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Articles de fond

Le courage d'enseigner en Afghanistan

Bien que les écoles soient ouvertes, les menaces de mort persistent.

de Sally Armstrong  

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Transition à l'enseignement : Les perles rares du marché du travail

de Gabrielle Barkany et Frank McIntyre

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Transition à l'enseignement : Le meilleur et le pire

de Brian Jamieson et Frank McIntyre  

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Transition à l'enseignement : L'aide pour le nouveau personnel se fait attendre

de Brian Jamieson et Frank McIntyre  

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Normes révisées

de Lois Browne  

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Nouveaux programmes pour devenir enseignant

Des étudiantes et étudiants en parlent

de Francis Chalifour

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Revivre Vimy

Dave Robinson, enseignant de Port Perry, guide 3 600 élèves vers le lieu historique.

de Leanne Miller  

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Le courage d'enseigner en Afghanistan

Le principal dilemme auquel font face les enseignantes et enseignants de l'Afghanistan a peu à voir avec les élèves, les fournitures, les salaires, les heures de travail et l'équipement.

Il s'agit de la peur de se faire couper la tête pour avoir enseigné aux enfants.

de Sally Armstrong

Photos de Lana Slezic (sauf si autrement indiqué)

 

Une classe de 60 élèves n'est pas pour décourager un enseignant en Afghanistan. Le nombre insuffisant de chaises, de tableaux et de manuels n'est pas non plus ce qui le démoralise. En fait, le problème auquel les enseignants en Afghanistan font véritablement face concerne peu les élèves, l'équipement, le salaire ou les heures de travail. Ce qui les inquiète sont les lettres de menaces de mort que des Talibans glissent sous leur porte durant leur sommeil. Ces lettres les préviennent des conséquences qu'ils subiront s'ils continuent d'enseigner. Les nouvelles qui montrent des enseignants et des directeurs d'école assassinés, accusés d'avoir enseigné aux enfants à lire et à écrire, voilà ce qui atteint le moral des enseignants en Afghanistan.  

Sauf quelques rares exceptions, cela ne les arrête pas. Après 23 ans de guerre civile et cinq ans de théocratie médiévale et brutale des Talibans ayant entraîné la fermeture de toutes les écoles du pays, l'Afghanistan doit maintenant miser sur l'éducation. Cependant, l'enjeu est grand : bien que la clé du changement se trouve entre les mains des enseignants, les hommes de main du Taliban souhaitent leur mort.

Aujourd'hui, six millions d'élèves, dont deux millions de filles, sont de retour en classe. Aucun recensement n'a été fait en Afghanistan, mais on estime que la population se situe entre 22 et 25 millions. L'espérance de vie étant de 40 ans dans ce pays agité, on peut déduire qu'un grand nombre d'élèves n'a toujours pas droit à l'éducation. Pour que la situation change, il faut apporter des améliorations sur le plan de la sécurité, du budget et du personnel.

Lorsque le Taliban fut évincé en novembre 2001 et qu'un nouveau gouvernement temporaire fut formé, Sima Samar, la vice-première ministre à l'époque, avait déclaré : «On ne peut pas se permettre d'attendre que les écoles soient reconstruites. Puisqu'il n'y a pas d'écoles, assoyez les enfants sous un arbre. Commencez les cours aujourd'hui.»

Programme Breaking Bread for Women

Fait déconcertant, le gouvernement n'avait pas assez d'argent pour payer les enseignants. Certaines écoles ouvraient, mais la majorité restait fermée. C'est alors qu'une Canadienne nommée Susan Bellan a tenté une expérience qui est devenue un véritable succès.

«Je voulais aider, mais je ne savais pas comment, s'est rappelée Mme Bellan, quand je lui ai parlé dans sa boutique Timbuktu, à Toronto. Je me suis dit que si je trouvais un moyen de ramasser de l'argent pour payer les enseignants, ils pourraient faire toute une différence dans la vie des jeunes Afghanes qui n'ont pas droit à l'éducation et, éventuellement, dans le rétablissement du pays.»

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Aujourd'hui, six millions d'élèves sont de retour sur les bancs d'école de l'Afghanistan. Deux millions d'entre eux sont des filles.

Elle a rassemblé une douzaine d'amis à un repas-partage et a demandé à chacun d'entre eux de remettre un chèque de 75 $. Son but était de recueillir suffisamment de fonds pour payer le salaire annuel d'une enseignante afghane, soit environ 750 $. Depuis, l'idée s'est répandue à toute vitesse au Canada et c'est ainsi qu'est né Breaking Bread for Women (www.breakingbreadforwomen.com). Aujourd'hui, plus de 75 000 filles en Afghanistan sont inscrites à l'école grâce à la détermination de cette Torontoise.

Le lever du soleil

Les écoles parrainées par le programme Breaking Bread for Women sont dispersées un peu partout en Afghanistan. Vers la fin de l'automne 2003, j'ai visité une école à Jaghori, dans les régions montagneuses au centre de l'Afghanistan, afin de vérifier l'efficacité de la formule. 

Quand je suis arrivée dans l'école mal éclairée à sept heures du matin, il y faisait un froid à vous couper le souffle. D'après le surintendant du secteur, les enfants marchent pendant des heures pour se rendre à l'école et certains arrivent bien avant le début des classes, à huit heures.

Alors que le soleil pointe le bout de son nez, un paysage remarquable s'offre à nous. Des élèves arrivent de partout : des collines, des vallées, en groupes de deux, de quatre, le long des sentiers et des chemins poussiéreux. Tels des pingouins dans leur robe d'école noire et leur foulard blanc, ces jeunes enfants et adolescents portent le poids du Taliban impitoyable qui interdit l'enseignement aux filles. Enfouis dans leurs âmes et leurs petits cartables se trouvent les rêves et les espoirs de toute une génération.

«Elle a rassemblé une douzaine d'amis à un repas-partage et a demandé à chacun d'entre eux de remettre un chèque de 75 $.»

Les enseignants de l'école qui compte 17 salles se réunissent devant la porte en attendant que leurs élèves arrivent. À l'entrée de la propriété fermée, un vieil homme tire sur une corde attachée à un disque de fer antique juché en haut de la porte. Bong! Bong! Bong!

La rentrée des classes n'a jamais été aussi marquante. 

Les 1 950 filles qui fréquentent l'école Shuhada prennent, tour à tour, des cours de 8 h à 11 h 30 et l'après-midi de 13 h à 16 h 40. Quelque 25 km plus loin, 1 000 autres élèves suivent le même horaire à l'école Shuhada Bosaid, également financée par le programme Breaking Bread for Women. Les élèves âgés de 6 à 12 ans n'étaient jamais allés à l'école. Les Talibans avaient interrompu l'éducation des adolescents au palier élémentaire.

Le nombre d'élèves par classe varie de 60 à l'élémentaire à 45 au secondaire. Il est difficile de ne pas remarquer l'enthousiasme contagieux dans la salle de classe, où les applaudissements retentissent à chaque bonne réponse.

Les élèves et les enseignants sont engagés. «Savoir lire et écrire ne suffit pas, explique la directrice Habiba Yosufi. Mes élèves pourront aller où ils veulent avec leurs connaissances.» Au nom des 35 enseignants qui travaillent avec elle, Mme Yosufi affirme : «On ne pourrait pas faire ce qu'on fait sans les dons des femmes canadiennes».

Promesse et présidents

Je m'étais tellement habituée aux visages effrayés et aux regards furtifs pendant la période haineuse du Taliban que je m'attendais à ce que les enfants détournent les yeux en me croisant dans l'école. Au contraire, ils s'arrêtent sur le pas de la porte où je me trouve et me demandent ce que je fais là, avec ce sérieux qui rend les enfants si attendrissants. Sur le seuil de la porte de l'école qui leur promet un avenir, ils partagent leurs rêves avec moi.

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«J'apprendrai. Ensuite, je veux être astronaute.»

L'enthousiasme de Wahida, 10 ans (à l'avant), et de ses camarades de classe est difficile à ignorer.

Photo : S. Armstrong

Avec ses yeux verts pétillants et ses cheveux blonds qui sortent de son foulard de travers, Wahida (elle n'a pas de nom de famille comme de nombreux Afghans), une fillette de 10 ans, me dit : «J'apprendrai. Ensuite, je veux être astronaute.» C'est tout de même étonnant de la part d'une fille à qui on avait interdit de sortir de la maison pendant les cinq années d'obéissance aux règlements des Talibans. Elle ne connaissait presque rien du monde extérieur avant qu'on ne lance des bombes chez elle pour se débarrasser des terroristes, en septembre 2001 .

Fatima Anwary, une belle jeune fille de 16 ans aux cheveux foncés et aux yeux bruns de 12e année, déclare : «Je vais changer l'Afghanistan. Pour y arriver, je vais m'instruire. Le changement vient avec les connaissances.» Et la petite Parwana, 6 ans, d'ajouter : «C'est mon école. Quand je serai grande, je serai quelqu'un.»

Je lui demande : «C'est qui, ce quelqu'un?»

«La présidente de l'Afghanistan», répond-elle, le plus simplement du monde.

Assurer l'avenir

Lors d'une récente visite en Afghanistan, je suis retournée dans une école à Kaboul et j'ai trouvé des classes remplies d'enfants voulant devenir «quelqu'un». Les mêmes problèmes déconcertants se posaient. Les enseignants vous diront que la sécurité est le plus gros problème. Même si la révolte du Taliban concerne les quatre provinces du sud, elle suscite la peur dans tout le pays. «Rien ne fonctionne sans la sécurité, ni les écoles ni les systèmes judiciaires, et certainement pas le bien-être des citoyens», explique Mme Samar, qui est maintenant directrice de la Commission indépendante des droits de la personne d'Afghanistan.

Les soldats canadiens stationnés dans le district de Kandahar, la plus dangereuse mission de tout le pays, sont témoins de son corollaire.

Le brigadier-général canadien David Fraser, commandant de l'OTAN pour les provinces du sud, affirme que la sécurité dans la région est nécessaire pour que les écoles restent ouvertes et que les enseignants puissent travailler sans danger. «Nous sommes ici pour construire, pour faciliter et pour redonner ce pays aux Afghans. Je passe la plus grande partie de mon temps à discuter avec des personnes âgées, des soldats et des policiers, et à leur demander ce qu'on peut faire pour les aider.»

«On ne pourrait pas faire ce qu'on fait sans les dons des Canadiennes.»

Les écoles bombardées, les villageois terrifiés, l'absence de filles et de femmes dans les places publiques et les lettres de menaces de mort nocturnes aux enseignants sont parmi les problèmes que les soldats rencontrent pendant leur patrouille journalière.

«Mais avant même que cette sécurité soit établie, explique Mme Samar, nous devons nous concentrer sur la formation des enseignants». Une visite dans les classes d'Afghanistan montre clairement cette nécessité. La plupart des personnes qui enseignent sont celles qui ont terminé leur secondaire plutôt que les professionnels qui possèdent une formation en enseignement. La méthode utilisée est encore l'apprentissage par cœur. Les enseignants montrent du doigt une lettre au tableau et 60 élèves lancent la réponse à haute voix, et ce, sans arrêt. Ils ne connaissent pas les problèmes de difficultés d'apprentissage, les concepts comme les programmes adaptés en fonction de l'âge et les examens normalisés.

Voir le monde

Dans les classes d'aujourd'hui, les élèves déjouent ces obstacles. À peine ont-ils appris à écrire qu'ils s'exclament : «C'est l'heure de la technologie. On veut des ordinateurs. On veut faire partie du monde et naviguer dans l'internet.»

Cette attitude s'est aussi répandue chez les adultes, qui sont nombreux à suivre des cours de littérature. Avec un taux d'analphabétisme de 85 %, apprendre à lire et à écrire est devenu la nouvelle panacée pour les Afghans, qui comparent l'analphabétisme à la cécité. Lorsqu'on lui a demandé d'expliquer le lien, une femme a répondu d'un ton neutre : «Comme je ne savais pas lire, je ne pouvais pas voir ce qui se passait.»

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La principale méthode est l'apprentissage par cœur. Mais l'enthousiasme se lit sur tous les visages.

En moins d'une douzaine de mots, elle décrit les causes profondes pour lesquelles les brutes politiques rejettent l'éducation – le savoir des gens pourrait être une menace à leur pouvoir.

Les problèmes en Afghanistan sont toujours immenses, mais certains signes montrent que l'éducation va bientôt devenir une priorité. Chris Alexander, représentant spécial adjoint des Nations Unies, croit qu'avec Haneef Atmar au ministère de l'Éducation, les enseignantes et enseignants, les élèves et les écoles obtiendront l'attention dont ils ont sérieusement besoin.

«Elle décrit les causes profondes pour lesquelles les brutes politiques rejettent l'éducation – le savoir des gens pourrait être une menace à leur pouvoir.»

«La menace de la prise de pouvoir des conservateurs islamiques orthodoxes aux opinions religieuses réductrices attisera la flamme, explique Alexander. Mais il y a une communauté beaucoup plus grande qui rejette cela. Ici, les gens ordinaires veulent voir l'éducation, la reprise de la place des femmes dans la société et de la place des Afghans dans le monde. Avec M. Atmar comme ministre, il va y avoir du progrès. C'est à surveiller.»

Ce ne sera pas la première fois qu'on donnera aux enseignants la responsabilité de changer le cours d'un pays et le destin de ses citoyens.

Aristote disait : «L'éducation a des racines amères, mais ses fruits sont bien doux.»

Breaking Bread for Women

Le site web du programme Breaking Bread for Women explique comment organiser une levée de fonds pour les enseignantes et enseignants en Afghanistan et comment obtenir des reçus aux fins de l'impôt.

Le site comprend des observations sur diverses activités qui se déroulent dans le pays et donne des détails sur le personnel enseignant et les élèves que cette initiative a supportés.

Pour plus d'informations, visitez www.breakingbreadforwomen.com.

Aide et Éducation en Afghanistan

UNICEF (Fonds des Nations Unies pour l'enfance)

  • Mandaté par l'Assemblée générale de l'ONU pour défendre les droits des enfants, répondre à leur besoins essentiels et accroître leurs chances.
  • En Afghanistan, l'UNICEF se penche surtout sur la protection civile, l'intervention en cas de catastrophes naturelles, la santé, la démobilisation et la réintégration des enfants soldats, et l'éducation.

Deux millions d'enfants en âge d'aller à l'école élémentaire ne sont pas scolarisés. L'écart entre les sexes diminue, mais le taux de scolarisation des filles est toujours à la traîne. L'UNICEF et ses partenaires ont formé 30 000 enseignantes et enseignants, et fourni du matériel pédagogique à 4,87 millions d'élèves. Dans les régions dépourvues d'écoles, on a offert des tentes, de la formation à l'enseignement et du matériel d'apprentissage afin de permettre à plus de 250 000 enfants d'apprendre de façon informelle. Plus de 500 000 filles se sont inscrites à l'école pour la première fois en 2005.

www.unicef.org

UNESCO (Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture)

  • En Afghanistan, l'UNESCO appuie la formation à l'enseignement, la reconstruction d'écoles, des programmes de littératie, ainsi que les technologies de l'information et de la communication dans les écoles.

L'Afghanistan possède le taux d'alphabétisation le plus faible du monde. On estime que 48 % des Afghans et 78 % des Afghanes de plus de 15 ans ne peuvent ni lire ni écrire. Le projet Literacy and Non-formal Education Development in Afghanistan (LAND AFGHAN) s'efforce de monter un réseau national d'enseignantes et d'enseignants en compétences linguistiques formés pour enseigner des méthodes modernes non formelles. Le personnel du projet a élaboré un programme d'études en littératie au niveau national avec des pédagogues afghans.

www.unesco.org