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de Wendy Harris

À une époque où une éducation solide est essentielle pour obtenir un bon emploi, un groupe d’élèves en particulier tombe dans l’oubli : les pupilles de la Couronne. Sans milieu familial stable ni soutien scolaire, nombreux sont ceux qui décrochent avant la fin de leurs études. Certains conseils scolaires et organismes gouvernementaux leur offrent désormais de nouvelles possibilités pour réussir à l’école et peut-être dans la vie.


Être pupille de la Couronne ne devrait pas être un châtiment. Au contraire, les organismes comptent sur la société pour protéger les enfants maltraités, troublés ou ayant des problèmes médicaux graves en leur offrant un milieu sécuritaire (généralement en foyer d’accueil) et la possibilité d’un nouveau départ. Pourtant, la majorité des pupilles de la Couronne ne passent même pas le seuil d’une école secondaire.

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Norma Yeomanson, EAO, est d’avis que les vraies transformations se produisent au début du développement de l’enfant.

Ce n’est pas une question négligeable. Actuellement, il y a 18 000 pupilles de la Couronne en Ontario. Quelque 8 700 d’entre eux seront à la charge de la province jusqu’à l’âge de 19 ans, tandis que 9 300 autres sont en tutelle provisoire et pourraient retourner dans leur famille à un moment donné. Puisque ces enfants déménagent d’un foyer d’accueil à un autre et d’une école à une autre, leur scolarité manque de continuité. En raison de cette situation et d’autres facteurs, ces élèves courent trois fois plus de risques de décrocher du secondaire que les autres.

Les ministères provinciaux et les 53 sociétés d’aide à l’enfance de la province n’ont pas manqué de remarquer ces statistiques troublantes. En fait, le gouvernement de l’Ontario a adopté comme stratégie à long terme d’améliorer les résultats scolaires des pupilles de la Couronne et, par conséquent, leurs chances de réussir sur le marché du travail afin de réduire la pauvreté dans la province.

Substituts des parents

En tant que directeur des Services de bien-être de l’enfance et de la jeunesse de la Société d’aide à l’enfance de Durham, Brad Bain connaît la situation depuis longtemps. Il y a quelques années, il a examiné le dossier d’enfants placés sous la tutelle de sa société qui ne terminaient pas leurs études secondaires. Il n’a pas été surpris de découvrir qu’un trop grand nombre d’entre eux étaient victimes de graves lacunes du système d’éducation. Par exemple, quand ils déménageaient dans un autre district scolaire ou éprouvaient d’autres problèmes encore plus complexes (comme trouver les ressources pour répondre à leurs besoins particuliers affectifs ou troubles multiples de comportement), il pouvait être difficile de les inscrire à l’école. Une situation qui va à l’encontre du mandat important de la société d’aide à l’enfance et que peu de parents toléreraient. «Nous sommes les substituts des parents», dit M. Bain.

Bien que les représentants des sociétés d’aide à l’enfance s’engagent avec les enseignants concernant les tests dans les écoles, comme pour la plupart des parents, des obstacles entravent souvent leurs efforts. Ils ne peuvent obtenir les ressources dont ils ont besoin, ni les tests ni le soutien requis, et il leur est difficile d’obtenir les soins nécessaires en raison des multiples besoins particuliers des jeunes à leur charge.

«Nos élèves ne réussissent pas aussi bien que les autres», affirme M. Bain. D’ailleurs, selon une analyse réalisée il y a trois ans, 82 pour cent des 875 enfants sous la tutelle de la Société d’aide à l’enfance de Durham (dont 470 sous la tutelle permanente de la Couronne) ont des besoins particuliers, presque la moitié a des problèmes de comportement, et 40 pour cent risquent d’échouer leur année scolaire. «Ils sont désavantagés dès le début. Ils ont des difficultés de comportement et des problèmes de santé mentale. Les écoles ordonnent la suspension de nos élèves sans aucun préambule.»

M. Bain explique que son organisme fait des efforts considérables afin d’obtenir des ressources pour aider les élèves à réussir (p. ex., des tests pour mesurer les difficultés d’apprentissage, des évaluations psycho-éducatives, du transport fiable ou des aides-enseignants dans la classe).

«On nous a informés qu’il faudrait payer nos propres aides-enseignants. S’il s’agissait de mon fils ou de ma fille, ils n’auraient jamais le droit de faire une telle chose.»

Il y a environ cinq ans, le ministère des Services à l’enfance et à la jeunesse a fixé comme objectif que tous les enfants sous la tutelle des sociétés d’aide à l’enfance de la province fassent des études secondaires. En 2009, le ministère de l’Éducation s’est joint à l’initiative qu’on a incorporée à la stratégie visant la réussite des élèves, laquelle vise un taux de succès de 85 pour cent au printemps 2011. En réaction à cette initiative et pour répondre aux besoins précis des pupilles de la Couronne à la charge de son organisme, M. Bain a engagé quelqu’un qui connaît les procédures du système d’éducation et qui peut défendre les droits de ces jeunes.

«Nous avions besoin d’un expert en la matière, déclare-t-il. Une personne capable de rectifier le tir.»

Fort de 39 ans d’expérience au sein du système scolaire, Ron Tansley, EAO, remplit ce rôle. Au cours des dix dernières années, il a été directeur d’école secondaire pour le Kawartha Pine Ridge District School Board. En février 2009, la Société d’aide à l’enfance de Durham l’a embauché comme conseiller pédagogique à temps partiel. «La présence de Ron donne plus de crédibilité aux enjeux de nos élèves», affirme M. Bain.

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Ron Tansley, EAO, communique directement avec des enfants sous tutelle, soit pour leur faire passer des tests ou pour les conseiller

En plus de son travail de sensibilisation auprès des écoles locales concernant les élèves sous tutelle, M. Tansley communique directement avec les enfants, soit pour faire passer des tests (principalement le Wechsler Individual Achievement Test, lequel mesure les compétences en lecture, en mathématiques et en orthographe) ou pour les conseiller individuellement. M. Tansley ne se fait aucune illusion sur leurs antécédents ni sur les épreuves qu’ils ont endurées avant d’arriver aux portes de la Société d’aide à l’enfance.

«Ces enfants ont connu les pires situations, déclare-t-il. Puis, il poursuit : Ne croyez-vous pas qu’un enfant qui a subi des sévices corporels ou émotifs est psychologiquement fragile? Ces jeunes ne sont pas les plus charmants ni les plus affectueux.»

Dans son travail quotidien avec les pupilles de la Couronne de la région de Durham, M. Tansley fait face aux mêmes défis qu’un nombre croissant de conseillers pédagogiques des sociétés d’aide à l’enfance de la province. Douze des 53 sociétés d’aide à l’enfance de l’Ontario comptent des conseillers dans leurs rangs. En feuilletant une grosse pile de rapports qui résument l’amertume et l’infortune de tant d’enfants sous tutelle, il dresse une liste de problèmes et souligne quelques signes d’espoir. Il raconte la vie d’enfants qui, après avoir été forcés de quitter leur famille pour diverses raisons, sont passés d’un foyer d’accueil à un autre et d’une école à une autre.

Ne croyez-vous pas qu’un enfant qui a subi des sévices corporels ou émotifs est psychologiquement fragile?

Les transitions sont difficiles pour tous les enfants, mais davantage pour ceux-ci, car ils présentent souvent un comportement perturbateur, erratique et instable. Certains d’entre eux se retrouvent dans les classes liées à l’article 23 – des classes séparées pour des élèves éprouvant des troubles comportementaux, affectifs ou sociaux et, assez souvent, des difficultés d’apprentissage – tandis que d’autres décrochent pendant un certain temps.

Intervention précoce

Une grande partie du travail de M. Tansley consiste à favoriser la réussite pour les élèves et à créer les plateformes d’apprentissage dont ils ont besoin pour s’épanouir. Il faut évaluer les élèves et établir des programmes d’apprentissage individualisés. Ensuite, il devra peut-être chercher du financement pour un aide-enseignant ou un tuteur, ou les deux. Il affirme que l’intervention précoce joue un rôle important; quand les enfants sont à l’élémentaire, au cours des premières années d’enseignement, il y a de bonnes chances d’améliorer leur destinée. Une fois au secondaire, il est plus difficile d’intervenir efficacement.

«Le véritable défi est de convaincre ces élèves de poursuivre des études secondaires, dit M. Tansley. Bon nombre d’entre eux n’ont pas du tout appris à s’intégrer à l’école. Ils n’apprennent pas bien; ils n’appartiennent à aucun groupe; ils sont incapables de suivre le courant. Ils représentent nos élèves les plus à risque.»

À la suite du succès des initiatives de M. Tansley et du constat que l’intervention précoce est un élément déterminant, Norma Yeomanson, EAO, ancienne directrice d’une école élémentaire de Durham, a été embauchée au début de 2011 en tant que conseillère pédagogique à temps partiel pour le cycle primaire. À son avis, les vraies transformations se produisent au début du développement de l’enfant. Nombre d’entre eux ont besoin de l’aide d’un tuteur avant même de commencer au jardin d’enfants parce que les expériences qu’ils ont vécues n’ont pas donné le fondement dont ils ont besoin pour commencer un apprentissage plus rigoureux. Elle indique également qu’ils ne possèdent ni les compétences sociales ni la discipline comportementale pour fonctionner au jardin d’enfants ou à l’élémentaire.

Mme Yeomanson ainsi que d’autres pédagogues, des directions d’écoles et des travailleurs sociaux s’engagent à trouver le soutien nécessaire pour ces élèves. Une fois qu’ils atteignent les cycles primaire et moyen, elle peut évaluer leur rendement scolaire et recommander l’approche à adopter.

Soutien adéquat

Lynn Gittens, EAO, est chef de l’éducation de l’enfance en difficulté à la Grove School, un établissement réglementé par l’article 23 de la Loi sur la sécurité dans les écoles, prise en application de la Loi sur l’éducation. L’école répond aux besoins en éducation de quelque 400 élèves du jardin d’enfants à la 12e année qui ne peuvent se rendre à une école communautaire du Durham District School Board à cause d’un placement en foyer d’accueil, d’un traitement, d’une situation de garde ou d’un placement en établissement correctionnel. Elle souligne que la présence de M. Tansley en tant que conseiller pédagogique à la Société d’aide à l’enfance élargit le réseau de soutien des enfants et lui permet de jeter un regard différent sur les enfants en tant qu’élèves.

En plus des tests qu’il mène, M. Tansley participe à des réunions de transition pour les élèves qui se préparent à quitter l’école et cherche à anticiper les problèmes éventuels. Connaissant bien le niveau d’appui sur lequel il peut compter, il aide les élèves à surmonter les obstacles, donnant ainsi l’occasion à Mme Gittens de concentrer ses efforts sur les qualités de l’élève. À titre de tutrice qui travaille souvent avec des élèves sous la tutelle d’une société d’aide à l’enfance, elle met l’accent sur les matières scolaires dans lesquelles ils ont le plus de difficultés. Grâce à son intervention individuelle, elle a vu des élèves qui ont grimpé de deux années scolaires en mathématiques ou en français, et ce, en deux semaines. «Ils sont tellement fiers de me montrer ce qu’ils peuvent faire, dit-elle. Une personne qui prend le temps de les aider est souvent tout ce dont ils ont besoin pour réussir.»

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Grâce à l’intervention de Lynn Gittens, EAO, des élèves ont grimpé de deux années scolaires en math ou en français en quelques semaines

Carolyn Treadgold, EAO, directrice superviseure de l’éducation de l’enfance en difficulté du Durham District School Board, ajoute qu’en plus de faire office de promoteur actif, M. Tansley établit un contact ciblé avec ses élèves. «Il est important qu’ils aient une voix, que quelqu’un puisse parler en leur nom», souligne-t-elle.

En tant que travailleuse sociale pour le Durham District School Board, Georgia Jenkins ne s’arrête pas à la perspective scolaire. À son avis, bien que les travailleurs sociaux connaissent les besoins des enfants, ils n’ont pas toujours l’expérience nécessaire pour y répondre. M. Tansley leur montre comment faire. «Il sait comment fonctionne le système», dit-elle.

Comme tous les organismes axés sur la santé, la justice ou le domaine hospitalier, le système d’éducation est «décalé» et doit avoir un guide chevronné. Mme Jenkins affirme que, malgré les enjeux psychologiques ou affectifs auxquels certains enfants font face, les travailleurs sociaux et les enseignants s’investissent dans la cause des élèves. «Il est important pour ces enfants de se sentir compétents et de réussir, déclare-t-elle. Fréquenter l’école est le moyen idéal d’apprendre les mécanismes sociaux qui influent sur l’estime personnelle et la confiance en soi.»

Une personne qui prend le temps de les aider est souvent tout ce dont ils ont besoin pour réussir.

Michelle Titterton est superviseure de l’enfance et de la jeunesse auprès de sept membres du personnel de la Société d’aide à l’enfance de Durham. Il va sans dire que la sécurité des enfants est primordiale dans le cadre de son travail, mais leur scolarité l’est tout autant.

«L’éducation tient une place essentielle dans l’avenir des enfants, dit-elle. Quelques-uns viennent d’un milieu si pauvre que son importance n’a jamais été soulignée.»

Mme Titterton consulte la liste des problèmes à résoudre et des besoins à satisfaire chez ces élèves. Certains sont toxicomanes, d’autres s’absentent régulièrement des classes, certains ont eu maille à partir avec le système de justice pénale et plusieurs ont connu un va-et-vient entre leur famille et les foyers d’accueil ou d’un foyer d’accueil à un autre.

Elle souligne poliment que «leur passé n’est pas particulièrement reluisant; ils ont droit à une autre chance».

Importance des pédagogues

Cette autre chance, c’est d’être vu comme des élèves normaux à leur arrivée en classe. Par ailleurs, ils ont besoin d’un soutien énorme en classe et comptent sur l’aide précieuse des pédagogues.

Mme Titterton raconte l’histoire d’un garçon de dix ans dont l’enseignant était prêt à passer un peu de temps avec lui après l’école, pour lui parler et l’aider à faire ses devoirs. Un tel investissement peut faire une différence considérable dans la vie d’un jeune.

M. Tansley est d’accord et pousse la réflexion plus loin. Il est d’avis que les pédagogues doivent faire preuve de patience avec ces élèves, particulièrement lorsqu’ils se conduisent mal et sont contrariants. Il recommande aux enseignants de développer leur compréhension, indiquant que les pupilles de la Couronne ont vécu des situations douloureuses qui mènent parfois à un comportement difficile dans la salle de classe.

Maintenant âgée de 18 ans, Rachel est pupille de la Couronne depuis deux ans. Elle faisait partie d’une classe réglementée par l’article 23, mais vient de terminer sa 12e année. Elle doit son succès en partie à quelques enseignants. Quand elle avait sept ou huit ans, un pédagogue lui a donné de la pâte à modeler. Elle a ensuite développé une passion à long terme pour l’art en tant que thérapie. Rachel se souvient aussi d’un enseignant de mathématiques qui facilitait l’apprentissage des tables de multiplication en organisant des concours où tous les élèves pouvaient sortir gagnants, pourvu qu’ils aient fait un effort louable. Un enseignant d’art au secondaire l’a également inspirée, non seulement par sa contribution à l’étude de l’art, mais surtout parce qu’il témoignait du respect pour ses élèves.

«Il m’a traitée comme une personne à part entière.»

La chance a souri à Rachel parce que ses enseignants ne se sont pas arrêtés à ses antécédents fâcheux, mais ont considéré sa personne dans sa totalité.

En revanche, cela peut créer des circonstances défavorables. Dianna Knight, EAO, enseignante de mathématiques à la Sandalwood Heights Secondary School de Brampton, affirme qu’elle ne connaît généralement pas les antécédents d’un élève jusqu’à ce que quelque chose se produise en classe ou qu’il commence à s’absenter trop souvent. Après avoir découvert qu’un élève était sous la tutelle d’une société d’aide à l’enfance, Mme Knight a parfois été incapable de communiquer avec les personnes responsables ou au courant de la situation.

Les enfants veulent être acceptés dans la nouvelle école sans que les stigmates de leur passé alourdissent la situation. Les enseignants ont besoin non seulement de renseignements appropriés à propos de leurs élèves, mais aussi d’un système de soutien adéquat; certaines personnes doivent veiller à leur bien-être. La Société d’aide à l’enfance de Durham, ainsi que bon nombre de conseils scolaires partout dans la province, dispose de personnes qui remplissent ces rôles, des gens comme M. Tansley et Mme Yeomanson qui font toute la différence, tant pour les pédagogues que pour les élèves.