Ian Malcolm, EAO, l’enseignant remarquable de Chilina Kennedy
de Richard Ouzounian
«Vas-y, t’es capable!»
C’est ce que Chilina Kennedy s’est dit avant chacune des représentations au Festival Shakespeare de Stratford, où elle interprétait le rôle-titre dans Evita et celui de Lois Lane dans Kiss Me, Kate.
C’est le mantra qu’elle utilise depuis 16 ans, depuis que son professeur de théâtre, Ian Malcolm, EAO, lui a enseigné au Kingston Collegiate and Vocational Institute.
«J’entends encore M. Malcolm qui le répétait avant notre entrée en scène, puis qui frappait dans ses mains et c’était parti. Je m’adonne encore au même rituel. C’est vraiment le meilleur conseil qu’on puisse donner à un jeune acteur : sois préparé, vis le moment et fonce.»
À 32 ans, Chilina Kennedy est l’une des artistes les plus talentueuses sur la scène canadienne des comédies musicales. Elle a incarné Sophie dans la production américaine de Mamma Mia! et passé plusieurs années au Festival de Charlottetown, où l’auteur Don Harron a dit, en parlant de sa performance dans le rôle-titre d’Anne aux pignons verts : «C’est la meilleure performance que j’aie jamais vue.»
Ce n’est qu’en 2009, cependant, qu’elle a vraiment connu la gloire en incarnant Maria dans West Side Story à Stratford, une comédie musicale dirigée par Gary Griffin, vétéran de Broadway. C’était tout à fait normal que les critiques canadiens soient emballés, mais les Américains l’étaient tout autant. Le New York Times et le Chicago Tribune ont dit d’elle et de la production qu’elles étaient nettement supérieures à la reprise qui se jouait à Manhattan en même temps.
Selon M. Griffin, «Chilina est une actrice complète. Elle peut faire rire, pleurer, être violente et romantique dans une même scène, parce qu’elle n’a pas peur de foncer et qu’elle insiste toujours pour être vraie.»
Mme Kennedy attribue son succès à Ian Malcolm.
«Il m’encourageait sur tout et sa présence était réconfortante, se rappelle-t-elle. Ça m’est resté tout au long de ma carrière. Il était très ouvert, passionné et prenait le théâtre au sérieux, et il insistait pour que nous fassions de même.»
Maintenant retraité, M. Malcolm garde un souvenir vivace du «tourbillon» qui est arrivé dans sa classe de 10e année en 1994.
«Elle était pleine d’entrain et j’ai tout de suite constaté son plaisir et son bonheur de suivre un cours de théâtre. Ensuite, je me suis rendu compte de son énorme talent.»
Un des secrets du succès de M. Malcolm comme enseignant d’art dramatique était sa compréhension des relations interpersonnelles, lesquelles ont une plus grande incidence sur la performance d’un acteur que ses connaissances techniques.
«C’est très important que les jeunes acteurs développent la confiance et la responsabilité au sein d’un groupe, ajoute M. Malcolm. J’ai tout de suite constaté la compassion et la générosité de Mme Kennedy, c’est pourquoi j’ai tant eu confiance en elle.»
Elle est toute gênée d’entendre que M. Malcolm se souvient d’elle. «Je ne pensais pas comprendre M. Malcolm à l’époque. Je me sentais bien dans sa classe parce qu’il était encourageant, mais je n’étais pas sûre de pouvoir faire ce qu’il nous demandait.»
En tant que fille unique d’un brigadier-général des Forces armées canadiennes, Mme Kennedy a déménagé souvent pendant son enfance, du Canada à l’Angleterre, puis à l’Australie pour finalement revenir au pays.
Je me rends compte seulement maintenant à quel point il a eu une influence sur ma vie et ma carrière.
«J’ai appris jeune qu’on peut soit tendre la main pour qu’on vous la serre ou attendre qu’on vous tende la main, mais que c’est beaucoup plus simple si on tend la main en premier. C’est peut-être pourquoi M. Malcolm m’a tout de suite trouvée si enthousiaste», avoue-t-elle.
Outre son attitude positive et son talent naturel pour le chant, la danse et le jeu théâtral, son arme secrète était sa vivacité d’esprit, aux dires de M. Malcolm.
«Elle pouvait lire un texte et comprendre instantanément comment un personnage pouvait changer.»
C’était évident dans le genre d’œuvres que M. Malcolm confiait à ses élèves, comme des tragédies grecques et des textes d’Arthur Miller.
«Chaque pièce était témoin d’une époque, explique-t-il. Lorsqu’on demande aux élèves d’incarner des personnages plus vieux qu’eux, qui vivent à une autre époque et dans un autre pays et qui s’expriment dans un langage complexe, on les incite à se dépasser. Les plus talentueux, comme Chilina, relèvent le défi avec brio et se découvrent une passion pour le théâtre.»
Pour illustrer ses propos, M. Malcolm se reporte au jeu de Mme Kennedy dans la scène finale de West Side Story. Après avoir vu son amant se faire descendre et mourir dans ses bras, elle ramasse le pistolet et étonne les autres acteurs en récitant un discours empreint d’une profonde tristesse et d’une colère virulente. Elle a réussi à faire pleurer les spectateurs durant toute la saison dernière.
«La scène finale était digne de Chilina, affirme M. Malcolm. En classe, lorsqu’elle n’avait que 17 ans, elle a joué la reine Jocaste, une reine vouée à la ruine parce qu’elle épouse, sans le savoir, son fils, Œdipe. Elle possédait toute l’énergie pour jouer ce rôle et la maturité nécessaire pour exprimer le chagrin.»
Chilina Kennedy (au centre) a retrouvé son enseignant remarquable Ian Malcolm, ici accompagné de sa femme, Rosalind Malcolm, à l’ouverture de Kiss Me, Kate, à Stratford (2010).
Après avoir obtenu son diplôme en 1997, Mme Kennedy a poursuivi ses études au Sheridan College à Oakville. «J’ai perdu M. Malcolm de vue, mais une fois que je suis devenue actrice professionnelle, il est venu me voir et nous avons renoué notre amitié.
«Je l’ai apprécié à sa juste valeur beaucoup plus tard, admet-elle, un peu nostalgique. Je me rends compte seulement maintenant à quel point il a eu une influence sur ma vie et ma carrière.»
C’est au tour de M. Malcolm d’être mal à l’aise. «Une fois que j’ai réalisé son immense talent, il ne me restait qu’à lui offrir un autre grand défi et la laisser voler de ses propres ailes.»
Lorsqu’on lui a demandé s’il se doutait que Mme Kennedy deviendrait la star qu’elle est aujourd’hui, M. Malcolm a déclaré : «Je l’espérais, affirme-t-il en soupirant. Mais il coule beaucoup d’eau sous les ponts entre la 12e année et la vie adulte.»
Dans le cas de Chilina Kennedy, les leçons de l’un ont permis d’illuminer la vie de l’autre.