Une enseignante exemplaire

Heather Gibson

Culture et curriculum ASL : innovation et avancement

de Leanne Miller

«Tous les enfants méritent d’apprendre l’histoire de leur langue et des gens qui la parlent, sa richesse d’expression et la beauté de sa poésie. Ils méritent d’apprendre tout cela dans leur langue maternelle, que ce soit le français, l’anglais ou l’ASL.»

C’est cette philosophie qui a inspiré Heather Gibson, qui a dirigé l’élaboration et la mise en œuvre du premier programme basé sur la langue des signes américaine (American Sign Language; ASL) en Amérique du Nord.

Mme Gibson dirige le programme d’ASL et des projets bilingues et biculturels pour les trois écoles provin­ciales pour les enfants sourds situées à Milton, Belleville et London. Elle travaille à l’Ernest C. Drury Provincial School for the Deaf (ECD), à Milton, où elle avait auparavant été directrice.

Mme Gibson a été l’une des trois récipiendaires du Prix du premier ministre pour l’excellence en leadership 2007-2008. Ont ainsi été honorés son engagement à faire preuve de leadership et le fait qu’elle encourage activement les enseignants et le personnel à assumer des rôles de leadership et de responsabilité pour la réussite des élèves.

Cette directrice d’école a défendu les élèves et leurs parents des communautés de sourds de l’Ontario et de l’Amérique du Nord. Au cours de la dernière décennie, elle a transformé la façon dont on enseigne aux enfants atteints de surdité qui s’expriment en ASL. Elle a fait du lobbying pour que soit créé le premier programme d’ASL langue maternelle en Amérique du Nord. Elle a ensuite aidé à élaborer ce programme et en a dirigé la mise en œuvre.

Le programme est entièrement aligné sur le curriculum de l’Ontario. Il comporte les mêmes attentes d’apprentissage et rubriques, et se fonde sur la même philosophie d’évaluation des élèves. Les enfants sourds qui s’expriment en ASL reçoivent, eux aussi, le bulletin scolaire de l’Ontario, et ils font les mêmes examens de mathématiques et de littératie de l’OQRE que les autres enfants.

Par l’intermédiaire des services d’interprétation de l’ASL à l’anglais de Brenda Kristensen, Mme Gibson s’exprime avec passion et conviction. Elle considère qu’elle travaille en faveur de l’équité et elle soutient fermement que la communauté des sourds qui s´exprime en ASL doit être traitée comme une minorité linguistique et culturelle.

«Elle soutient fermement que la communauté des sourds qui s’exprime en ASL doit être traitée comme une minorité linguistique et culturelle.»

«Les gens qui utilisent l’ASL ont une culture, tout comme ceux qui utilisent la langue des signes québécoise (LSQ), explique-t-elle. Il s’agit d’une langue distincte ayant son histoire, sa culture et sa littérature.»

Comme le fait remarquer Mme Gibson, les enfants qui s’expriment en ASL ont besoin, tout comme les enfants dont la langue maternelle est le français ou l’anglais, de vivre des expériences enrichissantes dans leur langue maternelle.

Elle affirme que, comme toute littérature, la littérature en ASL est un élément important qui permet aux enfants sourds d’ap­prendre la langue, les connaissances, les valeurs, la morale et les expériences du monde qui les entoure. Elle jette également un pont vers l’anglais et d’autres langues.

Mais, pour Mme Gibson, les œuvres littéraires sont intimement liées aux cultures desquelles elles émergent. Quand le conteur et le public partagent une même culture, les œuvres prennent leur signification la plus profonde et produisent le plus d’effet.

Mme Gibson a travaillé à l’élaboration d’un programme qui permet aux enfants sourds de vivre des expé­riences d’apprentissage riches et authentiques. Auparavant, des poèmes, des chansons et des histoires en anglais étaient traduits en ASL. Deaf Cinderella est un exemple typique.

Le programme traduit n’a jamais connu un réel succès auprès des enfants qui s’expriment en ASL parce qu’il reflétait une expérience qui leur était étrangère. Mme Gibson indique que ce serait comme si un anglophone apprenait l’anglais uniquement à l’aide de traductions d’œuvres littéraires françaises.

C’est en classe que l’on en trouve la preuve.

«Les histoires et la poésie originales en ASL parlent des expériences et des émotions de la culture ASL, explique Linda Wall, une enseignante d’expérience de la 5e à la 8e année à l’ECD. On les a toujours appréciées entre amis, mais jamais auparavant dans le contexte scolaire.»

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Mme Gibson (au centre) discute avec Robyn Sandford (à gauche) et Linda Wall (à droite), toutes deux enseignantes à l’Ernest C. Drury School for the Deaf de Milton.

Le programme en ASL permet enfin aux élèves d’étudier ces histoires et ces poèmes dans un contexte scolaire, et d’en apprendre davantage sur leur langue et leur culture.

«Les élèves analysent la structure des histoires et des poèmes en ASL, de même que la sémantique et les conventions de cette langue afin de mieux comprendre la façon dont elle fonctionne, explique Mme Wall. Ensuite, ils appliquent cette compréhension à la création et à la synthèse de leurs histoires et poèmes en ASL.»

Dans la classe de 8e année de Mme Wall, les élèves étudient un poème classique en ASL, I’m Sorry, de Clayton Valli, poète renommé qui s’exprime en ASL, dont la thèse de doctorat définissait les caractéri­stiques d’un poème en ASL. Ils analysent le rythme et les rimes du poème et en arrivent à reconnaître les parties internes et les structures propres aux rimes en ASL.

À la fin de l’unité, les élèves composent leurs propres poèmes.

«Cette activité est une première d’importance historique», signe fièrement Mme Gibson.

Elle a défendu l’idée selon laquelle les élèves ayant de solides compétences en ASL peuvent plus facilement transférer leurs connaissances à d’autres matières. Nous savons que cela est vrai avec la littératie en français et en anglais, mais on ne l’avait jamais appliqué à l’ASL auparavant.

Le programme de Mme Gibson est entièrement bilingue et bi­culturel. L’ASL et l’anglais écrit sont les langues d’enseignement, et les élèves les étudient toutes les deux de manière très approfondie.

«Notre programme a pour but de permettre aux enfants d’acquérir à l’école plus de connaissances sur le monde. L’anglais écrit en est un élément crucial», affirme Mme Gibson.

Elle montre, dans le hall de l’école ECD, le tableau de la réussite, où sont affichées des photos et des biographies de personnes sourdes ayant très bien réussi. On peut y apercevoir Gary Malkowski, qui a été un député néo-démocrate à l’Assemblée législative de l’Ontario de 1990 à 1995. Il représentait la circonscription de York East.

La langue maternelle de M. Malkowski, celle avec laquelle il a obtenu son baccalauréat en travail social et en psychologie et sa maîtrise en counseling de réhabilitation, ainsi que celle avec laquelle il s’est présenté comme candidat et a remporté son siège à Queen’s Park, est bilingue ASL/anglais.

Mme Gibson montre aussi Samuel Thomas Greene. Instruit aux États-Unis, M. Greene est arrivé à Belleville en 1870 et est devenu le premier enseignant sourd de l’Ontario. Il enseignait à l’école maintenant connue sous le nom de la Sir James Whitney Provincial School for the Deaf à l’aide d’une approche bilingue qu’il avait conçue. Il utilisait une langue des signes et l’anglais écrit. Cofondateur et premier président de l’Ontario Association of the Deaf, il était renommé pour ses discours éloquents et ses récitations de poèmes en langue des signes.

«Pour Mme Gibson, il faut que l’éducation se fasse aussi ailleurs qu’à l’école. Elle a donc élaboré des cours d’ASL pour les parents et les frères et sœurs des élèves.»

L’admiration de Mme Gibson pour le legs de M. Greene est évidente.

Elle montre aussi avec enthousiasme une photo de George Veditz accompagnée d’une citation datant de 1913 : «Tant que nous aurons des personnes sourdes sur Terre, nous aurons des signes… le cadeau le plus noble que Dieu a donné aux personnes sourdes».

Mme Gibson croit qu’il est important d’inspirer les élèves et de leur donner des responsabilités. Elle leur donne la chance de développer leurs compé­tences en leadership et le sentiment que l’école leur appartient. Elle raconte comment des élèves ont mené des assemblées à son école. Ils ont planifié, organisé et dirigé le spectacle. La directrice et les enseignants, assis par terre, y ont assisté avec enthousiasme.

Mais, pour Mme Gibson, il faut que l’éducation se fasse aussi ailleurs qu’à l’école. Elle a donc élaboré des cours d’ASL pour les parents et les frères et sœurs des élèves, qu’ils soient entendants ou non, afin de renforcer les liens familiaux grâce à une meilleure communication. Elle travaille avec d’autres organismes, comme l’Ontario Association of the Deaf, qui s’emploie à promouvoir et à défendre les droits des Ontariens sourds, de même que l’équité et leur accès aux services, et l’Ontario Cultural Society of the Deaf, afin de fournir des ressources aux parents.

Elle a également offert des ateliers aux chauffeurs d’autobus scolaires pour qu’ils aient de meilleures relations avec les élèves qu’ils côtoient chaque jour.

«J’ai donné des séances de formation avec l’aide de quelques élèves. Les chauffeurs ont ainsi pu apprendre certains mots de base en ASL.»

En 1999, Mme Gibson a écrit : «Si nous voulons que les enfants bilingues  qui s’expriment en ASL soient préparés pour le XXIe siècle, nous devons leur fournir un programme qui leur permettra d’acquérir des compétences linguistiques solides pour mieux comprendre et connaître le monde qui les entoure. Le programme en ASL en est la clé.»

Moins de dix ans plus tard, cette clé a ouvert une porte à de nombreux élèves ontariens. Le Prix du premier ministre pour l’excellence en leadership a reconnu la contribution de Heather Gibson à ce changement ainsi que les répercussions sur les enfants, les enseignants et les parents dans toute la communauté sourde de l’Ontario.

Prix du premier ministre pour l’excellence dans l’enseignement

Les Prix du premier ministre honorent les pédagogues et le personnel de soutien qui excellent à exploiter le potentiel des jeunes de l’Ontario. Toutes les personnes qui travaillent dans des écoles, des conseils scolaires et des administrations financés par la province sont admissibles, notamment les enseignantes et enseignants, le personnel de soutien, les directions d’école et les directions adjointes, les agentes et agents de supervision, et les directrices et directeurs de l’éducation.

Des prix sont décernés dans chacune des catégories suivantes :

  • Enseignant de l’année
  • Nouvel enseignant de l’année
  • Excellence du personnel de soutien
  • Excellence en leadership
  • Équipe de l’année
  • Carrière exceptionnelle

Pour plus de renseignements, visitez www.edu.gov.on.ca/prixenseignement.

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