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Sous le chapiteau

Enseigner en tournée avec le Cirque du Soleil

de Mireille Messier

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Tout est dans la préparation

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Sous le chapiteau

Enseigner en tournée avec le Cirque du Soleil

de Mireille Messier

 

«Louise, est-ce que je peux aller mettre mon linge dans la sécheuse?»

L'enseignante, imperturbable, lève à peine les yeux du document sur lequel elle travaille, même si l'élève vient de l'interpeller par son prénom et qu'il veut aller faire sa lessive durant les heures d'école.

«D'accord, mais dépêche-toi. On commence à démonter l'école à la prochaine période.» Démonter l'école?

Entrez dans le monde extraordinaire de l'enseignement en tournée avec le Cirque du Soleil!


La petite histoire de l'école en tournée

Depuis ses premiers balbutiements en 1984, le Cirque du Soleil offre aux jeunes artistes et aux enfants des artistes qui font partie d'un spectacle en tournée l'occasion d'aller à l'école. Jean Gélineau, coordonnateur à l'encadrement de tous les mineurs du Cirque en tournée, explique que le Cirque offre l'école à ses jeunes artistes pour des raisons morales et légales. «Afin d'obtenir l'autorisation de travail des jeunes artistes de 18 ans et moins, 90 % des pays où se rendent les tournées exigent que le Cirque prouve de façon concrète qu'ils vont à l'école», confirme M. Gélineau. Sans école, le Cirque devrait renoncer à avoir des jeunes en tournée.

Durant les dix premières années de son existence, le Cirque, encore de taille modeste, n'organisait que des tournées durant «la belle saison», soit de juin à octobre. Les enfants (qui venaient presque tous du Québec) ne manquaient alors que quelques semaines d'école. Le Cirque a alors décidé de conclure des ententes avec l'école de chaque jeune en tournée afin qu'il puisse réintégrer sa classe sans avoir pris de retard sur les autres élèves. Aujourd'hui, le Cirque a l'ampleur et la réputation qu'on lui connaît. Les tournées se déroulent toute l'année et les enfants viennent d'un peu partout dans le monde. Pour répondre aux besoins grandissants de ses employés itinérants, le Cirque s'est affilié en 1994 à la Commission scolaire New Frontiers de Châteauguay pour offrir le programme d'études du Québec, en français et en anglais. Puis, en 2000, l'École du cirque de Montréal a signé une entente avec le ministère de l'Éducation du Québec afin de se porter garante de la qualité de l'enseignement dans ses tournées. Depuis, elle respecte le programme d'études du Québec et doit donc offrir des cours en français aux élèves de langue française et en anglais à ceux de langue anglaise. Les élèves allophones, eux, choisissent avec leurs parents la langue dans laquelle ils préfèrent être éduqués.

En tournée avec Saltimbanco

Louise Vaillancourt, diplômée de la faculté d'éducation de l'Université d'Ottawa et membre de l'Ordre depuis 2004, et Alexandra Robert, enseignante au Québec, sont les deux plus récentes recrues du personnel enseignant du Cirque du Soleil, qui compte environ une douzaine de membres. Depuis août 2005, elles enseignent aux élèves de la tournée Saltimbanco. Bien que le nombre de jeunes fluctue un peu au cours de l'année, le rapport élève/enseignant pour les écoles du Cirque du Soleil est en moyenne de trois pour un. Un chiffre à faire rêver! En ce moment, quatre jeunes de niveaux différents sont inscrits à l'école de Saltimbanco. Mme Vaillancourt reconnaît qu'il y a des avantages à avoir de si petites classes : «On peut accorder plus d'attention à chaque élève et, durant les activités de groupes ou les sorties éducatives, on peut vraiment faire participer tout le monde. De plus, les besoins de discipline sont aussi minimes que le nombre d'élèves. Dans une classe régulière d'une vingtaine d'élèves, il s'établit un brouhaha quotidien dans lequel il faut calmer les élèves; mais ici, c'est très rare». Les élèves aussi s'entendent pour dire qu'une toute petite classe a ses privilèges : «À l'école “ordinaire”, il faut couvrir la matière à un certain rythme durant l'année. À notre école, si l'enseignante voit que je comprends bien un sujet, on peut couvrir toute la matière en une seule classe et passer à autre chose. Si j'ai de la difficulté dans un autre sujet par contre, on peut passer quatre classes sur la même chose sans que cela soit un problème», explique Kevin Bachor, élève de 11e année qui voyage avec le Cirque depuis quatre ans.

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Mme Vaillancourt et Maxsim, son élève de 4e année

Il existe évidemment certains désavantages à enseigner à quatre élèves de niveaux différents. Les enseignantes de la tournée Saltimbanco doivent assimiler et enseigner toute la matière qui doit être couverte en 4e, 5e, 9e et 11e année. «Côté préparation de cours, ça représente beaucoup plus de travail. Personnellement, j'enseigne l'économie, la géographie et l'histoire de secondaire V en anglais. De formation, je suis enseignante de français au cycle primaire. J'ai donc été obligée de faire beaucoup de lecture et de préparation parce que c'était de la matière que je ne connaissais pas», précise Mme Robert. «C'est certain qu'en cas de chicane, c'est plus difficile à quatre. Pour les jeunes aussi, les petits groupes peuvent être difficiles puisqu'ils sont toujours avec les mêmes personnes. Il n'ont pas d'amis de leur âge», souligne Louise Vaillancourt. Pas évident en effet d'être la seule fille de toute l'école. Yana Plotnikova est en 5e année. Il y a deux ans, son père s'est joint à la tournée Saltimbanco à titre d'acrobate. «Je n'aime pas vraiment le fait qu'il n'y ait que trois autres élèves dans toute l'école. Quand il y a plus d'enfants, on peut jouer et se faire des amis. Ici, je suis la seule fille!» Les classes d'un seul élève causent aussi des problèmes de logistique, comme le révèle si bien Kevin : «Un des défis, c'est qu'on ne peut pas faire de projet de groupe. Dans les manuels de classe, on nous demande souvent de choisir un partenaire ou de se mettre en groupe de quatre ou cinq. Moi, je ne peux pas. Il n'y a même pas cinq élèves dans toute l'école! Parfois, j'aimerais bien pouvoir travailler ou même juste parler après l'école avec d'autres élèves». De plus, tous les élèves s'accordent pour dire qu'il y a un «inconvénient» marqué au fait d'appartenir à un groupe de si petite taille : «Dans une classe normale, tu peux ne pas faire tes devoirs un soir ou sécher un cours, et l'enseignante ne s'en rendra peut-être pas compte. Ici, c'est certain qu'elle va le savoir!», dit Robin Bachor, l'élève de 9e année, en riant.

Navette, boulot, dodo

La journée typique d'un enseignant du Cirque du Soleil débute vers 9 h 30… Lorsqu'il se réveille! En effet, puisque certains jeunes élèves font aussi partie de la distribution du spectacle, l'horaire tout entier doit être considérablement décalé afin de tenir compte des heures des représentations. La semaine d'enseignement se déroule donc du mardi au samedi et les heures de cours sont généralement de midi à 17 h 30.

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Les élèves ont organisé une levée de fonds pour la forêt tropicale avant leur escale au Brésil

L'espace physique de l'école change au fil des villes. À Santiago, «l'école» se situe dans deux petites roulottes dans un champ d'autres roulottes. Puisqu'il faut emballer et déballer la classe dans chaque ville, il est impossible d'avoir des structures permanentes, comme un coin de lecture. Tout doit pouvoir entrer dans une caisse et être prêt à partir en l'espace d'une heure. Lorsqu'on lui demande si elle doit s'habiller comme une «maîtresse d'école», Louise s'esclaffe : «Les sites sur lesquels on travaille ressemblent beaucoup à des chantiers de construction. Partout, c'est du gravier. Lorsqu'il pleut, on patauge dans la boue et il faut faire attention aux chariots à fourche qui vont et viennent constamment. On passe beaucoup de temps dehors, pour aller d'une classe à l'autre, pour se rendre aux toilettes ou à la cuisine. Les petits talons et les habits chics ne sont donc pas pratiques. De plus, il n'y a personne d'autre sur le site qui s'habille autrement qu'en jeans et en t-shirt, alors on détonnerait un peu si on arrivait avec des chaussures à talons».

Le Cirque offre à ses employés et aux élèves une navette qui les conduit de l'hôtel au site, une cuisine où l'on prépare déjeuner, goûter et souper, ainsi qu'une salle de lavage. Puisque les enseignants habitent à l'hôtel, il est souvent plus facile de faire les corrections et la préparation de cours sur le site. Il n'est donc pas rare de prendre la navette du retour vers 20 h.

«Puisqu'il faut emballer et déballer la classe dans chaque ville, il est impossible d'avoir des structures permanentes.»

Contrairement aux écoles régulières où il est relativement aisé d'organiser une rencontre avec la direction ou une réunion du personnel, le corps enseignant en tournée doit faire ses réunions par conférence téléphonique aux deux semaines. Une fois l'an, les enseignants de toutes les tournées se réunissent à Montréal. Tout le monde a ainsi la chance de se rencontrer et de parler des défis particuliers auxquels ils peuvent faire face.

Puisque l'horaire des enseignants en tournée n'est ni celui des employés administratifs, ni celui des artistes ou des techniciens, il est parfois difficile de sentir qu'on «fait partie de la gang». Par contre, contrairement à une école traditionnelle où les élèves sont en grande majorité, sur le site du Cirque, la majorité des gens sont des adultes, ce qui favorise l'accès à une multitude de ressources humaines pour les élèves. «Dans un cours sur l'optique, avec Max, mon élève de 4e année, j'ai pu, avec l'aide d'un éclairagiste, aller sur la scène voir comment on peut mélanger les couleurs avec les projecteurs. Maintenant, Max, qui fait partie du spectacle et qui passe beaucoup de temps sur l'estrade tous les soirs, voit les lumières de façon complètement différente», explique fièrement Mme Vaillancourt.

Voyage avec un grand «V»

Qui dit tournée, dit évidemment voyage. En l'espace de 12 mois, la tournée Saltimbanco aura fait escale dans six villes de l'Amérique centrale et de l'Amérique du Sud. Chaque déplacement requiert environ deux semaines afin de démonter le grand chapiteau et le matériel, d'expédier les caisses et de remonter le tout. Cela représente donc deux semaines d'arrêt de cours. Plusieurs enseignants utilisent ces moments soit pour rentrer au Canada, soit pour jouer aux touristes. «Durant les semaines d'enseignement, je n'ai pas vraiment le temps de visiter la ville où nous restons. Pendant les semaines libres, entre les villes, par contre, je prends le temps de voir du pays. Entre le Mexique et le Chili, je suis allée visiter la Terre de Feu. Entre le Chili et l'Argentine, je prévois un voyage en Bolivie. C'est ça, la partie la plus merveilleuse de cet emploi-là», confie Mme Robert.

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Tout doit pouvoir entrer dans une caisse et être prêt à partir en une heure.

Les sorties éducatives sont des moments forts de chaque escale. «Dans chaque ville, on essaie d'organiser une excursion. Côté logistique, c'est beaucoup plus facile qu'avec une classe ordinaire. Pas besoin de louer un autobus. On peut remettre les lettres de demande de permission aux parents en main propre sur le site et avoir une réponse le jour même», précise Mme Vaillancourt. Durant ses quatre années en tournée, Robin a fait plusieurs excursions. Il lui est difficile de choisir la plus impressionnante : sa visite du Louvre, le sanctuaire du papillon monarque au Mexique et sa rencontre avec les membres de l'équipe de soccer par excellence de Madrid, sont en tête de liste. Son frère aîné, Kevin, est bien d'accord : «Ce que je préfère de l'école en tournée, c'est qu'on peut voir ce qu'on nous enseigne. L'an dernier, on a fait un module au sujet des civilisations anciennes en même temps que notre escale à Rome. Plus tard, j'ai lu le fameux Code Da Vinci et ensuite j'ai pu aller au Louvre voir les vraies peintures dont il était question dans le livre!» Max, qui est en tournée avec ses parents depuis sa naissance et le seul élève qui fasse aussi partie de la distribution du spectacle, savoure à l'avance une sortie bien spéciale : «Bientôt, on va faire une excursion d'une nuit en camping. J'ai vu plein de musées, mais je ne suis jamais allé faire du camping. J'ai hâte!»

La tournée permet aux jeunes de découvrir plusieurs pays et différentes cultures. Cette année, pour se préparer à leur escale au Brésil, les élèves de la tournée Saltimbanco ont mis sur pied une vente de t-shirts et de biscuits afin d'amasser des fonds pour venir en aide à la forêt tropicale.

Ne pas déranger / Do not disturb / No molestar

Imaginez habiter dans le même édifice, prendre le même autobus et manger au même restaurant que vos collègues, tous vos élèves, ainsi que leurs parents. C'est grosso modo ce que représente la vie en tournée. L'adaptation est parfois difficile. «Au début, je trouvais ça assez dur, parce que je tiens beaucoup à ma vie privée. Pour moi, c'est très important de faire la scission entre mon travail et ma vie personnelle. Pas que j'aie des choses à cacher, mais je ne veux pas nécessairement que tout le monde sache ce que je fais. Après un certain temps, on s'y fait, mais au début, je me sentais vraiment emprisonnée», confie Alexandra Robert. Vive les affichettes de porte «Ne pas déranger»!

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«L'an dernier, on a fait un module au sujet des civilisations anciennes en même temps que notre escale à Rome.»

Incertitude…

Au moment de la rédaction de cet article, Saltimbanco était à Santiago. Quand vous lirez cet article, la tournée sera déjà loin, en Amérique du Sud, sans doute, mais on ne sait jamais exactement dans quel pays, ni dans quelle ville.

À l'automne 2005, Saltimbanco devait faire escale à Biloxi, au Mississippi. L'ouragan Katrina, qui dévasta la Louisiane, en a décidé autrement et le Cirque a changé radicalement l'horaire de la tournée. Quelques semaines seulement avant la date prévue pour l'étape du sud des États-Unis du circuit, une confirmation est arrivée du bureau principal à Montréal : Saltimbanco s'est plutôt rendu à Mexico.

«Dans chaque ville, on essaie d'organiser une excursion. Côté logistique, c'est beaucoup plus facile qu'avec une classe ordinaire.»

C'est avec ce genre d'incertitudes et de revirements que les enseignants de tournée et leurs élèves doivent composer régulièrement. Si le spectacle est très populaire dans une ville, il est possible qu'on y reste une ou deux semaines de plus. Robin résume bien cette contrainte : «Certaines personnes viennent ici pendant un an ou même moins, puis s'en vont. Elles ne sont pas capables de s'habituer. Il faut vraiment aimer ça pour rester. Il y a tellement de choses qui paraissent normales, mais qui ne le sont pas lorsqu'on voyage avec le Cirque. Des choses aussi simples que de savoir où l'on sera à Noël ou la date de nos prochaines vacances...

En décembre 2006, Saltimbanco prendra sa retraite. Tous les artistes, techniciens et enseignants seront réassignés à d'autres spectacles. Kevin sera à l'Université d'Ottawa, où il suivra le programme de biopharmacie. Robin et Yana espèrent que leurs pères seront tous deux postés dans un spectacle fixe. Et Max? Eh bien Max continue de faire ses devoirs entre ses performances en attendant de savoir à quel spectacle sa famille et lui se joindront. Après un an sur la route, Mmes Robert et Vaillancourt reviendront au Canada sous peu. Elles préparent maintenant le terrain pour le prochain maître de cérémonie et tireront leur révérence au moment du décollage du prochain avion en partance du Canada

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Louise Vaillancourt et ses élèves, Maxsim Vintilov, Yana Plotnikova et Robin Bachor, lors de la tournée du Cirque du Soleil à São Paulo

L'école chinoise

Au Cirque du Soleil, les artistes mineurs en provenance de Chine fréquentent leur propre école. Un tuteur chinois leur enseigne le programme d'études de Chine. Jean Gélineau, coordonnateur à l'encadrement des mineurs, explique : «Lorsque le Cirque a commencé à recruter des artistes chinois pour ses tournées, l'agence artistique avec qui nous faisions affaire nous faisait signer un contrat afin de s'assurer que ses membres n'allaient pas rester à l'extérieur du pays plus de six mois. Puisque la grande majorité des jeunes ne parlaient que le chinois, il n'était donc pas pratique de tenter de les intégrer à nos classes pour une si courte durée. Depuis, la durée des contrats a été prolongée à 18 mois, mais puisque le système est en place et fonctionne bien, nous avons choisi de le garder»