de Denys Giguère
Le fossé entre les sexes est en train de
sagrandir rapidement dans les écoles en Ontario. La vague massive de retraites
denseignantes et denseignants prévue dans les années à venir réduira
encore davantage les effectifs déjà clairsemés denseignants dans la province.
En outre, il ny a pas
damélioration en vue puisque le nombre dhommes entrant dans la profession en
Ontario plafonne à tous les niveaux aussi bien dans le système de langue française que
dans celui de langue anglaise.
En Ontario, les 52 798 enseignants
représentent seulement
31 pour cent des quelque 170 000 enseignantes et enseignants inscrits à lOrdre.
«La pénurie actuelle denseignantes et
denseignants en Ontario met en évidence une autre préoccupation importante pour la
profession. Il suffit de se rendre dans presque nimporte quelle école de la
province pour constater le déséquilibre entre enseignants et enseignantes, déclare
Margaret Wilson, registrateure de lOrdre. Les données du tableau de lOrdre
nous permettent daller au-delà de ce constat et de prévoir la tendance sur un
certain nombre dannées.»
«Le tableau de lOrdre renferme un
volume de données imposant. En tant quorganisme dautoréglementation de la
profession, nous avons la responsabilité de communiquer ces données et de sensibiliser
les membres à ce problème complexe sur lequel nous devons porter notre attention pour
trouver des solutions.»
Les chiffres révèlent une baisse
régulière du nombre denseignants dans tous les groupes dâge. Ceux de plus
de
55 ans constituent 39 pour cent de la population enseignante, ceux âgés de 45 à 54 ans,
33 pour cent. Dans le groupe des 30 à 44 ans, ils ne sont plus que 28 pour cent et chez
les moins de 30 ans, ce pourcentage passe à
22 pour cent.
Étant donné le pourcentage élevé
denseignants âgés de 55 ans et plus, le fossé entre les sexes va continuer à se
creuser. Selon une étude sur la pénurie denseignantes et denseignants
réalisée par lOrdre et publiée dans le numéro de décembre 1998 de Pour parler profession, le nombre de départs à la retraite chez les enseignants aux cycles primaire
et moyen sera, dici 2008, huit à 20 pour cent plus élevé que chez les
enseignantes et ce, partout dans
la province.
DANS LES ÉCOLES PRIMAIRES
Daprès les statistiques de
lOrdre, le fossé entre les sexes est plus grand dans les premières années
détudes. Les enseignants de 55 ans et plus aux cycles primaire et moyen
représentent près de 26 pour cent du corps enseignant dans cette catégorie. Dans la
catégorie des moins de 30 ans, ce pourcentage tombe à près de 14 pour cent.
La situation est encore plus grave dans le
système scolaire de langue française où les enseignants ne représentent que 8 pour
cent un sur 12 de la population enseignante aux cycles primaire et moyen.
Certains problèmes de société expliquent
la disparité entre les sexes aux premières années détudes.
«Selon des recherches menées au Canada et
aux États-Unis, il semble que certaines valeurs fortement enracinées soient un facteur
déterminant dans la proportion enseignants-enseignantes aux premières années à
lélémentaire, explique Margaret Wilson. La plupart du temps, lenseignement
est encore perçu comme une profession de femme surtout aux cycles primaire et
moyen.»
Parmi les arguments invoqués pour expliquer
cette situation, citons le fait que la société a de la peine à attribuer aux hommes les
qualités déducateur requises pour enseigner aux cycles primaire et moyen et, en
retour, les hommes sont peu enclins à les accepter.
«Un jour, jai dit à mes amis que je
voulais étudier pour enseigner en 1re année. Ils mont tous ri au nez;
cétait difficile à supporter», raconte un jeune enseignant dans le cadre
dune étude publiée dans le numéro de janvier-février du Journal of Teacher
Education aux États-Unis.
LE RÔLE DES ASPIRATIONS PROFESSIONNELLES
Dans des articles parus dans des revues sur
léducation, on souligne également quenseigner aux enfants nest
peut-être pas perçu par les hommes comme une carrière suffisamment progressive aux
plans financier et professionnel.
«Mes parents ont toujours pensé que je
devrais choisir un métier dans un domaine comme le commerce international, par exemple.
Le métier denseignant nest pas assez auréolé de prestige à leurs yeux. Je
sais quils souhaitent mon bonheur et quils ne diront rien, mais ils ne
parleront probablement pas de leur fils, enseignant à lécole élémentaire, comme
ils en parleraient sil était banquier international», explique un autre jeune
enseignant, toujours dans un article du Journal of Teacher Education.
Dans larticle, on souligne que «les
hommes résistent souvent à leur motivation initiale et à leur envie de travailler avec
des enfants jusquà ce quils aient exploré dautres voies, essayé
dautres domaines et métiers, la plupart du temps sur les conseils de leurs
parents.»
Lidée denseigner aux cycles
intermédiaire et supérieur semble généralement mieux acceptée par les hommes
sans doute parce quils considèrent ces postes comme ayant plus de responsabilités
et offrant de meilleures perspectives de carrière.
Les hommes de moins de 30 ans aux cycles
primaire et moyen ne représentent que 14 pour cent du corps enseignant ontarien. Ceux de
55 ans et plus ne comptent que pour 25 pour cent environ de la population enseignante aux
cycles primaire et moyen.
Les hommes de moins de 30 ans représentent
33 pour cent (1 819) du corps enseignant aux cycles intermédiaire et supérieur, ce qui
constitue une baisse importante comparé à ceux de 55 ans et plus qui représentent
59 pour cent de la population enseignante à ce palier. Ce changement radical dans le
nombre denseignants au secondaire, survenu au cours des 15 dernières années,
est passé largement inaperçu.
«Enseigner à lélémentaire est
généralement considéré comme un métier de femme et il se peut que cela décourage les
hommes denvisager une carrière dans lenseignement. Le changement survenu dans
la proportion denseignants au palier secondaire est à la fois troublant et
inexplicable, déclare
Wilson. Un facteur sous-jacent important qui éloigne peut-être les hommes de la
profession est le fait que les métiers traditionnellement féminins ont tendance à être
moins bien payés que les métiers traditionnellement masculins.»
«Nous devons vraiment nous demander si
lenseignement est de nature compétitive actuellement. Nous allons devoir nous
interroger collectivement pour savoir si le système salarial est suffisamment attrayant
et si les conditions de travail sont de nature à inciter des jeunes gens hommes ou
femmes à entrer dans la profession.»
«Dans lensemble du système
déducation, on a déjà déployé des efforts pour corriger un déséquilibre
important le manque de femmes occupant des postes clés. Il se peut que les mesures
prises pour créer un système plus équitable aient amené les enseignants ou ceux qui
envisageaient cette profession à croire quil ny avait pas de possibilités
davancement pour les hommes en éducation. Elles existent pourtant bel et bien, et
continueront à exister, mais seulement si lon amène les hommes à envisager de
nouveau une carrière dans lenseignement.»
LA PEUR DÊTRE ÉTIQUETÉ
Selon un article publié le 28 août 1998
dans le London Times Education Supplement, il pourrait également y avoir une autre raison
qui expliquerait pourquoi les hommes sont peu attirés par lenseignement au
Royaume-Uni, surtout aux premières années détudes.
«La peur dêtre accusé de violence
faite aux enfants ou de perversion peut décourager les hommes de sinscrire à la
formation à lenseignement au cycle primaire. Les apprentis-enseignants craignent
que leurs gestes soient mal interprétés; daprès Mary Thornton, chercheuse de
lUniversité du Hertfordshire qui étudie le recrutement des enseignants, les
contacts physiques avec de jeunes enfants sont une préoccupation majeure pour les
étudiants préparant un baccalauréat en éducation», écrit David Budge, auteur de
larticle.
«On retrouve les mêmes préoccupations en
Ontario, affirme Margaret Wilson. Le processus disciplinaire ouvert et public de
lOrdre devrait redonner confiance à tous aux enseignantes et enseignants,
aux élèves, aux parents et au public en général et dissiper les soupçons non
fondés et, à vrai dire, tout à fait absurdes.»
MODÈLES DE COMPORTEMENT
«À toutes les années détudes, les
enfants ont besoin davoir à la fois des modèles de comportement de sexe masculin
et de sexe féminin, et les écoles devraient être représentatives de la communauté,
explique Margaret Wilson. Lécole est un milieu de choix, parfois
le seul, où de nombreux élèves se trouvent en présence
de modèles positifs de comportement de sexe masculin.»
«Par ailleurs, certains enfants se sentent
parfois plus à laise ou apprennent mieux avec un enseignant quavec une
enseignante et vice-versa. Notre système déducation devrait leur permettre de
vivre ces deux expériences. Gardons à lesprit que les garçons nenvisageront
pas une carrière dans lenseignement si la présence denseignants
natteste pas aujourdhui quil sagit dune carrière
intéressante et gratifiante», conclut Margaret Wilson.