Mandat

Cette chronique donne aux membres des renseignements sur certains aspects des responsabilités de l’Ordre à titre d’organisme d’autoréglementation et explique comment il s’en acquitte.
En tant qu’organisme de réglementation d’une profession autoréglementée, l’Ordre est tenu de communiquer clairement les normes d’exercice et de déontologie de la profession.
Le travail effectué par le comité des normes d’exercice de la profession et d’éducation est l’un des moyens par lesquels l’Ordre s’acquitte de cette responsabilité. Ce comité a participé à l’élaboration d’ateliers de rédaction de cas concernant les questions d’éthique.

Deuxième étude de cas portant sur un dilemme éthique

De vrais petits anges

«Mais Madame Beauchemin:

nous laisse faire, elle!»

Ce que je suis fatiguée d’entendre cette phrase-là! Il s’avère que ma collègue et moi avons des attentes très différentes envers nos élèves. Impossible de l’ignorer. Armée de patience, j’attends qu’ils se rassoient avant de continuer mon cours.

Ma classe de 5e année compte 27 élèves et je suis certaine que la plupart d’entre eux finiront par devenir avocats. Le fait est que j’ai rarement vu un groupe aussi partisan de l’argument.

«Écrivez au crayon s’il vous plaît pour corriger vos erreurs plus tard», leur dis-je.

«Mais je préfère écrire au stylo. Mes parents m’ont acheté toute une panoplie de stylos de toutes les couleurs», hurle Julie du fond de la classe.

«Les quatre pieds de ta chaise doivent toucher le sol», je rappelle à Sandrine.

«Mais Sandrine ne va pas tomber», rétorque Jacqueline, sa camarade.

«Il est interdit de frapper qui que ce soit dans cette classe.», dis-je à France.

«Mais j’ai le droit de me défendre. Je connais mes droits!», me lance France du tac au tac.

Ils ne laissent rien passer.

Ils entrent dans ma classe tous les après-midi après avoir passé la matinée libres de folâtrer dans un environnement où les devoirs sont pratiquement inexistants et les A+, faciles à obtenir. Trouver l’énergie et l’attention indispensables à l’acquisition d’une langue seconde demande des efforts dont bien des élèves pensent pouvoir se passer. Pourquoi devraient-ils travailler fort l’après-midi, se concentrer péniblement pour apprendre alors qu’ils obtiennent des notes fabuleuses en s’amusant toute la matinée?

Bonne question! Pourquoi l’apprentissage devrait-il ressembler à du travail et non pas à une activité de loisir? C’est également mon point de vue. C’est pourquoi je passe toujours beaucoup de temps à préparer mes cours et mes activités pour équilibrer le besoin d’avoir du plaisir tout en apprenant.

Toutefois, le programme de 5e année est chargé et il est difficile, même dans les meilleures circonstances, de tout enseigner en une demi-journée. Le programme est divisé en deux : arts du langage, sciences, éducation physique et musique en anglais, arts du langage, études sociales, mathématiques et art en français pour tous les élèves du cycle moyen inscrits au programme d’immersion. Reconnaissant la rigueur du programme, la direction a décrété que la partie en français se déroulerait le matin lorsque les élèves sont moins fatigués et plus éveillés.

Cela me semblait être une excellente idée. Malheureusement, l’enseignante qui s’occupe de la partie en anglais, Mme Beauchemin, ne travaille qu’à temps partiel le matin. Tant pis pour moi.

Mme Beauchemin est une femme agréable qui a à cœur de hausser l’estime de soi chez ses élèves. Ceux-ci n’ont jamais tort et ne sont jamais corrigés. Ils font ce qu’ils veulent et décrochent des notes mirobolantes. Je me demande souvent comment il est possible d’obtenir 1 200 points supplémentaires pour un devoir qui n’en valait que 100. Extraordinaire. Vraiment extraordinaire. Quoique le bien-fondé de sa méthode d’enseignement m’échappe, certains diront pourtant que Mme Beauchemin a su créer un environnement d’apprentissage viable pour certains élèves dans leur langue maternelle. Toutefois, je pense que c’est une approche qui n’est pas valable dans l’apprentissage d’une deuxième langue. Je sais par expérience que les élèves doivent faire beaucoup d’efforts pour acquérir une deuxième langue avec l’appui de leur enseignante. Ils parviennent à établir un vocabulaire de base, à manipuler la syntaxe et à communiquer dans leur nouvelle langue au prix d’un gros effort de concentration. Bien que les élèves désirent se comporter l’après-midi avec le même laisser-aller que durant la matinée, je ne suis pas d’accord.

Très vite, donc, je deviens l’enseignante «malcommode» et les «Mais Madame Beauchemin nous laisse faire, elle!» se multiplient et me fatiguent. Le comportement que je croyais universel en classe, c’est-à-dire écouter la personne qui a la parole, faire ses devoirs du mieux possible et les rendre à temps, devient rapidement une lutte quotidienne.

Moi qui n’ai jamais eu de problèmes à établir de bonnes relations avec mes élèves, je suis soudain «la méchante». Moi qui n’ai jamais eu de problèmes de communication entre la maison et l’école, j’ai soudain les parents sur le dos qui réclament des explications sur les difficultés que leurs enfants semblent avoir dans ma classe seulement. Je commence à appréhender de rentrer dans ma propre salle de classe.

Le soir, chez moi, je ressasse le problème comme un chien s’acharne sur un os. Que faire? Que puis-je donc faire? Quel dilemme! J’ai tendance à être en partie d’accord avec mes élèves. Pourquoi l’apprentissage devrait-il ressembler à du travail? Ne devrait-il pas plutôt être motivé par la curiosité et le désir d’apprendre? Mais où est donc cette curiosité et comment la stimuler chez des élèves qui ne posent pas de questions ou qui ne s’intéressent même pas à celles que je pose? Comment arriver au stade de la recherche avec des élèves qui refusent de discuter ce qu’il faut chercher?

Que faire? Résoudre le problème. Énoncer clairement des attentes. Expliquer ce qu’est l’écoute. Ce qu’on entend quand on écoute? Ce qu’on ressent? Conclure une entente avec les élèves. Utiliser des techniques d’apprentissage coopératif. Tenir des réunions de classe. Essayer de faire de l’humour. Acheter leur écoute! Je continue de chercher des moyens de sortir de ce cercle vicieux. J’essaye toute une gamme de solutions, avec plus ou moins de succès.

J’en conclus qu’il est temps de prendre le taureau par les cornes et d’aller m’entretenir avec ma collègue. Nous pourrions toutes les deux rajuster notre tir et coopérer suffisamment pour alléger la tension dans la classe. C’est donc avec les meilleures intentions du monde que je décris la situation à Mme Beauchemin.

«Je suis désolée d’entendre que vous avez tant de problèmes, ma chère. Peut-être sont-ils fatigués l’après-midi. Je dois dire que ce sont de véritables petits anges le matin avec moi!», déclare-t-elle, rejetant toute responsabilité.

Chaque fois que j’essaie d’aborder la question de l’effet de nos styles d’enseignement opposés sur les élèves, je reçois invariablement la même réponse. Mme Beauchemin est charmante, mais reste intransigeante.

Forcément, les problèmes deviennent tels que l’affaire monte aux oreilles de la direction. La directrice adjointe est une jeune femme dynamique et avertie, qui a su établir d’excellents rapports avec les élèves et le corps enseignant. De plus, elle est passée maître dans l’art de répondre aux questions des parents qui veulent savoir pourquoi leurs enfants n’obtiennent que des notes passables en français alors qu’ils démontrent un génie époustouflant en anglais. Leurs appels téléphoniques prennent la forme d’une litanie de plaintes : ce n’est pas juste, cela n’a aucun sens. Le programme ne serait-il pas trop difficile?

Afin de pouvoir évaluer la situation et d’y remédier, la directrice adjointe passe un certain temps avec moi à parler de la situation pour recueillir autant d’informations que possible. Elle observe la classe pendant plusieurs matinées et après-midi. Puis elle s’adresse à la classe et discute, en détail, en présence de Mme Beauchemin et de moi-même, de l’apprentissage visé par le programme.

Finalement, je me sens valorisée et quelque peu vengée par l’approche de la direction à la fois envers la classe et le problème.

La directrice adjointe confirme que je ne suis pas la seule source de problème. Cela m’apaise et je suis suffisamment optimiste à l’idée d’effectuer des changements positifs. Et soulagée, je le dis bien sincèrement.

Mme Beauchemin soupire et me dit en souriant : «Mais ils ne me causent pas le moindre problème à moi, ma chère.»

Réflexion sur la pratique éthique

1. Déterminez quels sont les éfis éthiques qui existent dans cette classe et discutez-en. 2. Explorez les dilemmes auxquels font face les enseignantes qui partagent cette classe.
3. Discutez des expériences des élèves.
4. Analysez la philosophie de l’enseignement de chacune des enseignantes.
5. Explorez les responsabilités et obligations éthiques qui incombent aux enseignantes et à la direction de l’école relativement aux élèves de cette classe.

Commentaires sur le cas

Voilà un scénario trop simpliste dont les futurs enseignants devraient se méfier. Quel est le véritable problème dans cette histoire? Comme le dirait Lee Shulman, de quel genre de cas s’agit-il? Il faut d’abord analyser ce cas en approfondissant davantage que ne l’a fait notre protagoniste. Il serait logique de commencer par les réactions des élèves face aux directives de l’enseignante. Les arguments des élèves et les ennuis qu’ils lui causent nous portent à croire que l’enseignante n’a pas obtenu la collaboration des jeunes. L’enseignante attribue l’attitude des élèves à la permissivité de Mme Beauchemin. Nous devons toutefois demander à notre héroïne quelles mesures elle a prises pour établir les règles de comportement dans cette classe en début d’année. L’enseignante dit qu’elle a tenté de résoudre le problème à l’aide de diverses techniques de gestion de classe. Une analyse approfondie montre que l’enseignante n’a pas établi les règles assez tôt.

Rita Silverman, professeure, École d’éducation, Université Pace, New York

Les valeurs des deux enseignantes semblent diamétralement opposées. L’une insiste sur les normes, l’effort, le respect des règles, l’autre, sur les relations, la pensée créative et le plaisir de l’apprentissage. Elles tiennent toutes deux à maintenir leur intégrité professionnelle respective. Au fond, elles semblent toutefois animées d’un même engagement authentique envers le bien-être des élèves. Et c’est peut-être là le point commun qui servira d’amorce à un éventuel partenariat.

Ron Wideman, doyen associé de l’éducation, faculté d’éducation, Université Nipissing

L’étude de cas De vrais petits anges illustre à merveille la complexité de la gestion d’une classe où l’enseignement se fait dans deux langues et par deux personnes – l’une qui enseigne l’anglais le matin, l’autre le français en après-midi. La situation se corse lorsque l’histoire vécue et racontée par l’enseignante anglophone a une incidence marquée sur celle que vivent et racontent les élèves de 5e année et, par ricochet, sur la relation pédagogique et personnelle de ces élèves avec leur enseignante de français, narratrice du récit.

Cheryl J. Craig, professeure agrégée, collège d’éducation, Université de Houston, Texas