Emblèmes franco-ontariensde Gabrielle Barkany et Véronique PonceEnseigner en milieu carcéralde Gabrielle BarkanyÉducation et besoins particuliersde Gabrielle BarkanyUne longue escaladeApprentissage protégéPublication scientifiquede Kate Lushington |
Les étudiants de Gary McDonald sont accusés de meurtre, de délits sexuels ou de crimes liés à la drogue, mais M. McDonald ne tient pas à le savoir. «Je ne veux pas entendre parler d’une probabilité d’échec et je n’ai pas à savoir pourquoi ils ont été incarcérés.» Gary McDonald enseigne dans les prisons fédérales de l’Ontario. Lorsqu’il a pris sa retraite du Limestone District School Board en 2001, M. McDonald a commencé à enseigner aux adultes. Il enseigne maintenant à plein temps à l’institut Bath, pénitencier fédéral à sécurité moyenne près de Kingston. Il donne des cours de 10e et 11e année en cheminement de carrière, en initiation aux ordinateurs et en informatique. Chaque matin, avant d’arriver à sa salle de classe, il doit franchir une clôture en treillis métallique double. Une fois à l’intérieur, il y a peu de barrières, les détenus peuvent circuler assez librement et sa salle de classe ressemble à une classe normale. Le nombre d’étudiants dans sa classe varie, selon les arrivées et les départs, mais il en compte 25 pour l’instant, âgés entre 18 et 75 ans. Ils préfèrent travailler indépendamment et se dévoilent peu aux autres. «Beaucoup utilisent seulement leur prénom. C’est pour conserver une certaine intimité et se protéger, car certains ont commis des crimes graves qui ont été médiatisés», explique-t-il. La rétroaction, synonyme de réussiteM. McDonald suit le curriculum de l’Ontario et utilise un partagiciel appelé UltraKey pour enseigner la dactylographie et le traitement de texte. Ses cours d’une durée de 90 minutes sont bien structurés et comprennent un volet théorique, un volet pratique et une période de questions. Les étudiants passent la majeure partie du temps à l’ordinateur et M. McDonald se promène entre les rangées pour les aider. La rétroaction est essentielle. «Ils veulent savoir s’ils sont sur la bonne voie et s’ils répondent aux questions comme il faut. Il est très important de leur donner beaucoup de rétroaction, explique-t-il. Je trouve ça très gratifiant, parce qu’ils veulent apprendre et sont ambitieux.» «Ils disent : “Je veux faire de mon mieux, car je n’ai jamais rien réussi avant et je veux prouver, surtout à moi-même, que je peux y arriver.” Ils essaient le plus possible de réussir.» Il se rappelle d’une fois où les étudiants ont eu à taper une lettre. Ils devaient montrer qu’ils maîtrisaient le format, les marges, les polices de caractères et la correction orthographique. «Ils sont réellement pointilleux, affirme-t-il, se rappelant d’un exemple qu’il avait donné et dans lequel la lettre P était alignée avec un autre P sur la ligne suivante. Même si les étudiants avaient utilisé une autre police de caractères, ils tenaient à aligner les deux P.» «Ils pensent que, pour réussir, tout doit être parfait et exactement comme je leur ai demandé.» En raison des difficultés de certains à assimiler l’information (à cause de l’abus d’alcool ou de drogues), M. McDonald doit répéter souvent. «Après un congé de deux semaines, par exemple, il leur faut un ou deux jours pour se remettre dans le bain. Alors, on refait quelques exercices pour leur rafraîchir la mémoire.» M. McDonald prépare une série de questions et réponses pour chaque cours pour s’assurer que la matière est bien assimilée. Les questions aident les étudiants à porter un jugement sur leur apprentissage. Aussi, il leur fait écrire les concepts ou les principes en jeu. «Cela renforce ce qu’ils savent, soutient-il, et leur montre combien ils ont appris.» «La rétroaction et l’encouragement constants sont très importants pour les détenus», déclare Cheryl Snowdon, qui enseigne les applications informatiques et le cheminement de carrière de niveau secondaire à l’Institut correctionnel de l’Ontario, à Brampton. Cet établissement correctionnel provincial à sécurité moyenne accueille des hommes ayant des problèmes d’alcool, de drogue et de comportement. Ils sont deux enseignants à cet établissement à procurer les crédits de base nécessaires à l’obtention d’un diplôme d’études secondaires en Ontario. L’école est gérée par l’Administration des écoles provinciales, une division du ministère de l’Éducation de l’Ontario.
Les contrevenants y purgent une peine allant de 60 jours à deux ans moins un jour. Mme Snowdon souligne que beaucoup sont des hommes brisés, avec une expérience de travail limitée et qui ont souvent peur de la nouveauté. Son programme vise à leur faire prendre conscience de leurs diverses aptitudes, forces et aspirations, et à leur procurer les compétences et les connaissances nécessaires pour chercher un emploi. Les étudiants examinent des choix de carrière, rédigent leur CV et des lettres d’accompagnement, apprennent à se comporter en entrevue et à négocier un salaire. Son plus grand défi? Aider les étudiants à avoir confiance en eux et à acquérir un sentiment de fierté. Ce n’est pas une mince tâche, surtout que 70 p. 100 des étudiants souffrent d’un trouble d’hyperactivité avec déficit de l’attention. Robert Kinsman, éducateur chevronné, convient que la clé de la réussite consiste à traiter les détenus comme des adultes possédant des connaissances et de l’expérience. M. Kinsman est directeur de l’éducation et directeur par intérim à l’institut Beaver Creek, établissement à sécurité minimale, et à l’institut Fenbrook, pénitencier à sécurité moyenne, situés tous les deux à Gravenhurst. Les programmes d’éducation de ces établissements fédéraux sont gérés par l’Algonquin et Lakeshore Catholic District School Board. À Beaver Creek, on doit d’abord entrer dans une aire centrale pour s’inscrire et obtenir un «bouton de panique», qui s’attache à la ceinture comme un téléavertisseur, et qui est testé chaque jour. Si un enseignant se croit en danger, il n’a qu’à appuyer sur le bouton et un agent de sécurité viendra à son secours. À Fenbrook, les enseignants ont des cartes d’accès à certains secteurs. Ils doivent traverser quatre portes verrouillées avant d’arriver à la salle de classe; des gardiens font régulièrement une tournée. Par ailleurs, les salles de classe sont plutôt normales. Elles ont des fenêtres qui donnent sur l’extérieur et de petites fenêtres sur la porte d’entrée. Il n’y a pas de caméras. Selon M. Kinsman, les enseignants doivent commencer par comprendre le vécu et l’attitude négative des détenus, lesquels ont pu contribuer à leur échec scolaire. À la prison de Brampton, Cheryl Snowdon rencontre chaque nouvel étudiant pour recueillir des renseignements sur son passé et son éducation, et évaluer sa capacité de communiquer verbalement et par écrit. Elle trouve les ressources appropriées, dont des DVD simulant des entrevues qui se déroulent bien ou mal, des manuels sur les CV, des tests d’aptitudes et des programmes d’application qui correspondent aux intérêts des étudiants, ainsi qu’une liste d’emplois possibles. Nouvelle visionLes détenus disent souvent à Mme Snowdon qu’ils n’ont pas de compétences et qu’ils n’ont fait rien de bon. «Je leur demande de réfléchir à tout ce qu’ils ont fait (gardiennage d’enfants, emplois d’été, tonte de gazon, travail non rémunéré) et de tenir compte de leurs aptitudes dans ces situations. «Ils ne se rendent pas compte qu’ils ont des compétences valables qui intéressent les employeurs, comme le leadership, de bonnes aptitudes de communication et la fiabilité pour ce qui est de l’assiduité au travail», affirme-t-elle. «Certains étudiants diraient peut-être “J’ai seulement aidé mon père qui travaille dans la construction”, mais quand ils donnent plus de détails, il est question du charpentage, des mesures, des commandes de matériaux, d’appels aux clients et de devis.» Mme Snowdon forme les étudiants à se concentrer sur des compétences qui sont atteignables et sur des plans de carrière et d’études qui correspondent à leurs aptitudes, à leur situation financière et aux débouchés. Dans certains cas, ils sont dotés d’excellentes compétences qui doivent être transférées à un autre cadre de travail. «Certains étaient banquiers, mais à cause d’accusations au criminel, ils ne pourront pas retourner à leur emploi. Il faut donc explorer des avenues dans lesquelles le dossier criminel ne serait pas un handicap, comme un poste en comptabilité où ils ne s’occuperaient pas directement des finances.» Mme Snowdon encourage ses élèves à prendre des notes lorsqu’ils regardent des DVD, à réfléchir et à écrire sur leur expérience de travail. Elle les aide à préparer une lettre d’accompagnement et un CV, et à s’exercer en entrevue. Comment parler positivement d’une incarcération à un employeur potentiel? «Je leur conseille d’expliquer ce qu’ils ont appris pendant leur incarcération et comment cela les a rendus plus stables. Les gens qui ont été incarcérés voudront montrer leurs qualités et de bonnes habitudes de travail parce qu’ils veulent prouver à leur employeur et à la société qu’ils sont prêts à se réhabiliter et à faire partie de la collectivité.» «Lorsqu’ils voient leur CV et constatent qu’ils ont des compétences, ils sont emballés. Ils sont plus confiants et une fois libérés, ils se sentent prêts à repartir à zéro. C’est très satisfaisant de voir qu’ils ont gagné de la confiance en eux.» Sûr et gratifiantMme Snowdon était travailleuse sociale au Vanier Centre for Women et a postulé à l’Institut correctionnel de l’Ontario lorsque Vanier a fermé ses portes. Elle dit ne jamais avoir eu peur de travailler dans une prison et que la salle de classe est normale, sauf que l’école est ouverte toute l’année. Elle et sa collègue se partagent donc les vacances. «C’est l’emploi en enseignement le plus sûr. Nous avons des agents de correction et personne n’a d’armes dans ma classe. Mes étudiants suivent des traitements intensifs et sont courtois, respectueux et polis. Ils sont reconnaissants d’être en classe. Je ne sais pas si tous les enseignants du secondaire peuvent en dire autant», dit-elle en riant.
Diane Gordon, enseignante retraitée, est du même avis. Mme Gordon a enseigné l’alphabétisation dans deux pénitenciers fédéraux, l’institut Bath et le pénitencier de Kingston. À son avis, enseigner aux détenus est l’une des expériences les plus enrichissantes. Cette femme d’âge mûr et sûre d’elle-même admet toutefois avoir été dépassée par les événements au pénitencier de Kingston. «C’était comme une ville médiévale entourée de fil barbelé, où les portes résonnaient derrière vous. C’était sombre et les détenus se promenaient avec des chaînes aux pieds. Mais, pour mes étudiants, la salle de classe était l’endroit le plus sûr et le plus sain dans l’édifice. Ils s’y plaisaient et appréciaient l’attention individuelle qu’ils recevaient lorsque je leur apprenais à lire et à écrire, parce que la plupart n’avaient jamais reçu d’attention.» Résultats et récidivismeLes personnes enseignant en milieu carcéral font un travail thérapeutique et, avec d’autres professionnels, contribuent à la réhabilitation des étudiants et leur montrent une nouvelle façon de vivre. Le but n’est pas d’avoir des criminels mieux instruits, mais des personnes qui, une fois sorties de prison, ont les outils leur permettant de ne pas retomber dans les activités criminelles. De plus en plus de recherches montrent que l’éducation et les programmes de formation accroissent les perspectives d’emploi et diminuent le récidivisme. «La plupart des gens qui se trouvent dans des gangs, qui vendent de la drogue ou qui commettent des crimes contre les biens viennent de milieux pauvres et ont vécu des épreuves. Ils ne voient pas d’autres choix», explique Robert Gaucher, professeur de criminologie à l’Université d’Ottawa, qui travaille avec des détenus adultes depuis plus de 40 ans. «L’éducation leur procure ces choix, leur permet de mieux comprendre le monde et les aide à trouver un sens à leur vie à différents niveaux.» L’enseignement de base aux adultes, particulièrement jusqu’en 12e année, est une priorité pour le Service correctionnel du Canada en raison du grand nombre de détenus illettrés. Ceux qui veulent poursuivre leurs études après le secondaire ont des difficultés, selon M. Gaucher. Les programmes d’études postsecondaires des pénitenciers fédéraux sont tombés en désuétude. Des années 1960 aux années 1990, les établissements collégiaux et universitaires canadiens parrainaient des programmes d’études postsecondaires pour les détenus. Les détenus des établissements fédéraux avaient accès à des conférences données par des professeurs d’universités environnantes, comme l’Université Queen’s à Kingston et l’Université Simon Fraser à Vancouver. Certains ont poursuivi leurs études après avoir été libérés. «Une fois qu’ils ont réintégré la société, l’université leur a permis de trouver leur propre identité, autre que l’identité stigmatisée du détenu», affirme M. Gaucher. Au début des années 1990, même si de plus en plus de gens étaient en faveur de l’enseignement de base obligatoire pour les détenus, les pressions politiques pour éliminer les subventions à l’enseignement supérieur ont augmenté. D’après le Service correctionnel du Canada, moins de 10 p. 100 des détenus participant à un programme d’éducation optent pour des études postsecondaires. En général, ils paient leurs frais de scolarité. Réussite«L’éducation donne confiance», ajoute John Rives, ex-détenu aux pénitenciers de Millhaven et de Collins Bay en Ontario. Après avoir passé 20 ans derrière les barreaux, il est maintenant en liberté conditionnelle à vie à Kingston, où il travaille pour Lifeline, organisme qui met sur pied des programmes pour les condamnés à l’emprisonnement à perpétuité. L’auteure June Callwood a décrit M. Rives comme suit : «Ce n’est pas un condamné à l’emprisonnement à perpétuité qui écrit de la poésie, mais un poète qui a été emprisonné pendant 20 ans». M. Rives a obtenu un diplôme en géologie et en histoire alors qu’il était derrière les barreaux. Il comprend parfaitement l’importance de l’éducation aux détenus. «L’éducation donne le sentiment de pouvoir réaliser quelque chose, dit-il. C’est très stimulant.» Il en sait quelque chose, car il agit comme motivateur, mentor et médiateur auprès des détenus. |