Dans larrêt M.R.M. c. Sa Majesté la
Reine rendu le 26 novembre 1998 relativement à la fouille dun élève de 13 ans qui
fréquentait une école secondaire de la Nouvelle-Écosse, les juges de la Cour suprême
ont statué quil fallait respecter les connaissances et lexpérience des
éducatrices et éducateurs qui se voient contraints dagir pour protéger les
enfants et maintenir lintégrité des écoles.
Ironie du sort, huit jours seulement après
cette décision, cette question faisait à nouveau la manchette quand de jeunes garçons
dune école secondaire du sud-ouest de lOntario ont été fouillés.
Pour éviter tout malentendu quant à la
signification de larrêt, voici les six grands aspects que le personnel enseignant
et la direction des écoles doivent garder en tête selon la Cour suprême.
Les écoles élémentaires et secondaires font partie de lappareil gouvernemental.
Par conséquent, la Charte canadienne des droits et libertés sapplique aux mesures
prises par le personnel enseignant et la direction des écoles. Ces mesures et leurs
fondements doivent donc être évalués au regard de certaines normes juridiques.
Les tribunaux doivent déterminer si la
personne qui a effectué la fouille, le cas échéant, a agi en qualité de mandataire de
la police. Pourquoi? Parce que cest souvent sur ce point que la fouille est
considérée comme légale ou illégale. Agir comme mandataire de la police est un geste
très sérieux. La ou le responsable de lécole qui le pose doit se conformer
étroitement à certaines pratiques policières et respecter les critères stricts de la
Charte des droits et libertés.
Dans laffaire M.R.M., le directeur
adjoint a de toute évidence collaboré avec la police. Il savait que celle-ci devrait
intervenir si les responsables scolaires trouvaient de la drogue. Il a donc appelé la
police et a réclamé la venue dun policier avant dentreprendre la fouille,
qui sest effectuée en sa présence. Ensuite, il a remis immédiatement au policier
pour enquête criminelle la drogue quil a trouvée.
Cette relation entre lécole et la
police semble plutôt étroite. Pourtant, la Cour suprême a déclaré que la coopération
et la présence dun policier ne suffisent pas pour démontrer que le directeur adjoint
avait la qualité de mandataire de la police. Pour ce faire, il aurait fallu que la police
et le responsable sentendent ou établissent une stratégie avant la fouille. Le
directeur adjoint na pas effectué la fouille sur lordre de la police.
Surtout, la fouille aurait été effectuée
de la même façon même si la police nétait pas intervenue. Le directeur adjoint
ne pouvait donc pas être considéré comme un mandataire de la police.
Cet aspect revêt une grande importance, car
si le directeur adjoint avait agi bel et bien comme mandataire de la police, la fouille
aurait pu être jugée déraisonnable, et donc contraire à la Charte des droits et
libertés.
La ou le responsable dune école qui
agit comme un policier doit respecter une foule dexigences complexes.
Les élèves peuvent avoir une attente raisonnable en matière de vie privée en ce qui
concerne leur personne et leurs effets personnels, mais cette attente est
considérablement réduite dans le milieu scolaire. Les élèves doivent être conscients
du fait que le personnel enseignant et les responsables de lécole ont le devoir
dassurer la sécurité de lécole et dy maintenir lordre et la
discipline.
Cela peut parfois nécessiter la fouille
délèves et de leurs effets personnels de même que la saisie darticles
interdits, comme les armes ou la drogue. Les élèves ne peuvent sattendre à être
exemptés de telles fouilles.
Pour mener une fouille dans une école, il nest pas nécessaire dobtenir un
mandat et de répondre aux exigences nécessaires à cette fin. Ce serait peu pratique et
irréalisable.
Il y a lieu dadopter une attitude
beaucoup plus clémente à légard des responsables scolaires afin quils
puissent maintenir la sécurité, la discipline et le décorum dans les écoles. «Il est
essentiel que nos enfants reçoivent un enseignement et quils acquièrent des
connaissances. Or, sans environnement ordonné, lacquisition de connaissances sera
difficile, voire impossible. Au cours des dernières années, il y a eu accroissement en
nombre et en gravité des problèmes qui menacent la sécurité des élèves et la tâche
fondamentalement importante de lenseignement. La possession de drogues illicites et
le port darmes dangereuses dans les écoles sont devenus si répandus quils
menacent la capacité des responsables dune école de remplir leur devoir de
maintenir un environnement sûr et ordonné. Les conditions actuelles sont telles
quil faut donner aux enseignants et aux administrateurs scolaires la souplesse
nécessaire pour régler les problèmes de discipline à lécole. Ils doivent
pouvoir agir rapidement et efficacement pour assurer la sécurité des élèves et
empêcher les violations graves des règles de lécole.» M.R.M. c. Sa Majesté la
Reine (1998), 129 C.C.C. (3d) 361.
Les responsables dune école peuvent effectuer une fouille sils ont des
«motifs raisonnables» de croire quune règle de lécole a été violée ou
est en train de lêtre, et que la preuve de cette violation se trouve dans les lieux
ou sur la personne de lélève fouillé.
Quest-ce quun motif raisonnable?
Rien de bien mystérieux. Il peut sagir de tuyaux donnés par un ou plusieurs
élèves ou des observations du personnel enseignant ou de la direction.
Quoi quil en soit, les autorités
scolaires jouiront dune latitude et dun pouvoir discrétionnaire suffisants,
car elles sont les mieux placées pour évaluer la qualité et la crédibilité des
renseignements quelles reçoivent.
La fouille doit être effectuée de manière raisonnable. Toute
fouille à lécole doit être effectuée de manière délicate, de la façon la
moins envahissante possible. Il faut donc tenir compte de lâge et du sexe de
lélève, ainsi que de la nature de linfraction.
«Létendue acceptable de la fouille
variera selon la gravité de linfraction que lon soupçonne. Par exemple, il
peut être raisonnable quun enseignant agisse immédiatement et procède à toute
fouille nécessaire lorsquil y a des motifs raisonnables de croire quun
élève transporte un fusil ou une autre arme dangereuse. Lexistence dune
menace immédiate à la sécurité des élèves justifie le recours à des fouilles
rapides, complètes et approfondies. Le même type de fouille ne serait peut-être pas
justifié si, par exemple, lon croyait raisonnablement quun élève a dans sa
poche de la gomme à mâcher interdite par le règlement de lécole.» M.R.M.,
supra.
La fouille à nu, qui est lune des
méthodes de fouille les plus envahissantes et oppressives, représente une forme extrême
de contrôle de la part de lÉtat. Ce pouvoir de la police est surveillé
étroitement par les tribunaux et le public, et fait souvent lobjet de vives
critiques. Ce genre de fouille nest justifiable que dans des circonstances tout à
fait exceptionnelles, et il est difficile dimaginer quelle le soit en milieu
scolaire, sauf dans une situation où des vies sont en danger en raison de lusage
dune arme ou dun autre article dangereux.
Il ne fait aucun doute que la grande majorité des éducatrices et éducateurs exercent
leur pouvoir de fouiller les élèves et leurs effets personnels avec vigilance et
discernement. Ils ne passent pas leur temps à parcourir les couloirs de lécole,
menant au hasard des fouilles arbitraires et abusives. Au contraire, ils sont judicieux et
responsables.
Cest également lavis de la Cour
suprême, dont la décision rend hommage aux extraordinaires efforts que déploient le
personnel enseignant et la direction des écoles pour façonner lavenir du pays.
Kelly Smith est procureure adjointe de la
Couronne au ministère du Procureur général depuis dix ans; elle travaille dans
lest de Toronto.