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Articles de fond

L’école dans les livres

Ce que lisent nos élèves en dit long sur la façon dont ils nous perçoivent.

Regards d’enfants

de David Booth  

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Les enseignantes et enseignants de ma vie

de Francis Chalifour  

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200 000 membres

Le cap des 200 000 est passé.

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Les évanouissements

Ce que vous apprendrez sur la mort subite par arythmie pourrait sauver une vie.

de Rosemarie Bahr  

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Entre rêve et réalité

L’école secondaire hante encore les nuits d’un quinquagénaire.

de Linwood Barclay  

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(photo)

Entre rêve et réalité

de Linwood Barclay

J’ai un cauchemar récurrent.

Il vient me hanter au beau milieu de la nuit, toutes les deux à trois semaines. Parfois je me demande si c’est plus qu’un mauvais rêve : une bande-vidéo insérée dans mon cerveau que que lqu’un fait défiler. Un virus, peut-être. Tout ce que je sais, c’est que des gens à qui j’en ai parlé ont fait le même cauchemar. Il est peut-être en tournée perpétuelle, comme Mamma Mia.

Dans mon rêve, pour d’obscures raisons, je me retrouve à l’école secondaire. Or, je ne me suis pas assis sur un banc d’école depuis 1973, lorsque je terminais ma 13e année à l’école secondaire Fenelon Falls. Mais je suis de retour, téléporté d’une autre dimension.

«Je suis dans un corridor animé, des élèves courent dans toutes les directions.»

Je suis dans un corridor animé, des élèves courent dans toutes les directions. Ce doit être la pause entre deux cours. Tous se dépêchent d’aller en classe.

J’ignore où je suis censé aller. Je n’ai ni cartable, ni horaire de cours. Je n’ai ni cahier, ni livre, ni la moindre idée où les trouver, car j’ignore où se trouve mon casier. De toute façon, je ne connais pas la combinaison de mon cadenas.

Je me retrouve sur les bancs d’un cours de chimie. Pas mon lieu de prédilection quand j’étais étudiant. La chimie était, d’ailleurs, la seule matière que j’ai abandonnée avant la fin du trimestre. Pendant longtemps, j’ai cru que l’un des éléments du tableau périodique au fond de la classe se nommait Léon, alors qu’il s’agissait en fait du prénom de l’enseignant. (Je viens de l’inventer, je l’avoue.)

Que je sois dans une classe de chimie, de géographie, de mathématiques ou d’anglais importe peu puisque je n’ai ni livre, ni cahier, ni notes. Je n’ai même pas fait mes devoirs et n’ai aucune idée où nous en sommes dans le programme.

L’enseignant est un immense lapin parlant. Mais ça, c’est une autre histoire.

Avec un peu de chance, je me réveille juste à ce moment-là.

Ce rêve, qui vient hanter mes nuits, même à 50 ans, en dit long sur l’expérience vécue au secondaire et sur la difficulté de devenir adulte.

Aussi frustrant que soit ce rêve, j’en imagine un pire encore : retourner à l’école secondaire, mais cette fois-ci en tant qu’enseignant.

Imaginez débarquer dans une nouvelle école pour enseigner un programme que vous ne connaissez pas à 30 enfants que vous n’avez jamais vus de votre sainte vie.

Ce scénario n’est pas si abracadabrant. D’ailleurs, les enseignants lui ont donné un nom : la rentrée.

Cela bat mon cauchemar, de loin.

Si vous comptez quelques années d’expérience en enseignement, vous avez peut-être l’habitude, ma is je ne sais toujours pas comment vous faites. Si seulement les cauchemars prenaient fin avec la première journée de la rentrée, je pourrais m'habituer; mais non, ils perdurent. L’enseignement est une série interminable de frustrations et, heureusement pour des milliers d’enfants, la majorité des enseignants relèvent avec passion les défis qui se présentent.

Je n’ai jamais enseigné mais je m'y connais en cauchemars d’enseignants car je dors avec une enseignante. Ce n’est pas tant le fait que ma femme fasse des cauchemars, mais plutôt qu’elle reste éveillée la nuit, les yeux fixés au plafond, planifiant mentalement sa journée de classe le lendemain. À mon humble avis, c’est une des choses qu’écrivains et enseignants ont en commun : l’un constamment tiraillé par ce qu’il va écrire, l’autre, par ce qu’il va enseigner. Pas moyen d’y échapper.

De fait, l’inconvénient d’être le conjoint d’une enseignante est que vous ne pouvez jamais vous plaindre de vos journées, de vos blocages d’écrivain, surtout si vous travaillez de la maison.

«Imaginez débarquer dans une nouvelle école pour enseigner un programme que vous ne connaissez pas.»

Lorsque votre épouse rentre à la fin de la journée, le corps couvert de petites morsures infligées par des tout petits, il serait risqué de lui exposer vos propres tourments face à une question de ponctuation, par exemple.

«Je n’ai pas trouvé l’adjectif qui convient à ma phrase».

«Dégage!»

Si je vous demandais d’imaginer James Bond, l’agent 007, marié… à une enseignante.

Le scénario est le suivant : James Bond rentre tard à la maison. Sa femme est en train de corriger les devoirs et de préparer les leçons pour le lendemain. Elle lui demande : «Et comment s’est passée ta journée?»

James Bond soupire : «Pas terrible. Le Docteur No m'a plongé dans une piscine grouillante de requins juste après le déjeuner. Quand j’ai réussi à sortir de là, j’ai été capturé par Goldfinger, qui m'a attaché à une table en fer… un laser se rapprochait dangereusement de mon entrejambe… après m'être libéré de justesse, j’ai suivi Blofeld à son château dans les Alpes et j’ai dû dévaler la montagne en ski, poursuivi par mes assaillants qui me tiraient dessus, ce qui a déclenché du coup une avalanche. Un bon martini, agité, pas remué, me ferait le plus grand bien.»

Et Mme Bond de répondre : «Tu n’as pas passé la journée enfermé avec 30 enfants; tu peux le préparer toi-même, ton martini.»

Le fait est que je me plains plus de ce que doivent affronter les enseignants qu’eux-mêmes le font. Ils assument résolument leurs tâches, jour après jour. Certes, le nombre d’élèves par classe est encore trop élevé dans bien des écoles, il n’y a pas suffisamment de soutien en éducation à l’enfance en difficulté, pas assez de fonds pour les fournitures scolaires, et s’il faut encore passer la récré au gym cette semaine, ça va barder!

Les enseignants que je connais se contentent de hausser les épaules et de me lancer un «il n’y a rien de nouveau là-dedans!», et continuent leur travail parce qu’ils ont à cœur et les enfants et leur apprentissage.

Imaginez un peu si un beau jour les professionnels de l’enseignement se rendaient compte à qu el point leur travail est difficile et décidaient de tout laisser tomber… imaginez le cauchemar pour nous et nos enfants.

À tous les enseignants, je souhaite une bonne nuit et de beaux rêves.


Linwood Barclay est chroniqueur pour le quotidien Toronto Star et l’auteur de la série de romans policiers Zack Walker, Bad Move et Bad Guys, publiés par Bantam.

Merci au personnel et aux élèves de l’Oakwood Collegiate Institute de nous avoir permis de les photographier.