street, Worcester, Mass., 01610.