Les médias sociaux en salle de classe
de Stuart Foxman
Bon nombre d’élèves préfèrent naviguer dans Facebook plutôt qu’étudier Shakespeare. Comment rendre cet auteur classique plus fascinant? En ayant recours à une stratégie gagnante : les médias sociaux!
Rodd Lucier, EAO, enseignant à la réussite scolaire au Regina Mundi Catholic College, qui fait partie du London District Catholic School Board, décrit un cours où les élèves interagissent comme acteurs dans le cadre d’une pièce de théâtre classique. Au lieu de répéter la pièce sur scène, les élèves ont utilisé Ning, une plate-forme pour créer un site de réseautage social personnalisé.
«Ils ont joué les personnages en ligne, ce qui les a aidés à comprendre leurs émotions», affirme M. Lucier.
Comparativement à un test ou à une dissertation, le projet Ning consistait en une forme d’immersion qui s’annonçait tout aussi efficace pour observer si les élèves saisissaient bien le sens de la pièce et les émotions des personnages. Les commentaires ont créé une base solide pour l’évaluation de l’enseignant.
Les moyens de communication électroniques tels Facebook, Twitter et les blogues ont-ils une place dans la salle de classe? «Sans aucun doute, affirme M. Lucier. Tous ces outils facilitent le partage du travail et l’échange d’information, en plus d’encourager les réactions, des éléments essentiels à l’apprentissage des élèves.
«Les élèves ont besoin d’interagir avec leurs pairs et le monde entier, car l’apprentissage est un enjeu social. En ligne, l’exercice se révèle engageant.»
Les élèves de 11e année du Collège français de Toronto jouent une scène de Roméo et Juliette grâce à l’application Shakespeare in Bits. Leur enseignante d’anglais, Jennifer Bee, EAO, a suggéré à Xavier Lambert, EAO, que la classe utilise cet outil pour étudier la pièce.
C’est ce que l’Ordre indique dans sa recommandation professionnelle, publiée en avril 2011, sur l’utilisation des médias sociaux et des moyens de communication électroniques. Le document souligne les risques potentiels (par exemple, les questions relatives à la confidentialité), l’importance pour les enseignants de respecter les normes professionnelles et l’utilisation responsable. La recommandation stipule qu’«avec l’augmentation rapide du nombre de moyens de communication, les utilisations inappropriées se multiplient d’autant. Les limites professionnelles peuvent s’estomper. Même les membres les plus expérimentés sont susceptibles de commettre involontairement des erreurs.»
Selon la recommandation, Internet et les sites de réseautage social peuvent représenter des outils pédagogiques essentiels et offrir des «nouvelles frontières en apprentissage». Michael Salvatori, EAO, registraire de l’Ordre, déclare que les moyens de communication électroniques et les médias sociaux «offrent et continueront d’offrir des expériences d’enseignement et d’apprentissage motivantes et passionnantes pour les pédagogues et les élèves. Leur utilisation doit être encouragée».
Partout en Ontario, bon nombre d’enseignants utilisent ces outils de façon créative pour parfaire l’éducation des élèves. Quelles méthodes utilisent-ils? Quels conseils offrent-ils en ce qui a trait à l’utilisation à grande échelle des médias sociaux en classe?
La technologie favorise la participation active
Stephanie Ratti, EAO, enseignante d’une classe de 7e-8e année à la Redstone Public School du York Region District School Board, préconise la «salle de classe sans papier» comme symbole de l’apprentissage au xxie siècle. Dans sa classe de Richmond Hill, les élèves de Mme Ratti utilisent un téléphone pour répondre instantanément par message texte aux sondages ou aux questions. Les résultats figurent sur le tableau interactif.
Les élèves se servent également de Twiducate, un site de réseautage social scolaire, pour communiquer avec leurs pairs et les pédagogues. On y discute d’une foule de sujets, des questions à l’étude aux liens de sites web utiles pour la recherche.
Mme Ratti explique que ce genre d’outils estompe la ligne entre le jeu et l’apprentissage, ce qui rend les objectifs de la formation plus amusants. «Lorsque nous utilisons la technologie de cette façon, le taux de participation est élevé, dit-elle. Les élèves sont enthousiastes.»
Les élèves ont besoin d’interagir avec leurs pairs et le monde entier, car l’apprentissage est un enjeu social.
Pour que l’apprentissage soit le plus efficace possible, il est essentiel de maintenir cet enthousiasme. Quand Xavier Lambert, EAO, était élève et se penchait sur les auteurs classiques, «on entendait les gens bâiller», dit-il. En tant que directeur du Collège français qui fait partie du Conseil scolaire Viamonde, M. Lambert privilégie une approche différente pour faire revivre Shakespeare. Ses élèves de 11e année utilisent une application nommée Shakespeare in Bits, ce qui leur permet de lire la pièce de théâtre sur un appareil électronique et d’animer au toucher chaque ligne de chaque scène. L’application donne également des traductions modernes de mots et de phrases difficiles, des notes de cours pour tous les segments, des résumés et des analyses.
«En premier lieu, vous devez retenir l’attention des élèves, dit-il. Une fois que vous avez piqué leur curiosité, il est plus facile de discuter des concepts.»
Aviva Dunsiger, EAO, encourage ses élèves de 1re année (comme le démontre l’élève ci-dessus) à dessiner avec un crayon.
Son conseil scolaire a également créé un portail intitulé Cyberquartier, où enseignants et élèves partagent des informations (p. ex., exercices, vidéos, notes de cours) par l’entremise des communautés virtuelles scolaires.
Au Central Elgin Collegiate Institute du Thames Valley District School Board, les élèves écrivent des blogues hebdomadaires pour faire le lien entre ce qu’ils ont appris et leurs propres expériences. Danika Barker, EAO, y enseigne l’anglais et les médias; elle affirme que bloguer aide les élèves à réfléchir à ce qu’ils ont appris et à faire des liens.
Grâce à d’autres types de connexions rendues possibles par la technologie, on peut abolir la distance. Zoe Branigan-Pipe, EAO, précise qu’elle était émerveillée lorsque sa classe de la Lawfield Elementary School du Hamilton-Wentworth District School Board a communiqué par téléconférence (plus tard par blogue) avec une équipe d’explorateurs du pôle Sud.
«On pouvait leur demander “Décrivez-nous ce que vous regardez maintenant”, dit Mme Branigan-Pipe. Les élèves de ma classe étaient ébahis.»
Plus tard, Mme Branigan-Pipe (qui enseigne actuellement à la faculté d’éducation de l’Université Brock) a eu recours à Skype pour joindre ses étudiants à leurs pairs en Saskatchewan, en Alberta, en Arizona et en Australie.
Les élèves sont non seulement fascinés à l’idée de franchir une telle distance grâce à Internet, mais également de lier l’expérience à leur curriculum. Par exemple, dans les programmes de géographie ou d’études sociales, entrevoir la perspective directe d’élèves de différents coins du pays, du continent ou du monde donne des résultats stupéfiants. Au lieu de recueillir les données d’un livre ou d’un enseignant, les élèves ont accès à des renseignements pertinents en tout temps et en tout lieu. «L’information provient directement de la source», dit-elle.
Selon Ana Barbosa, EAO, enseignante de 1re-2e année à l’école élémentaire Pierre-Elliott-Trudeau du Conseil scolaire Viamonde de Toronto, c’est l’un des meilleurs raisonnements en faveur de l’utilisation de ce type de technologie. Ses élèves se servent de Skype pour parler une fois par mois avec leurs pairs en France.
Mme Barbosa explique que la cybercollaboration permet à ses élèves de comprendre aisément que le français est parlé partout dans le monde. En outre, Skype leur permet de se brancher à une autre culture francophone, et chacun d’eux brosse un tableau de sa communauté et de son pays. «Ce que nous leur disons en classe est abstrait; ils peuvent désormais entrer en contact avec la culture», déclare Mme Barbosa.
Aviva Dunsiger, EAO, est une autre enseignante qui se fie à Skype et à Google Docs pour encourager la collaboration de ses élèves. Dans sa classe de 1re année de l’Ancaster Meadow Elementary School du Hamilton-Wentworth District School Board, elle utilise également Kidblog (conçu pour les écoles) comme portfolio pour le travail des élèves. Les parents peuvent lire les commentaires provenant d’autres élèves et pédagogues.
Twitter est un autre outil utile. Les élèves de Mme Dunsiger récapitulent la leçon de tous les jours, à tour de rôle, sur le compte Twitter de la classe. En outre, elle l’utilise pour explorer de nouveaux concepts. Par exemple, elle demande à ses élèves sur Twitter de trouver un objet d’une forme particulière; ils répondent par le même moyen dès qu’ils l’ont trouvé.
Dans la classe d’Aviva Dunsiger, les élèves de 1re année utilisent Twitter pour répondre aux questions et échanger des informations entre eux. Les élèves utiliseront de tels outils plus tard, dans le milieu du travail et dans la vie.
Pourquoi ajouter de tels outils à l’enseignement traditionnel? «Le curriculum de l’Ontario dicte ce que nous enseignons, et ma responsabilité est de veiller à ce que les élèves l’apprennent, dit Mme Dunsiger. Ces outils favorisent un apprentissage plus intéressant, enrichissant et amusant.»
Les attentes du programme à l’avant-plan
Le caractère ludique des outils numériques favorise leur intégration dans la salle de classe.
Emmanuel Duplàa, professeur adjoint à la Faculté d’éducation de l’Université d’Ottawa, concentre ses recherches sur l’intégration de la technologie à l’éducation. En 2010, il a publié un document soulignant le fait que même les jeux (en ligne) à multiples participants peuvent aider à atteindre les objectifs de littératie et de numératie.
Plusieurs chercheurs ont exploré les principes pédagogiques liés à ces jeux : les élèves sont actifs et non passifs; ils contrôlent leurs actions et deviennent de plus en plus motivés par la réaction obtenue; ils ont l’occasion de faire l’apprentissage par l’expérience. Bref, il souligne que ces expériences en ligne étayent l’apprentissage des élèves.
On peut en dire autant des formes multiples de médias sociaux et de moyens de communication électroniques. Leur importance dans la vie des élèves est une raison valable d’envisager l’intégration dans la classe; mais, selon Mme Dunsiger, il ne s’agit pas là d’une raison suffisante.
«Les attentes du programme doivent se trouver à l’avant-plan, dit-elle. Ce n’est pas une question de bloguer ni d’apprendre à utiliser Twitter; il faut répondre aux attentes.»
Par exemple, les échanges quotidiens aident Mme Dunsiger à évaluer les compétences d’écoute active de ses élèves, c’est-à-dire mettre en pratique ce qu’ils ont appris, y penser et l’exprimer brièvement.
D’autre part, les blogues donnent aux élèves une occasion de plus de lire et d’écrire, et leur procurent un auditoire. Mme Dunsiger a remarqué que, laissés à eux-mêmes, ses élèves accordent une attention spéciale à l’orthographe et à la ponctuation lorsqu’ils commencent leurs blogues. «Ils savent que d’autres personnes vont lire ce qu’ils ont écrit et que, si le texte n’est pas lisible, ils en entendront parler.»
Si elle n’avait pas constaté les résultats, dit-elle, elle n’aurait pas adopté ces outils électroniques, que les élèves les affectionnent ou non.
Mme Barker est d’accord, car même si les outils sont amusants pour bon nombre d’élèves (ce qui facilite l’apprentissage), là n’est pas sa raison pour en promouvoir l’utilisation. Elle remarque comment les blogues des élèves font partie intégrante de l’exploration.
L’école est l’endroit le plus sécuritaire où discuter de l’utilisation appropriée des médias sociaux.
«Auparavant, les élèves tenaient un registre de leur lecture et je notais des commentaires, dit Mme Barker. On a renversé les rôles : les enseignants étaient les gardiens du savoir, mais les élèves ont désormais le pouvoir d’y puiser à leur gré. Nous soulignons l’importance d’avoir un auditoire, de critiquer le travail des autres et de formuler convenablement des commentaires constructifs. Toute hypothèse peut être remise en question; dans le cadre de la classe, les élèves peuvent s’entraider.»
Des outils pour apprendre
et apprendre à se servir d’outils
Certains pédagogues disent que les médias sociaux et autres applications Web 2.0 (à part leur valeur comme outils encourageant les élèves à participer) représentent des matières valables. Les élèves utiliseront ces outils dans le milieu du travail et dans la vie. Ce sont les moyens de l’avenir pour récupérer de l’information et la partager, communiquer et collaborer avec des collègues. Selon la recommandation professionnelle de l’Ordre, «Les membres peuvent également utiliser Internet et les sites de réseautage social comme outils d’enseignement et de perfectionnement professionnel pour trouver des renseignements sur les plans de leçons ainsi que sur les dernières recherches et méthodes dans le domaine de l’enseignement.» L’école est donc l’endroit approprié où commencer à former les élèves sur ces nouveaux outils. «Il ne faut pas les abandonner dans cet apprentissage», déclare Mme Branigan-Pipe.
«Les élèves d’aujourd’hui seront les adultes actifs du monde branché de demain, affirme Ben Hazzard, EAO, conseiller pédagogique du Lambton Kent District School Board. Nous pouvons les aider à comprendre comment utiliser la technologie et ses outils de façon productive.»
M. Hazzard souligne que l’éducation exige en partie une compréhension approfondie de la matière. Il ajoute que les médias sociaux et les moyens de communication électroniques représentent souvent des outils inégalés qui facilitent la réflexion critique. Il reste à savoir si cela va de soi.
Généralement, les élèves possèdent une aptitude pour les outils numériques. Mais une aptitude pour la technologie ne se traduit pas toujours par une compétence innée de collaboration ou de pensée critique sur l’information que l’on produit, distribue et reçoit. Comme pour tout autre outil, les élèves doivent être formés sur les utilisations les plus enrichissantes.
Apprentissage en toute sécurité
Si les médias sociaux et les moyens de communication électroniques ont une telle importance dans la salle de classe, alors pourquoi ne pas les adopter sur une plus grande échelle?
Mme Ratti se préoccupe, entre autres, d’enjeux tels la confidentialité et le comportement approprié en ligne. Elle suggère toutefois que de telles inquiétudes ne sont pas justifiées. Par exemple, le site Twiducate qu’elle utilise est protégé. Outre ces mécanismes protecteurs, bon nombre d’enseignants affirment que l’école est l’endroit le plus sécuritaire où discuter de l’utilisation appropriée des médias sociaux et d’éléments comme la confidentialité, l’identité numérique et le langage respectueux.
Si vous vous préoccupez du mauvais usage ou de l’abus de la technologie, la «salle de classe est le meilleur endroit où apprendre», déclare Lorna Costantini, EAO, conseillère pédagogique, et ancienne enseignante d’études familiales et conseillère scolaire en Ontario.
D’autres pédagogues disent qu’il est insensé de blâmer la technologie : une mauvaise utilisation dépend toujours de l’utilisateur et non de l’outil.
La recommandation professionnelle de l’Ordre souligne que la sensibilisation aux risques est essentielle, et que la responsabilité relative à la connaissance et au respect des limites professionnelles appropriées repose sur les membres. Elle indique que «les médias sociaux les plus populaires n’ont pas été créés dans un but éducatif en particulier, et que l’utilisation qu’en font les membres peut présenter des risques en matière de professionnalisme».
Afin de minimiser les risques, elle recommande d’éviter l’échange de textes, de numéros de téléphone, d’adresses électroniques ou de photos de nature personnelle avec les élèves. En outre, elle suggère d’adopter un «ton officiel, courtois et professionnel dans toute communication avec les élèves».
Mme Costantini, gestionnaire d’un site web sur l’utilisation de la technologie à l’appui de l’éducation intitulé Our School.ca, est d’avis que la recommandation est une contribution opportune. Elle indique qu’une autre préoccupation prend forme : «Bon nombre de personnes qui ne comprennent pas la technologie dressent des obstacles, déclarant qu’ils n’en ont pas besoin pour atteindre leurs objectifs». Selon elle, un manque de familiarité en rend l’adoption plus difficile, comme pour tout autre outil.
Des politiques à la hauteur
Mme Branigan-Pipe est d’accord : «Dans le monde des médias sociaux, les changements prennent forme à une vitesse telle que les politiques ne peuvent en suivre le rythme. Par ailleurs, les pédagogues ont accès à peu d’information sur le sujet. Les conseils scolaires doivent accorder autant d’importance à cette question qu’à la littératie et aux mathématiques.»
Le ministère de l’Éducation a une stratégie d’apprentissage électronique provinciale solide. Selon Gary Wheeler, porte-parole du Ministère, le gouvernement encourage l’utilisation du matériel électronique dans nos écoles.
La plupart des progrès réalisés dans la classe sur le sujet, affirme Mme Branigan-Pipe, provient d’une «explosion souterraine en éducation, où nous communiquons par blogue et apprenons l’un de l’autre; l’appui ne provient pas des cadres».
M. Lucier encourage les enseignants de l’Ontario à découvrir la fascination qu’exerce l’apprentissage en ligne, à suivre un blogue sur le sujet et à en explorer le potentiel.
«Dans la classe, les pédagogues ont la permission de faire leur travail comme ils l’ont toujours fait, dit-il, mais, dans ce cas, ils ont aussi la responsabilité de jouer le rôle d’apprenants.»
En mettant l’accent sur ces outils comme instrument d’apprentissage et comme phénomène touchant la vie de tous les jours, les pédagogues peuvent rendre un double service aux élèves.
«Nous voulons que nos élèves deviennent des citoyens instruits, affirme Mme Branigan-Pipe. Qu’ils soient capables, une fois leurs études terminées, de lire, d’écrire et de faire des mathématiques. Cependant, les ambitions d’un citoyen instruit sont perçues d’une façon tout à fait différente. La littératie doit comprendre la capacité de fonctionner en ligne.»sites en anglais
- Lorna Costantini: ourschool.ca
- Rodd Lucier: thecleversheep.blogspot.com
- Ben Hazzard: benhazzard.com
- Rob De Lorenzo themobilelearner.wordpress.com
- Aviva Dunsiger: adunsinger.com
- Zoe Branigan-Pipe: pipedreams-education.ca
Pour 100 autres façons d’utiliser les médias sociaux dans la salle de classe, consultez onlineuniversities.com/blog/2010/05/100-inspiring-ways-to-use-social-media-in-the-classroom.