« Damien Robitaille, je dois l’avouer, restera toujours un de mes élèves préférés», dit son ancien enseignant de musique, Neil Lefaive, EAO.

Neil Lefaive est enseignant de musique depuis 1989 à l’école secondaire Le Caron, à Penetanguishene. Il est aussi musicien-compositeur-producteur et a le don de reconnaître le talent caché de ses élèves. Les aider à atteindre leur plein potentiel est une passion qui l’anime depuis longtemps.

Bien que flatté d’avoir été jugé enseignant remarquable, Neil Lefaive insiste pour dire qu’il se voit tout simplement comme «un enseignant qui fait “sa job”, travaillant pour le bien de ses élèves, espérant inciter ceux qui veulent continuer dans le métier à suivre leur passion.»

C’est à cette approche, et sans doute aussi à sa propre passion, qu’il attribue le succès de plusieurs de ses anciens élèves dans le domaine de la musique et du spectacle, comme Éric Dubeau, Jeff Pelletier, les membres du groupe Brouhaha, pour n’en citer que quelques-uns.

Il a beaucoup cru en Damien Robitaille, reconnaissant en lui le talent exceptionnel qui allait le propulser très vite au firmament du succès, au Canada et en Europe. Twitter du chanteur franco-ontarien Damien Robitaille, le vendredi 25 février 2011 :

«Demain téléthon à Ottawa en a.m… Spectacle à Châteauguay en p.m. Dimanche… La France!»

Rencontré à Montréal quelques heures avant son vol pour Paris, M. Robitaille a les cheveux ébouriffés, les yeux hagards, accusant la fatigue du rythme frénétique imposé par le vedettariat. Mais la première chose que l’on remarque chez lui, c’est sa gentillesse : le succès ne semble pas lui être monté à la tête.

Il est attablé dans un café de quartier comme il y en a tant à Montréal : décor simple mais accueillant, menu hybride offrant espresso et biscotti, muffins et biscuits à l’avoine, croissants français, couscous algérien et tagine de poulet aux olives à la marocaine. Originaire de la petite communauté francophone de Lafontaine, en Ontario, M. Robitaille paraît bien à son aise dans l’environnement urbain, mondain et ultra hip du Plateau-Mont-Royal. Et pourtant…

Dans la multitude, y’a d’la solitude
L’ermite dans la ville
Parmi la cohue, il y a un homme reclus
L’ermite dans la ville
La mer de ciment tremble infiniment
Mais l’sauvage reste sur son île
C’est calme dans sa zone
Comme dans l’œil du cyclone
L’ermite dans la ville
Que fait-il ici?
Est-il tombé de son nid?
Est-il en exil?
Qui est l’ermite dans la ville?

Extrait de L’ermite dans la ville, paroles et musique de Damien Robitaille

«C’est sûr que j’ai changé, dit-il. Mais au fond, je reste le même Damien qu’avant.»

«Avant», c’était Lafontaine, petite agglomération rurale située à environ 160 km au nord de Toronto, sur la rive de la baie Georgienne, où Damien Robitaille est né de mère anglophone et de père francophone. À la maison, on parlait les deux langues : un vrai mélange. Il n’est donc pas étonnant qu’il ait atterri dans la ville la plus bilingue du Canada.

«J’ai grandi dans une bulle, dit-il, un environnement isolé.» La maison familiale est entourée de champs et de terrains vagues. La ville est loin, les voisins les plus proches sont à un kilomètre. Lorsqu’il chante le paysage de son enfance, ce sont les champs à perte de vue, la forêt, la baie Georgienne, le ruisseau de Lafontaine. Ses premières chansons reflètent une grande nostalgie pour le ciel de Lafontaine.

Ces thèmes font rapidement place à un style musical plus urbain. Pourtant, même si aujourd’hui il se sent bien ancré à Montréal, il revient toujours à sa «bulle», ses champs, son ruisseau, sa famille, et la grande famille qu’est Lafontaine.

J’espère inciter ceux qui veulent continuer dans le métier à suivre leur passion.

Il vient se ressourcer et retrouver son enseignant et mentor, Neil Lefaive, qui l’a accompagné dans ses premiers pas de chanteur professionnel et l’a lancé avec une «carte de visite» en enregistrant son premier disque.

«Neil Lefaive est un homme spécial, un enseignant passionné et un obsédé de musique», déclare M. Robitaille. Alors, même s’il s’intéressait peu aux études – il était un élève plutôt médiocre, de son propre aveu – l’approche et les méthodes pédagogiques de Neil Lefaive l’ont «accroché».

«Neil misait beaucoup sur la musique pop, pas juste sur la théorie ou la musique classique. Et puis, il avait développé ses propres techniques, et des techniques d’enseignement de l’histoire de la musique. Il ne lisait pas dans un livre; ça venait de lui-même. C’était plus inspirant.»

Natif de Penetanguishene, Neil Lefaive débute sa carrière professionnelle comme batteur à l’âge de 13 ans. Fort d’une longue tradition familiale dans le folklore canadien-français et la musique religieuse, il poursuit une formation classique en piano jusqu’à l’examen de 8e année du Conservatoire royal, puis fait des études en musique à l’Université Western Ontario.

Tout en poursuivant sa passion pour la musique et le spectacle, M. Lefaive achève ses études de français à l’Université Laurentienne de Sudbury avant d’obtenir son baccalauréat en éducation à l’Université d’Ottawa. En même temps, il forme le groupe Par Hasard, fait des enregistrements pour Radio-Canada et paraît sur la scène de TVO. Une carrière musicale s’offre à lui, mais M. Lefaive privilégie la vie familiale, la stabilité et l’enseignement.

En 1980, il commence sa carrière à l’école élémentaire catholique Frère-André à Barrie, comme titulaire de classe de français pendant deux ans, puis comme enseignant de musique les sept années suivantes.

Lorsque le poste d’enseignant de musique à l’école secondaire Le Caron lui est offert en septembre 1989, M. Lefaive réalise enfin son rêve d’allier ses deux passions et de mettre à profit son expérience pour aider ses élèves à assurer la relève.

Neil Lefaive, EAO, a su nourrir le talent de Damien Robitaille.

Grâce à une décision historique du juge Sirois en 1986, ordonnant aux conseils scolaires de remédier à une inégalité historique, l’école secondaire Le Caron, qui compte à peine 300 élèves, est dotée des mêmes ressources et équipements que l’école secondaire anglaise, beaucoup plus grande. M. Lefaive dispose donc d’un studio d’enregistrement et des outils nécessaires pour offrir une éducation musicale très avancée et un soutien professionnel à ses élèves. Il fait appel en plus à ses ressources personnelles et à ses réseaux professionnels pour leur ouvrir des portes dans l’industrie.

M. Lefaive consacre sa propre compagnie de disques créée en 1991, Musique Par Hasard Music, à la promotion des jeunes artistes et groupes de la région, dont Brouhaha, Éric Dubeau, Les Chaizes Muzikales et Damien Robitaille. Ce dernier est peut-être l’élève qui l’aura le plus marqué, autant que lui-même l’aura influencé.

M. Robitaille reste reconnaissant envers Neil Lefaive pour avoir cru en lui et découvert son potentiel et sa passion. Mais ce n’est pas une relation à sens unique, affirme-t-il. «C’est comme un jeu de ping-pong. Lorsqu’un élève est réceptif et veut évoluer, l’enseignant est plus motivé. Si le prof donne et donne, et l’élève n’est pas motivé, ce n’est pas encourageant pour l’enseignant.»

M. Robitaille est très motivé. Il a grandi au sein d’une famille musicale, dans une région musicale : «La chanson chez nous, ça se passe en famille, à l’église, autour des feux de camp, partout où les gens se réunissent», explique-t-il.

Lorsqu’il entre à l’école secondaire Le Caron, ayant déjà pris quelques leçons de piano, c’est tout naturel qu’il s’inscrive au cours de musique de Neil Lefaive.

«Quand Damien est apparu dans ma classe, c’était un enfant extrêmement timide; il avait peur de parler en public, dit M. Lefaive, mais il montrait déjà un talent certain. Il avait entendu beaucoup de musique classique grâce à la collection de disques de son père, et il jouait quelques accords de guitare qu’il avait appris sur la petite Gibson que son père lui avait léguée. Inspiré par les Beatles, il composait des chansons populaires.»

Damien est en 11e année quand il décide de faire carrière en musique. Neil Lefaive lui prête une série de livres pour piano du Conservatoire royal pour se préparer à étudier le piano plus sérieusement.

Cependant, Damien Robitaille doit surmonter sa timidité pour pouvoir monter sur scène. Neil Lefaive l’encourage alors à se présenter au conseil des élèves et lui donne des conseils pour parler en public. Bien que terrifié à l’idée de faire un discours, Damien se laisse persuader. Si nul ne saurait affirmer que c’est grâce à ce discours qu’il a remporté l’élection (personne d’autre ne s’étant présenté), ce qui est certain, c’est que le jeune Damien Robitaille semble s’être épanoui cette année-là. En tant que président du conseil des élèves, il annonce les fêtes, les anniversaires et les activités spéciales, chaque matin, devant toute l’école. Et c’est cette année-là aussi qu’il se découvre des talents et une passion pour la scène.

Damien Robitaille étudie ensuite le piano classique à l’Université Wilfrid-Laurier avant d’entamer sa carrière professionnelle.

Sur les conseils de Neil Lefaive, Damien compose pour la première fois des chansons en français et tente sa chance au concours Ontario Pop. Il ne se rend pas plus loin qu’aux auditions, mais M. Lefaive voit son potentiel et l’encourage à persévérer. Il le pousse à composer d’autres chansons et l’aide à enregistrer son premier disque, qui va lui servir de «carte de visite». Damien se présente encore au concours Ontario Pop l’année suivante et, cette fois-là, il se rend en finale et gagne une bourse pour étudier à la prestigieuse École nationale de la chanson de Granby, au Québec. En juin 2004, il en sort avec une plus grande maturité dans ses compositions musicales.

Le succès est instantané : quelques mois plus tard, il remporte six prix au Festival international de la chanson de Granby, dont celui des FrancoFolies et le prix Zoom sur la relève. Depuis, il accumule les honneurs : Prix Étoiles Galaxie, Lion d’Or de Montréal, Sacré talent de Radio-Canada, nomination aux prix Juno, prix Félix-Leclerc, trophée Félix de l’Association québécoise de l’industrie du disque, du spectacle et de la vidéo (ADISQ) et, cette année, un rôle d’acteur dans le film franco-ontarien La Sacrée, dont la diffusion en salle est prévue pour cet automne.

Ce succès, Damien Robitaille n’oublie pas qu’il le doit en partie à celui qui a su croire en lui et qui l’a poussé à trouver sa voix, et sa voie, dans le monde des arts de la communauté francophone. Lorsqu’il est couronné de cinq prix Trille Or à Ottawa en 2010, il a tenu à remercier d’abord cet enseignant remarquable qu’est Neil Lefaive.


Infos de dernière minute...

Au Gala des prix Trille Or de 2011, Damien Robitaille a gagné dans six des neuf catégories où il était en nomination : meilleur album, interprète masculin par excellence, artiste solo franco-ontarien s’étant le plus illustré à l’extérieur de la province, coup de cœur des médias, Prix SOCAN de l’auteur-compositeur par excellence et meilleur spectacle.