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Une journée dans la vie... Lucie Quesnel, Ottawa Le Transit, Hôpital pour enfants malades de l’est de l’Ontario Conseil des école publiques de l’est de l’Ontario 7e à 12e année Certifiée en 1976 Faculté d’éducation, Université d’Ottawa |
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de Tracy
Morey
Parmi ses élèves, elle compte un jeune de 17 ans qui suit un traitement de chimiothérapie et une anorexique de 10e année tenue de chanter à haute voix aux toilettes pour que son enseignante sache qu’elle n’est pas en train de vomir. La classe de Lucie est installée dans un hôpital pour enfants malades. L’école dans cet environnement est plus qu’un lieu d’éducation — c’est un havre dans un milieu dominé par les grandes tensions engendrées par les drames et le pathétisme au quotidien. «Oui, c’est un tableau poignant qui vous fait monter les larmes aux yeux», déclare Lucie, née à Ottawa et qui considère que son action auprès des élèves malades en est une «de promotion et de normalisation.» À 7 h 45, Lucie, mariée à André, enseignant, laisse leur maison à Orléans, en banlieue d’Ottawa, pour conduire Olivier, leur fils de 18 ans, et deux de ses copains à l’École secondaire Louis-Riel. Une demi-heure plus tard, elle arrive à l’hôpital pour enfants malades de l’Est de l’Ontario, immeuble tentaculaire de dernier cri dans la banlieue. Les dessins des enfants, les ballons et de nombreuses salles de jeu neutralisent l’odeur désagréable du lieu. Dans les couloirs déambulent des enfants accrochés à des intraveineuses et des adolescents rendus quasi-chauves par la chimiothérapie.
Plus petite que la moyenne, sa classe est tapissée de livres, de dossiers, d’affiches, d’une photo en carton d’Harry Potter grandeur nature, de rayons débordant de Scrabble et de casse-tête. Sur un mur, à côté de l’unifolié, trône un énorme drapeau franco-ontarien vert et blanc. «Nous sommes situés entre le service d’oncologie et la salle de jeux des tout-petits, lance-t-elle, donc en plein cœur de l’action.» «Notre tâche consiste à normaliser la vie de ces enfants malades, à leur assurer une routine.» Les patients à court terme peuvent faire le pont grâce à l’enseignement dispensé dans une classe de l’hôpital, et ne sont pas en retard en retournant à l’école. Un enfant dont le séjour ici dure de deux à six mois est un patient à long terme. Quesnel vérifie des dossiers et fait un peu de travail de secrétariat, puis donne un coup de fil pour s’assurer qu’un enfant qui prendra congé de l’hôpital le lendemain bénéficiera de services de tutorat à la maison. À 8 h 45, elle commence sa tournée. Elle consulte le personnel médical et examine la liste des patients pour s’assurer que ses élèves sont libres ou pour voir s’ils sont allés subir des tests ou suivre un traitement. En longeant les couloirs de l’hôpital, elle pointe du doigt les chambres des adolescents. Elles sont bien chauffées et accueillantes. «Pour enseigner ici, il faut savoir à quel point la chimio peut empêcher un enfant de se concentrer, explique-t-elle, et l’effet que peuvent avoir les comprimés de marijuana sur l’attitude d’un élève.» «Nous suivons le curriculum. Il le faut. Mais ce n’est pas sans peine, car chaque enfant apprend à son propre rythme. Il nous faut faire preuve d’ouverture d’esprit, de préparation et éviter toute forme d’intimidation. Le genre de travail que nous effectuons amène un grand nombre de parents à se fier à nous, parce que nous sommes en dehors du circuit médical. Parfois, on peut jouer un rôle prépondérant dans le rétablissement d’un élève. Ce n’est pas une mince responsabilité.» Assise dès 9 h à une vaste table au milieu de la salle de classe où s’enseigne le programme, elle passe en revue la charge de travail du jour avec l’enseignante du cycle primaire, Louise Gauthier, amie de longue date, et Ginette Letours, jeune enseignante récemment embauchée pour aider à réduire le surplus de travail. «Ce qui distingue aussi cet établissement des autres, c’est la nécessité de convaincre souvent les enfants à venir en classe», souligne-t-elle. Pour y arriver, elle s’arrange pour se faire rapidement une idée de ce qui intéresse le patient. Par ailleurs, elle connaît en général suffisamment bien l’école du patient et ses enseignants pour l’engager sur son propre terrain. «Je dispose de 15 minutes pour l’apprivoiser. Et, en règle générale, j’y parviens.» En fait, ce matin encore sa tactique s’est révélée fructueuse. On a vu Janik! Il s’agit d’une petite fille intelligente de 8e année qui vit sur une ferme. La blessure qu’elle a au front se cicatrise. En allant chez sa grand-mère, elle s’est fait renverser de sa bicyclette par une voiture et a été plongée dans le coma pendant quatre jours. «La lésion cérébrale acquise au moment de l’accident a entraîné des troubles de la mémoire, poursuit l’enseignante. Elle avait oublié comment faire des soustractions, aujourd’hui, elle fait des divisions et résout des problèmes.» Tout en conjuguant le verbe préparer, notre interlocutrice amorce une discussion sur la nécessité de porter des casques quand on se déplace à bicyclette. «Maintenant, Janik met son accident sur le compte du chauffeur de l’automobile. Elle finira cependant par comprendre qu’elle avait aussi pour responsabilité de porter un casque. Nous recevons tellement de jeunes victimes d’accidents de bicyclette!», constate-t-elle. À 10 h 30, c’est l’heure des mathématiques pour Janik, tandis qu’un adolescent en pyjama fait de la géométrie avec Ginette Letours. À la même table, un élève de 4e année en fauteuil roulant, dans des appareils et presque aveugle apprend avec Louise Gauthier un peu de grammaire à l’aide d’une méthode amusante. Chaque semaine, se tient une réunion multidisciplinaire pour faire le point sur les progrès accomplis par les patients. Selon Quesnel, le personnel enseignant apporte à l’équipe une vision différente des choses. «Quelqu’un qui fait ce travail ne peut pas être timide. Il nous arrive d’avoir d’un enfant une opinion différente de celle des médecins.» Puis, elle se rend à l’étage supérieur où doit avoir lieu son prochain rendez-vous, une rapide visite à Ihab, 17 ans, qui souffre de leucémie et qui a passé toute sa 10e année dans la classe de Quesnel. Actuellement, en 12e année, il vient suivre des traitements rapides pour ne pas manquer l’école. «Ici, je n’étais pas dans une salle de classe normale, j’avais plus de temps pour faire l’idiot, mais cela a marché pour moi», se souvient-il. Aujourd’hui, Quesnel lui dit comment s’y prendre pour obtenir les cinq crédits en français qu’il lui faut pour son diplôme. À 11 h 30, il est prévu qu’elle ira jouer avec la petite Natalie, 12 ans, gravement handicapée par la paralysie cérébrale et hospitalisée en ce moment en raison d’une pneumonie. Elles improvisent un jeu en essayant d’attraper quelques jouets. «Le travail ici n’est pas fait pour tous. La souffrance et la variété des tâches requises sont grandes. De plus, il y a des choses que nous estimons devoir faire pour préserver la dignité de nos élèves et leur assurer un certain bien-être. L’une d’entre elles consiste à accompagner six enfants à un concert des Backstreet Boys «avec des bouchons d’oreille».Une fois, Quesnel s’est arrangée pour que des joueurs de hockey des Sénateurs d’Ottawa viennent rapidement au chevet d’un élève mourant.»
Elle se réjouit de l’appui au programme de perfectionnement professionnel accordé par son conseil scolaire. L’année dernière, elle a participé à 26 ateliers, dont les thèmes allaient de la formation en informatique aux rapports entre les complications provoquées par la leucémie et le fonctionnement cognitif. L’antipathie que manifestent les politiciens à l’endroit des enseignants ontariens la blesse et la bouleverse. Parmi les sœurs et frères de son mari et les siens, il y a six enseignants. Cette tradition s’est effondrée soudainement dans les deux familles. «Mon fils m’a dit une fois "Maman, je te vois travailler à la maison chaque soir, pourquoi voudrais-je être enseignant?"» Deux élèves du programme de jour et ayant des troubles de l’alimentation arrivent à leur classe de l’après-midi en retard — problème inhérent à cette maladie. Mariel et Joanne, en 10e année, ont deux heures de classe par jour et suivent également d’autres thérapies. Quesnel et Mariel lisent à tour de rôle le livre intitulé By the Waters of Babylon. L’enseignante s’attarde sur les rêveries du narrateur autour du passage qui dit «ne jamais perdre espoir». Elle raconte à Mariel l’histoire du policier d’Ottawa qui a laissé tomber son boulot la semaine dernière pour aller avec son chien de piste récupérer des corps du World Trade Center. «Il a laissé parler son cœur et non son corps», observe l’enseignante. Mariel demande la permission d’aller aux toilettes et on lui rappelle de chanter à haute voix, pour que Quesnel sache qu’elle n’est pas en train de vomir. Ordre du médecin! En fait, la chose se passe avec humour et dignité. «L’atmosphère ici est bonne, affirme la jeune fille de 16 ans, les enseignantes sont amusantes et elles font des blagues — on peut leur parler.» Il est 16 h et c’est la fin des classes. «Je ne quitte à l’heure que lorsque commence la saison du basket-ball», dit en souriant l’enseignante. Elle a aussi une autre passion, la lecture, en français ou en anglais, jamais de traduction. Elle aime les policiers et «elle a passé toute une nuit à lire Harry Potter.» Demain, on attend des cadres du ministère de l’Éducation. Elle commence à mettre les dossiers des enfants en ordre. Annie, adolescente de 16 ans, débordante de joie, entre en coup de vent. Elle est en train de vendre des carnets de coupons pour son école. Nul doute que parmi les anciens du programme elle est une préférée. «J’ai passé six mois dans la classe de Lucie, lance-t-elle sans gêne. J’avais une psychose non permanente semblable à la schizophrénie. J’entendais des voix et avais un léger trouble de l’alimentation qui me faisait mal à l’œsophage.» «Maintenant, je suis de retour à l’école et je prends peu de médicaments.» Elle se tourne soudainement vers son ancienne enseignante avec un sourire éclatant et ajoute : «et en math, je suis la première de ma classe». En retournant à la maison à 17 h, Quesnel s’arrête à la librairie Coin du Livre pour acheter un nouveau manuel de mathématiques de 3e année. Max, un jeune du nord de l’Ontario, doit retourner à l’hôpital demain pour se faire soigner. «Le livre de mathématiques dont il se sert remonte aux années 70 et sa mère espère vraiment qu’on lui trouve quelque chose de mieux», déclare-t-elle. Lucie Quesnel
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