Cyber-profs à la rescousse

Une ressource pédagogique incontournable

de Jean-François Dugas

(de gauche à droite) 1er rang : Carine Golden, EAO; Angela Luca, EAO; Lyne Lussier, EAO ∕ 2e rang : Michel Démoré, coordonnateur du B. Éd. alternatif à l’Université Laurentienne; Anita Laprairie, EAO; Solange Marleau, EAO; Nathalie Normandin, EAO ∕ 3e rang : Fabienne Couillard-Stevens, EAO; Josée Lamontagne, EAO ∕ tout en haut : Diane Lataille-Démoré, professeure agrégée à l’École des sciences de l’éducation de l’Université Laurentienne; Nadia Lamothe, EAO; et Karim Bandali, EAO

La nouvelle de l’arrivée de cyber-profs.org s’est propagée comme une traînée de poudre. En un rien de temps, le nombre élevé d’utilisateurs a forcé le site web à prendre un format qui répond davantage aux besoins. Cyber-profs.org est l’histoire d’une double réussite, tant pour les administrateurs du site que pour les pédagogues qui en profitent.


«Le site nous donne toutes les informations nécessaires; c’est pratique, rapide et les données proviennent d’une source fiable.» C’est ainsi que Gisèle Lachance, EAO, enseignante à la maternelle et au jardin d’enfants à l’école élémentaire catholique Saint-Nicolas de Milton, qui en est à sa deuxième année d’enseignement, chante les louanges de cyber-profs.org. Et elle n’est pas la seule. En effet, un grand nombre d’enseignants ont profité des ressources du site à leur avantage et ne pourraient plus s’en passer.

Depuis trois ans, les enseignantes et enseignants de l’Ontario et même d’autres provinces canadiennes, voire de pays francophones du monde entier, peuvent consulter le site cyber-profs.org pour parfaire l’exercice de leur profession. Genre de vidéothèque scolaire virtuelle gratuite, cette ressource digne du xxie siècle s’avère un outil très prisé des pédagogues, en particulier ceux qui débutent dans le métier et qui sont à la recherche de conseils pratiques pour perfectionner l’art de l’enseignement.

Mais Mme Lachance n’était pas le genre d’utilisateur que les créateurs avaient en tête quand ils ont conçu cyber-profs.org. En effet, ce site web avait plutôt été élaboré pour les étudiantes et étudiants de l’École des sciences de l’éducation de l’Université Laurentienne de Sudbury, et plus particulièrement pour ceux du programme de formation à l’enseignement par Internet (Baccalauréat en éducation alternatif), un programme novateur et unique au Canada qui a vu le jour à l’été 2004.

Thierry Karsenti

 Nous avons choisi la technologie de YouTube parce que c’est un site bien connu. 

Ce programme à temps partiel, échelonné sur deux ans, reposait presque entièrement sur les technologies de communication et d’information. «Nombre de nos étudiants qui prenaient des cours en ligne avaient plus ou moins d’expérience rattachée à l’enseignement. Certains avaient fait de la suppléance ou avaient décroché des contrats d’enseignement, tandis que d’autres n’avaient aucune de ces expériences. La réalité n’était donc pas la même pour toutes les personnes inscrites au programme», explique Michel Démoré, coordonnateur du programme de baccalauréat en éducation alternatif et grand initiateur du projet Cyber-profs.

Afin de pallier aux différences dans les antécédents des étudiants, M. Démoré et sa conjointe Diane Lataille-Démoré, aussi membre du corps professoral de l’École des sciences de l’éducation de l’Université Laurentienne, ont élaboré le site cyber-profs.org avec l’aide de Thierry Karsenti, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les technologies de l’information et de la communication (TIC) en éducation.

Débuts

«Nous voulions simplement faire des vidéos pour situer le cours dans le programme et en profiter pour donner de l’information entourant le thème de chaque cours. C’est ainsi que tout a commencé», se rappelle M. Démoré.

Les premières vidéos étaient relativement modestes. Elles consistaient généralement en des entrevues avec des enseignantes et enseignants ou en la présentation de syllabus de cours, et elles étaient produites assez simplement, sans tambour ni trompette.

«Le contenu était beaucoup plus aride au début, indique M. Démoré. Et puis, nous avons vu le potentiel de venir renflouer, bonifier les vidéos avec des situations réelles en salle de classe. C’est alors que nous avons dépassé notre mandat initial d’aider les étudiants à mieux comprendre le contenu de chaque cours. Nous avons voulu surpasser ce premier objectif pour cibler davantage des stratégies d’enseignement dans les salles de classe.»

Du réel en salle de classe

«Nous nous sommes rendu compte qu’il manquait quelque chose à la formation à distance, ajoute M. Karsenti. Par le biais de nos sondages et enquêtes, il est devenu évident qu’il manquait aux étudiants à distance des exemples, c’est-à-dire l’équivalent d’expériences pratiques en salle de classe. Ils n’avaient pas accès à différentes perspectives, différents exemples ou différents modèles.»

Grâce à un financement du ministère de l’Éducation de l’Ontario, le trio a pu se lancer corps et âme dans le projet, mais aussi avec la ferme volonté de répondre aux besoins réels des futurs pédagogues. Les créateurs voulaient à tout prix éviter de présenter une version utopique d’une thématique quelconque avec des scripts joués par des acteurs, telles que les vidéos popularisées autrefois aux États-Unis.

«Avec des vidéos trop parfaites, on perd en authenticité; on perd la capacité de convaincre les spectateurs ou de leur montrer des possibilités», soutient Mme Lataille-Démoré. «On a voulu filmer des pédagogues qui n’avaient qu’une ou deux années d’expérience pour montrer que c’est très possible, même pour des débutants, de réussir de belles leçons et d’appliquer des stratégies d’enseignement de façon très efficace», ajoute son conjoint.

Force est-il d’admettre que les concepteurs ont frappé en plein dans le mille.

Marie-Josée Boucher, EAO, enseignante au jardin d’enfants et à la maternelle à l’école élémentaire et secondaire publique L’Équinoxe de Pembroke, située dans la vallée de l’Outaouais, du côté ontarien, est du nombre des pédagogues qui ont salué cette pratique.

«Lorsque j’ai commencé à visionner les vidéos, j’ai trouvé l’interaction des enseignants avec de vrais élèves très intéressante, dit-elle. J’ai toujours été très curieuse de savoir ce qui se fait dans d’autres classes, notamment au chapitre de l’aménagement d’une salle de classe. Ces vidéos apportent donc plusieurs éléments réels même si ce n’est pas le principal but de la leçon.»

Marie-Josée Boucher, EAO, enseigne la maternelle et le jardin d’enfants à l’école élémentaire et secondaire publique L’Équinoxe de Pembroke.

Conception et contenu

Aujourd’hui, trois ans après son coup d’envoi officiel, cyber-profs.org regorge d’une centaine de vidéos thématiques de tous genres, propices à l’enseignement du préscolaire à la neuvième année, toutes aussi informatives les unes que les autres. Et elles ont l’avantage d’être gratuites.

«Il y a une variété de vidéos regroupées par thème, dont la rentrée scolaire, les stratégies d’enseignement, l’enseignement en milieu minoritaire francophone, l’enseignement de différentes matières comme le français, les mathématiques, les sciences et ainsi de suite», explique Mme Lataille-Démoré.

Cette classification des thèmes s’avère d’ailleurs un atout important pour Gisèle Lachance.

«J’aime que les vidéos soient séparées en différents blocs. C’est facilement navigable. Il n’y a pas des pages et des pages de lecture.»

Les premiers thèmes sont l’œuvre de M. Karsenti qui chérissait l’idée de créer des vidéos en ligne instructives, gratuites et accessibles à tous. «J’ai choisi le thème des dix premières vidéos et ensuite nous avons sondé des pédagogues qui venaient de commencer leur carrière.»

Dans le cadre de sondages ciblés, on a interrogé les participants pour connaître leurs besoins et leurs opinions afin de relever les carences au chapitre de leur formation. Une fois les réponses compilées, il a fallu déterminer comment produire une vidéo pour répondre aux besoins des étudiants.

Si M. Karsenti est le premier à rêver de la production de vidéos, Mme Lataille-Démoré donne beaucoup d’elle-même sur le plan du contenu. Fort de ses quarante ans d’expérience en éducation, M. Démoré joue plutôt le rôle de chef d’orchestre en gérant les échanges entre les intervenants.

 Ces deux thèmes, la gestion de classe et la rentrée scolaire, sont particulièrement appréciés. 

«Il est très compliqué de filmer en salle de classe. Non seulement faut-il un code d’éthique, mais en plus, il faut obtenir des autorisations des conseils scolaires, des directions, des enseignants et de tous les parents. Bien connu dans le domaine de l’éducation, M. Démoré facilite tout ce processus», dit M. Karsenti. M. Démoré possède ainsi une expérience difficilement négligeable.

«En faisant la supervision dans mon programme, je rencontre énormément d’enseignants. J’assiste à des leçons. J’ai l’occasion d’observer des pédagogues exceptionnels et je peux ainsi les approcher pour faire des tournages dans leur classe», explique-t-il.

À cet effet, l’équipe jouit des services de Denis Aubé, un cameraman hors pair qui a été finaliste aux Prix Gémeaux, un gala québécois qui honore chaque année les meilleures productions télévisuelles. Grâce à lui, les vidéos ont une apparence soignée qui rehausse la valeur professionnelle de cet outil.

À la manière YouTube

Au total, treize thèmes regroupant chacun plusieurs vidéos offrent un éventail de possibilités aux visiteurs du site web. Cette classification des leçons facilite notamment la navigation, tandis que l’utilisation d’une technologie bien connue permet de transmettre plus efficacement des astuces et conseils.

«Nous avons choisi la technologie de YouTube parce que c’est un site bien connu», ajoute M. Karsenti.

Pour favoriser davantage l’utilisation des vidéos, une bande-annonce d’environ une minute permet aux internautes d’avoir un aperçu de la leçon. Si cet extrait leur plaît, il suffit de visionner un plus long métrage variant de 5 à 25 minutes.

Le site possède également des entrevues avec des sommités de certains domaines de l’éducation. Citons, par exemple, Mgr Paul-André Durocher, évêque responsable de la catéchèse pour l’enseignement religieux, et Lise Paiement, EAO, spécialiste en animation culturelle.

Mme Lataille-Démoré, qui œuvre dans le domaine de l’éducation depuis 24 ans, figure elle-même dans les vidéos, compte tenu de sa vaste expérience.

Un site populaire

Selon les plus récentes statistiques, le site a attiré plus de 1,2 million de visites.

«Quand nous avons commencé à présenter des stratégies d’enseignement, le site est devenu accessible à plus de monde et non pas seulement à nos étudiants en enseignement. Tous les pédagogues peuvent en profiter. Nous avons relevé des visiteurs du monde entier!», affirme M. Démoré.

Un coup d’œil sur les statistiques portant sur l’utilisation du site révèle que les internautes proviennent en grande partie du Canada français, mais aussi de la France, de la Belgique, des Seychelles et d’autres pays, certains peu connus! Le ministère de l’Éducation nationale de la France a même ajouté un lien à son site pour diriger les intéressés vers cyber-profs.org.

«C’est une ressource fabuleuse. Nous offrons une centaine de vidéoclips en ligne, accessibles à tous, à tout moment du jour et de la nuit», souligne M. Karsenti.

C’est le jour de la rentrée pour la classe d’Anita Laprairie, EAO. Cette vidéo, inédite dans le monde, présente des enfants qui viennent pour la première fois de leur vie à l’école.

Dans une vidéo sur la gestion de classe au préscolaire, Asmaa Aryb, EAO, utilise des feux de circulation pour décourager certains comportements en classe.

Leçons concrètes et préférées

Les enseignantes et enseignants vous diront que la popularité mondiale du site relève de ses notions pratiques, facilement assimilables et transférables en salle de classe.

Dans une vidéo sur la gestion de classe et la routine au pré­scolaire, on apprend par exemple comment Asmaa Aryb, EAO, enseignante à l’école élémentaire L’Héritage de St. Catharines, dans la région de Niagara, utilise un système de feux de circulation maison, fabriqué avec des assiettes en plastique de couleurs, pour décourager certains comportements en classe.

La journée commence avec l’assiette «bravo», la verte, où chacun des élèves est représenté par une épingle à linge. Si un élève fait preuve d’un comportement répréhensible, Mme Aryb demande à l’enfant de placer son épingle sur l’assiette jaune, un geste qui l’amène à comprendre ses responsabilités. Après une courte discussion et un changement de comportement, l’épingle peut être remise sur l’assiette verte. Des gestes agressifs ou une visite au bureau de la direction se marquent sur l’assiette rouge.

Ce même système de feux de circulation est reproduit dans les agendas des élèves pour que les parents soient au courant, chaque jour, du comportement de leur enfant.

C’est exactement le type de stratégie d’enseignement qui plaît à Jocelyne Dignard-Saleh, EAO, enseignante de 2e année à l’école élémentaire catholique Sainte-Madeleine de Toronto : «La beauté du site, c’est qu’il donne des idées que nous pouvons utiliser concrètement. C’est une excellente ressource.»

La rentrée scolaire est un autre exemple éloquent d’émotions diverses, tant chez l’adulte que chez l’élève que l’on dépose pour une première fois à l’école.

«Notre vidéo sur la rentrée scolaire est assez inédite dans le monde. Je pense que nous sommes les seuls à présenter des enfants qui viennent pour la première fois de leur vie à l’école. Nous avons réussi à croquer cela sur vidéo. Nous voyons des parents qui pleurent. Ce n’était pas volontaire, mais c’est arrivé comme ça», raconte M. Karsenti.

Ces deux thèmes, la gestion de classe et la rentrée scolaire, sont particulièrement appréciés. Tous deux attirent bon nombre de visites dans le site, surtout de jeunes enseignants à la recherche d’outils pour améliorer leur enseignement.

«L’an dernier, quand j’ai débuté dans la profession, les vidéos sur la gestion de classe et la routine quotidienne m’ont vraiment aidée dans ma classe de 2e année. Cette année, pour le préscolaire, je trouve d’autres bons vidéoclips», mentionne Gisèle Lachance.

Diane Lataille-Démoré et Michel Démoré ont vu grand dans l’écran d’un ordinateur et ont su tirer partie des possibilités infinies de la technologie.

Ressource inestimable pour les débutants

Même si cyber-profs.org est un site populaire auprès de tous les pédagogues, il vise surtout les débutants dans la profession. Il se veut une source de réconfort, une ressource facilement accessible et capable de dissiper les craintes avant d’entrer en salle de classe.

Tel fut le cas pour Theodora Nicolita, EAO, de l’école élémentaire Carrefour des Jeunes de Brampton, qui a appris cet été qu’elle commençait sa carrière dans une classe de maternelle.

«Les vidéos concernant la maternelle m’ont tout particulièrement intéressée. Je me demandais notamment comment s’effectuait la rentrée à la maternelle. Un vidéoclip m’a permis d’avoir une image de la rentrée.

«C’est formidable d’avoir une vision de la réalité, de voir comment les enfants agissent, mais aussi de voir comment les gens parlent de leurs expériences en donnant des exemples et des conseils pour nous aider à réussir. Je n’avais jamais vécu une telle expérience.»

Marie-Josée Boucher avoue être retournée dans le site avant la rentrée cette année afin de mieux accueillir ses élèves de la maternelle et du jardin d’enfants. Et elle se promet d’y retourner si jamais son rêve d’enseigner au cycle intermédiaire se concrétise. Surtout qu’il s’agit d’un outil rapide pour des enseignants débordés de travail.

«Je veux enseigner au cycle intermédiaire un jour. C’est certain que je vais consulter le site pour me donner une idée des inter­actions avec ces jeunes-là. Les enseignants n’ont pas beaucoup de temps libre. Entre lire un livre et voir des vidéos, j’estime que cyber-profs est plus pertinent.»

De son côté, Karen Sidey, EAO, a même utilisé l’outil virtuel pour préparer ses entrevues en 2008. Elle a donc consulté des vidéos sur la gestion de classe, les stratégies d’enseignement, l’apprentissage par le jeu et d’autres ressources.

«Je n’avais jamais enseigné et je sortais à peine de l’université. Je voulais connaître la nouvelle terminologie et les différentes façons de faire en salle de classe.»

Aujourd’hui enseignante au jardin d’enfants à l’école Immaculée-Conception de St. Catharines, Mme Sidey souligne les qualités de la ressource : «C’est toujours un outil auquel je peux me référer. Je le recommande à tous les nouveaux enseignants. Tu apprends des autres et ça donne beaucoup d’idées. C’est une ressource exceptionnelle.»