Mandat

Cette chronique donne aux membres des renseignements sur certains aspects des responsabilités de l’Ordre à titre d’organisme d’autoréglementation et explique comment il s’en acquitte.
En tant qu’organisme de réglementation d’une profession autoréglementée, l’Ordre est tenu de communiquer clairement les normes d’exercice et de déontologie de la profession.
Le travail effectué par le comité des normes d’exercice de la profession et d’éducation est l’un des moyens par lesquels l’Ordre s’acquitte de cette responsabilité. Ce comité a participé à l’élaboration d’ateliers de rédaction de cas concernant les questions d’éthique.

Première étude de cas portant sur un dilemme éthique

L’initiation

Avec hésitation, je demande:

«De quel camp parlez-vous?

- C’est l’excursion d’orientation de trois jours de la 9e année. Ce sera l’occasion idéale de faire connaissance avec les élèves, déclare mon directeur.

- Ouais, ce sera ton initiation, glousse David, l’autre directeur adjoint.

- Je vois.»

Je commence déjà à me faire de la bile.

Je ne suis directeur adjoint que depuis deux semaines. Déjà, je dois partir avec trois cents élèves de 9e année, 40 monitrices et moniteurs choisis parmi les élèves de 12e année, 20 membres du personnel enseignant et un plan organisationnel digne d’une petite opération militaire. Le transport est assuré par un convoi de dix autobus scolaires. J’empoigne le flacon de comprimés contre les maux de tête que m’a remis David avant mon départ.

On me dit que les moniteurs sont la «crème de la crème». Leurs enseignants les ont choisis parmi quelque 80 postulants de 12e année. Paulette, l’enseignante responsable, a tout planifié avec soin. Elle semble bien gérer la répartition des passagers dans les autobus, le partage des chalets, les groupes devant participer aux activités, la rotation des groupes, les menus, les exercices de motivation et même des activités pour les jours de pluie.

Le premier jour se déroule sans problème ni blessure. Les élèves semblent s’amuser.

Le deuxième jour est pluvieux. En soirée, nous rappelons aux moniteurs leurs responsabilités. Tous les élèves doivent passer la nuit dans leur chalet et toute irrégularité doit être signalée aux membres du personnel. Le ciel s’ennuage de nouveau à la tombée de la nuit. Alors que je me prépare pour ma ronde à trois heures du matin, j’entends des voix au loin. Sans perdre de temps, je communique avec Paulette à l’aide de la radio portative et je pars enquêter.

C’est là que je vois des filles de 9e année que l’on pousse à marcher à la queue leu leu en direction d’un champ, au centre duquel elles doivent former un cercle. En tête de peloton se trouvent les moniteurs. J’entends ensuite les pas lourds des garçons de 9e année descendre la colline en courant, alors que les moniteurs, armés de lunettes de vision nocturne, comme celles des commandos, les pourchassent.

Le faisceau de ma lampe de poche éclaire les élèves de 9e année recouverts de crème à raser, de papier hygiénique et de pâte dentifrice. Je demande naïvement :

«Que se passe-t-il ici?

- Ne vous inquiétez pas, Monsieur. Nous promettons que personne ne sera blessé. Tout le monde s’amuse. C’est une tradition.» Les moniteurs semblent fiers d’avoir été les instigateurs de cette activité. Je reste bouche bée.

Comme nous arrivons au camp, un orage éclate, accompagné d’une pluie torrentielle, de coups de tonnerre et d’éclairs.

Paulette et moi commençons donc à inspecter chaque chalet pour nous assurer que tous les élèves sont de retour. Une panne de courant nous force à faire le tour de la propriété à tâtons, pour vérifier chaque chalet avec nos lampes de poche. Je suis convaincu que certains élèves sont perdus dans le bois. Nous tentons désespérément de faire le décompte des élèves et nous nous apercevons bien vite que les élèves ne dorment pas tous dans les chalets qui leur avaient été assignés.

Une heure plus tard, deux garçons de 9e année manquent toujours à l’appel. Les nerfs à fleur de peau, Paulette et moi organisons une battue avec les autres enseignants dans les bois environnants. Nous avançons à tâtons dans la noirceur et la boue en appelant les deux élèves.

Heureusement, nous les retrouvons après environ dix minutes. Chacune de ces minutes est une éternité. Les deux élèves avaient trouvé refuge dans les arbres, trop effrayés par l’orage pour retourner à leur chalet.

Il m’est impossible de décrire mon soulagement en constatant que tous les élèves sont de retour, sains et saufs. Certains tremblent encore. D’autres sont en colère. Quelques-uns pleurent. Je sens maintenant la rage monter en moi. Je n’arrive pas à croire que ces élèves de 12e année, avec qui nous avions tissé des liens si étroits et qui avaient gagné tout mon respect, aient pu être aussi irresponsables. Ils ont enfreint toutes les règles. Ils avaient été informés de nos attentes. Nous avions eu des réunions et des discussions. Ils nous avaient convaincus qu’ils étaient prêts à assumer leurs responsabilités.

Dans la matinée, je téléphone au directeur de l’école, qui communique avec le surintendant et la présidente du conseil de l’école. Les élèves de 9e année téléphonent à la maison. Nos entretiens avec les élèves de 9e année révèlent qu’on les a enduits de crème à raser et de pâte dentifrice, et «décorés» de dessins au marqueur, de papier hygiénique et de vernis à ongles. On découvre également qu’on les a forcés à sortir dans la nuit, à chanter et à lire des poèmes. On a attaché un garçon à un arbre avec du ruban adhésif.

Certains des élèves de 9e année ont attrapé un rhume. D’autres sont bouleversés à l’idée que les moniteurs leur en veuillent. D’autres encore n’arrivent pas à croire que les moniteurs, en qui ils avaient pleine confiance durant le jour, soient devenus hostiles pendant la nuit. Un certain nombre d’élèves de 9e année de différentes origines ethniques et culturelles ont déclaré avoir été pris à partie et avoir subi des traitements pires encore que ceux infligés aux autres élèves.

Les entretiens avec les élèves de 12e année révèlent qu’ils avaient eux-mêmes subi une initiation en 9e année. Ils mentionnent que cette activité se tient depuis au moins 25 ans. Plusieurs d’entre eux racontent que leurs parents avaient eux-mêmes participé à des rituels d’initiation. Ils insistent sur le fait que les élèves de 9e année s’attendaient à être initiés, comme le veut la tradition.

À l’école, les parents des élèves de 9e année exigent une enquête complète et réclament la démission des administrateurs scolaires qui ont laissé survenir une telle activité. Un groupe de parents demandent même que des accusations soient portées contre les personnes qui ont mis la vie de leur enfant en danger. Ils vont jusqu’à qualifier cet incident de voie de fait. Je n’arrive pas à croire que les parents aillent aussi loin. À contrecœur, je consulte des agents de police pour savoir si des accusations sont justifiées. Les parents des moniteurs de 12e année sont inquiets des conséquences possibles de cet incident. Ils soutiennent que leur enfant ne voulait aucun mal aux élèves de 9e année et plusieurs d’entre eux nous rappellent qu’ils ont, eux aussi, vécu la même expérience. Les élèves de 12e année étant sur le point de s’inscrire à l’université, leurs parents encouragent l’administration scolaire à adopter une démarche réfléchie et raisonnée par crainte de répercussions.

Certains enseignants ajoutent à la confusion. Alors qu’un groupe discute, j’entends les commentaires suivants : «Ce n’est qu’une séance d’initiation sans grande importance. Ça s’est toujours fait. C’est juste pour rire. Personne ne se fait mal. Rappelez-vous que ces élèves de 12e année sont les meilleurs.»

Je suis directeur adjoint depuis un mois seulement. Dans quoi me suis-je embarqué? J’ai l’impression que c’est moi qu’on est en train d’initier.

Réflexion sur la pratique éthique

1. Déterminez les responsabilités éthiques qui incombent aux pédagogues (direction, enseignantes et enseignants, direction adjointe et surintendant) à propos des élèves dans le présent cas.
2. Quels sont les principes ou normes éthiques qu’une école devrait avoir?
3. Explorez les questions qui touchent à la culture dans cette école (p. ex., pouvoir, privilège, tradition, silence).
4. Concevez un plan visant à développer le leadership éthique des élèves et des enseignants dans cette école.
5. Explorez les stratégies que l’équipe d’administration et les membres de la faculté pourraient utiliser pour maintenir des relations fondées sur la confiance avec les parents tout en traitant la situation de façon responsable et éthique.

Commentaires sur le cas

Ce cas me rappelle les propos de John Dewey : «Ce que le parent le meilleur et le plus sage souhaite pour son enfant, la collectivité doit le souhaiter pour tous ses enfants» [traduction libre]. Dans le cas à l’étude, les parents des élèves de 9e année «exigent une enquête complète» et les parents des moniteurs «sont inquiets des conséquences possibles» pour leurs enfants. Quand je m’arrête sur ce point précis, je me demande s’il existe un moyen d’amener tous les parents à se préoccuper de tous les élèves. La direction de l’école pourrait-elle organiser une rencontre durant laquelle tous les parents pourraient discuter des conséquences morales de cette expérience à la fois pour les moniteurs et les élèves de 9e année? J’imagine que cette conversation devrait être un forum où, comme le suggère Dewey, tous les parents se préoccupent des conséquences pour tous les élèves.

Kay Johnston, professeure au programme d’éducation et de la condition féminine, Université Colgate

Ce cas traite d’initiation à un poste de directeur d’école adjoint. À cet égard, il apparaît essentiel de mettre en œuvre des actions qui favorisent l’intégration des nouveaux administrateurs scolaires. Il s’agit, par exemple, d’assurer un accompagnement et un soutien adéquat de la part de l’équipe de direction déjà en place. De telles actions favorisent certainement le développement d’un leadership «fort» et «efficace» chez les jeunes directeurs d’établissement.

Stéphane Thibodeau, professeur, département d’éducation Université du Québec à Trois-Rivières

Je me demande s’il est possible de créer des espaces où les gens pourront tenir un véritable dialogue, raconter leurs histoires et trouver du réconfort de façon à redéfinir le cadre de leur école et à permettre la naissance de nouvelles histoires. Je ne suis pas certain que les stratégies axées sur la «présentation des faits» répondraient à ce besoin.

Pendant qu’elle cherche des stratégies pour aller de l’avant et entendre les versions de toutes les parties d’une façon qui puisse mener au changement souhaité, l’équipe administrative doit permettre la composition pour l’école qui déconstruit les événements passés et permet à chaque personne de faire partie de la nouvelle histoire et de s’y situer. On ne peut pas imposer une recomposition. Une histoire ne peut pas simplement remplacer l’autre, mais nous devons travailler à la création d’espaces propices au dialogue et à la divulgation des histoires de tous les participants.

Jean Clandinin, professeure et directrice, Centre de recherche pour la formation et le perfectionnement des enseignants, Université de l’Alberta