Aujourd’hui animatrice de l’émission vedette de TFO, Relief, Gisèle Quenneville se souvient de Marie Comartin et de Louis Moison, deux enseignants qui lui ont inculqué la passion de la langue française et le goût de la rigueur, deux atouts dans la brillante carrière qui l’attendait.

Les enseignants remarquables de
Gisèle Quenneville

de Kathy Wazana

D'Aussi longtemps qu’elle se souvienne, Gisèle Quenneville a rêvé d’être journaliste.

Dès l’âge de six ans, elle se baladait avec une lame de xylophone qu’elle brandissait sous le nez de ses parents et autres proches pour les interviewer. À dix ans, ce microphone de fortune a donné place à un cahier dans lequel elle écrivait des histoires et des observations. À 16 ans, elle travaillait comme bénévole pour le journal hebdomadaire régional, Belle River News.

Entre un village du sud-ouest ontarien et Radio-Canada ou TFO, le parcours n’est pas sans obstacles. D’abord, il fallait que son français parlé et écrit soit impeccable. Or, en Ontario dans les années 1970, l’éducation en langue française n’en était qu’à ses balbutiements, et les écoles secondaires de langue française étaient encore rares. Mais Gisèle Quenneville a eu la chance d’avoir deux enseignants qui l’ont mise sur la voie d’une brillante carrière de journaliste à TFO (la télévision éducative de l’Ontario) et d’animatrice à la radio de la SRC et de la CBC.

Née en 1968 à St. Joachim, à 60 kilomètres à l’ouest de Windsor, Gisèle Quenneville est la fille unique d’un père agriculteur et d’une mère enseignante. Elle grandit dans une famille où l’on parle français à la maison, mais dans une région où la vie sociale et culturelle se passe majoritairement – sinon exclusivement – en anglais, sauf à l’école. 6 e année à l’école élémentaire catholique Saint-Ambroise de St. Joachim.

Mme Quenneville. Elle était très sévère, très exigeante. Elle nous faisait conjuguer et répéter les verbes jusqu’à ce que nous les connaissions par cœur. Évidemment, à l’époque, je n’appréciais pas du tout.

Aujourd’hui, mère d’une fille qui est en 6e année, Mme Quenneville apprécie mieux l’enseignement rigoureux de Mme Comartin. Elle évoque le souvenir des heures passées, assise à la table, à décliner les conjugaisons et à faire les tables de multiplication.

Il avait le don de rendre les classiques intéressants pour des jeunes adolescents.

«Ce que j’ai appris avec Mme Comartin me sert encore aujourd’hui; c’est une base dont je me servirai toujours, dit-elle, quoique je sois devenue peut-être un peu trop perfectionniste. J’ai du mal à pardonner les erreurs. C’est vraiment nécessaire d’abandonner entièrement l’approche «mémorisation» des connaissances de base. «Parfois, je pense que ma fille aurait besoin de Mme Comartin, confie-t-elle.»

Aujourd’hui retraitée, Marie Comartin se souvient pourtant bien de Gisèle Quenneville.

«Gisèle était une élève consciencieuse, qui excellait dans toutes les matières, mais surtout en composition. Elle avait beaucoup d’imagination et aimait écrire. Elle se promenait toujours avec un cahier dans lequel elle écrivait des histoires.»

Quand Gisèle Quenneville termine l’élémentaire, elle entre au secondaire à la Belle River District High School, une école de langue anglaise. Comme beaucoup de jeunes Franco-Ontariens de son âge, Gisèle avait mis le français de côté et le parlait rarement, à part à la maison.

Avant l’ouverture d’une école secondaire de langue française, Belle River High School était une école mixte offrant aux élèves francophones la possibilité de suivre des cours de mathématiques, d’histoire et de géographie en français. Après l’ouverture de l’école secondaire l’Essor en 1979, Belle River a gardé les cours de français à l’intention des élèves venus des écoles élémentaires de langue française.

Gisèle Quenneville arrive peu enthousiaste dans la classe de Louis Moison, mais avec des bases solides, grâce à Marie Comartin, son enseignante de 6e année.

«Il n’a pas fallu longtemps à M. Moison pour me “"raccrocher"” au français, pour me faire comprendre aussi que c’était un atout pour moi.»

Louis Moison est né à St. Joachim. Élevé par ses grands-parents, il grandit dans une famille très attachée à son patrimoine linguistique et qui encourage les enfants à conserver leur langue malgré la difficulté de vivre en français dans le sud-ouest ontarien.

Quand son grand-père tombe malade, Louis Moison quitte l’école pour s’occuper de la ferme. Deux ans plus tard, il s’inscrit à des cours du soir pour terminer le secondaire, puis au Teachers’ College d’Ottawa afin d’obtenir son diplôme d’enseignant à l’élémentaire. Il enseigne alors les 6e, 7e et 8e années à l’école St-Pierre de Tecumseh.

Photo

Classe de 6e année de Gisèle Quenneville avec son enseignante, Marie Comartin

Pendant ce temps, il poursuit ses études universitaires le soir et l’été. Ce n’est qu’en dernière année qu’il s’inscrit à temps plein à l’Université Assumption (aujourd’hui l’Université de Windsor), où il obtient sa qualification d’enseignant au secondaire. Il fait ses débuts à la Belle River District High School et y restera 30 ans, jusqu’à sa retraite en 1994.

Né et élevé sur une ferme, Louis Moison est très près du terroir, mais en même temps très ouvert sur le monde. Agriculteur, éleveur de chevaux, enseignant, voyageur, il ne fait rien à moitié.

M ’était un homme passionné, se souvient Mme Quenneville. Passionné par les chevaux dont il s’occupait sur la ferme familiale; par la langue, la littérature et la culture qu’il transmettait avec ferveur à ses enfants et à ses élèves; et par les voyages qu’il faisait avec tous ceux qui voulaient bien s’aventurer avec lui. M. Moison a servi d’exemple, car dans le sud-ouest ontarien, il fallait se battre pour être francophone. On se faisait dire que notre français n’était pas assez bon, affirme-t-elle.

Louis Moison vouait un amour débordant pour la littérature, dont la poésie. Il avait le don de rendre les classiques intéressants pour des jeunes adolescents. De plus, il était un peu acteur, alors il lisait bien. Pendant les discussions, il modernisait le sujet et les personnages. C’était contagieux. Même après sa retraite, M. Moison a continué d’enseigner la littérature – à titre bénévole.

C’est en 11e année que, grâce à Louis Moison, Gisèle Quenneville commence à découvrir la francophonie en dehors de son contexte minoritaire. Il l’encourage à participer à un concours de français à l’Université d’Ottawa. Ça se passe en famille, dit-elle. Avec son épouse, Pat Moison, enseignante également (à l’école élémentaire catholique Pavillon des Jeunes), il m’a accompagnée à Ottawa pour me soutenir. Ensuite, elle fait un échange scolaire dans une école de Trois-Rivières, où elle rencontre pour la première fois des jeunes de son âge qui vivent en français.

Louis Moison s’était donné pour mission de ramener les jeunes au français. Grand voyageur, il organisait chaque année un voyage au Carnaval de Québec pour ses classes de français et, chaque été, un voyage en France pour des groupes d’élèves et d’adultes.

Pour Gisèle Quenneville, l’expérience fut inoubliable. Le groupe était composé d’une trentaine d’adolescents et d’adultes. Louis Moison avait organisé et planifié chaque aspect du voyage, chaque activité, en y mêlant spectacles, visites de châteaux, gastronomie et vie au rythme des différentes régions. 

Il m’a fait découvrir le français en tant que langue vivante et sociale, et tout un monde où le français était parlé et vécu au quotidien. Pour Gisèle Quenneville, le défi avait été relevé : elle était pour toujours «raccrochée au français.

Pendant deux ans, elle représente son école à l’émission du samedi matin de Radio-Canada, Super 15 à 25. Elle anime une chronique d’information sur les activités organisées dans les écoles secondaires ontariennes. 6e année, elle reçoit un appel de la station locale de Radio-Canada lui demandant de remplacer une recherchiste tombée malade. Il lui faudra manquer les deux dernières semaines de cours, mais, bonne élève, elle obtient facilement l’approbation du directeur de l’école. Le remplacement dure quelques semaines. Gisèle Quenneville se découvre alors une passion pour la radio.

Avant de commencer ses études en journalisme à l’Université Carleton, elle part une année au Brésil dans le cadre d’un échange pédagogique organisé par le Club Rotary. Pendant son séjour, elle voyage aux quatre coins du Brésil, étudie, apprend le portugais et s’épanouit sur le plan culturel et personnel.

Louis Moison

Photo de Louis Moison, prise vers 1986.

Baccalauréat en poche, Gisèle Quenneville est alors prête à réaliser son rêve d’enfance. Elle entre à Radio-Canada, où elle passera plusieurs années comme journaliste et animatrice à la radio de la SRC et de la CBC à Toronto, à Windsor, à Winnipeg et à Ottawa. En 1996, elle fait ses débuts à TFO, où elle co-anime le magazine d’affaires publiques Panorama. Elle rencontre ainsi des personnalités du domaine politique, économique, littéraire et artistique, des gens du monde de l’éducation, ainsi que d’autres francophones qui font avancer leur communauté. En 2006, ce travail lui vaut une nomination aux prix Gémeaux dans la catégorie meilleur intervieweur. En 2010, elle prend seule les rênes de l’animation de la toute nouvelle émission vedette de TFO, Relief.

La dernière fois que Gisèle Quenneville a vu Louis Moison, c’était pour un reportage de Radio-Canada sur l’élevage des chevaux, sa deuxième passion et celle à laquelle il s’est consacré à temps plein après sa retraite de l’enseignement. Après l’interview, il l’invite à aller voir ses chevaux. Là, nous n’étions plus professeur et élève, mais deux adultes qui partageaient un moment ensemble, de dire Mme Quenneville. Louis Moison est décédé en 2009.

Nommée présidente du comité de sélection des Prix du premier ministre pour l’excellence en enseignement de 2010-2011, Gisèle Quenneville a ainsi pu reconnaître les contributions d’enseignants comme Marie Comartin et Louis Moison, qui ont su, par leur passion pour l’enseignement, propulser des élèves sur la voie de la réussite.     

Journée de la remise de prix par le comité de sélection des Prix du premier ministre pour l’excellence en enseignement, en mai 2011. Mme Quenneville, présidente du comité, se tient à côté de Dalton McGuinty, premier ministre de l’Ontario, avec d’autres membres du comité : (de gauche à droite) Ron Grandy, Chantal Bertrand, Poleen Grewal et Maria Bun. À droite, Leona Dombrowsky (ancienne ministre de l’Éducation) était également présente pour la remise des prix.