Coup de pouce linguistique dans un bain culturel

de Rochelle Pomerance

Deux programmes, le Programme d’appui aux nouveaux arrivants (PANA) et l’Actualisation linguistique en français (ALF), aident le personnel enseignant à répondre aux nombreux besoins d’aide linguistique des élèves de nos écoles de langue française dans le contexte exigeant d’une culture à dominance anglophone.


«On va lire ensemble, la gang!» Madame B, habillée de noir, les cheveux blonds coupés court, mime, gesticule et court d’un bout à l’autre du tableau en agitant sa baguette de bois pour encourager ses élèves, qui semblent ne pas trop savoir comment réagir à l’énergie exubérante de cette sexagénaire.

La gang est en train d’analyser un texte et d’en tirer les verbes, les noms et les adjectifs.

Samatar donne une bonne réponse.

«Bingo, monsieur!», s’exclame Gilberte Bissonnette, EAO, mieux connue des élèves sous le nom de Madame B. La classe compte sept participants au PANA : Romaine, Janvier, Mohamed, Rose, Aboubaker, Kendy et Samatar. Ils sont originaires d’Haïti, du Congo, de la Somalie et de Djibouti, et sont arrivés au Canada au cours des quatre dernières années.

Cette classe d’accueil se trouve à l’école Le Carrefour, laquelle – sauf dans le cas de ce groupe – offre un programme d’éducation pour adultes géré par le Conseil des écoles publiques de l’Est de l’Ontario (CEPEO). Elle occupe une salle de l’édifice moderne du sud d’Ottawa où logent l’école Le Carrefour ainsi que les bureaux du CEPEO. Ce conseil compte 23 écoles élémentaires et dix écoles secondaires qui offrent toutes des programmes pour aider les élèves ayant besoin de perfectionner leur français. Les écoles de la région d’Ottawa possèdent le plus de programmes d’appui étant donné le grand nombre d’immigrantes et d’immigrants de cette ville.

Mme a le profond sentiment qu’il est avantageux pour les élèves nouvellement arrivés au Canada de faire partie de la classe d’accueil de cet édifice de banlieue anonyme, parce qu’elle leur donne la chance de s’acclimater avant de fréquenter une école secondaire ordinaire. Quand ils entrent dans une école secondaire régulière après avoir suivi le programme, ils sont mieux préparés.

À l’école Le Carrefour, ces jeunes élèves sont également épaulés par des étudiants adultes, dont certains sont d’anciens élèves de Mme Bissonnette.

La classe d’accueil de l’école Le Carrefour fait partie du programme qui s’appelait autrefois Perfectionnement du français (PDF) et qui porte maintenant le nom de Programme d’appui aux nouveaux arrivants (PANA). Tant le programme que le nom continuent d’évoluer.

Le programme s’adresse aux élèves qui connaissent déjà le français, soit parce qu’il s’agit de la langue seconde de leurs parents, soit parce qu’ils ont fait des études en français dans leur pays d’origine. Mais nombreux sont ceux qui ont dû interrompre leurs études, et parfois même très longtemps, en raison d’une guerre ou d’un bouleversement politique.

Plus souvent qu’autrement, ils ont vécu dans un camp de réfugiés et n’ont pas bénéficié d’une éducation en bonne et due forme avant de se retrouver dans la classe animée de Mme avec ses affiches et ses cartes, son lapin résident, son karaoké, ses ordinateurs, ses plantes, sa bicyclette stationnaire, son divan super confortable, ses raquettes et ses piles de revues.

Gilberte Bissonnette enseigne davantage que les compétences linguistiques et les mathématiques de base. Elle donne une introduction à la culture canadienne. Ses élèves visitent tous les musées d’Ottawa, ils font des crêpes, vont se promener en raquette, et apprennent à utiliser les expressions familières.

Aujourd’hui, en parlant du temps qu’il fait, elle explique : «On dit, nous les Canadiens, “Il fait un temps de chien!”», à grand renfort de gestes, d’expressions faciales et de rires.

Récemment, Mme, qui possède en outre une formation d’horticultrice, a utilisé une plante pour faire la démonstration d’un concept. Elle a déraciné la plante en disant à ses élèves : «Vous avez été déracinés, comme cette plante. Pour survivre dans votre nouveau pays, il faut développer de nouvelles racines.»

Les élèves passent de une à trois années avec Madame B, à se rattraper dans leurs études et à s’habituer à la culture canadienne, aux rouages du système scolaire et au français tel qu’on le parle dans la région, avant de fréquenter les classes ordinaires du secondaire.

Durant les huit dernières années, Mme a enseigné à 75 élèves, dont trois seulement ont laissé tomber le programme. Elle est fière d’ajouter que les autres sont ensuite allés à l’école secondaire, que bon nombre ont fait des études collégiales et que plusieurs même fréquentent l’université où ils étudient en français la médecine, le droit, la médecine dentaire ou le travail social.

Besoins divers

Le PANA est l’un de deux programmes qui répondent aux besoins linguistiques des élèves dans les écoles de langue française de l’Ontario. L’autre est l’Actualisation linguistique en français (ALF). Les deux programmes ont été élaborés par le ministère de l’Éducation. Les élèves de l’ALF sont, pour la plupart, les «titulaires des droits liés au français», autrement dit les ayants droit, des enfants qui sont nés au Canada et dont la langue maternelle est le français, des enfants qui ont fait leur scolarité élémentaire en français au Canada, ou dont les parents ou les grands-parents ont obtenu antérieurement le droit d’étudier en français, en Ontario.

Bien que ces élèves aient tous droit à une éducation en français, un nombre croissant d’enfants parlent principalement l’anglais à la maison.

Dans nos écoles, tous les enfants sont élevés au sein d’une culture à dominance anglophone. Ils sont nombreux à entendre de l’anglais à l’extérieur de l’école et ont donc besoin d’améliorer leur français pour mieux fonctionner en salle de classe.

À son arrivée à l’école, l’élève rencontre un membre du personnel enseignant et parfois même une ou un orthophoniste, qui détermine s’il a besoin d’aide supplémentaire et, le cas échéant, le programme qui lui conviendrait le mieux. Ce choix est indiqué sur le bulletin scolaire de l’élève.

Les objectifs des deux programmes ont été établis par le Ministère, mais leur mise en œuvre varie en fonction des réalités locales, c’est-à-dire d’un conseil à l’autre et, dans certains cas, d’une école à l’autre au sein d’un même conseil scolaire.

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La découverte des joies de l’hiver fait partie de l’apprentissage.

Dans un conseil scolaire, les élèves travaillent en petits groupes à l’extérieur de la classe en compagnie d’un pédagogue assigné, tandis que dans une autre, une enseignante de langue travaille dans une classe ordinaire aux côtés de la titulaire de la classe ainsi que des élèves. Au Conseil scolaire catholique du Nouvel-Ontario, le personnel enseignant des classes ordinaires s’occupe d’améliorer les compétences linguistiques des élèves en salle de classe, avec l’aide de personnes-ressources. Cependant, dans d’autres conseils scolaire, comme le CEPEO où travaille Mme Bissonnette, on recommande de recourir à n’importe laquelle de ces approches, en fonction de l’école et des besoins des élèves.

Julie Brunet, orthophoniste à l’emploi du Conseil scolaire publique du Grand Nord de l’Ontario (CSPGNO), supervise la prestation du programme d’ALF dans huit écoles de la région de Sudbury, où l’on se concentre sur les enfants de la maternelle à la 2e année. «Avec les plus vieux, c’est plus difficile de les sortir de la salle de classe. Ils risquent de manquer de la matière.»

Mme Brunet différencie les élèves qui ont besoin de leçons de français.

«Quand je fais les évaluations pour déterminer les difficultés, je porte mon chapeau d’orthophoniste. Mais le programme d’ALF ne s’adresse pas aux élèves ayant besoin de séances d’orthophonie, mais de véritables séances de stimulation de la langue française.»

 

Un nombre croissant d’enfants parlent principalement l’anglais à la maison.

Les diplômées et diplômés en technique d’éducation spécialisée qui travaillent avec Mme Brunet réunissent les enfants en petits groupes de trois ou quatre pour des périodes de trente ou quarante minutes par jour. Au moyen d’une variété de jeux et d’activités, ces séances d’ALF développent leur vocabulaire, la syntaxe de leurs phrases et leur compréhension de la langue. Ils s’occupent ainsi d’eux à raison de cinq ou sept périodes intensives par semaine, accompagnées d’évaluations fréquentes. Un enfant peut reprendre plusieurs fois le programme jusqu’à ce que son évaluation indique qu’il est désormais en mesure de bien fonctionner en salle de classe.

Mme Brunet dit que les commentaires du personnel enseignant sur les progrès des élèves d’ALF se sont avérés positifs, tant sur le plan de l’estime de soi que du rendement de la classe dans son ensemble. Elle ajoute qu’à la fin d’une année d’ALF, 30 pour cent des élèves peuvent participer à la classe régulière à temps plein.

Atteindre les objectifs

D’après Monique Chrétien, EAO, directrice adjointe des services pédagogiques du CSPGNO, la situation est plus grave au palier secondaire. Elle donne l’exemple des enfants qui commencent l’école en français pour ensuite passer au système anglais, et qui reviennent au français au secondaire, ce qui force le titulaire de classe à donner des leçons de français individualisées pour remettre ces élèves au niveau.

«Qu’est-ce qu’on peut faire pour ces élèves, demande Mme Chrétien? L’écart est très grand. Il faut être créatif pour les accompagner à ce niveau.»

Le CSPGNO offre en ce moment un programme de quatre cours pour aider les élèves à rattraper quatre années d’études.

Le conseil scolaire fait face au défi de satisfaire aux besoins de petits groupes d’élèves de l’ALF et du PANA éparpillés sur une vaste région géographique, ce qui contraste avec les régions populeuses où des conseils scolaires peuvent offrir des classes consacrées à l’enseignement de l’ALF et du PANA, comme on le fait, par exemple, à l’école Saint-Edmond de Windsor qui fait partie du Conseil scolaire de district des écoles catholiques du Sud-Ouest (CSDECSO).

Saint-Edmond a créé récemment une classe d’accueil pour un groupe de six enfants âgés de 7 à 12 ans, qui sont arrivés à l’école au milieu de l’année scolaire.

«C’est un petit village, une équipe-école, de dire Micheline Duguay-Lévesque, EAO, en parlant du PANA à Saint-Edmond où elle enseigne. Toute l’école s’occupe de ces enfants, y compris la surintendante, la secrétaire et le personnel enseignant. Tout est nouveau pour eux. Ils doivent apprendre à comprendre les subtilités de la langue ainsi que les différences culturelles et sociales. L’important, c’est de créer une ambiance accueillante pour que les enfants se sentent aimés et protégés.»

Pour accroître ce sentiment d’appartenance, les enfants de la classe d’accueil se joignent aux autres élèves pour plusieurs matières, comme la gymnastique, l’informatique ainsi que pour des activités spéciales et le repas du midi.

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Micheline Duguay-Lévesque, EAO, aide ses élèves à comprendre les subtilités du français.

Mme Duguay-Lévesque enseigne depuis plus de 20 ans le programme pour les nouveaux arrivants de Saint-Edmond. Quelque 200 élèves suivent présentement le programme. Ils appartiennent à plus de 20 groupes culturels différents et parlent pour la plupart une autre langue que le français ou l’anglais à la maison.

«Tout le monde se ressemble parce que tout le monde est différent!», fait remarquer Mme Duguay-Lévesque.

Il y a trois ans, Boniface Mukendi, EAO, s’est joint au programme pour y enseigner aux côtés de Mme Duguay-Lévesque. Originaire du Congo, où il était adjoint à la recherche au département d’économie de l’Université de Kinshasa, M. Mukendi travaille maintenant avec elle à améliorer les compétences linguistiques et mathéma­tiques de petits groupes d’élèves de la 1re à la 8e année. La maîtrise d’une langue et l’orientation culturelle vont de pair. Il participe aussi à l’orientation des jeunes dans leur vie au sein d’une école canadienne, par exemple, en leur expliquant les tâches du personnel d’entretien et d’administration, les jeux dans la cour de récréation, les règles à suivre dans les salles de bain et les habitudes d’hygiène et santé, soit des renseignements tout simples, mais ô combien importants. Surtout quand on pense que certains sont venus de situations extrêmes, comme au Congo, ou peuvent avoir vécu dans des camps de réfugiés ougandais avant d’arriver au Canada.

«On essaie d’expliquer les petites choses auxquelles ils n’ont pas été exposés. Je partage, en partie, le vécu de ces élèves. Sur le plan de l’empathie, j’essaie de comprendre d’où ils viennent, même si je n’ai pas vécu les camps de réfugiés, précise M. Mukendi. Pour les nouveaux arrivants, ajoute-t-il, le climat de l’école est exceptionnel.»

D’après Mme Duguay-Lévesque, l’un des défis de son emploi est de satisfaire aux besoins des enfants qui possèdent la langue à des niveaux bien différents lorsqu’ils arrivent à l’école Saint-Edmond. Mme Duguay-Lévesque et M. Mukendi ont des objectifs bien ciblés.

«Notre défi est de maintenir ces enfants dans la culture francophone, une culture minoritaire à Windsor, pour qu’ils s’y plaisent et puisent dans cette culture, et d’enrichir leur vocabulaire pour qu’ils soient capables de communiquer – et fiers de communiquer – en français», précise M. Mukendi.

 

La maîtrise d’une langue et l’orientation culturelle vont de pair.

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Boniface Mukendi, EAO, aide un groupe d’élèves à améliorer leurs compétences linguistiques et mathématiques.

«En général, ils sont heureux de s’exprimer en français, ajoute Mme Duguay-Lévesque. Dans leur pays d’origine, on est fier de parler plusieurs langues.»

À l’école Pavillon de la jeunesse d’Hamilton, l’enseignante de 2e année, Meryem Rhrissi, EAO, travaille sur la lettre «e» au moyen du mur de mots rempli de mots et d’images – école, échelle, éléphant – et du centre d’apprentissage proposant des activités et des jeux sur la lettre «e».

Au fond de la classe, Amina Benmebkhout, EAO, travaille avec un groupe composé d’élèves d’ALF et du PANA pour des périodes de 40 à 60 minutes. Près du quart de l’effectif de cette école de 115 élèves bénéficie des leçons de l’ALF ou du PANA.

La liste des difficultés de ses élèves est longue : manque de confiance, manque d’autonomie, aucune prise de risque, faiblesse avec le langage expressif et problème d’attention et de concentration, difficulté de s’affirmer culturellement. Toutefois, la plus grande difficulté a trait aux parents.

«Certains élèves n’ont pas d’aide à la maison, car les parents sont souvent incapables de les aider, soit parce qu’ils ne parlent pas la langue ou n’ont pas la scolarité nécessaire, soit parce qu’ils n’ont pas le temps. La préoccupation principale de nombre d’entre eux en arrivant au Canada est de trouver un emploi. Ce n’est pas facile.»

Mme Benmebkhout travaille étroitement avec les enseignantes et enseignants titulaires en coplanifiant leçons et activités. Auprès des élèves de l’ALF, des enfants qui entendent peut-être du français à la maison, mais qui ont fréquenté une garderie de langue anglaise, elle insiste sur l’importance d’utiliser du matériel visuel pour enrichir leur vocabulaire. Avec ses élèves du PANA, qui proviennent du Tchad, du Mali, du Soudan et du Congo, elle se sert d’une variété de techniques pour les aider à passer de leur langue d’origine au français. Mais pour les élèves de l’ALF comme pour ceux du PANA, elle travaille dans le contexte de la salle de classe régulière.

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Amina Benmebkhout, EAO, travaille avec un groupe composé d’élèves d’ALF et du PANA pour des périodes de 40 à 60 minutes.

«C’est l’inclusion à laquelle je crois dur comme fer. Je travaille auprès des élèves à l’intérieur de la classe pour qu’ils ne soient pas déconnectés, pour qu’ils vivent tous la même réalité. C’est l’appui qui est ma devise», explique Mme Benmebkhout.

L’approche inclusive compte énormément pour son conseil scolaire, le Conseil scolaire de district du Centre-Sud-Ouest (CSDCSO), qui sert 38 écoles à Hamilton, Brampton, London et Toronto. Le CSDCSO s’efforce d’inclure les parents en leur offrant des ateliers portant, entre autres sujets, sur des façons dont ils peuvent aider leurs enfants à lire.

Qu’il s’agisse d’un programme inclusif, comme celui dont Mme Benmebkhout fait la prestation, ou d’une classe d’accueil, comme celle de l’école Le Carrefour d’Ottawa, il semble bien que chaque classe de chaque école possède un élève super motivé comme Mohamed, qui a toujours la main levée pour montrer qu’il connaît toutes les réponses.

Mme lui explique encore une fois, bien patiemment, qu’il doit donner la chance de répondre aux autres élèves.

Mais Mohamed a une bonne raison de vouloir montrer qu’il est bon. Il est arrivé de Somalie il y a à peine un an et demi, et il y a quelques mois encore, il était loin à la traîne en lecture et en écriture. Mais sous la tutelle de Mme Bissonnette, il a fait d’immenses progrès. Pas étonnant qu’il soit fier de ses nouvelles habiletés et qu’il meure d’envie de les montrer. Ne feriez-vous pas de même?