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Donner à tous une chance de réussir ses études

Si un plan d’enseignement individualisé représente une lueur d’espoir pour les élèves en difficulté, pour nombre d’enseignantes et d’enseignants, l’arrivée d’un PEI est souvent pavée d’appréhension. C'est ce que révèle une nouvelle étude de l’école des sciences de l’éducation de l’Université Laurentienne.

de Véronique Ponce et Gabrielle Barkany

Depuis 1998, dans la province, chacun des élèves qu’un comité d’identification, de placement et de révision (le CIPR) reconnaît être un élève en difficulté doit bénéficier d’un plan d’enseignement individualisé (PEI).

Ce terme, «élèves en difficulté», décrit les élèves ayant des besoins pédagogiques spéciaux, soit qu’ils sont doués et qu’ils requièrent un programme comprenant davantage de défis, soit qu’ils aient des besoins exceptionnels parce qu’ils ont, par exemple, un trouble du développement, un handicap physique, des troubles du langage ou de comportement.

Loin d’être une planification quotidienne détaillée, le PEI précise les attentes d’apprentissage modifiées par rapport au curriculum ou les attentes qui diffèrent de celles du programme-cadre, pour une année d’études, une matière ou un cours donné. De plus, il énonce les adaptations et les services destinés aux élèves en difficulté qui doivent les aider à atteindre les attentes établies dans leur plan.

Celui-ci est préparé par une équipe composée de personnes qui connaissent bien l’élève, dont son enseignante ou enseignant titulaire, et qui ont la responsabilité de répondre à ses besoins. Il doit ensuite être mis en pratique et révisé régulièrement par l’enseignant pour qui cela représente indéniablement une tâche supplémentaire.

Yvon Gauthier, professeur titulaire à l’école des sciences de l’éducation de l’Université Laurentienne de Sudbury, a voulu connaître l’opinion du personnel enseignant franco-ontarien qui doit mettre en œuvre et s’occuper de réviser ces PEI. Pour mener son étude, Enfance en difficulté : Représentations des enseignants franco-ontariens à l’égard des plans d’enseignement individualisés, qui sera publiée dans Brock Education Journal à l’automne prochain, il a sondé huit conseils scolaires de langue française de la province par l’intermédiaire de questionnaires.

Les chiffres révèlent que, sur 2 400 000 élèves en Ontario, 12 % sont atteints de difficultés d’apprentissage. M. Gauthier est catégorique : «Le PEI est une des pierres angulaires de l’éducation de l’enfance en difficulté de la province».

Le taux de participation élevé à son étude, soit 329 questionnaires retournés sur les 400 distribués, témoigne de l’intérêt que les enseignantes et enseignants portent à l’égard des PEI dans les écoles de langue française de l’Ontario.

Démystifier les PEI

M. Gauthier, un des rares spécialistes franco-ontariens dans le domaine de l’éducation de l’enfance en difficulté, a voulu montrer qu’il existe un lien direct entre le manque de formation dans le domaine et la perception négative du personnel enseignant face aux PEI, ces véritables «cancers pédagogiques», comme il l’a même entendu dire.

Fait troublant, l’étude de M. Gauthier révèle qu’un peu plus de 50 % des répondants n’ont jamais suivi de cours de qualification additionnelle en éducation de l’enfance en difficulté, et moins de 24 % sont spécialistes dans le domaine (c'est-à-dire qu’ils ont suivi les trois parties du cours menant à la qualification additionnelle en éducation de l’enfance en difficulté). C'est peu, puisqu’on s’attend de plus en plus à ce qu’on intègre, dans les classes, les élèves ayant toutes sortes de besoins particuliers. De nombreux enseignants découvrent d’ailleurs pour la première fois les PEI le jour de la rentrée scolaire. M. Gauthier est d’avis qu’il devient impératif qu’un cours en éducation de l’enfance en difficulté fasse partie des cours obligatoires de tout programme de formation à l’enseignement.

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«Tout résultat est une victoire et un encouragement tant pour les élèves que pour les enseignants.»

France Cazabon, enseignante spécialiste en enfance en difficulté à l’école élémentaire Félix-Ricard de Sudbury, a elle-même observé que, plus il existe un lien de familiarité avec les PEI, mieux ils sont accueillis. «Les jeunes enseignants semblent plus ouverts aux PEI car ils sortent d’un système scolaire où il y a eu des adaptations», dit-elle.

Le niveau d’expérience semble avoir un effet important sur la façon dont on perçoit les PEI, tout comme le fait d’avoir suivi un ou plusieurs cours de perfectionnement professionnel en enfance en difficulté. Les spécialistes en la matière sont conscients des points forts comme des limites des PEI. Leurs niveaux de connaissances théoriques et pratiques leur permettent d’exploiter au maximum les meilleurs aspects des PEI pour le bénéfice des élèves.

Les adaptations

Certains PEI s’avèrent plus difficiles à suivre que d’autres, car ils demandent des mesures d’adaptation parfois sophistiquées. Pascale Salvail, enseignante à l’enfance en difficulté dans le programme d’immersion française à l’école élémentaire Lester B. Pearson de Toronto, explique que c'est parfois une véritable acrobatie. «Il faut savoir jongler pour choisir adroitement quels sont les objets que l’on peut laisser tomber sans faire trop de fracas et ceux qu’on ne peut pas se permettre de laisser tomber.»

Les mesures énoncées dans les PEI peuvent être extrêmement variées. La technologie d’adaptation permet de créer un pont entre l’élève ayant un handicap et le support d’origine. Il peut s’agir d’un système de reconnaissance vocale, d’un synthétiseur à partir du texte ou d’un dispositif d’affichage en braille. Les écoles se dotent de l’équipement technologique dont leurs élèves en difficulté ont besoin, c'est-à-dire autant que leur budget le leur permet. Les résultats en valent la peine.

Des progrès encourageants

Tout résultat est une victoire et un encouragement tant pour les élèves que pour les enseignants. Mme Salvail a remarqué les progrès que certains élèves font grâce à la technologie d’adaptation. Depuis peu, un élève en difficulté de son école bénéficie d’un clavier et d’un ordinateur portable qui le suivent de classe en classe. «On voit des progrès, ne serait-ce qu’au niveau de la motivation de l’élève, parce qu’il remet des travaux dont la présentation est beaucoup plus claire. Ça l’incite à faire plus d’efforts, à remettre des textes plus complets. Avant, cet élève travaillait au minimum dans ses productions écrites, cela représente donc une grosse différence», s’émerveille-t-elle.

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«Le succès d’un PEI réside dans une bonne communication et un suivi entre tous les intervenants.»

Les ordinateurs portables font partie du quotidien des classes de Pascale Salvail.

Dominique Maillet, enseignante depuis onze ans et enseignants-ressources en éducation de l’enfance en difficulté au centre de soutien de l’école primaire St-Joseph de Sudbury, est également au premier plan pour témoigner de la réussite des PEI pour les élèves. Elle a obtenu des résultats encourageants en suivant le PEI d’un élève ayant des difficultés en lecture, au cours d’une session intensive. Grâce au programme Bon lecteur, grand bonheur développé par une conseillère pédagogique de son conseil, «l’élève a triplé sa vitesse de lecture en 12 semaines. Avant, quand on lui donnait un texte à lire, il le rejetait. Son comportement en classe a changé complètement», affirme Mme Maillet.

Collaborer à tous les niveaux

Plus on fait de la recherche sur le sujet, plus il devient évident que, pour assurer le succès d’un PEI, il faut une approche multidimensionnelle et une collaboration à tous les niveaux. L’élève en difficulté doit comprendre, dès le début, quelles sont ses difficultés et ses forces, par exemple, en comparaison à d’autres élèves. Ses enseignants doivent être conscients de son style d’apprentissage préférentiel et utiliser à bon escient des stratégies de compensation quotidiennes pour contourner une habileté peu développée, par exemple. L’élève doit aussi pratiquer à la maison les stratégies privilégiées à l’école et énoncées dans son PEI.

Mme Maillet, elle aussi, met l’accent sur l’importance de la collaboration entre les parties concernées. «Le PEI fonctionne à merveille si tous les intervenants utilisent le PEI comme guide et travaillent sur les attentes.» La question de définir des attentes adaptées à chaque élève semble être un facteur clé de l’utilisation qu’on fera d’un PEI. «L’idée, c'est d’avoir des attentes que l’élève peut atteindre. Si l’élève ne vit pas de réussite, c'est que l’attente était trop élevée», dit-elle.

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À gauche, Christine Popiel, conseillère en orientation, accompagnée de Kristina Clutterbuck-Brox et de Marc Tossa, deux enseignants-ressources en éducation de l’enfance en difficulté.

L’étude de M. Gauthier révèle que les enseignants du primaire suivent les PEI beaucoup plus que ceux du secondaire. À son avis, «c'est une bonne nouvelle, surtout quand on sait que la réussite de l’intervention scolaire auprès des enfants en difficulté dépend en grande partie du moment de l’intervention». Mme Maillet aussi est bien d’accord sur l’importance d’un diagnostic et d’une intervention précoces : «Si la compréhension de la lecture n’est pas acquise (non seulement savoir lire, mais aussi comprendre ce qu’on lit), l’élève aura des difficultés dans toutes les autres matières».

Les doués ont aussi des difficultés

On a souvent tendance à oublier que les PEI s’adressent également aux élèves reconnus comme doués et dont les résultats scolaires souffrent parce qu’ils s’ennuient et ont besoin de stimuli supplémentaires. Ils peuvent être forts dans certaines matières, faibles dans d’autres. Le PEI leur offrira des stratégies pédagogiques plus poussées à l’intérieur même du programme-cadre.

«Elle se rappelle que, dans les années 80, les stratégies tenaient sur une page. Aujourd’hui, elles peuvent couvrir 20 pages.»

Conseillère en orientation à l’école secondaire Étienne-Brûlé de Toronto, Christine Popiel utilise les PEI depuis 23 ans. Elle explique quelles peuvent être les stratégies destinées aux élèves doués : «Par exemple, ces élèves vont approfondir leurs connaissances en développant un angle de plus durant des présentations orales; ils vont lire des romans supplémentaires, s’impliquer dans des activités scolaires pour développer leur sens du leadership ou visiter des musées.» Toutes ces stratégies sont destinées à enrichir leur quotidien.

Diminuer l’administration, augmenter la collaboration

Mme Popiel trouve que les PEI étaient beaucoup plus simples et efficaces dans les années 80. «De nos jours, ils sont très volumineux, c'est beaucoup de paperasse.» Elle se rappelle que, dans les années 80, les stratégies tenaient sur une page. Aujourd’hui, elles peuvent couvrir 20 pages. «Si on compte le fait qu’ils sont révisés quatre fois par an, il est indéniable que cela représente une tâche supplémentaire importante.»

C'est également l’opinion de Mme Salvail : «Dans le meilleur des mondes, le succès d’un PEI réside dans une bonne communication et un suivi entre tous les intervenants. Mais en réalité, il faut avouer que c'est difficilement faisable. Le travail associé aux PEI peut prendre l’allure d’une tâche administrative qui s’ajoute à la charge de travail quotidienne». La collaboration en souffre.

Mme Popiel souligne pourtant que ces trois ou quatre dernières années, on a pris des mesures visant à réduire les tâches administratives touchant aux PEI. «Mais, dit-elle, il reste du travail à faire. On peut réduire encore.»

Améliorations à suivre

Outre réduire la longueur des PEI, il faudrait aussi revoir leur contenu, car les stratégies sont les mêmes pour les élèves ayant des troubles similaires. Comme le fait remarquer M. Gauthier, «le PEI de l’élève hyperactif de Cornwall, par exemple, contient les mêmes stratégies que celui de Kapuskasing. Même s’il est possible de généraliser certaines stratégies pour l’ensemble des élèves hyperactifs, il existe de nombreux facteurs sociaux et d’éléments interpersonnels qui influent sur le comportement et l’apprentissage des élèves, ne serait-ce que le seuil de tolérance d’une enseignante par rapport à une autre. Parfois, on ne pourra appliquer certaines stratégies simplement à cause du contexte social ou du lieu géographique».

Mme Popiel est aussi d’avis qu’il faudrait revoir les PEI car ils sont trop détaillés, trop spécifiques à la matière, alors que les stratégies devraient être plus transversales, plus globales. «Un exemple de stratégie serait que l’élève souligne les mots clés d’une question relative à une tâche et vocalise la question avant d’effectuer une tâche. L’élève peut utiliser ce genre de stratégie dans toutes les matières.»

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Christine Popiel compare les stratégies des PEI des années 80 et celles d’aujourd’hui.

M. Gauthier est d’accord avec le personnel enseignant interrogé : les normes du PEI mériteraient d’être révisées de nouveau, même si elles l’ont été en 2004, et cela pour les rendre plus pratiques. Il est vrai que les définitions du ministère de l’Éducation sur les anomalies datent de 1985. Or, notre connaissance des diverses maladies ou anomalies, comme l’autisme, avance rapidement, et donc l’information et les définitions des problèmes d’apprentissage changent constamment. Puisque les PEI reposent énormément sur ces définitions pour énoncer des solutions adaptées aux besoins des élèves diagnostiqués, l’efficacité des solutions proposées dépend beaucoup de l’exactitude du diagnostic.

D’après l’auteur du rapport, il faudrait également mener une recherche d’envergure au sujet de la reconnaissance des élèves en difficulté et du nombre de PEI dans les écoles. «On ne fait pas suffisamment la distinction entre les problèmes scolaires qui s’expliquent par des facteurs sociaux et ceux qui s’expliquent par une anomalie. L’hyperactivité est une anomalie grossièrement exagérée…» Un dossier passionnant à suivre.