Une journée dans la vie...

Charles Kruger, Kitchener

Rockway Mennonite Collegiate
Anglais
Certifié en 1982
Faculté d’éducation, Université Western Ontario
de Wendy Harris

8 h 15. Le son d’une guitare électrique remplit l’auditorium tandis que Charles Kruger répète des hymnes façon Nashville. Quelques élèves fredonnent les paroles qu’il entendra ce matin afin qu’il ait au moins une idée de ce qui l’attend un peu plus tard à la chapelle. Deux minutes plus tard, il remballe sa guitare pour se diriger vers sa classe mobile où il enseigne l’anglais à des élèves de 11e année et des CPO.

Chuck, comme tout le monde l’appelle ici, ses élèves compris, a débarqué récemment au Rockway Mennonite Collegiate de sa modeste demeure à St. Jacobs. Il embrasse sa femme Linda, salue son plus jeune, Matthew, et monte dans sa voiture avec ses deux fils aînés, Nathan et Daniel, qui fréquentent l’école Rockway à Kitchener.

Avant de commencer son cours, quelque peu avant 8 h 20, Kruger campe sa guitare dans un coin de la classe qui lui est réservé et salue les jeunes qui affluent peu à peu dans sa classe. Ses élèves de 11e année n’ont rien de différent des jeunes de 16 et 17 ans qu’on retrouve dans une classe typique – cheveux gominés, boucles d’oreilles dans des endroits inhabituels, veste de jeans avec des devises du genre «Rock for Life» dans le dos. Leurs parents les ont envoyés à cette école semestrielle indépendante afin qu’ils reçoivent une éducation à caractère religieux qui non seulement leur inculque les principes fondamentaux de la religion, comme le pacifisme, mais où ils peuvent apprendre d’autres matières comme les arts et la musique en particulier.

Environ 60 pour 100 des 477 élèves de l’école sont Mennonites. Quinze pour cent sont d’origine étrangère — chinoise pour la plupart — et n’ont aucune croyance ou appartiennent à une religion chrétienne. L’origine des autres varie. On y rencontre notamment quelques musulmans, une juive et d’autres types de chrétiens.

Kruger lui-même a fréquenté Rockway quand son père dirigeait l’école dans les années 70. À l’époque, l’école ne comptait que 76 élèves. Depuis, le petit édifice de béton a pris beaucoup d’expansion. Au début des années 90, de nouvelles classes se sont ajoutées, puis un nouveau gymnase et une salle de réunion circulaire décorée d’une superbe collection de courtepointes et dotée en son centre d’une impressionnante table de chêne ronde faisant 15 pieds de diamètre. De nos jours, l’école est de nouveau pleine à craquer, s’enorgueillit Kruger, qui enseigne à tous ses groupes dans la salle mobile no 6.

Ce matin, les élèves de 11e année étudient Macbeth. Le cours commence avec un test informel. Kruger lit un extrait des premières scènes. À leur tour, les élèves doivent le paraphraser et déterminer quel personnage prononce le passage, à qui et dans quel contexte. «Chuck, qu’est-ce qu’on gagne aujourd’hui si on obtient la bonne réponse?», demande un élève, qui connaît bien l’esprit rieur de son enseignant.

Le test débouche rapidement sur une discussion sur les principaux thèmes de Macbeth et les jeunes sont maintenant tout à fait plongés dans le texte. Ils discutent du renversement des rôles, du destin et des forces du mal. «Explorer la face cachée est toujours fascinant, explique Kruger à ses élèves. En effet, comment peut-on comprendre les gens si l’on ne connaît pas toutes les facettes de leur personnalité?»

Une fois la classe terminée, l’école au complet se retrouve à la chapelle pour la rencontre bihebdomadaire. Armé de sa guitare électrique, c’est aujourd’hui que Kruger joue son petit air de rock. Les élèves chantent et écoutent ensuite le compte rendu d’un groupe qui a participé à une réunion de jeunes pendant l’été.

Selon Kruger, il est essentiel pour un enseignant d’engager réellement le cœur et l’esprit de ses élèves dans le processus d’apprentissage. Pour lui, enseigner exige que l’on explore constamment de nouvelles techniques en vue d’assurer ce genre de contact. L’humour est l’une de ses techniques préférées.

Dans la classe suivante, il offre à ses élèves des CPO trois possibilités d’étudier Le Roi Lear : présentation par le prof, lecture personnelle ou interprétation de la pièce par les élèves. Il ajoute : «Autrement dit, vous avez le choix d’entendre la version Chuck — personnellement, je ne connais pas de meilleure méthode — ou de lire vous-même la pièce avec interruptions de Chuck, ou encore de jouer la pièce, avec interventions de Chuck. Peu importe la méthode que vous choisissez, j’interviendrai!»

Les rires fusent de toutes parts. Après un débat animé, les élèves décident d’essayer les trois méthodes et d’en choisir une demain.

Kruger dirige son groupe d’une main de maître, encourageant constamment ses élèves à communiquer leurs impressions et qualifiant leurs observations de «brillantes» ou «géniales». En réponse à une question sur les dieux grecs dans les pièces de Shakespeare, Kruger avoue son ignorance mais promet de faire des recherches à ce sujet et de présenter les résultats au prochain cours si cela les intéresse. Il aiguillonne son groupe à discuter des thèmes de la pièce, même s’ils ne peuvent pas entièrement saisir toutes les nuances du texte. Il aborde les principaux thèmes, les personnages, le vocabulaire, les formulations, permettant ainsi à ses élèves de mieux apprécier l’œuvre de Shakespeare. Dans sa classe, il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse, mais plutôt de l’exploration et des découvertes.

«J’y vais selon l’humeur du moment. Cela signifie que je dois constamment être à l’affût de leurs réactions et des miennes, plutôt que de simplement suivre un plan de cours que j’ai rédigé la veille ou l’année précédente. Les gens passent en premier; le programme en deuxième», renchérit-il.

Avalant rapidement ses pâtes — des restes du repas de la veille — Kruger déclare que même si l’enseignement est une vocation commune dans sa famille (sa mère a également enseigné à Rockway), ce n’était pas l’orientation qu’il avait choisie au départ. Il a tout d’abord fréquenté le Canadian Mennonite Bible College pour étudier la musique et la théologie. Il n’avait aucune intention de devenir ministre du culte, mais souhaitait plutôt «jouer de la musique et réfléchir. J’étais vraiment un de ces snobs de la musique classique», avoue-t-il.

Après avoir pratiqué la clarinette de façon isolée six heures par jour pendant plusieurs années, il s’est rendu compte que le contact humain lui manquait énormément. Il n’a jamais abandonné la musique malgré tout. Au contraire, il a décidé de l’enseigner et maintenant, il joue de la guitare électrique avec un groupe country-rock style années 60. Kruger a obtenu une maîtrise en anglais de l’Université de Waterloo, puis est allé chercher sa carte de compétence. Après avoir enseigné la musique pendant quatre ans en Saskatchewan, il est revenu en Ontario où il s’est joint au personnel de la Woodland Christian School pendant quelques années et à celui de Rockway depuis dix ans. «J’ai toujours voulu enseigner ici, avoue-t-il. Pour moi, c’était comme un retour aux sources.»

Il y a déjà 19 ans qu’il enseigne. La leçon qu’il en a tiré? «L’important pour moi c’est de bien apprendre à me connaître. Au fil du temps, je découvre que plus je lis et plus je pense, mieux j’enseigne.»

Au début de sa carrière, il donnait principalement des cours magistraux. Au fil des ans, son style s’est assoupli et les élèves jouent maintenant un rôle plus actif dans les cours. C’est ce genre d’interaction qui favorise l’engagement intellectuel qu’il recherche tant. Mais Kruger n’a pas pour autant abandonné la pédagogie traditionnelle. La mémorisation, juge-t-il, demeure extrêmement importante et «ils apprendront par cœur les principaux monologues de Macbeth».

Il est également important d’inculquer aux élèves un cadre d’apprentissage solide auquel ils peuvent toujours se reporter. Chaque jour, la matière abordée en classe et leurs travaux sont affichés sur un site web. De cette façon, ils peuvent toujours consulter le site pour obtenir des clarifications sur des points qu’ils n’ont pas tout à fait saisis en classe.

À la dernière période, Kruger présente Macbeth à un autre groupe de 11e année. Contrairement au premier, celui-ci tient réellement à interpréter la pièce. Mais avant de s’y aventurer, Kruger prononce un de ces petits discours passionnés qu’il leur donne périodiquement. Il insiste notamment sur le fait que «un brouillon est un brouillon justement parce que c’est un brouillon». Autrement dit, il faut commencer par laisser libre cours à ses idées. On les affinera par la suite.

Il parle également des formulations qui l’agacent comme «dans cette dissertation», «en conclusion», «en premier lieu», «en deuxième lieu», etc. «Comprenez-vous l’importance suprême de ces questions?», plaisante-t-il. Il parle également des éléments d’une dissertation et à quel point certaines rédigées en réponse aux attaques terroristes à New York et Washington le 11 septembre dernier l’ont particulièrement ému. «Vous êtes des écrivains formidables», les complimente-t-il.

Il est évident que ses élèves l’adorent. Non seulement parce qu’ils s’amusent dans sa classe, mais aussi parce qu’il trouve toujours le moyen de les stimuler. «Il sait nous parler directement, de personne à personne», confie un élève allemand en échange.

D’autres diront que sa classe est tout simplement drôle, intéressante et stimulante... tellement, qu’ils oublient de mentionner tout ce qu’ils y apprennent.

Il est déjà 16 h 30 lorsque Kruger sort du stationnement après avoir ramassé ses fils. À la maison, Linda l’attend, un café chaud dans le percolateur. Linda occupe un poste de travailleuse sociale à temps partiel. Kruger se verse un café et s’assoit quelques minutes pour se détendre un peu. Il lui reste encore deux heures de corrections avant le souper.

Le moment est venu de réfléchir sur sa journée et sur l’enseignement en général. Qu’est-ce qui distingue un bon enseignant? C’est simple, répond Kruger par deux questions. «Aimez-vous les enfants? Aimez-vous apprendre?»

Charles Kruger
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