Éducation et besoins particuliers

Apprentissage protégé

de Gabrielle Barkany

Les conseils scolaires locaux sont responsables des programmes d’enseignement dans les établissements protégés pour les jeunes en Ontario. Au Halton District School Board, le programme d’études secondaires au Syl Apps Youth and Secure Treatment Centre a élaboré un programme qui tient compte des besoins en santé mentale des élèves ainsi que de leur développement affectif, tout en respectant le curriculum de l’Ontario.

Les élèves de John Lynch ne sont pas comme les autres. Dans sa classe, les élèves ont tous des problèmes émotifs et sociaux induits par de sérieux traumatismes ou parce qu’ils ont été négligés pendant longtemps. Certains ont commis des crimes.

Depuis 18 ans, M. Lynch enseigne l’anglais, l’histoire et les sciences sociales à Syl Apps, un centre de traitement sécuritaire géré par l’organisme Kinark Child and Family Services. Il y travaille parce qu’il veut contribuer à changer la vie de ses élèves.

Sur certains points, l’école de Syl Apps ressemble à n’im­porte quelle école secondaire. Des adolescents traînent et font les fous dans les corridors. Ils posent des questions en classe. Une fille offre son dernier dessin à l’enseignant. L’atmosphère détendue est en parfait contraste avec la série de portes verrouillées qu’il faut passer avant d’entrer dans la classe. De plus, le système dissuasif en forme de V surmontant la clôture fermée par des chaînes, que l’on peut voir de la fenêtre, nous rappelle qu’il s’agit bel et bien d’un établissement protégé. Le faux salut militaire que les élèves adressent à l’enseignant ajoute à l’impression générale.

Syl Apps peut accueillir 72 résidents. En mai, on en comptait 50 : 20 jeunes recevant des traitements et 30 en détention provisoire. En général, les personnes qui reçoivent des traitements restent au centre de 12 à 18 mois. Parmi les personnes détenues en mai, 14 ont été reconnues coupables d’une infraction à la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents et ont reçu des peines de trois mois à cinq ans. Les autres sont détenues pendant cinq à dix jours en moyenne.

Tous les résidents vont à l’école du centre, qui est sous la supervision du Halton DSB. Les 15 enseignants qui y travaillent peuvent compter sur le soutien d’une équipe de professionnels, dont des travailleurs sociaux, des psychia­tres, des psychologues, des aumôniers, des cliniciens et des représentants de divers groupes culturels.

Les problèmes que vivent les élèves sont complexes et ne peuvent être réglés d’un coup de baguette magique.

Des pionniers

Il y a douze ans, John Lynch et Richard Meen, le psy­chiatre et directeur clinique de Kinark, ont mis en place le programme Pioneer dans le but d’aider les résidents sur les plans éducatif et thérapeutique pendant leurs premiers mois.

Ce programme est divisé en semestres; un semestre réservé aux jeunes filles et le suivant, aux garçons.

«Les élèves ont connu beaucoup d’événements traumatisants dans leur vie, ils ont été négligés, on a abusé d’eux et on les a abandon­nés», ajoute M. Lynch. Mais les résultats sont souvent très différents. «Chez les garçons, nous devons arrêter le cycle d’agression et de violence. En ce qui a trait aux filles, nous avons surtout affaire à des jeunes en dépression ou ayant une personnalité limite.»

Le programme aide les jeunes à comprendre leurs comporte­ments, leurs liens affectifs et les facteurs psychologiques qui les poussent à agir. Le programme est divisé en deux périodes de 70 minutes par jour, et permet d’obtenir des crédits en fonction du programme-cadre d’anglais ou de sciences sociales au cycle supérieur.

Tous les jeunes ne prennent pas nécessairement part au programme. Les participants sont choisis par un groupe de personnes-ressources composé de médecins, de travailleurs sociaux et d’enseignants.

 «Pour tirer profit du programme, les élèves doivent être capables de communiquer en groupe; ils doivent avoir une certaine aisance à réfléchir», souligne M. Lynch.

Le programme est optionnel. Les élèves doivent être ouverts et prêts à participer. Ces jeunes ont souvent eu de la difficulté à l’école; il est donc important de créer un milieu où ils se sentiront à l’aise. Les enseignants essaient de bâtir un environnement structuré mais chaleureux, ouvert, tolérant et invitant.

«Nous ne voulons pas leur trouver des excuses, mais plutôt les faire réfléchir.»

«Pendant les six premières semaines, nous n’abordons même pas leurs problèmes personnels», nous indique M. Lynch. Ils se défont de leurs craintes de discuter avec un travailleur social, un psychologue ou un psychiatre. Ils peuvent s’ouvrir et se vider le cœur. Et les choses changent, lentement.

«Le programme permet aux jeunes d’atteindre une stabilité mentale propice à l’apprentissage, souligne Jane Powell, directrice de Syl Apps et d’autres établissements du Halton DSB nés de l’article 23. On les prépare à apprendre et à coopérer avec les travailleurs sociaux, les psychologues et les psychiatres du centre.»

Qu’ils présentent des risques élevés ou non, «ces jeunes doivent comprendre et accepter ce qui les a forcés à venir ici», ajoute M. Lynch.

Le programme, qui tient compte des répercussions d’événements marquants, de maladies chroniques et de problèmes comme l’alcoolisme et la dépression, ainsi que de l’éducation et du travail, aide les élèves à comprendre le milieu socioculturel dans lequel ils ont grandi, les compor­tements qu’ils ont appris et les options qui s’offrent à eux.

«Nous ne voulons pas leur trouver des excuses, mais plu­tôt les faire réfléchir, précise M. Lynch. Ils doivent être capables d’exprimer leurs besoins plutôt que d’y réagir en espérant que, avec le temps, cela réduira les risques de répé­ter leurs comportements», dit M. Lynch.

D’après les élèves, l’approche sem­ble donner de bons résultats.

«Plus j’apprenais de choses sur moi-même, plus j’étais confiant envers l’école, a expliqué un des jeunes. Avant, je ne connaissais pas mes limites. Maintenant, je les comprends et je sais comment éviter de telles situations. Si je ne m’en étais pas rendu compte, mes risques de récidive seraient beaucoup plus élevés.»

Pioneer est un programme d’un semestre qu’on entame généralement au début de la période de résidence. Il arrive toutefois que des élèves s’y inscrivent une seconde fois ou y participent brièvement pour planifier leur départ ou leur transition dans un autre établissement.

Se préparer au départ

Les détenus de l’établissement seront remis en liberté une fois qu’ils auront purgé leur peine. Et, même si mes­sieurs Meen et Lynch savent très bien que plusieurs anciens élèves ont réussi à se forger une vie productive, ils croient que le traitement des problèmes de santé mentale et l’éducation sont essentiels à la réadaptation, mais ils n’ont toujours pas de données précises sur l’efficacité du programme. C’est pourquoi M. Meen a engagé un chercheur pour lui préparer un outil d’évaluation.

Ils pensent tous les deux que le programme a aidé Steve, un jeune homme robuste qui a tué un de ses amis lorsqu’il avait 14 ans. Il est à Syl Apps depuis cinq ans et a commencé un programme en études chrétiennes. Il aimerait devenir pasteur.

«Les gens sous-estiment la détermination de la jeunesse, ajoute M. Meen. Ils ont souvent connu beau­coup de traumatismes et ont été négligés. Ils ont besoin d’une oasis et de beaucoup de soins, de temps et de sou­tien. Il n’y a pas de solution rapide. Mais si on leur donne la chance, ils peuvent très bien réussir dans la vie.»

Quand on œuvre dans ce milieu, on s’aperçoit que le tra­vail de l’enseignant ne se limite pas seulement au programme-cadre. Il doit aussi montrer comment un bon comportement peut influer de façon positive sur la vie des autres.

«Les gens sous-estiment la détermination de la jeunesse.»

«Avant, je pensais que si je montrais mes émotions et que je parlais de mes sentiments, les gens allaient penser que j’étais faible, a dit Steve. Mais John nous parle tout le temps de différents problèmes et de ce qu’il ressent, et je ne crois pas qu’il est faible. C’est probablement une des personnes les plus fortes que je connaisse.»

«Plus nous nous montrons humain, mieux nous réus­sirons notre mission, explique M. Lynch. Le programme apporte un avantage certain aux élèves qui y participent. On ne se contente pas de les enfermer et de les laisser pur­ger leur peine. On leur offre la possibilité de trouver une certaine qualité de vie et de se réintégrer afin de contri­buer à la société.»

«Si on n’arrive pas à communiquer avec les élèves, on part du mauvais pied, précise M. Lynch. Pour établir un lien, il ne faut pas les juger; il faut garder l’esprit ouvert et accepter la situation, tout en créant une structure sécuri­taire sur le plan affectif, physique et psychologique.»

M. Lynch, qui a déjà été attaqué physiquement par une élève, admet qu’il n’est pas toujours facile de travailler avec des jeunes contrevenants.

«Les jeunes avec qui on travaille peuvent devenir agressifs, même très violents. Il faut en tenir compte.»

Néanmoins, il pense qu’il peut vraiment influencer ses élèves, et c’est pourquoi il continue à leur enseigner.

«C’est un travail intense. On peut créer des liens plus forts avec les élèves, ce qui est plus gratifiant que d’enseigner dans une plus grande école», ajoute-t-il.

Depuis qu’il travaille au centre, M. Lynch a appris qu’il faut toujours s’efforcer de gagner la confiance et le respect des élèves. Il constate que plus ces jeunes ont eu des problèmes sérieux, plus ils sont capables de cerner les autres.

«Ils se rendent compte si on les juge et ils se renferment si c’est le cas. On ne peut pas les mettre dans un moule.»

Les cas difficiles

Mary, âgée de 17 ans, est aussi une élève de M. Lynch. Elle se présente en classe après sa visite chez le médecin. On lui enlève ses menottes. Cette ancienne toxicomane de crack est enceinte d’environ huit mois. Elle dit que sa mère est également en prison. Le père de son enfant est aussi incarcéré pour meurtre.

Mary fait des séjours intermittents à Syl Apps depuis l’âge de 12 ans, pour divers délits dont l’inobservation des conditions de la caution et de la probation. Pour elle, cette vie est normale.

«Je suis habituée, car j’ai grandi dans ce système, ajoute-t-elle. J’ai passé la plus grande partie de ma vie ici et dans des foyers d’accueil.»

Mary dit qu’elle a toujours eu de la difficulté à contrôler son tempérament et que le programme Pioneer lui a donné des outils pour le faire.

«Je dois respirer et me calmer. Si une personne m’énerve, je dois lui répondre poliment. Je n’ai pas besoin de lui crier par la tête. Parce que souvent, quand on crie, les gens arrêtent d’écouter.»

«John me soutient plus que mes parents, plus que quicon­que, a dit Mary. Il est très encourageant, compréhensif et c’est un enseignant extraordinaire. Grâce à lui, aux livres qu’il m’a suggérés et à la façon dont il s’est occupé de moi, j’ai gagné beaucoup.»

«Plus j’ai appris de choses sur moi-même, plus j’étais confiant envers l’école.»

Mary a toujours un gros défi devant elle. Elle pourra récupérer sa fille, gardée par les responsables de la protection de l’enfance, si elle arrive à prouver qu’elle peut s’occuper de sa fille et d’elle-même.

Pendant les six prochains mois, elle vivra dans une mai­son de transition destinée aux jeunes, qui offre un pro­gramme d’enseignement et des activités récréatives.

Steve attend de voir s’il obtiendra sa libération conditionnelle cette année. Il ira soit dans une maison de transition, soit il continuera de purger sa peine pendant encore deux ans dans un péniten­cier fédéral. S’il retourne dans un autre établissement, il pourrait avoir de la difficulté à poursuivre ses études post­secondaires (voir l’article «Enseigner en milieu carcéral»).

Pour l’instant, nous espérons que d’autres jeunes comme Steve auront la chance d’avoir une vie productive, grâce à l’éducation et au traitement qu’ils ont suivi.

«Certains de ces jeunes ont posé de gestes vraiment épouvantables, déclare Mme Powell. Mais il faut se rappeler que la raison pour laquelle ils sont ici, c’est parce que ce sont encore des enfants et qu’ils ont besoin de notre appui.»


Note : Le nom des élèves a été modifié pour protéger leur identité.


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