Une enseignante exemplaire

Muriel Sawyer, EAO

Un trésor de ressources linguistiques

de Leanne Miller, EAO

Une seule phrase au tableau de sa classe à l’école secondaire Nbisiing motive Muriel Sawyer. Zach, un élève du cycle supérieur, traduit pour nous cette citation d’Earl Nyholm, spécialiste des langues algonquiennes : «Lorsque la langue mourra, nous serons des défunts du peuple ojibway et ne serons plus des Ojibways.»

Mme Sawyer est un trésor vivant de la culture ojibway et récipiendaire du Prix du premier ministre pour l’excellence en enseignement, en 2009. Cette distinction est venue rendre hommage à son imagination et aux méthodes pratiques qu’elle a utilisées pendant ses 35 années de carrière en enseignement de la langue ojibway aux enfants anishnaabes et non autochtones.

Le recensement de 2006 fait état de 24 896 locuteurs d’ojibway au Canada. Mme Sawyer s’est donné pour mission de faire augmenter ce nombre, ne serait-ce qu’un locuteur à la fois. Elle accueille les élèves à partir de la 9e année pour leur cours obligatoire de langue seconde, et la plupart décident de poursuivre leur apprentissage de la langue au-delà du cours.

Shane et Ryan, tous deux en 10e année, disent que les cours et le style d’enseignement de Mme Sawyer sont agréables et stimulants.

«Elle se préoccupe de nous et de notre réussite… On travaille fort, mais on s’amuse aussi… Nous sommes captivés et nous apprenons parce que son enthousiasme est contagieux… Elle nous enseigne à la fois la langue et la culture… Elle nous parle de nos ancêtres et de nos traditions, c’est fascinant.»

La majorité des élèves en savent très peu sur leurs origines et leur culture. Quand ils arrivent à l’école, ils ne parlent guère ojibway ou pas du tout. Pour renforcer leur estime de soi et leur identité, Mme Sawyer les aide à approfondir leur connaissance de la langue, mais aussi de la philosophie, de la spiritualité et des valeurs anishinaabes. Elle qualifie sa méthode d’enseignement d’infusion culturelle et linguistique.

Par exemple, ses élèves pratiquent leur vocabulaire du petit-déjeuner en mangeant ce repas. Pour parler de pêche, ils se rendent sur la grève du lac Nipissing et rencontrent les pêcheurs qui réparent leurs filets et découpent le poisson. Quand l’hiver arrive, ils fabriquent des raquettes et apprennent comment leurs ancêtres se préparaient à affronter le froid. Et ce sont les aînés qui viennent leur parler de la vie dans les pensionnats.

«Les enfants doivent apprendre la langue en contexte, souligne Mme Sawyer. Ils doivent pratiquer leur vocabulaire, et le meilleur moyen de le faire, c’est dans la vie quotidienne.»

Les élèves rédigent et illustrent des contes pour enfants inspirés des légendes ojibways et les lisent à des enfants de la garderie.

«Mon but, explique Mme Sawyer, est de faire en sorte que ces jeunes finissent leur secondaire en ayant une identité développée et en étant fiers de parler leur langue, de connaître leur culture et leur histoire. Je veux qu’ils aient la conviction de pouvoir réussir tant dans leur collectivité anish­naabe que dans les collectivités non autochtones.»

Zach, notre traducteur, a terminé son secondaire en 2009. Il est retourné à l’école pour améliorer sa note en anglais de 12e année et poursuit son apprentissage de la langue avec Mme Sawyer. Avant de fréquenter l’école secondaire Nbisiing en 11e année, il a fréquenté une école secondaire locale pendant deux ans. Il trouvait que cette école avait trop de règles et de structure. Les élèves se tenaient en petites cliques et il se sentait à l’écart.

«Ici, c’est ma place, affirme-t-il. Tout le monde s’entend, c’est comme une grande famille.»

Il fréquentera le Canadore College en septembre. Il est très reconnaissant envers Mme Sawyer, qu’il admire, et il a hâte de revenir l’an prochain comme invité, servant ainsi d’exemple aux élèves de Mme Sawyer.

«Elle nous a tellement appris sur notre identité, notre langue et notre culture, souligne Zach. Elle nous a parlé des cérémonies, du cercle de tambour, nous a inculqué le respect d’autrui et surtout de la création de l’univers. Elle nous a parlé des enseignements de nos grands-pères, qui disent que tout le monde est égal et que nous devons le respect à tous. Il n’y a pas de ­hiérarchie, une personne n’a pas plus de valeur qu’une autre.»

«Dans ma classe, explique Mme Sawyer, les jeunes développent un sentiment d’appartenance à un groupe où ils se sentent bienvenus et inclus. Cela fait une énorme différence et, en un rien de temps, ils participent et veulent ­apprendre cette nouvelle langue. La plupart de ces adolescents vivent une merveilleuse transformation.»

Mme Sawyer a commencé sa carrière en enseignement après avoir obtenu son B.A. de l’Université Nipissing en 1974. Elle a été invitée à se joindre à ce qu’elle appelle le «cours d’Hamilton», premier programme de formation à l’enseignement pour les personnes d’ascendance autochtone en Ontario, qui s’échelonnait sur deux étés. Les élèves devaient terminer leur 12e année pour être admis au programme et ils avaient cinq ans pour entreprendre un programme d’études complet de premier cycle afin de valider leur certification.

«C’était comme un B. Éd. très rigoureux, se souvient-elle. Nous avons étudié la philosophie de l’éducation et la didactique. Ce programme comportait aussi une composante autochtone pour parfaire nos connaissances linguistiques en utilisant nos systèmes d’écriture normalisés.

«Ce furent deux étés très ­intenses, dit-elle. Nous avions souvent des cours le samedi. Pendant l’année scolaire, nous retournions chez nous pour enseigner et faire des travaux pour le cours d’Hamilton.»

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Mme Sawyer et ses élèves préparent du pain bannock à l’école secondaire Nbisiing de North Bay.

Les stagiaires devaient obtenir trois qualifications (cycles primaire, moyen et intermédiaire) et étaient évalués pour chacune de ces qualifications pendant l’année scolaire. Ses 127 camarades de classe étaient originaires des quatre coins de la province, dont Brantford, Thunder Bay et Sioux Lookout, ainsi que de sa ville natale, North Bay. Ce sont des enseignants autochtones qui lui ont enseigné et qui l’ont inspirée. Certains d’entre eux ont même enseigné dans des facultés d’éducation, tandis que d’autres ont fait des études universitaires et ont travaillé au ministère de l’Éducation à l’élaboration de programmes.

«Nous avons fait des sorties éducatives fort intéressantes et accueilli des invités de marque, comme les auteurs anishnaabes Cecil King et Basil Johnston.»

Pendant l’année scolaire 2004-2005, Mme Sawyer a assisté à une réunion de ses camarades de classe d’Hamilton. La plupart travaillaient en éducation, beaucoup en salle de classe. D’autres, comme son amie Marianna Couchie, ont enseigné pendant quelques années, puis ont travaillé au Ministère comme agents de supervision. Aujourd’hui, Mme Couchie est chef de la Première Nation de Nipissing.

Le premier emploi de Mme Sawyer remonte à 1974, alors qu’elle enseignait à mi-temps à l’école élémentaire Our Lady of Sorrows, à Sturgeon Falls, qui fait maintenant partie du Nipissing-Parry Sound Catholic District School Board. En fait, elle a aussi fréquenté cette école en tant qu’élève. Après avoir terminé sa formation à Hamilton en 1975, elle y a enseigné à plein temps.

À l’époque, un tiers des élèves étaient Ojibways; elle a donc demandé au directeur de l’école de la laisser enseigner l’ojibway, cours qui n’existait pas dans ce temps-là. Mme Sawyer s’émerveille de sa propre audace, pour avoir créé son emploi et exigé d’être rémunérée. De 1975 à 1998, elle a enseigné l’ojibway et d’autres matières de la maternelle à la 8e année. Ses qualifications pour enseigner aux cycles primaire, moyen et intermédiaire lui ont bien servi.

Durant cette première année, elle avait l’impression d’occuper deux emplois. Le matin, elle enseignait à la maternelle appuyée d’un programme complet et de ressources disponibles, tandis que l’après-midi elle enseignait l’ojibway aux élèves de la 1re à la 5e année et devait concevoir son propre matériel d’enseignement et d’apprentissage. «Nous n’avions pas de manuels ni de programmes-cadres du Ministère, ni même de plan de cours», se souvient-elle.

Elle a adopté une approche thématique, qu’elle utilise encore aujourd’hui avec ses élèves du secondaire, soit la langue de la nature et des saisons. Elle a traduit des chansons et des contes, et ses élèves ont lu et joué une adaptation de Boucle d’or, intitulée Boucle de jais et les trois ours.

La langue et la culture ojibways sont en voie de disparition et c’est à nous de les préserver.

«C’était fascinant, ajoute-t-elle, mais cela représentait beaucoup de travail.» Mme Sawyer a participé activement à la rédaction des premières directives du ministère de l’Éducation de l’Ontario sur l’enseignement de l’ojibway et du cri.

Le conseil de bande de la Première Nation de Nipissing a construit l’école secondaire Nbisiing en 1998 et lui a offert un emploi. Depuis son arrivée à l’école, elle a été enseignante et directrice à temps plein. Aujourd’hui, elle est directrice adjointe à temps partiel et la seule enseignante de l’école qui enseigne l’ojibway.

Quand elle a pris sa retraite en 2005, le conseil de bande lui a demandé de revenir enseigner son programme de langue. Personne d’autre ne pouvait l’enseigner.

À mesure que les élèves apprennent la langue, Mme Sawyer constate une amélioration globale du rendement scolaire et de l’assiduité, et une plus grande volonté de participer aux activités.

Elle intègre la langue aux activités quotidiennes partout dans l’école. Les pancartes et les annonces sont en ojibway, les invités sont accueillis et remerciés en ojibway, et les repas commencent souvent par une bénédiction en ojibway, prononcée la plupart du temps par les élèves. Ses condisciples autochtones et non autochtones lui demandent de l’aider à créer des outils visuels pour leurs salles de classe afin de renforcer l’usage de la langue dans des matières comme les mathématiques et les sciences.

Mme Sawyer organise aussi des soirées rencontres le vendredi réunissant des aînés, des élèves, des parents, des tuteurs et d’autres membres de la collectivité pour parler ojibway. Elle traduit des chansons country et western, et tout le monde chante en chœur.

Elle a remporté d’autres mentions d’honneur pour son œuvre. En 2003, l’Union of Ontario Indians lui a présenté le prix d’excellence pour l’ensemble de ses réalisations. Au powwow annuel de 2008 de la Première Nation de Nipissing, le comité culturel de la collectivité lui a remis une plume d’aigle et l’a reconnue comme ambassadrice de la langue.

Aux dires de Zach, «Muriel Sawyer est une enseignante passionnée et enthousiaste qui a consacré sa vie à éduquer les élèves dans la langue et la culture ojibway. Tant la langue que la culture ojibway sont en voie de disparition et c’est à nous de les préserver.»

Grâce à Muriel Sawyer, ce rêve pourrait bien se concrétiser.


L’école secondaire Nbisiing à North Bay est une école secondaire privée supervisée par le gouvernement provincial, qui offre une grande variété de cours de palier secondaire, tout en mettant l’accent sur les besoins et les aspirations des élèves des Premières Nations. Elle est financée par le ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada et dirigée par le conseil de bande de la Première Nation de Nipissing.

D’après le Recensement de 2006, 32 % des Autochtones âgés de 25 à 34 ans n’ont pas terminé leur secondaire, comparativement à 10 % des Canadiens non autochtones du même âge. Soixante-dix-neuf pour cent des élèves de l’école secondaire Nbisiing obtiennent leur diplôme.

La devise de l’école est Fierté autochtone et excellence scolaire. Dans la classe d’anglais, les élèves lisent des auteurs autochtones tels que Basil Johnston, Thomson Highway, Ruby Slipperjack et Drew Hayden Taylor. Beaucoup d’activités et de devoirs d’arts visuels reflètent l’esthétique des Anishnaabes. L’esprit d’initiative est fortement encouragé. Les élèves exploitent leur entreprise, Spirit Creations, et vendent des vêtements traditionnels confectionnés à la main, agrémentés de cuir et brodés de perles. Constatez-le vous-même en consultant www.spirit.nbisiing.ca.