Acteur, scénariste et producteur de télévision depuis plusieurs décennies, Paul Gross est une figure de proue dans le monde du spectacle canadien.

M. Gross est bien connu pour sa prestation dans les séries télévisées Destination Sud, Slings and Arrows et Eastwick, ainsi que dans les films Quatre gars et un balai et Passchendaele, et pour ses innombrables rôles au théâtre. Il est reconnu autant pour son travail devant que derrière la caméra. Il admet toutefois préférer l’écriture de scénarios.

Si son nom est intimement lié au Canada, M. Gross a parcouru un long trajet avant d’être prophète en son propre pays. Né à Calgary, il a grandi au sein d’une famille de militaires. Sa famille a vécu en Angleterre, en Allemagne, au Canada, puis aux États-Unis, avant de revenir dans son pays natal. Il est essentiel pour un élève d’établir un lien avec un enseignant. D’après M. Gross, ce lien est vital pour l’enfant qui est forcé de déménager constamment.

«Je crois que tous les élèves doivent trouver cet enseignant capable de mobiliser leur énergie, dit M. Gross, de trouver la personne qui pourra les stimuler. Pour certains élèves, malheureusement, cette rencontre ne se fait pas.»

Pour M. Gross, cet enseignant remarquable, c’était Tim Jecko.

Tim Jecko – décédé en 2005 à l’âge de 66 ans d’une sclérose latérale amyotrophique (maladie de Lou Gehrig) – avait lui-même connu un certain succès, d’abord en tant que nageur olympique représentant les États-Unis aux Jeux d’été de 1956, à Melbourne, en Australie. M. Jecko n’a pas gagné de médaille, mais l’étudiant athlète a souvent détenu des records en natation à l’échelle de la National Collegiate Athletic Association des États-Unis et même à l’échelle mondiale.

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Tim Jecko aux championnats de l’Amateur Athletic Union en 1957

Après avoir enseigné l’art dramatique au secondaire pendant un certain temps – et c’est ainsi qu’il croisa le jeune Paul Gross – M. Jecko devint un acteur professionnel, jouant dans d’innombrables productions théâtrales et faisant quelques apparitions à la télévision.

«Je ne sais pas vraiment comment il en était venu à la profession d’enseignant», remarque M. Gross.

«Quand je l’ai rencontré, il enseignait dans une école secondaire appelée Yorktown, située à Arlington, en Virginie, explique M. Gross. C’était une excellente école, et il était un enseignant fantastique.»

Avant de faire la rencontre de M. Jecko, M. Gross souligne que son statut de bon ou de mauvais élève variait selon l’école qu’il fréquentait, compte tenu du nombre de fois qu’il a déménagé.

Or, M. Jecko était diplômé de l’école de théâtre de l’Université Yale. Il avait l’art de la scène dans le sang.

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«Tout dépend vraiment de l’école. Chaque école peut être bonne pour certains élèves, mais ne peut l’être pour tout le monde. C’est une question d’atomes crochus.

«J’ai eu de la chance, j’ai fréquenté quelques bonnes écoles. Quelques-unes moins bonnes aussi. Mais j’étais naturellement doué pour l’école et je n’ai jamais eu trop d’efforts à faire.

«J’avais une excellente mémoire, ce qui était un avantage considérable au secondaire, où tout était question de “par cœur”». On demandait par exemple : “Parlez-nous de la guerre de 1812”. On aurait pu aussi bien recopier un livre; on ne faisait que recracher l’information.»

Selon M. Gross, l’école dans laquelle il a rencontré M. Jecko était la meilleure qu’il ait fréquentée. «Cette école était vraiment extraordinaire; j’y ai eu trois ou quatre enseignants qui ont été une source d’inspiration, se souvient M. Gross.

Je crois que tous les élèves doivent trouver cet enseignant capable de mobiliser leur énergie. 

«Au fil du temps, je crois que la majorité des gens développent un certain respect pour tout le travail que les pédagogues accomplissent. C’est une profession extrêmement difficile; et encore plus difficile de nos jours.

«Tim Jecko nous accordait une grande marge de manœuvre, et il était vraiment talentueux, souligne M. Gross. Nous avons monté des pièces comme Les Contes de Canterbury et Docteur Faust, des choix de pièces peu orthodoxes, en fait.

«Quand j’y repense, je me dis : “Qui aurait poussé un groupe de jeunes en deuxième année de secondaire à jouer Docteur Faust?” Ce n’est quand même pas banal, et c’est démesurément ambitieux. Peu s’avanceraient sur cette voie. J’ignore même si Stratford a déjà tenté l’expérience.

«Il était fonceur. Comme travaux scolaires, il nous demandait de penser à notre scène de film préférée, d’en écrire le dialogue et de la jouer. Et c’est ce que nous faisions en classe. Je me souviens d’avoir joué la scène où Butch Cassidy et le Kid font le plongeon dans la rivière.

«Il était très enthousiaste, et aussi très drôle. Il était jeune. Il était davantage l’un des nôtres qu’un grand sage qui dispense ses préceptes.

«Difficile de déterminer quelle alchimie pousse les enseignants à fusionner avec certains élèves et pas avec d’autres. Cela m’échappe.

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«Son dévouement était remarquable. Il passait des heures en dehors de l’école, bien au-delà de ce qu’exigeait son poste. De ce que je me rappelle, presque tous ceux qui ont travaillé avec lui l’ont grandement apprécié.»

Selon M. Gross, le dévouement et la patience sont des qualités essentielles pour enseigner, mais il ajoute qu’il n’est pas un expert en la matière.

«Je ne m’aventurerais pas à donner des conseils aux enseignants, dit-il en riant. Je suis d’ailleurs un piètre enseignant. Lorsque je dois enseigner, je deviens impatient.

«Mais quand j’observe des pédagogues qui ont vraiment la vocation, je remarque qu’ils sont capables de faire abstraction de leur orgueil et d’être entièrement à l’écoute de leurs élèves. Je crois que les enseignants que j’ai moi-même trouvés remarquables possédaient cette qualité.

«J’imagine qu’il faut aussi du temps aux pédagogues pour venir à bout de l’indifférence qu’affectent les adolescents. Certains ados sont vraiment motivés, mais malheur à ceux qui oseraient le montrer!

«M. Jecko est décédé il y a quelques années, et je n’étais pas vraiment resté en contact avec lui, poursuit M. Gross. Mais dans les années 1990, il a communiqué avec moi par l’entremise des studios de production de Destination Sud, et je l’ai vu à Toronto.

«Il participait à un congrès. Il enseignait aux chefs d’entreprise comment prononcer des discours au conseil d’administration. Il était une sorte de coach; et c’était une de ses occupations secondaires. Les retrouvailles furent géniales. Nous avons soupé ensemble et passé un excellent moment.

«Oui, il savait toute l’admiration que je lui portais. Je l’ai dit à quelques reprises durant des entrevues aux États-Unis pendant le tournage de Destination Sud. Il s’est dit heureux d’entendre qu’il avait eu de l’influence sur moi.

«Je ne sais pas où j’aurais atterri autrement, affirme M. Gross. «En 6e, 7e et 8e année, j’étais attiré par les arts de la scène, mais je n’y pensais pas de manière cohérente, je ne me disais pas “quand je serai grand, je ferai du théâtre”. C’est M. Jecko qui a donné un sens à mon choix, et j’ai compris que je pouvais m’appliquer, apprendre et en faire mon métier. «C’est à lui vraiment que je le dois.»