<i>Pour parler profession</i>
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Articles de fond

L’école dans les livres

Ce que lisent nos élèves en dit long sur la façon dont ils nous perçoivent.

Regards d’enfants

de David Booth  

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Les enseignantes et enseignants de ma vie

de Francis Chalifour  

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200 000 membres

Le cap des 200 000 est passé.

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Les évanouissements

Ce que vous apprendrez sur la mort subite par arythmie pourrait sauver une vie.

de Rosemarie Bahr  

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Entre rêve et réalité

L’école secondaire hante encore les nuits d’un quinquagénaire.

de Linwood Barclay  

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L’école dans les livres

Les enseignantes et les enseignants font partie intégrante des années de formation de nombre d’écrivains. Pas surprenant qu’ils se retrouvent aussi dans notre imaginaire collectif.

David Booth s’est penché sur la littérature pour enfants afin d’y découvrir la façon dont nos élèves nous perçoivent.

Pour parler profession a demandé à David Booth de nous révéler le résultat de ses recherches et à Francis Chalifour de nous éclairer sur la façon dont nous sommes représentés dans la littérature de langue française au Canada.

 

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Les enseignantes et enseignants de ma vie

de Francis Chalifour

Que ce soit dans les films, les séries télévisées ou les romans, les enseignantes et enseignants occupent une place de choix dans l’imaginaire collectif canadien-français.

Émilie Bordeleau. Qui ne se souvient pas de cette enseignante dévouée de St-Stanislas?

«Savez-vous ce que j’aime le plus, pâpâ», demanda-t-elle sans vraiment attendre de réponse. «C’est qu’à tous les vendredis, je suis sûre que les enfants en savent plus qu’au début de la semaine. Vous rendez-vous compte, pâpâ? Moi, toute seule, Émilie Bordeleau, je leur apprends des choses nouvelles. Pensez-vous qu’il y en a plus tard qui vont se rappeler de moi?»

Les Filles de Caleb, 1985 

Combien de jeunes filles, inspirées par le personnage d’Arlette Cousture, sont devenues, elles aussi, «maîtresses d’école»?

La littérature permet souvent de savoir comment la société perçoit le rôle de certaines personnes au fil du temps. Si l’on remonte au début du XXe siècle, dans la littérature canadienne-française, les personnages qui jouaient le rôle d’enseignants étaient principalement de sexe féminin. Pour la plupart, c’était de jeunes femmes, tout juste sorties de l’adolescence, confinées à des écoles de rangs mal chauffées durant l’hiver, qui devaient prendre en charge des petits «morveux» qui pouvaient être aussi doux et dociles que méchants et détestables. De jeunes femmes fortes, avec une tête solide sur les épaules, elles avaient un cœur aussi gros que les tableaux d’ardoise, certaines allant jusqu’à utiliser les quelques dollars gagnés de peine et de misère pour acheter de la soupe aux élèves dont les parents étaient trop pauvres.

Plus tard, au moment de la crise des années 30, dans son roman Ces enfants de ma vie, Gabrielle Roy trace le portrait d’une jeune institutrice du Manitoba (détrompez-vous, la littérature canadienne-française ne se limite pas qu’au pourtour de la Belle Province) qui parvient à nous faire entrer dans sa classe, nous donne une place bien au chaud près du poêle et nous permet d’observer ses élèves qui proviennent aussi bien d’ici que des vieux pays. Le Canada change alors de visage; la dichotomie française et anglaise est alors remplacée par une immigration beaucoup plus diversifiée.

Les années 50 et 60 nous font connaître l’enseignement religieux, soit le monde des «sœurs»; ces religieuses qui influenceront des générations entières de Canadiens. Dans son livre Une enfance à l’eau bénite, la journaliste et romancière Denise Bombardier illustre à merveille, à l’époque où Duplessis régnait en roi et maître, cette toute petite fille de cinq ans, culturellement démunie qui, pour se sortir de la misère, veut apprendre à bien parler comme ces religieuses venues de France. C’est le temps de la Grande Noirceur où les Anglais gouvernent l’économie et l’Église catholique dirige la société :

J’ai fait ma première communion en état de péché mortel. Du moins l’ai-je cru. La religieuse, en préparant notre confession, insiste beaucoup sur les péchés d’impureté. J’ai six ans, je me sens impure et suis incapable de l’avouer au prêtre. Le sentiment de culpabilité m'accompagnera jusqu’à la fin de mon adolescence.

Une enfance à l’eau bénite, 1985 

Bien sûr, ces trois exemples sont loin de représenter toute la littérature canadienne mettant en scène des enseignants, mais on peut toutefois remarquer une certaine constante; les enseignantes d’alors sont vues pour la majorité comme des femmes fortes, rebelles et avant-gardistes, parce que féministes avant leur temps, qui n’ont pas froid aux yeux et sont prêtes à tout pour s’affirmer et garder leur liberté.

Vient par la suite la Révolution tranquille qui amena avec elle les «Flower Power», «Peace and Love» et «Road trips». C’est le temps où l’on marche sur la lune, mais combat aussi au Vietnam. C’est la génération des baby-boomers qui grandissent, envahissent les banlieues et les écoles. Certains d’entre eux deviendront eux aussi enseignants et professeurs. Le Déclin de l’empire américain, nominé aux Oscars et réalisé par Denys Arcand, montra au monde entier un côté différent de la profession en remplaçant les «maîtresses d’école» d’alors par des professeurs d’université hédonistes, épicuriens et blasés par leur vie de pseudo bohêmes bourgeois, à la recherche du sens à donner à leur existence. Il fait dire à Dominique, un des personnages principaux :

Cette volonté exacerbée de bonheur individuel que nous observons maintenant dans nos sociétés, n’est-elle pas en fin de compte historiquement liée au déclin de l’empire américain que nous avons commencé à vivre?

Le Déclin de l’empire américain, 1986 

Denys Arcand a su mettre dans la bouche de ses personnages qui enseignent l’histoire à l’université des mots beaucoup plus modernes, urbains et cartésiens, faisant davantage appel à l’intellect et aux grandes questions existentielles qui partent et reviennent depuis les calendes grecques. Les enseignants ne sont plus des protagonistes confinés aux quatre murs de leur salle de classe, mais bien des intellectuels qui font avancer la société pour certains, ou la font reculer pour d’autres, la questionnent et la critiquent. Malgré l’évolution qu’aura connue notre profession et sa représentation dans l’imaginaire populaire, au fond de nous, il y aura toujours cette petite pensée, bien cachée, voulant que nos efforts et nos récréations passées à ré-expliquer pour la énième fois le théorème de Pythagore ou à réconforter le plus petit qui s’est pincé le doigt dans la fente de son pupitre, porteront fruits un jour. Plus tard, tout comme Émilie Bordeleau, certains de nos élèves se souviendront encore de nous malgré les années qui auront vu s’accumuler les rides et les cheveux blancs.


Francis Chalifour enseigne l’éducation physique et les sciences sociales à l’école secondaire Étienne-Brûlé de Toronto. Il poursuit également une maîtrise en éducation à l’Université d’Ottawa. En plus d’écrire des articles pour Maclean’s et Toronto Star, son roman After (McClelland & Stewart, 2005) a été nominé au Prix du Gouverneur Général du Canada. Francis est membre de l’Ordre depuis 2000.