Cheryl Carr de Patricia Rozema
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Étant donnÉ Le rÔle que la littérature a joué sur le travail de la cinéaste Patricia Rozema, on pourrait croire que l’enseignant qui l’a le plus influencée était un enseignant d’anglais, ou du moins un amateur de cinéma ou de théâtre. Le titre du premier grand film de Patricia Rozema, Le Chant des sirènes, lui a été inspiré par La Chanson d’amour de J. Alfred Prufrock, un poème de T.S. Eliot. Son œuvre la plus célèbre, Lettres de Mansfield Park, est une merveilleuse interprétation du roman du XIXe siècle qui reflète l’esprit des lettres et des premiers textes de Jane Austin. Mme Rozema a travaillé avec des personnes importantes du théâtre de langue anglaise (Harold Pinter joue le rôle de Sir Thomas Bertram dans Lettres de Mansfield Park). Même sa plus récente production à l’intention du jeune public, Les aventures de Kit Kittredge, est basée sur un roman d’une série historique populaire pour enfants. Mais Mme Rozema a grandi sans être exposée au cinéma ni à la télévision. L’enseignant qui a le plus piqué son intérêt et influencé son avenir est Marguerite Van Die, enseignante de français et d’histoire, arrivée à Sarnia juste à temps pour lui enseigner la dernière année du secondaire. «Elle enseignait le français et l’histoire, des matières que je n’ai pas vraiment gardées. Mais elle enseignait d’une façon qui me donnait l’impression d’en apprendre sur la vie, au sens large.» Mme Rozema affirme que, pour elle, l’enthousiasme des enseignants et l’amour d’apprendre qu’ils inspirent dans la classe étaient plus importants que la matière. Malgré tout, le français de 12e année n’était pas une matière dans laquelle elle excellait.
«Patricia était une jeune fille intéressante, brillante et un peu espiègle, poursuit-elle. «Je vivais dans une petite communauté d’immigrants à l’intérieur d’une petite ville, dit Mme Rozema. Mme Van Die amenait une mentalité urbaine très sophistiquée et ça se reflétait dans l’aura qu’elle dégageait. Tout en elle me charmait. Elle a fait naître en moi l’espoir de faire partie d’un monde… plus grand.
«Quand l’école a ouvert ses portes, il y avait 11 élèves. Chaque année, on ajoutait un niveau. Nous étions tous des enfants d’immigrants néerlandais. Tous les enseignants et tous les élèves étaient des immigrants néerlandais, sauf un élève catholique.» Mme Rozema raconte que la communauté n’avait rien de sophistiqué, «sauf sur le plan de la religion», mais on accordait beaucoup de valeur à l’éducation. «Mon père avait 28 ans quand il est arrivé au Canada. Il parlait quatre langues, était un champion d’échecs et avait soif d’apprendre, poursuit-elle. Et bien que j’aie toujours voulu poursuivre des études à un niveau supérieur, cette enseignante m’a vraiment donné le goût de le faire. Grâce à elle, c’était clair que j’allais poursuivre mes études». Mme Van Die a inspiré Mme Rozema, car elle fréquentait elle-même l’université. Elle faisait des études supérieures à l’Université Western Ontario tout en enseignant à Sarnia. En outre, elle a encouragé Mme Rozema en apprenant à la connaître. «Il faut être en mesure de se mettre à la place des élèves, de les écouter, de faire preuve de compréhension autant que possible et de les laisser s’exprimer.» Mme Van Die souligne la perturbation générale qu’entraîne l’adolescence. «Ils en sont à un point dans leur vie où ils ont beaucoup d’impulsions, de désirs et de besoins, beaucoup de projets dans la tête et aussi de frustrations, car souvent, ils ne peuvent accomplir ces projets. Mais parfois, la classe devient un endroit spécial d’évasion et de découverte. On peut leur faire une place dans la classe.» En plus de les laisser s’exprimer et de vouloir les comprendre, Mme Van Die parle de les aider à canaliser cette énergie et cette frustration. «On peut les sortir d’eux--mêmes et les distraire avec ce que l’on enseigne.» Elle dit qu’elle est arrivée dans la vie de Mme Rozema à un moment où elle vivait une transition importante. «Ma première année dans cette école était sa dernière année à elle. C’était une petite école et tout le monde se connaissait. Elle connaissait tous les élèves dans sa classe depuis la 1re année, alors ça pouvait parfois être un peu étouffant. Et elle était vraiment prête à en sortir.»
Mme Van Die était certainement un modèle à suivre pour Mme Rozema. Elle avait vécu dans des grandes villes et dans d’autres pays. En tant qu’enseignante de français, elle a amené ses élèves à Montréal et à Québec. Adulte, elle avait vécu en Californie, aux Pays-Bas, à Vancouver et à Toronto. «Je trouve très difficile de penser que j’étais sophistiquée ou expérimentée, déclare Mme Van Die, mais pour elle, je l’étais probablement.» À part les cours de français, Mme Van Die recommandait des livres à Mme Rozema, surtout des livres sur l’histoire des grandes idées. «Je crois que j’ai étudié la philosophie à l’université à cause d’elle», déclare Mme Rozema, qui a fait une double majeure en philosophie et en littérature anglaise. Mme Rozema a pris l’idée d’observer les choses sous divers angles très à cœur à l’université. Elle planifiait ses cours pour pouvoir couvrir les aspects philosophiques et littéraires d’une même période historique pendant un semestre. Elle trouve que les philosophes étaient souvent un peu moins avancés que les écrivains. «Le cœur avance plus librement que l’esprit», conclut-elle. Mme Rozema semble apprécier les exigences et l’importance de l’enseignement. «Notre sens de l’avenir et notre engagement envers l’apprentissage se concrétisent avant qu’on atteigne la vingtaine. On apprend à apprendre et on acquiert le désir de persévérer… ou non.» Mme Rozema reconnaît aussi que les défis auxquels font face les enseignantes et enseignants sont très réels. «Il est si facile d’éteindre la flamme. «De nombreux jeunes ont des problèmes et semblent ne pas vouloir apprendre, car ils croient que c’est bien mieux d’être l’élève cool et négatif que d’être celui qui essaie, qui échoue et qui a l’air stupide. Chez l’être humain, le désir de garder sa dignité est plus fort que tout autre.» Il faut un bon enseignant pour contrecarrer les influences négatives qui pourraient amener les élèves à abandonner. «Les enfants ne sont pas si bons à faire de l’abstraction, mais ils ressentent l’énergie, dit-elle. Ils ressentent l’enthousiasme d’une personne qui communique sa passion pour quelque chose. «Si les enseignants peuvent communiquer leur propre passion à travers une matière quelconque, cela peut inspirer le désir d’apprendre, quels que soient leurs intérêts personnels.» |